Décisions

Conseil Conc., 22 décembre 2005, n° 05-D-75

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques mises en œuvre par la Monnaie de Paris

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de Mme Mauléon-Wells par Mme Perrot, vice-présidente présidant la séance, MM. Flichy, Gauron, membres.

Le Conseil de la concurrence (section II),

Vu la lettre enregistrée le 24 avril 1998, sous le numéro F 1046, par laquelle la société LB & Associés a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la Monnaie de Paris ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié et le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce ; Vu les observations présentées par la Monnaie de Paris, la société LB & Associés et par le commissaire du gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du gouvernement, la Monnaie de Paris et la société LB & Associés, entendus lors de la séance du 3 novembre 2005; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

A. LE SECTEUR D'ACTIVITÉ : LES MÉDAILLES SOUVENIRS

1. Un recensement du patrimoine culturel national, datant de 1994, dénombrait environ 40 000 monuments historiques et 4 000 musées, parmi lesquels un millier de sites environ sont fréquentés par plus de 20 000 visiteurs annuels. Au total, en 1996, la fréquentation des sites touristiques français était évaluée à 62,4 millions de visiteurs par an. De nos jours, les sites touristiques complètent la visite en proposant généralement des espaces d'exposition, des audio-guides, des activités ludiques ou festives, mais aussi des restaurants, cafés et boutiques permettant de prolonger l'expérience de la visite.

2. Au total, le chiffre d'affaires engendré par la fréquentation des sites touristiques français était estimé à 26,5 milliards d'euro en 1996. Une étude de MM. X, conservateur général du patrimoine et Y, secrétaire général du Conseil national du tourisme, intitulée " Economie touristique et patrimoine culturel " révélait, en 1994, que le ratio de dépenses sur un site touristique peut atteindre environ 15 francs (soit un peu plus de 2 euro) par visiteur, en particulier lorsque le taux de satisfaction du visiteur est élevé. Une étude de la société Médailles Souvenirs estimait à 3,2 milliards de francs le chiffre d'affaires du marché spécifique des souvenirs en 1997.

3. Les médailles-souvenir font partie des produits vendus dans les sites touristiques de France. Ce sont des objets " monétiformes " vendus sur un site touristique visité, qui, pour un prix relativement modique, aujourd'hui environ 2 euro, fournissent au visiteur une trace tangible et matérielle de la mémoire du site. Ces objets sont susceptibles d'être conservés et collectionnés, au même titre que d'autres produits souvenir tels que, par exemple, des cartes postales ou des objets décorés. La médaille-souvenir a la particularité de présenter, gravée sur l'une de ses faces, l'effigie du lieu ou du site touristique visité.

4. Les médailles touristiques étaient traditionnellement vendues au comptoir de l'espace de vente du site, forme de vente appelée " à la corbeille ". Un nouveau mode de commercialisation, par distributeur automatique a toutefois été développé dans le milieu des années 90 : c'est celui qui est concerné par la présente affaire. Ce mode de commercialisation est très répandu aux Etats-Unis, où, par exemple, des pièces d'un dollar sont gravées à l'effigie du site touristique concerné.

B. LES INTERVENANTS

1. LA MONNAIE DE PARIS

5. La Monnaie de Paris est la dénomination, couramment utilisée, de la Direction des monnaies et médailles. Elle exerce une mission de service public industriel et commercial sous la forme d'une direction d'administration centrale relevant du ministère de l'Economie, des Ffinances et de l'Industrie. Elle est dotée d'un budget annexe (182,8 millions d'euro en 2002). Elle est titulaire d'une marque déposée. Il s'agit de l'une des plus vieilles institutions françaises, qui bat monnaie depuis plus de 1 100 ans. Ses effectifs permanents s'élevaient en 2000 à 928 agents.

6. Elle a pour mission, d'une part de fabriquer les pièces de monnaies ayant cours légal en France et d'autre part, de produire et vendre des monnaies de collection, des décorations, des médailles, des bijoux et des bronzes d'art. Son chiffre d'affaires de l'année 2000 s'est établi à 179,36 millions d'euro HT (monnaies françaises : 81 % ; autres produits : 19 %).

7. Elle assure en outre des missions de service public comme la lutte contre la contrefaçon des monnaies, la production des poinçons de garantie, le dépôt légal des médailles françaises, la conservation et l'ouverture au public des collections du musée de la monnaie.

8. Les médailles monétiformes ou jetons-souvenir sont répertoriées par la Direction des monnaies et médailles au sein des " éditions particulières ". Ces produits se distinguent surtout par le fait que la Monnaie de Paris s'en tient au rôle de fabricant. Elle n'est pas éditrice, et donc ne supporte pas le risque d'invendu, qui est reporté sur le client demandeur. Au sein des éditions particulières, la catégorie " jetons " comprend deux types de produits réalisés avec la technologie de la frappe monétaire : les jetons touristiques et les jetons de casino.

9. La commercialisation de médailles touristiques signées Monnaie de Paris dans les points de ventes gérés par le Centre National des Monuments touristiques préexistait, sous la forme de " vente à la corbeille ", à l'installation dans les sites de distributeurs automatiques en partenariat avec la société EVM en 1996. Le rapport annuel de la Monnaie de Paris pour l'année 2000 décrit cette évolution : "sur une série de grands sites touristiques, des distributeurs automatiques de médailles souvenir ont été installés en partenariat avec la société EVM (Euro Vending Medal). Ces distributeurs délivrent une Médaille Souvenir gravée et frappée par la Monnaie de Paris contre une pièce de 10 F ". Le site internet de la Monnaie de Paris indique aussi : " Dans la quasi-totalité des sites touristiques en France, vous trouverez des médailles éditées par la Monnaie de Paris en coopération avec la société EVM : ces médailles, gravées à l'image du lieu, sont proposées par des distributeurs automatiques contre 2 euro. Elles ne sont vendues que sur le site lui-même ".

10. La marque " Monnaie de Paris " a été déposée par l'Etat, le 12 juin 1992, à l'Institut national de la propriété industrielle (n° national 92422474). Les produits ou services désignés sont les monnaies, décorations, monnaies de collection et bijoux, les fontes d'art, plaques de cheminée et galvanoplasties (1) ainsi que les catalogues et publications.

2. LES EXPLOITANTS DE DISTRIBUTEURS AUTOMATIQUES DE MÉDAILLES SOUVENIR

a) La SARL Euro Vending Medals (EVM)

11. La SARL Euro Vending Medals (EVM), créée le 4 janvier 1996, a été la première, en France, à commercialiser des médailles-souvenir par distributeurs automatiques. Son exploitant est encore aujourd'hui son unique salarié. Son chiffre d'affaires a connu une forte croissance dès sa création : 5 366 280 F (818 084 euro) en 1997, 7 806 242 F (1 190 053 euro) en 1998, 10 723 097 F (1 634 725 euro) en 1999 et 16 379 395 F (2 497 022 euro) en 2000, soit un rythme de croissance de +45 % en 1998, +37 % en 1999, + 52 % en 2000. Dès 1997, les médailles commercialisées par les distributeurs automatiques de la société EVM étaient en tête des ventes de souvenirs sur les sites équipés de distributeurs.

12. Les médailles distribuées dans ces appareils sont les " jetons " fabriqués par la Monnaie de Paris. Le distributeur peut contenir jusqu'à 1 000 médailles. Elles présentent les caractéristiques suivantes : un diamètre de 34 mm ; une tranche cannelée ; un poids de 16 gr ; une composition en métal " cupro-alu-nickel " (CAN), alliage monétaire identique à celui des pièces de 10, 20 et 50 centimes d'euro. Le site est représenté sur une face (le recto), la marque - composée du logo et de la dénomination " Monnaie de Paris " - apparaît sur le revers (le verso).

