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Décisions

CA Versailles, 3e ch., 14 mars 1997, n° 94-00006810

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Chapelle

Défendeur :

BMW France (Sté), Fourel (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Simonnot (faisant fonction)

Conseillers :

Mme Prager, M. Pers

Avoués :

SCP Levèvre Tardy, SCP Merle-Doron-Carena, Me Robert

Avocats :

Mes Le Foyer de Costil, Pinel

TGI Versailles, 1re ch., 1re sect., du 2…

21 juin 1994

Exposé des faits et de la procédure

En 1988, Monsieur Chapelle a acheté auprès de la société Garage Fourel un véhicule BMW 525 i au prix de 214 321 F.

Se plaignant d'émanations provoquant maux de tête, somnolence et autres malaises, il a saisi le Tribunal de grande instance de Versailles, par actes des 25 et 30 août 1989, et le juge des référés du même tribunal lequel, par ordonnance du 14 septembre 1989, a commis un expert en la personne de Monsieur Vilhelmsen.

Celui-ci a rédigé deux rapports, le premier intitulé "rapport d'expertise" et le second "rapport d'expertise n° 2".

C'est dans ces conditions que le Tribunal de grande instance de Versailles, par jugement contradictoire du 21 juin 1994, a débouté Monsieur Chapelle de ses demandes et l'a condamné à payer à chacun des défendeurs 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et à supporter les dépens qui comprendront les frais d'expertise.

Appelant de ce jugement, Monsieur Chapelle conclut à sa réformation et au prononcé de la résolution de la vente. A titre subsidiaire, il demande la condamnation des sociétés Fourel et BMW à lui rembourser le prix d'achat du véhicule, soit 214 321 F, et à le faire enlever et à lui payer 200 000 F à titre de dommages-intérêts, à parfaire, ainsi que 70 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Il fait valoir :

- que l'impropriété du véhicule à son usage est établie par le rapport d'expertise,

- qu'en admettant la thèse de la société BMW selon laquelle une ventilation mécanique serait nécessaire, cette information ne ressort pas de la notice d'utilisation non plus que des indications du constructeur au titre de son devoir de conseil et que les conséquences pratiques à tirer de cette responsabilité sont les mêmes que celles résultant de la résolution de la vente.

La société BMW conclut à la confirmation du jugement et à la condamnation de Monsieur Chapelle à lui payer 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle soutient :

- que l'étanchéité de la cabine est une caractéristique recherchée par tous les constructeurs automobiles car elle isole du bruit et des pollutions extérieures,

- que, sur de longs trajets, l'utilisation de la ventilation, même de façon ponctuelle, est indispensable et que Monsieur Chapelle refuse de la faire fonctionner,

- que sa responsabilité ne saurait être engagée à l'égard d'un consommateur qui, volontairement, ne respecte pas les conditions d'utilisation dont il est informé par une notice,

- que les conditions d'application de la résolution de la vente pour vices cachés ne sont pas réunies, dès lors qu'il peut être facilement remédié au défaut de ventilation par l'utilisation des dispositifs prévus.

La société Fourel conclut à la confirmation du jugement déféré et, subsidiairement, à la condamnation de la société BMW à la garantir d'une éventuelle condamnation. Elle sollicite une indemnité de 10 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle développe la même argumentation que celle soutenue par la société BMW et allègue que les conditions d'application de l'article 1641 du Code civil ne sont pas réunies.

En réplique, Monsieur Chapelle, tout en maintenant son argumentation antérieure, a porté à 300 000 F sa demande de dommages-intérêts.

Il expose :

- qu'il n'a pas eu communication du rapport définitif de l'expert,

- qu'une voiture doit pouvoir être ventilée naturellement, l'utilisation de la soufflerie présentant des inconvénients,

- que l'expertise du CEA établissant l'existence de substances cancérigènes est opposable aux intimées et que le dégagement de telles substances constitue un vice caché ou le non-respect de l'obligation de délivrance,

- que le temps passant, son préjudice augmente et ne saurait être inférieur à 300 000 F.

L'instruction de l'affaire a été déclarée close le 16 janvier 1997.

Discussion et motifs de la décision

Considérant que le rapport d'expertise et le rapport d'expertise n° 2 ont été régulièrement produits aux débats suivant bordereaux de communication de pièces des 7 et 13 novembre 1996 et qu'il n'est pas démontré qu'il y aurait eu un "rapport définitif" ;

Que Monsieur Chapelle ne peut donc se plaindre de l'absence de communication d'un rapport "définitif" dont la réalité n'est pas établie ;

Considérant que les analyses pratiquées le 20 avril 1990 en dehors de toute contradiction sont inopposables à la société Fourel et à la société BMW en sorte que la présence de substances cancérigènes, à savoir de di-isocyanate de toluylène (TDI), ne peut être considérée comme établie, l'expert judiciaire, lors des analyses pratiquées contradictoirement n'ayant pu accepter les résultats lors du premier contrôle en raison de condensation d'eau dans la solution et ayant observé, lors de son second contrôle, que la concentration des di-isocyanates n'était pas significative;

