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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 22 octobre 2003, n° 2001-16706

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Chocolade Fabriken Lindt & Sprungli AF (Sté) ; Lindt & Sprungli (SA)

Défendeur :

Société des produits Nestlé (SA) ; Nestlé France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Carre-Pierrat

Conseillers :

Mmes Magueur, Rosenthal-Rolland

Avoués :

Me Couturier, SCP Bommart-Forster

Avocats :

Mes Blouvac, Antoine-Lalance

TGI Paris, 2e ch., du 6 juill. 2001

6 juillet 2001

Vu l'appel interjeté par la société de droit suisse Chocolade Fabriken Lindt & Sprungli et la société Lindt & Sprungli, ci-après sociétés Lindt, du jugement rendu le 6 juillet 2001 par le Tribunal de grande instance de Paris qui a:

- déclaré la société des Produits Nestlé et la société Nestlé France recevables en leur action,

- dit que les marques déposées par la société de droit suisse Lindt & Sprungli n° 99.794.378 et n° 99.794.379 constituent la contrefaçon de la marque n° 98.735.592 dont la société les Produits Nestlé est titulaire,

- dit qu'en exploitant ces deux marques, la société Lindt & Sprungli France a commis des actes de contrefaçon au préjudice de la société des Produits Nestlé et des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Nestlé France,

- interdit aux deux sociétés Lindt de poursuivre la commission des actes litigieux, sous astreinte de 100 F par infraction constatée, passé un délai de trois mois à compter de la signification de la décision,

- condamné in solidum les sociétés Lindt à verser à la société des Produits Nestlé la somme de 60 000 F en réparation des actes de contrefaçon,

- condamné la société Lindt France à verser à la société Nestlé France la somme de 200 000 F à titre de dommages-intérêts,

- rejeté toute autre demande,

- autorisé les sociétés Nestlé à faire publier le dispositif du jugement dans deux revues de leur choix, sans que la part du coût des insertions supportée in solidum par les sociétés Lindt ne dépasse la somme de 20 000 F par insertion,

- condamné in solidum les sociétés Lindt à verser aux sociétés Nestlé la somme de 18 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Vu les dernières écritures signifiées le 15 mai 2003 par lesquelles les sociétés Lindt, poursuivant l'infirmation du jugement entrepris, demandent à la cour de débouter les sociétés Nestlé de l'ensemble de leurs prétentions et de les condamner à leur verser la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Vu les dernières conclusions signifiées le 25 juin 2003 aux termes desquelles la société des Produits Nestlé et la société Nestlé France sollicitent la confirmation du jugement déféré sauf sur le montant des dommages-intérêts et formant appel incident, demandent à la cour de:

- prononcer la nullité des deux marques déposées par la société de droit suisse Lindt sous les numéros 99.794.378 et 99.794.379 et dire que lorsque l'arrêt sera définitif il sera transcrit sur les registres de l'INPI sur simple réquisition du greffier,

- condamner in solidum les sociétés Lindt à payer à la société des Produits Nestlé la somme de 75 000 euro à titre de dommages-intérêts en réparation des actes de contrefaçon de marque,

- condamner la société Lindt France à payer à la société Nestlé France la somme de 150 000 euro à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant des actes de concurrence déloyale,

- condamner in solidum les sociétés Lindt à leur payer la somme complémentaire de 7 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Sur ce, LA COUR

- Sur la contrefaçon de marque

Considérant que la société des Produits Nestlé est titulaire de la marque complexe, déposée le 16 juin 1998, enregistrée sous le n° 98 737 592, constituée par la représentation de la face supérieure d'une tablette de chocolat sur laquelle sont inscrits, dans la partie haute, sur deux lignes, les termes "Nestlé" et "Grands Chocolats", suivis dans la partie centrale également répartis sur deux lignes des termes "Eclat" et "Noir", une représentation de trois fèves de cacao illustrant la partie inférieure du conditionnement;

Que cette marque sert à désigner notamment du chocolat et des produits de chocolaterie, relevant de la classe 30;

Considérant que la société des Produits Nestlé fait grief aux sociétés Lindt d'avoir commercialisé en France, une gamme de tablettes de chocolat désignée sous le terme "Excellence" identifiée par les dénominations "Noir Eclats" et "Lait Eclats" qui constitueraient la contrefaçon par imitation de la marque susvisée;

Considérant qu'il est inopérant de rechercher si la société des Produits Nestlé avait fondé son action en première instance sur la contrefaçon par reproduction ou par imitation alors que, devant la cour, elle invoque une imitation de sa marque et que cette demande tend aux mêmes fins que celle soumise aux premiers juges;

Considérant que la société Lindt conteste le grief de contrefaçon par imitation qui lui est reproché faisant valoir que les signes en présence doivent être appréciés dans leur ensemble et qu'eu égard aux différences visuelles et phonétiques prépondérantes par rapport aux ressemblances, il n'existe pas de risque de confusion dans l'esprit du public ; qu'elles ajoutent que le terme "Eclat", synonyme de brisure ou de morceau, n'étant pas arbitraire au regard des produits qu'il désigne, n'est donc pas protégeable pris isolément, qu'en tout état de cause, il présente un caractère accessoire et est utilisé sur ses emballages dans le contexte du langage courant;

Considérant que les premiers juges ont exactement relevé que par la taille de ses caractères, sa position centrale et son absence d'insertion dans un ensemble grammaticalement structuré, le terme "Eclat" se distingue des autres dénominations apposées sur la marque complexe n° 98 737 592 de la société des Produits Nestlé et en constitue l'élément attractif;