13. A l'époque des faits, le prix de vente du distributeur était fixé par la société Euro Vending Medal à 15 000 francs HT, et le prix de vente de la médaille, nécessitant une commande minimum de 10 000 pièces, à 4,50 francs HT unitaire. La médaille était vendue au client final au prix de 10 F. Depuis le passage à l'euro, son prix s'élève à 2 euro.

14. L'exploitant de la société EVM a décrit ainsi le lancement de son activité : " Jusqu'à la création de ma société, le marché de la distribution automatique de médailles n'existait pas. (...) Il s'avère que 75 % des visiteurs sur sites touristiques repartent sans rien acheter en terme de souvenirs. Cela est dû essentiellement aux mauvais emplacements des boutiques, à l'encombrement de celles-ci... J'ai alors pensé qu'un positionnement de distributeurs automatiques de monnaie, placés en fin de visite et visibles par 100 % des visiteurs, pourrait fonctionner commercialement parlant. J'ai contacté de nombreux fabricants de médailles français et étrangers pour connaître leurs conditions tarifaires et commerciales. J'ai retenu, parmi les différentes propositions retenues, la Monnaie de Paris qui s'est montrée motivée de tester mon idée. Même si ce fournisseur n'était pas, de loin, le plus avantageux financièrement, l'image véhiculée par la Monnaie de Paris et la motivation de son directeur de l'époque, M. Emmanuel Z..., m'ont amené à privilégier ce fournisseur. J'ai établi, pour le distributeur automatique, un cahier des charges avec un des deux fabricants mondiaux de Coin-Hopper, en retenant un jeton monétiforme de 34 mm de diamètre. (...) Le développement de mon entreprise correspond de 30 à 50 clients nouveaux par an, ce qui correspond également à la capacité maximale de la Monnaie de Paris (les conditions de création des outillages sont restées largement artisanales). Cette contrainte technique m'empêche de me développer de manière plus importante, mais finalement, continuer de travailler seul me correspond tout à fait.".

15. Malgré les réticences de certains gestionnaires de sites touristiques, le nombre de sites équipés par EVM a évolué rapidement, passant de 7 en 1996 à 125 en 2001, le distributeur étant parfois installé à l'entrée du site pour ne pas en dégrader l'image.

b) La SARL LB & Associés

16. La SARL LB & Associés, qui comprend deux salariés, a été créée en août 1995. Elle avait pour objet la réalisation de tout travail d'imprimerie ou d'édition, la création et la commercialisation de supports de communication. Ses activités comprenaient également toute fonction nécessaire à la réalisation de son objet notamment en concevant, fabriquant, distribuant tous objets promotionnels, commémoratifs ou de souvenirs par exemple par l'utilisation de distributeurs automatiques. Cette société exploitait sous la dénomination sociale International Sites Market (ISM) son activité de mise à disposition, au profit de gestionnaires de sites touristiques et historiques, de distributeurs automatiques pour la vente de médailles-souvenir à l'effigie des lieux ou sites concernés. Une procédure collective a été ouverte à l'égard de la société en 1998.

17. Le distributeur automatique qu'elle proposait, appelé par la société " Médaillier ", était multi-pièces, multi-devises 12 canaux et contenait un détecteur de fausses pièces. Il pouvait contenir jusqu'à 1 000 médailles. La médaille distribuée avait un diamètre de 34 mm, une tranche cannelée de 2 mm, un poids d'environ 16 grammes et était en bronze florentin. La société LB & Associés consentait, lors de la première commande de médailles-souvenir par les gestionnaires de sites, un prêt pour l'usage des médailliers, garantis un an pièces et main d'œuvre, d'une valeur unitaire estimée de 26 000 francs HT. Elle se proposait également d'en assurer la maintenance moyennant un coût mensuel de 400 francs HT par médaillier. Le prix de vente de la médaille était fixé à 3,50 francs HT l'unité, sachant qu'une commande minimum de 14 000 pièces était nécessaire.

c) La SA Médailles Souvenirs

18. La société Médailles Souvenirs est une société anonyme créée le 10 novembre 1998 par M. Jean-Pierre A, qui en a assuré la direction jusqu'en janvier 2000, date à laquelle M. Philippe B a été nommé président du conseil d'administration. Son effectif est passé durant cette période de 7 à 5 salariés. Son siège social est situé rue Edouard Branly à Saint-Martin-des-Champs (26).

19. Les résultats comptables de l'exercice 1999 montrent une perte de 1 000 000 de francs pour un chiffre d'affaires de 40 517 francs, ceux de l'exercice 2000, une perte de 3 000 000 de francs pour un chiffre d'affaires de 505 168 francs. La liquidation judiciaire de Médailles Souvenirs a été prononcée par le Tribunal de commerce de Morlaix le 7 novembre 2001, le passif s'élevait alors à 3 000 000 de francs.

20. La société Médailles Souvenirs avait conçu deux distributeurs automatiques, l'un gravant des médailles personnalisées, l'autre commercialisant des médailles non personnalisables. Le premier pouvait contenir jusqu'à 1000 médailles et fonctionnait de la façon suivante : après avoir inséré 40 francs, le touriste était invité à saisir son prénom et son nom, la date du jour de la visite étant gravée automatiquement. La gravure de ces données se faisait en moins de deux minutes selon les indications fournies par la brochure de Médailles Souvenirs. La médaille personnalisable présentait un diamètre de 45 mm, une tranche non cannelée de 3 mm d'épaisseur, un poids de 40 gr et était en laiton bijoutier de couleur or.

21. Lors de son audition, M. B a fait valoir que ses médailles étaient plus grandes, plus épaisses et mieux frappées que celles de son concurrent. Leur relief plus important explique, de plus, que leur prix de vente ait été plus élevé. La médaille était en effet vendue au public au prix de 40 francs contre environ 10 francs pour les médailles concurrentes. Les distributeurs étaient mis à disposition des gestionnaires de sites gratuitement. Les médailles étaient placées en dépôt sur les sites et les coûts de réapprovisionnement et de maintenance des appareils étaient pris en charge par la société Médailles Souvenirs. La rémunération contractuelle du dépositaire était de 20 % du chiffre d'affaires HT des ventes de médailles et de coffrets.

22. Les distributeurs graveurs de médailles ont été implantés sur 17 sites.

23. Les médailles non personnalisables avaient les mêmes caractéristiques techniques que la médaille personnalisable : une composition en laiton bijoutier de couleur or, 45 mm de diamètre et un poids de 40 gr. Intitulées " Collection Européenne " (inscription reprise au revers de la médaille), elles reproduisaient côté face le profil graphique propre au site concerné.

24. Elles étaient distribuées dans un appareil vendu au prix de 12 000 francs HT ou proposé à la location vente moyennant un versement mensuel de 380 francs HT pour les sites ouverts 12 mois par an, et 430 francs HT pour les sites ouverts 6 mois par an. Le site devait commander un minimum de 3 000 médailles, au prix unitaire de 10,03 francs HT, ce montant étant ramené à 8,36 francs HT si la commande portait sur 10 000 médailles. La médaille était vendue au public au prix de 20 francs.

25. M. B a indiqué lors de l'enquête avoir été contraint de créer ce produit plus simple pour " tenter de sauver son entreprise, car il ne pouvait s'imaginer que les sites pouvaient refuser l'implantation de machines distribuant un produit similaire à la Monnaie de Paris ".