Considérant qu'il résulte des énonciations du premier rapport du 8 juillet 1991 que l'expert a procédé le 10 août 1990 avec la participation du CEA - service d'hygiène industrielle - à des analyses qui ont mis en évidence que, lorsque la ventilation était ouverte, le taux d'anhydride carbonique (CO2) restait à un niveau acceptable de l'ordre de 400 vpm à 600 vpm et que, lorsqu'elle était fermée, avec trois personnes à bord, le taux de CO2 montait à 4 200 vpm en cinq minutes ; que, lorsque la ventilation était remise en marche, la concentration de CO2 redescendait à 450 vpm en une minute ;

Que l'expert a estimé que cette concentration anormale était due au fait que la cabine était trop étanche;

Qu'à la suite de difficultés soulevées par la société BMW, l'expert a accepté de procéder à une nouvelle analyse qui a eu lieu le 7 septembre 1992 toujours avec la participation du CEA au vu duquel il a établi son rapport d'expertise n° 2 du 19 mars 1993 :

Qu'il apparaît de ce contrôle que :

- sans passager à bord, moteur en marche ou l'arrêt, la concentration de CO2 dans le véhicule est de 350 ppm, c'est-à-dire semblable à celle de l'air extérieur,

- avec trois personnes à bord, ventilation et climatisation fermées, moteur en marche, la concentration de CO2 passe immédiatement à 3 600 ppm, puis trois minutes après à 4 250 ppm, et une minute plus tard est égale ou supérieure à 5 000 ppm,

- que, toujours avec trois personnes à bord, ventilation et climatisation fermées, mais moteur à l'arrêt, la concentration de CO2 est égale ou supérieure à 5 000 ppm,

- qu'après la sortie des passagers de la voiture, le niveau de CO2 baisse rapidement ;

Que l'expert a précisé qu'aucune valeur supérieure à 5 000 ppm n'était mesurable en raison de la limitation de l'échelle de l'appareil de mesure et que, statistiquement, le taux de CO2 va continuer à augmenter de manière exponentielle tandis que celui de l'oxygène va diminuer;

Qu'il a relevé que, même en faisant fonctionner la ventilation sur la position 1, la concentration de CO2 montait rapidement pour atteindre au maximum 2 650 ppm ;

Qu'il a relaté que d'après les normes américaines, la valeur moyenne d'exposition était fixée à 5 000 ppm et que la circulaire du 9 mai 1985 relative à la ventilation des locaux de travail préconisait un taux de renouvellement de l'air limitant à 1 000 ppm la présence de CO2 dans l'atmosphère ;

Qu'il a estimé que l'élévation du taux de CO2 avait pour cause la très grande étanchéité de la cabine de sorte que la ventilation naturelle minimale n'était pas assurée quand la ventilation restait en position fermée ;

Qu'il en a conclu que, dans le cas où le véhicule était utilisé, ventilation et climatisation fermées, moteur en marche ou à l'arrêt, le taux de CO2 atteint rendait le véhicule impropre à son usage et que le problème de manque d'aération était dû à la conception de la voiture ;

Que les constatations auxquelles l'expert a procédé ne sont pas discutées par les parties ;

Qu'il est donc établi que l'habitacle du véhicule contient une quantité anormale de CO2 lorsque la ventilation et la climatisation sont fermées ;

Considérant que Monsieur Chapelle se plaint d'un défaut qui rendrait son véhicule impropre à sa destination normale, de sorte que le seul fondement possible de son action en résolution de vente est la garantie des vices cachés et non l'inexécution par le vendeur de son obligation de délivrance ;

Considérant que l'article 1641 du Code civil décide que le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus ;

Que la position 1 de la ventilation qui en comporte 4 est la position minimale, contrairement à ce que prétend Monsieur Chapelle, la notice d'utilisation spécifiant à cet égard " Les positions 1 à 4 correspondent à des puissances plus grandes de la soufflante " ;

Que même si le fonctionnement de la ventilation en position 1 ne suffit pas à aérer convenablement le véhicule, comme l'a constaté l'expert dans son second rapport, sa mise en marche à une puissance plus grande suffit à évacuer le CO2 puisque l'expert, dans son premier rapport d'expertise, a indiqué que le taux de CO2 était acceptable lorsque la ventilation fonctionnait;

Qu'il en résulte que le véhicule peut être utilisé sans problème pour ses occupants si la ventilation est mise en marche, ce qui exclut que le véhicule puisse être considéré comme impropre à son usage ;

Que les conditions d'application de l'article 1641 du Code civil ne sont pas réunies et qu'il n'y a pas lieu de prononcer la résolution de la vente ;

Que, dès lors que la vente concernait un véhicule de série, doté d'un système de ventilation mécanique, ni la société Garage Fourel ni la société BMW ne pouvaient savoir que la possibilité d'utiliser le véhicule sans recourir à cette ventilation mécanique était une condition déterminante de son acquisition pour Monsieur Chapelle ;

Qu'il ne peut leur être fait grief d'avoir manqué à leurs obligations envers lui en s'étant abstenus d'attirer son attention sur la nécessité de faire fonctionner la ventilation ;

Qu'aucun manquement à leur devoir de conseil ne peut leur être reproché ;

Que, par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges, le jugement déféré sera confirmé en toutes ses dispositions;

Qu'en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, il y a lieu d'accorder à la société Garage Fourel et à la société BMW 6 000 F chacune ;

Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré, Et y ajoutant, Condamne Monsieur Chapelle à payer à la société Garage Fourel et à la société BMW 6 000 F chacune sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Le condamne également aux dépens qui pourront être recouvrés directement par Maître Robert et par la SCP Merle-Carena-Doron avoués, conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.