Qu'ils ont également pertinemment estimé que ce terme, qui n'est pas inséré dans un ensemble tel "aux éclats de cacao" ou "aux éclats de fèves de cacao", ne décrit ni la composition du produit, ni l'une de ses qualités essentielles;

Que, contrairement aux assertions des appelantes, le substantif "Eclat", dans l'utilisation qui en est faite, constitue donc un terme arbitraire et de fantaisie;

Considérant que si la société Lindt utilise le mot "Eclat" selon son acception courante dans l'expression "Aux éclats de cacao" qui est apposée sur la partie supérieure des deux emballages litigieux, usage qui n'est pas incriminé par la société des Produits Nestlé, il n'en est pas de même dans la présentation "Noir Eclats" et "Lait Eclats", ces deux expressions, qui ne répondent pas aux règles de la syntaxe, étant dépourvues de signification; qu'elle ne justifie avoir fait usage du terme "Eclat" antérieurement au dépôt de la marque opposée par les sociétés Nestlé que sous la présentation "Aux éclats de noisettes" qui n'est pas davantage critiquée;

Que les dénominations et expressions "Lindt excellence noir aux éclats de cacao dégustation" et "Lindt excellence lait aux éclats de cacao dégustation" qui précèdent les termes "Noir Eclats" et "Lait Eclats" ne sont pas de nature à conjurer le risque de confusion entre les signes en présence; qu'en effet, ces derniers sont isolées sur la partie inférieure des emballages déposés à titre de marques dans un cartouche au fond blanc de sorte que, se détachant visuellement, ils sont lus séparément des autres termes composant l'ensemble et constituent, comme dans la marque première, l'un des éléments attractifs des signes contestés qu'un consommateur, même moyennement attentif, appréhende immédiatement; que par la seule reprise du substantif "Eclat", il pourra ainsi se méprendre sur l'origine des produits;

Que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a retenu que l'usage par les sociétés Lindt des termes "Noir Eclats" et "Lait Eclats" constitue la contrefaçon par imitation de la marque n° 98 737 592 dont est titulaire la société des Produits Nestlé;

- Sur la concurrence déloyale

Considérant que ces actes de contrefaçon représentent à l'égard de la société Nestlé France qui commercialise en France les produits de chocolaterie revêtus de la marque n° 98 737 592, des faits de concurrence déloyale;

Que la décision entreprise doit donc être également confirmée sur ce point;

- Sur les mesures réparatrices

Considérant qu'il convient, conformément à l'article L. 714-3 alinéa 1er du CPI, de déclarer nuls les enregistrements des marques n° 99 794 378 et n° 99 794 379 appartenant à la société suisse Lindt;

Considérant que les mesures d'interdiction prononcées par les premiers juges, justifiées pour mettre un terme aux agissements délictueux, doivent être confirmées; qu'il en sera de même de la publication sauf à préciser qu'il sera fait mention du présent arrêt;

Considérant que la société Nestlé France justifie avoir réalisé des investissements publicitaires substantiels pour promouvoir la marque "Eclat Noir" ; que le produit revêtu de cette marque, élu "Produit de l'année" en 1998 par un jury composé de consommateurs, a remporté un réel succès commercial; que si les sociétés Lindt justifient avoir modifié leur emballage en octobre 2000, l'atteinte porté à la valeur patrimoniale de la marque par les actes de contrefaçon, qui ont perduré deux années, justifie que soit allouée à la société des Produits Nestlé, une indemnité de 50 000 euro;

Qu'en mettant sur le marché en 1999, les tablettes de chocolat revêtues des dénominations "Noir Eclats" et "Lait Eclats", la société Lindt France a nécessairement tiré profit des investissements publicitaires antérieurement consacrés par la société Nestlé France à la marque "Eclat Noir"; qu'il en est résulté un trouble commercial indéniable qui sera réparé par l'allocation d'une indemnité de 100 000 euro;

Considérant que les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile doivent bénéficier aux sociétés Nestlé, la somme complémentaire de 7 000 euro devant leur être allouée à ce titre;

Que la solution du litige commande de rejeter la demande formée sur ce même fondement par les sociétés Lindt;

Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris sauf sur le montant des dommages-intérêts; Le réformant sur ce point et statuant à nouveau; Condamne in solidum la société Chocolade Fabriken Lindt & Sprungli et la société Lindt & Sprungli à verser à la société des Produits Nestlé la somme de 50 000 euro en réparation de l'atteinte portée à la marque n° 98 737 592; Condamne la société Lindt & Sprungli à verser à la société Nestlé France la somme de 100 000 euro en réparation du préjudice résultant des faits de concurrence déloyale; Déclare nuls les enregistrements des marques n° 99 794 378 et n° 99 794 379 dont est titulaire la société Chocolade Fabriken Lindt & Sprungli; Dit que la décision sera transmise par les soins du greffier à l'INPI aux fins d'inscription sur le registre national des marques; Dit que la publication fera mention du présent arrêt; Rejette le surplus des demandes; Condamne in solidum la société Chocolade Fabriken Lindt & Sprungli et la société Lindt & Sprungli à verser aux sociétés des Produits Nestlé et Nestlé France la somme complémentaire de 7 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne in solidum la société Chocolade Fabriken Lindt & Sprungli et la société Lindt & Sprungli aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l"article 699 du nouveau Code de procédure civile.