26. Les distributeurs non graveurs de médailles n'ont été implantés que sur 9 sites.

3. LES GESTIONNAIRES DES ESPACES COMMERCIAUX DES SITES TOURISTIQUES

27. Le Centre des Monuments Nationaux (CMN) et la Réunion des Musées Nationaux (RMN) gèrent les principaux sites touristiques en France ainsi que leurs espaces commerciaux. Ce sont donc des intermédiaires incontournables entre les fabricants ou éditeurs de médailles souvenir, les sociétés qui proposent l'installation de distributeurs automatiques de médailles et les visiteurs des sites. Il s'agit d'établissements publics existant depuis plus d'un siècle et placés sous la tutelle du ministre de la Culture. Leur mission, dont le cadre a été fixé par décret, consiste pour le Centre des Monuments Nationaux, à présenter au public les monuments historiques dont il a la garde, à savoir plus de 100 sites, en développer la fréquentation et en favoriser la connaissance. La Réunion des Musées Nationaux, qui gère 14 sites historiques de France, est chargée de recueillir et gérer les fonds nécessaires afin de procéder à l'acquisition d'œuvres d'art destinées à enrichir les collections nationales. Le CMN et la RMN comprennent chacun une centrale d'achats qui décide des produits souvenir vendus dans les espaces commerciaux des sites touristiques qu'ils gèrent. Les autres sites touristiques de France et leurs espaces commerciaux sont gérés par divers autres organismes.

C. LES FAITS RELEVÉS

28. Le Conseil de la concurrence a été saisi, par lettre datée du 15 avril 1998, d'une plainte de la société LB & Associés à l'encontre de la Monnaie de Paris d'une part pour entente illicite avec la société EVM " afin d'écarter manifestement tout autre concurrent " sur le marché de la commercialisation par distributeurs automatiques de ces produits, et d'autre part pour abus de position dominante sur le marché amont de la fabrication des médailles à l'effigie de sites touristiques.

1. LES RELATIONS ENTRE LA MONNAIE DE PARIS ET LA SOCIÉTÉ EVM

29. Deux contrats ont été successivement signés entre la Monnaie de Paris et EVM, premier entrant sur le marché. Le premier a été conclu le 26 avril 1996 pour une durée de quatre ans. Il a été prolongé par avenant jusqu'à fin décembre 2001. Le deuxième a été signé le 15 décembre 2001, pour une durée de cinq ans renouvelable par tacite reconduction. Il reprend et actualise les clauses essentielles du contrat initial (passage à l'euro, paiement de la redevance par la société EVM).

30. Les deux contrats successifs comprennent les dispositions classiques en matière de licence de marque (étendue de la licence, protection contre les atteintes à la marque...). Ils sont conclus intuitu personae en raison de la personne du dirigeant social et ne peuvent faire l'objet d'aucune cession ni transfert par EVM sans l'accord préalable et écrit du concédant (article 15 du contrat). En contrepartie de la licence, EVM s'engage à payer à la Monnaie de Paris une redevance annuelle de 200 francs (contrat du 26 avril 1996) puis de 31 euro (contrat du 17 décembre 2001) par distributeur automatique exploité. Aucune commande inférieure à 10 000 unités n'est prise en compte. Le prix est de 2,35 francs HT par jeton souvenir (contrat du 26 avril 1996) puis de 0,40 euro (contrat du 17 décembre 2001). EVM s'engage, pour toute la durée du contrat, à acheter à la Monnaie de Paris un minimum de 1 500 000 jetons souvenir par an (contrat du 17 décembre 2001). Dans le contrat initial, le quota était de 500 000 jetons-souvenir par an la première année d'exécution du contrat, 750 000 la deuxième, 1 000 000 la troisième et 1 500 000 la quatrième et dernière année.

31. Aux termes de l'article 2 .1 des deux contrats successifs, "la licence est consentie à titre non exclusif, le concédant se réservant expressément le droit de la consentir à des tiers ".

2. LE REFUS DE VENTE OPPOSÉ PAR LA MONNAIE DE PARIS À LA SOCIÉTÉ LB ET ASSOCIÉS

32. Dans un premier courrier, en date du 2 février 1998, qui faisait suite à un entretien au cours duquel les possibilités de relations à venir entre les deux entreprises avaient été évoquées, la Monnaie de Paris dit être " à la disposition de LB & associés pour étudier toute proposition de collaboration ".

33. Elle mentionne notamment : " la création de jetons bi-faces, diamètre 34, CAN (...) entre dans le cadre de nos fabrications particulières créées en éditions privées, réalisées pour le compte de clients privilégiés. Ces frappes monétaires sont fabriquées avec les machines et les techniques utilisées pour la frappe des pièces de monnaie. (...) La frappe est réalisée dans nos ateliers où des ouvriers très spécialisés mettent en œuvre des techniques traditionnelles éprouvées, le poinçon de maître de la monnaie, gravé dans le métal, vient signer leur travail unique et garantit l'authenticité et la qualité " Monnaie de Paris ". Elle ajoute : " Les jetons mentionnés précédemment vous seront facturés 4,10 francs HT avant remise et un minimum de 10 000 exemplaires par " coupure " est nécessaire. Aucune modification des outillages ne sera envisageable pour les jetons n'ayant pas atteint un minimum de 50 000 exemplaires. Votre agrément de revendeur sera validé dès votre première commande (joindre K Bis + RIB) et votre taux de remise sera de 40 % soit un prix unitaire de 2,36 francs HT. Conformément à notre entretien téléphonique, la Monnaie de Paris s'engage à vous faire bénéficier de ce taux de remise pendant une période de 6 mois à compter de cette date sous réserve d'un minimum de commande de 200 000 jetons pendant cette période. Ce prix est révisable dans une proportion égale à la variation du tarif de vente au public par la Monnaie de Paris, soit 4,10 francs HT à la date d'entrée en vigueur de notre accord. "

34. La teneur d'un deuxième courrier, en date du 6 février 1998, signé par le même le responsable commercial de la Monnaie de Paris que le premier courrier envoyé quatre jours avant, M. Jean-Charles C, est sensiblement différente : " Par courrier daté du 2 février dernier, je vous faisais part de la possibilité pour notre établissement de réaliser des jetons bi-faces - 34 mm - CAN conformément à votre demande. Toutefois, conformément à un accord de partenariat signé par la société Euro Vending Medal, il n'est pas possible de donner une suite favorable à votre projet, celui-ci étant en concurrence directe avec notre propre réseau de distributeurs automatiques sur les sites touristiques. Dès maintenant, je reste à votre disposition pour toute information complémentaire."

35. Un troisième courrier, en date du 12 février 1998, confirme à LB & Associés qu'il n'est pas possible à la Monnaie de Paris d'entretenir des relations commerciales dès lors que la distribution des jetons touristiques intervient par distributeurs. " J'ai bien reçu le dossier de présentation de votre société daté du 6 février courant et je vous en remercie. Comme vous l'indiquait M. Jean-Charles C, la Monnaie de Paris est actuellement engagée avec la société Euro Vending Medal dans la fourniture des frappes monétiformes - CAN - 34 mm distribuées via un réseau de distributeurs automatiques. Ce concept est déposé auprès de l'INPI par la société Euro Vending Medal. Aussi, il n'est pas possible aujourd'hui de confirmer notre collaboration commerciale avec votre société tout au moins quant à la distribution de jetons par distributeurs. Toutefois, mes services restent à votre disposition afin d'étudier la réalisation de jetons en Editions Particulières sous réserve, vous le comprendrez, d'une commercialisation différente [en caractère gras dans le texte initial] auprès du public. ".

36. Cette lettre fait suite à un courrier envoyé auparavant par la société LB & Associés, dans lequel elle fait valoir d'une part qu'International Sites Market n'est pas un projet, mais l'enseigne d'une société commercialisant déjà son produit appelé " Médaillier ", d'autre part qu'elle ne pense pas que la Monnaie de Paris ait, contrairement à son affirmation, son propre réseau de distributeurs automatiques. Euro Vending Medal est, indique-t-elle, un concurrent, et sa démarche s'inscrit dans la pratique courante de concurrence commerciale loyale. La situation actuelle ayant pour effet, du fait du refus de la Monnaie de Paris, de lui interdire de pénétrer le marché de la commercialisation des " médailles souvenirs " par distributeur automatique dit " Médaillier ", elle sollicite un rendez-vous pour mettre un terme au malentendu.

37. L'avocat de LB & Associés, dans un courrier en réponse du 19 février 1998, rappelle au directeur de la Monnaie de Paris que Euro Vending Medal, contrairement à ce qui est indiqué, ne dispose d'aucun titre de propriété intellectuelle lui permettant de bénéficier d'un droit exclusif d'exploitation sur le marché de la commercialisation de médailles par distributeurs automatiques sur les sites touristiques : " Nous vous signalons que la société Euro Vending Medal n'a déposé auprès de l'INPI aucun brevet, et ce tout simplement pour la raison qu'un tel concept n'est nullement brevetable au regard de la loi ".

38. Le 27 février 1998, une télécopie à en-tête du Directeur des Monnaies et Médailles est adressée à différents prospects de la société LB & Associés indiquant que la société EVM est le seul partenaire de la Monnaie de Paris : " Je tiens à apporter le plus ferme démenti aux allégations répandues qui tendent à faire croire que la Monnaie de Paris aurait d'autres partenaires que la société EVM dirigée par M. Richard D pour la création et la distribution de médailles touristiques vendues 10 F dans les distributeurs automatiques " Monnaie de Paris ". La société EVM, qui est à l'origine de ce concept (médaille de site touristique ou culturel et distribution automatique) développé depuis deux ans avec la Monnaie de Paris, est le seul partenaire de la Monnaie de Paris pour ces opérations. La Monnaie de Paris, qui n'a noué aucun lien avec la société ISL (2), entend poursuivre sur les bases actuelles son partenariat avec la société EVM, dont elle se félicite du dynamisme, de l'efficacité et de l'esprit de coopération, qui contribuent au succès croissant des médailles touristiques Monnaie de Paris-EVM en France et dans d'autres pays d'Europe. Emmanuel Constans".

39. Mme E, chef du département des espaces commerciaux de la Réunion des Musées Nationaux, a indiqué lors de l'enquête administrative avoir reçu ce document de M. D (EVM). Elle avait pour sa part trouvé intéressante la démarche commerciale de LB & Associés, car " à cette époque, avoir un fournisseur sur le même type de produit paraissant une alternative commerciale intéressante (mise en concurrence sur produits identiques) ".

3. LES DÉMARCHÉS DE LA SOCIÉTÉ LB &ASSOCIÉS AUPRÈS D'AUTRES FABRICANTS ET AUPRÈS DES GESTIONNAIRES DE SITES

40. La société LB & Associés a indiqué être entrée en contact avec l'entreprise Martineau à Saumur, mais souligne que celle-ci n'a pu répondre à sa demande en terme de qualité de médaille. Selon les termes de la saisine, " la SA Martineau pressait des flancs, découpait ensuite avec un emporte-pièce les médailles, cette découpe provoquant un arrachement de la tranche et conférant une finition imparfaite de ladite tranche ". Elle s'est également rapprochée de la société Arthus-Bertrand, dont les prix de vente se sont révélés trop élevés.

41. Le 27 novembre 1997, la société LB & Associés a été reçue par les responsables du Centre des Monuments Nationaux qui n'ont cependant pas donné de suite à ce premier contact. Dans leur déclaration recueillie lors de l'enquête, ces responsables ont expliqué qu'ils n'avaient pas été intéressés du fait du seuil élevé du minimum de commandes fixé par LB & Associés (14 000 médailles), et de l'image de marque de la Monnaie de Paris qui rendait très attractive l'offre d'EVM. Ils ont également fait valoir que l'introduction d'un deuxième distributeur dans les sites posait des problèmes accrus d'esthétique et que les ventes de médailles n'auraient sans doute pas augmenté proportionnellement aux coûts.

4. LE REFUS DE VENTE OPPOSÉ À LA SOCIÉTÉ MÉDAILLES SOUVENIRS

42. Par un premier courrier du 23 novembre 2000, le président de Médailles Souvenirs SA, M. B, fait une demande à la Monnaie de Paris (à l'attention de M. C), pour obtenir les conditions générales de vente des jetons touristiques " Collection Nationale, Monnaie de Paris, Médaille Officielle " et plus précisément la tarification en vigueur auprès de cet organisme. L'échéance mentionnée est la saison 2001.

43. Par télécopie et courrier recommandé avec demande d'accusé de réception, datés du 21 décembre 2000, la société Médailles Souvenirs réitère sa demande auprès de M. C : " Nous vous confirmons notre souhait de pouvoir commercialiser vos jetons médaille. Aussi, nous vous demandons de bien vouloir répondre à notre demande de prix que nous vous avons fait parvenir par fax, confirmé par courrier en date du 23 novembre 2000. ".

44. La réponse, datée du 3 janvier 2001, du directeur commercial de la Monnaie de Paris, propose de convenir d'un rendez-vous " ...pour étudier avec vous, en fonction de votre projet, la meilleure réponse que nous pourrions vous apporter ".

45. Par télécopie, confirmée par courrier, en date du 10 janvier 2001, M. B réitère sa demande en reprenant mot pour mot les termes de sa lettre du 23 novembre 2000, et précisant que la société Médailles Souvenirs souhaite connaître les tarifs en fonction des conditions demandées.

46. Une première entrevue entre les responsables de la Monnaie de Paris et M. B a lieu sur le stand de la société Médailles Souvenirs lors du salon Muséum Expression courant janvier 2001 et une seconde, peu après, dans les locaux de la Monnaie de Paris.

47. Le 26 avril 2001, une lettre recommandée avec demande d'accusé de réception, émanant d'un cabinet d'avocats agissant en qualité de conseil de la société Médailles Souvenirs, prend acte de l'absence d'envoi de proposition tarifaire à ce jour de la part de la Monnaie de Paris. Un bref rappel chronologique y est mentionné (demandes des 23 novembre et 21 décembre, rendez-vous du 12 janvier au cours duquel aucune proposition tarifaire n'a été formulée par la Monnaie de Paris). Une copie du courrier est adressée à l'agent judiciaire du Trésor, direction des affaires juridiques du Ministère de l'économie et des finances.

48. Par lettre recommandée avec demande d'accusé de réception du 4 mai 2001, la réponse suivante est apportée par la Monnaie de Paris : " J'ai bien reçu le courrier de vos avocats daté du 26 avril, cité en référence, qui m'a beaucoup surpris et qui appelle de ma part la réponse suivante. Contrairement à ce qui a été écrit par vos avocats, je vous ai formulé plusieurs propositions tarifaires lors de notre entretien du 12 janvier une fois que vous m'avez précisé les types de projets que vous pourriez nous confier. Je n'ai ensuite jamais refusé de vous faire parvenir un tarif, ayant simplement interprété votre silence comme une renonciation à vos projets. Je vous transmets, sous ce pli, copie de nos tarifs publics pour les différents types de fabrication évoqués, étant entendu que ces tarifs pourront être affinés en fonction de la difficulté de réalisation des outillages à fabriquer selon les projets pour lesquels vous nous solliciterez. Une fois agréé " revendeur " (cf. conditions d'agrément jointes) vous pourrez bénéficier d'une remise de 20 % sur le prix des outillages et de 40 % sur le prix des médailles monétiformes et des jetons. ".

49. Un document, relatif aux conditions commerciales applicables aux distributeurs de la Monnaie de Paris, est joint à ce courrier. Ces conditions portent sur la distribution de l'ensemble des produits Monnaie de Paris (bijoux, décorations, monnaies de collection...). Un second document est joint ; il porte plus spécifiquement sur les médailles monétiformes et jetons et mentionne à la rubrique " délai de fabrication " : " les créations sont habituellement disponibles 3 mois après votre accord sur les maquettes dessinées ". Il est précisé que pour les jetons, dont la gravure est simplifiée, les outillages nécessaires à la frappe sont inclus dans le prix des jetons. La question des modalités d'utilisation de la marque Monnaie de Paris n'est pas évoquée dans le document.

50. Le courrier en réponse de Médailles Souvenirs, sur papier à en-tête de son cabinet d'avocat est adressé le 17 mai 2001 par lettre recommandée avec demande d'accusé de réception. Copie est envoyée à l'agent judiciaire du Trésor. M. B conteste la teneur du courrier du 4 mai 2001 en réaffirmant n'avoir jamais reçu, entre novembre 2000 et mai 2001, " par écrit ou par oral, directement ou indirectement, la moindre proposition tarifaire de la part de la Monnaie de Paris ". Du fait, indique Médailles Souvenirs, du refus de la Monnaie de Paris de lui communiquer les tarifs pendant cinq mois, elle n'a pas été en mesure de démarcher les sites lors des derniers mois et elle ne pourra répondre au potentiel fourni par la saison touristique d'été, ce qui lui cause préjudice. Médailles Souvenirs indique souhaiter être traitée sur un pied d'égalité avec les autres partenaires économiques distributeurs et revendeurs de jetons-médailles frappés de la mention " Collection Nationale - Monnaie de Paris - Médaille officielle " et tout particulièrement la SARL Euro Vending Medal. Elle souhaiterait obtenir les mêmes conditions de vente que celles faites à la société EVM, tant pour les conditions tarifaires que pour les modes et mentions de gravure.

51. Le cabinet d'avocats de Médailles Souvenirs adresse le 13 juin 2001 un nouveau courrier recommandé avec accusé de réception à la Monnaie de Paris indiquant " avoir pris bonne note de l'appel téléphonique de M. F l'informant de la saisine de la direction des affaires juridiques du Ministère de l'économie et des finances au sujet des courriers (du 27 avril et du 17 mai 2001) ". Une telle transmission, mentionne-t-il, ne peut justifier l'attentisme de la Monnaie de Paris sur le dossier, le seul interlocuteur ayant qualité pour traiter avec la SA Médailles Souvenirs étant la Direction des Monnaies et Médailles.

52. Le 5 juillet 2001, Médailles Souvenirs adresse une commande ainsi rédigée :

" Comme suite à votre proposition de prix du 4 mai 2001 qui faisait suite à notre demande du 8 novembre 2000, nous vous passons commande de 10 000 jetons médailles, de diamètre 34 mm - métal jaune, prix unitaire 5,10 francs HT avec remise de 40 %, soit un prix net unitaire de 3,06 francs HT.

Au recto : la représentation de l'Arc de Triomphe suivant le profil n° 000081-A que nous joignons à la présente.

Au verso : le logo Monnaie de Paris 2000, devant contenir au-dessus la mention Monnaie de Paris la gravure du monument comportant deux ailes et une façade centrale que vous frappez sur les jetons médailles commercialisés, sous votre nom, par la société EVM de Clermont-Ferrand.

Je vous précise que la frappe de ce monument et des mentions Monnaie de Paris, Collection Nationale, Médaille Officielle, constituent une condition substantielle de notre engagement.

Je vous prie de bien vouloir nous accuser réception de cette commande sous 8 jours en y faisant figurer, entre autre, votre délai de livraison. "

53. En réponse à ce courrier, le directeur commercial de la Monnaie de Paris fait état, dans une nouvelle lettre du 16 juillet 2001, de trois conditions à réunir pour que la commande soit prise en compte :

- la commande doit être accompagnée d'un acompte de 30 % ;

- il appartient à Médailles Souvenirs d'obtenir, au préalable, l'accord du propriétaire de l'Arc de Triomphe pour l'utilisation commerciale de l'image du monument (produit déterminé et graphisme donné), la Monnaie de Paris ne se chargeant du recueil de ces autorisations que pour les produits dont elle est éditeur ;

- la commande contient une demande d'utilisation de la marque Monnaie de Paris sur les jetons à commercialiser, or " tout accord pour l'usage de notre marque doit être préalablement étudié afin que les intérêts de nos deux entités soient préservés au plan commercial, au plan financier et au plan juridique :

- au plan commercial : nous tenons à conserver un contrôle étroit de l'utilisation de notre marque. Il conviendrait donc que nous nous rencontrions afin que vous nous expliquiez dans le détail le mode de distribution que vous envisagez et votre stratégie de développement sur ce produit ;

- au plan financier : l'usage de notre marque doit donner lieu à une rétribution qui n'est pas comprise dans nos conditions générales de vente ;

- au plan juridique : cet accord doit faire l'objet d'un contrat de licence de marque, convention complexe, supposant une négociation dans le détail entre nos conseils respectifs. ".

54. Dans un nouveau courrier, du 23 juillet 2001, Médailles Souvenirs indique que l'exigence d'acompte de 30 % à la commande est " une condition supplémentaire au contrat initial ", qui constitue un " désavantage dans les relations commerciales qu'(elle) souhaite nouer depuis plus de six mois avec la Monnaie de Paris, (...) par rapport à la concurrence". Elle en demande la justification.

55. La lettre en réponse du 21 août 2001, signée du directeur commercial de la Monnaie de Paris, précise ne pas déroger aux conditions de vente habituelles, et affirme qu'il ne s'agit pas là d'une exigence supplémentaire vis-à-vis de Médailles Souvenirs : " Dans mon courrier du 3 mai 2001, je vous avais joint les conditions commerciales applicables aux distributeurs de la Monnaie de Paris. Celles-ci stipulent notamment : " les marchandises sont envoyées ou peuvent être retirées à la Monnaie, après paiement de la facture ". Elles précisent en outre " Editions particulières : nous consulter ". L'acompte de 30 % que je vous ai demandé, entre autres conditions, afin d'honorer votre commande d'une édition particulière n'est donc nullement en contradiction avec nos conditions commerciales. Je vous confirme qu'un tel acompte est systématiquement demandé avant toute mise en fabrication d'éditions particulières.".

5. LES DÉMARCHES EFFECTUÉES PAR LA SOCIÉTÉ MÉDAILLES SOUVENIRS SA AUPRÈS DES GESTIONNAIRES DE SITES TOURISTIQUES

56. Médailles Souvenirs a fourni de nombreuses pièces (courriers, compte-rendus de visites, fiche contact...) témoignant de l'importance des contacts entretenus avec un certain nombre d'interlocuteurs de la Réunion des Musées Nationaux, mais également avec les responsables des espaces commerciaux de musées importants (Louvre, Armée) et des membres du cabinet de l'autorité de tutelle, le ministère de la Culture.

57. Le 13 juillet 1999, l'administrateur général de la Réunion des Musées Nationaux adresse à la société Médailles Souvenirs le courrier suivant : " Je vous remercie de la proposition de collaboration que vous nous avez transmise (...). Nous avons étudié votre produit avec intérêt. Cependant, il ne répond pas aux attentes des conservateurs de musée, et ne peut faire partie de la sélection de produits référencés. ".

58. Le 24 août 1999, la société reçoit du chef adjoint du cabinet du ministre de la Culture le courrier suivant :

" Vous avez appelé l'attention de Mme Catherine G, ministre de la Culture et de la Communication sur une difficulté rencontrée par la société Médailles Souvenirs auprès de la Réunion des Musées Nationaux (RMN), à qui elle propose une collaboration pour la vente de médailles dans les espaces commerciaux de musées.

Madame la ministre m'a chargé de vous répondre.

A la demande de Madame Irène H, Administrateur général de l'établissement, Madame Anne I, du département des espaces commerciaux, a reçu Monsieur A qui lui a présenté son entreprise et proposé un partenariat pour la vente de médailles dans les espaces commerciaux par la Réunion des Musées Nationaux.

Or, la RMN a déjà conclu un accord concernant un certain nombre de médailles fabriquées par la Monnaie de Paris. La détermination de l'iconographie propre à chacune de ces médailles a été étudiée en collaboration avec les conservateurs qui sont très attentifs à la qualité des produits vendus dans les espaces commerciaux des musées.

Le produit proposé par Médailles Souvenirs est donc très proche de celui déjà proposé dans les musées.

En outre, les mobiliers proposés sont très difficiles à intégrer dans les salles des musées.

Espérant que ces éléments d'information auront répondu à votre attente, je vous prie d'agréer, Monsieur le Président, l'expression de ma considération distinguée ".

59. Interrogé sur l'accord évoqué par ce courrier, le chef du département juridique de la Réunion des Musées Nationaux, M. J, a déclaré :

"Je pense que ce terme d'accord fait référence à des relations habituelles de fournisseur (Monnaie de Paris) à distributeur (RMN). La RMN achète ses médailles auprès de la Monnaie de Paris en fonction de la clientèle et des espaces commerciaux concernés. Cela se fait toujours en accord avec le responsable du musée concerné qui a un droit de regard sur les produits vendus. Si un accord formel (sous forme de contrat) avait existé, le service juridique en aurait sûrement eu connaissance. J'étais en fonction en août 1999 et je n'ai rien vu de tel.

Le seul accord formel que je connaisse est relatif à un GIE entre la RMN et la direction des Monnaies et Médailles, dont l'objet est la gestion d'une boutique située au Louvre, à l'enseigne du Pyramidions. Dans le cadre de cette boutique, chacun des partenaires du GIE propose à la clientèle ses propres produits, axés principalement sur le haut de gamme ".

60. Dans le même procès-verbal de déclaration, le responsable de la RMN s'interroge sur " la persistance de la demande de Médailles Souvenirs SA, alors qu'une réponse claire lui avait été fournie dès 1999. Il y est bien mentionné que les produits commercialisés par cette société ne répondent pas aux attentes des conservateurs de musées dans lesquels la RMN est présente. La formulation du refus est, à (son) sens, suffisamment claire. Les produits de Médailles Souvenirs ne conviennent pas aux conservateurs. (...) des raisons plus précises auraient [au demeurant] pu être exposées : l'esthétique du distributeur de ces médailles et sa nature imposante ne sont pas exemptes de tout reproche, et les médailles en elles-mêmes ne sont pas adaptées aux choix qualitatifs de la RMN ".

61. Contacté par Médailles Souvenirs en septembre 2000, le Centre des Monuments nationaux a suggéré que la formule proposée par cette société pourrait être expérimentée sur quelques sites. Médailles Souvenirs souhaitant que l'expérimentation s'opère sur des sites majeurs, elle n'a pas donné suite à cette proposition. Plus tard, elle a reconnu dans un courrier du 6 février 2001 avoir à ce propos commis une erreur de stratégie commerciale.

62. Le responsable commercial du pôle diffusion du Centre des Monuments Nationaux, a toutefois également invoqué, lors de son audition, plusieurs caractéristiques négatives du système de Médailles Souvenirs :

- le caractère massif et volumineux du distributeur de la société Médailles Souvenirs qui posait un problème d'intégration avec l'environnement historique du site ;

- le caractère relativement sophistiqué du distributeur, soumis en conséquence à un risque de pannes plus élevé ;

- le prix de vente relativement élevé des médailles ;

- le temps nécessaire à l'obtention du produit personnalisé, de l'ordre de deux minutes.

63. De plus, instruit par une précédente expérience décevante en matière de distribution automatique (pour des cartes postales), le CMN a eu recours à une évaluation technique du système Médailles Souvenirs dont les résultats, positifs, n'ont été connus qu'en février 2001.

6. L'APPEL D'OFFRES LANCÉ PAR LE CENTRE DES MONUMENTS NATIONAUX EN 2002

64. L'objet du marché, tel qu'il est paru dans le BOAMP du 12 juillet 2002, était " la fourniture de médailles " jetons-souvenir " à l'effigie de monuments, d'emblèmes ou de personnages historiques distribuables par appareils de distribution automatique à installer et à maintenir dans certains monuments gérés par le Centre des Monuments Nationaux ". Le nombre de sites concernés à titre indicatif était fixé entre 25 et 30 sur l'ensemble du territoire métropolitain, l'estimation du volume d'achat annuel étant de 300 000 à 400 000 médailles. Le rapport d'analyse des offres, établi le 9 décembre 2002 par la sous-direction des éditions et de la diffusion du Centre des Monuments Nationaux, procède à un examen détaillé des deux offres déposées, celle de la société Euro Vending Medal - Monnaie de Paris et celle des Editions Champflour de Marly-le Roi.

65. Après examen détaillé des propositions des deux entreprises soumissionnaires, le rapport conclut en faveur de la proposition de la société Euro Vending Medal s'agissant tant des médailles que des appareils de distribution, à partir de cinq critères : la valeur technique des médailles et des appareils de distribution, la qualité esthétique, le prix des médailles et le coût de location des appareils de distribution, les délais de fabrication et de livraison, les délais d'installation et les conditions de maintenance des appareils de distribution.

66. Les appréciations suivantes sont notamment portées dans le rapport d'examen des offres : " La présence de cannelures, la dimension des pièces plus importante, l'utilisation d'un matériau répertorié comme alliage monétaire constituent des avantages techniques en faveur de la médaille EVM ; au plan de la gravure, la proposition de la société EVM apparaît comme supérieure à celle de la société Champflour. (...) De plus, la médaille monétiforme de la société EVM se caractérise par une finesse d'exécution et de gravure ainsi que par une brillance supérieure qui l'apparente davantage que le produit concurrent à une pièce de collection. (...) En conclusion la qualité esthétique des médailles de la société EVM apparaît sans ambiguïté comme étant supérieure à celle des médailles de la société Champflour ". Le rapport note aussi " la signature prestigieuse de la Monnaie de Paris, partenaire exclusif de EVM ".

D. LE GRIEF NOTIFIÉ

67. Sur la base de ces éléments de fait, le grief suivant a été notifié à la Monnaie de Paris : " il est fait grief à la Monnaie de Paris d'avoir abusé de sa position dominante sur le marché de la fabrication des médailles-souvenir commercialisées sur les sites touristiques, en général par distributeurs automatiques, en refusant de nouer des relations commerciales avec la société LB & Associés, [et] en opposant un refus de vente à la société Médailles Souvenirs.

Ces pratiques ont eu pour objet ou ont pu avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché de la commercialisation des médaillessouvenir sur les sites touristiques.

Elles sont donc prohibées par l'article L. 420-2 du Code de commerce ".

II. Discussion

A. SUR LE MARCHÉ PERTINENT ET LA POSITION DOMINANTE DE LA MONNAIE DE PARIS SUR CE MARCHÉ

68. La Monnaie de Paris soutient dans ses observations que son offre de jetons pour l'approvisionnement des distributeurs automatiques de médailles-souvenir dans les sites touristiques est substituable à celle d'autres fabricants qui, s'ils ne fabriquaient pas ce type de produits à l'époque des faits, étaient néanmoins en mesure de le faire rapidement et sans investissements importants. Elle cite les noms des entreprises FIA, implantée sur le marché de la gravure et de l'édition de médailles depuis 150 ans, Arthus-Bertrand, Bijoux GL, Pichard Balme, Champflour, Martineau SAS et Mauquoy Trading Company. De même, la société Pobjoy, qui avait commercialisé en France en 1998, à l'occasion de la coupe du Monde de football, d'importantes quantités de jetons monétiformes, était, selon elle, en mesure de répondre à la demande. La Monnaie de Paris précise que Mauquoy Trading Company, membre d'un groupe belge disposant une agence en France, fabrique des médailles depuis 1876 et fournit la société S & P qui vend des médailles au prix de 2 euro dans des distributeurs automatiques sur environ 112 sites touristiques. Elle ajoute que les médailles des Editions Champflour sont vendues par la société Tower Mint dans des présentoirs sur 64 sites, que les jetons de la société Martineau sont vendus, de la même façon, sur 34 sites à un prix de 2 euro.

69. La Monnaie de Paris fait encore valoir que les sociétés qui avaient fabriqué des " euro de ville ", de 1995 à 1998, étaient également en mesure de répondre à la demande de médailles-souvenir, " les euro de ville " et les médailles-souvenir étant deux produits monétiformes de même nature, présentant les mêmes caractéristiques en termes de dimensions, de composition, de procédé de fabrication et de prix de vente, pouvant être produits en grande quantité. Elle cite les noms des entreprises FIA, implantée à Dardilly, du groupe Bijoux GL implanté à Strasbourg, des ateliers Isler, implantés à Strasbourg, et des établissements Pichard Balme. Elle précise que le matériau utilisé pour les médailles-souvenir ne doit pas obligatoirement être du cupro-alu-nickel, comme celui des médailles qu'elle fabrique dans le cadre de son partenariat avec la société EVM, puisque le matériau des médailles proposées par les sociétés LB et Associés et Médailles Souvenirs était, respectivement, le bronze florentin et le laiton bijoutier.

70. La Monnaie de Paris relève que la plupart de ces entreprises n'ont pas été contactées par LB & Associés qui se contente d'affirmer que les produits d'Arthus-Bertrand étaient trop chers. Elle fait aussi valoir que le modèle de médaille et de distributeur élaboré par la société LB & Associés ne comportait la marque " Monnaie de Paris " sur aucune de ses faces et que c'est donc à tort que la plaignante soutient que la signature Monnaie de Paris était essentielle. Elle note encore que le Centre des monuments nationaux a employé d'autres arguments pour rejeter l'offre de LB & Associés.

71. La prise en compte de la substituabilité de l'offre peut conduire à considérer que deux biens appartiennent au même marché pertinent, même s'ils ne sont pas substituables du point de vue des demandeurs, parce quetoute entreprise qui fabrique l'un de ces produits peut rapidement et sans frais importants fabriquer également l'autre produit. Dans un arrêt du 19 mai 1998, la Cour d'appel de Paris a ainsi précisé : "Du côté de l'offre, la substitution suppose que les fournisseurs puissent réorienter leur production vers les produits ou services en cause sans coût ou risque insupportable pour se substituer à l'offreur précédent, étant observé que si la substitution nécessite de lourds investissements ou des révisions stratégiques, il n'en est pas tenu compte dans la définition du marché" (Cour d'appel de Paris, 19 mai 1998, France Télécom - Transpac).

72. S'agissant des fabricants qui, comme la société Pobjoy, sont spécialisés dans la fabrication des médailles de type sportif, aucun élément du dossier n'indique qu'ils étaient, à l'époque des faits, en mesure de fabriquer des produits substituables aux médailles-souvenir de la Monnaie de Paris. Les médailles sportives sont en effet réalisées suivant un processus industriel, en injecté de type " zamak ", un alliage à base de zinc, employé notamment en construction mécanique. Elles ont un aspect qualitatif et un niveau de prix inférieurs à ceux de la médaille-souvenir.

73. S'agissant des fabricants ayant participé à l'opération " euro de ville ", de 1995 à 1998, leur capacité à répondre rapidement et sans frais à la demande d'une société souhaitant commercialiser régulièrement des quantités importantes de médailles-souvenir, n'est pas démontrée par les éléments du dossier. Au contraire, il ressort de ces éléments que la technique de frappe et les matériaux utilisés pour la production des "euro de ville" étaient différents de ceux employés par la Monnaie de Paris pour la fabrication des médailles-souvenir. Il convient d'ailleurs de noter qu'aucun des fabricants d'euro de ville, cités par la Monnaie de Paris dans ses observations et dont l'existence a pu être vérifiée - les " Ateliers Isler " ne figurant pas au registre du commerce et des sociétés - n'était présent sur le marché des médailles-souvenir vendues sur les sites touristiques à l'époque des faits et qu'aucun d'entre eux n'y est entré depuis.

74. En revanche, les sociétés Martineau et Arthus-Bertrand ont été contactées par la société LB & Associés, à l'époque des faits, en tant qu'offreurs potentiels de médailles-souvenir, et leurs médailles sont, depuis lors, commercialisées sur les sites touristiques. Si leurs produits n'ont pas été retenus par LB & Associés, cette circonstance est insuffisante pour considérer qu'ils n'appartiendraient pas au même marché pertinent que les jetons-souvenir de la Monnaie de Paris, les différences entre les trois produits relevant plus d'une différenciation verticale, en termes de qualité des produits (qualité supérieure à celle des produits de la Monnaie de Paris pour les médailles de la société Arthus-Bertrand, inférieure pour les médailles de la société Martineau) que de caractéristiques les rendant non substituables du point de vue des demandeurs. Il convient toutefois de noter qu'à l'époque des faits, ces deux sociétés ne fabriquaient pas de médailles-souvenir et que leur offre est demeurée potentielle. Aucun élément du dossier ne permet de préciser la nature des produits que ces sociétés fabriquaient alors et qui devraient être inclus dans le marché pertinent selon les critères rappelés au paragraphe 71. La société Martineau, quant à elle, a indiqué avoir été créée en 1906 et faire figurer depuis de nombreuses décennies à son catalogue des produits de type monétiforme, mais n'a communiqué aucune information chiffrée relative à ce segment de son activité.

75. De même, les Editions Champflour ont certes répondu à l'appel d'offres lancé en 2002 par le Centre des Monuments Nationaux et approvisionnent aujourd'hui la société Tower Mint en médailles qui, selon les données fournies par l'Amicale des collectionneurs de Jetons Touristiques sur son site Internet, sont vendues aujourd'hui sur environ 64 sites mais il n'est pas démontré que cette société proposait effectivement, à l'époque des faits, des produits que la prise en compte de la substituabilité de l'offre ou de la demande devrait amener à inclure dans le marché pertinent. Il en est également ainsi du groupe Mauquoy dont la taille internationale, et le fait qu'il soit entré sur ce marché et approvisionne aujourd'hui les 106 distributeurs de la société S&P installés sur des sites touristiques, indiquent qu'il pouvait être regardé, à l'époque des faits, comme un entrant potentiel sur ce marché. Toutefois, il ne fabriquait pas de médailles-souvenir entre 1995 et 2001 et il n'existe au dossier aucun élément relatif aux produits qu'il fabriquait et qui devraient être inclus dans le marché pertinent.

76. La Monnaie de Paris était donc la seule, entre 1998 et 2001, à fabriquer des médailles-souvenir destinées à la vente sur les sites touristiques, les autres sociétés citées par elle ne pouvant être regardées comme appartenant au marché pertinent. De plus, certaines caractéristiques de son offre étaient de nature à lui conférer, par rapport à d'autres offreurs potentiels, un avantage concurrentiel déterminant. L'activité régalienne de la direction du ministère des Finances, et la renommée de son atelier de gravure donnent à la marque " Monnaie de Paris " une attractivité très forte. L'annexe du rapport général du Sénat sur le projet de loi de finances pour 2005 consacrée aux monnaies et médailles reconnaît l'importance stratégique, sur le plan commercial, de la notoriété de la Monnaie de Paris en mentionnant que " l'Hôtel de la Monnaie constitue une référence importante en termes de patrimoine historique et sa marque "Monnaie de Paris" représente un des principaux atouts de la direction des Monnaies et Médailles.". De plus, la fabrication des médailles souvenirs bénéficie du savoir-faire accumulé grâce au monopole de la frappe des monnaies. L'alliage, le cupro-aluminium-nickel (CAN), est le même que celui de certaines pièces de monnaie ; la technique de la frappe monétaire est également la même : or, cette technique garantit une qualité supérieure à celle d'autres procédés et permet d'augmenter les quantités produites pour un faible coût de revient.

77. Il résulte de ce qui précède que la Monnaie de Paris détenait à l'époque des faits une position dominante sur le marché de la fabrication des médailles-souvenir.

B. SUR LE GRIEF NOTIFIÉ

78. S'agissant du refus qu'elle a opposé à la société LB & Associés, la Monnaie de Paris explique qu'elle a cru en toute bonne foi et au vu des affirmations de M. D, gérant de la société EVM, que le concept de distributeur de médailles avait été protégé auprès de l'Institut national de la propriété intellectuelle (INPI), au titre de la propriété industrielle et qu'elle aurait accepté de livrer LB & Associés, dans la mesure où celle-ci se serait engagée à commercialiser les médailles autrement que par distributeur automatique. Sur le refus opposé à la société Médailles Souvenirs, la Monnaie de Paris fait valoir que les demandes de cette société étaient très imprécises, notamment dans la mesure où elle commercialisait déjà des médailles personnalisables et non personnalisables à cette époque. La Monnaie de Paris met de plus en avant les procédés employés par cette entreprise pour nouer des relations commerciales avec elle (recours systématique à un avocat, enregistrement des conversations) et soutient ne pas avoir dérogé aux conditions de vente habituelles. Selon elle, Médailles Souvenirs ne souhaitait pas s'approvisionner auprès d'elle mais simplement obtenir des renseignements sur son partenariat avec EVM.

79. La Monnaie de Paris expose que des erreurs de stratégie, jointes aux réticences des gestionnaires de sites, expliquent l'échec rencontré par les sociétés LB & Associés et Médailles Souvenirs : le seuil minimum de commandes imposé par LB & Associés aux gestionnaires de sites était trop élevé ; Médailles Souvenirs n'avait pas prévu d'apposer la marque " Monnaie de Paris " sur ses médailliers, elle imposait aux gestionnaires de sites un contrat de fourniture exclusive, elle a refusé une tentative d'expérimentation proposée par le Centre des Monuments Nationaux.

80. Toutefois, quelles que soient les erreurs qu'aient pu commettre les sociétés LB & Associés et Médailles Souvenirs, et qui auraient contribué à leur échec, il n'en demeure pas moins que la Monnaie de Paris a refusé de les approvisionner en médailles. Ce refus et ses raisons sont explicitement exprimés dans le courrier qu'elle adresse à LB & Associés le 6 février 1998 (voir au paragraphe 34) : " il n'est pas possible de donner une suite favorable à votre projet, celui-ci étant en concurrence directe avec notre propre réseau de distributeurs automatiques sur les sites touristiques ". Or, le contrat conclu par la Monnaie de Paris avec la société EVM ne contient aucune clause d'exclusivité et les justifications qu'elle avance quant aux droits de propriété intellectuelle dont aurait disposé EVM sur le concept de distributeur automatique ne sont pas crédibles ; en tout état de cause, il aurait appartenu à EVM d'invoquer de tels droits et non à la Monnaie de Paris. Le refus opposé à la société Médailles Souvenirs résulte du délai anormalement long qui s'est écoulé avant que la Monnaie de Paris ne transmette ses conditions tarifaires à cette société, comme celle-ci le lui demandait. Les six courriers de Médailles Souvenirs adressés à la Monnaie de Paris à partir de novembre 2000 et préalablement à sa commande du 5 juillet 2001, indiquent, en effet, le souhait explicite de " commercialiser [les médailles-souvenir] "Collection Nationale, Monnaie de Paris, Médaille Officielle" ".

81. La Cour de justice des communautés européennes a considéré dans l'arrêt Hoffmann-Laroche du 13 février 1979, qu'était abusif le comportement d'une entreprise qui tend " à enlever à l'acheteur ou à restreindre dans son chef la possibilité de choix en ce qui concerne ses sources d'approvisionnement ou à barrer l'accès du marché aux concurrents. ". Opposé par une entreprise en position dominante, un refus de vente est susceptible d'avoir des effets d'exclusion sur un marché aval si le bien ou service en cause est indispensable pour exercer une activité sur ce marché.

82. En l'espèce, bien que, comme on l'a vu ci-dessus, il ne puisse être exclu que d'autres entreprises fussent, à l'époque des faits, en mesure de fournir des médailles-souvenir, il ressort des éléments du dossier que, du point de vue des gestionnaires de sites touristiques, le partenariat avec la Monnaie de Paris conférait aux produits d'EVM une attractivité particulière, de nature à surmonter les réserves qu'ils avaient pu exprimer quant à l'esthétique des distributeurs automatiques. Le 15 février 2002, la responsable des espaces commerciaux à la RMN indiquait en effet : " Nous avons accepté la vente des médailles sur nos sites par distributeurs automatiques car ces médailles, réalisées par la Monnaie de Paris, sont porteuses d'une image culturelle indéniable puisque la Monnaie de Paris représente une véritable valeur patrimoniale ". Le rapport d'examen des offres déposées en réponse à l'appel d'offres lancé par le Centre des Monuments Nationaux en 2002 insiste également sur la marque " Monnaie de Paris " des produits EVM : " la qualité des produits de la société EVM apparaît comme supérieure même si le distributeur de la société Champflour est un peu plus séduisant que son concurrent. Ce point reste secondaire au regard de la qualité des produits, laquelle se trouve par ailleurs renforcée, en ce qui concerne la société EVM, par la signature prestigieuse de la Monnaie de Paris, partenaire exclusif de cette société. ".

83. Surtout, la Monnaie de Paris s'appuyait, dans le cadre de son partenariat avec EVM, sur son rôle régalien puisqu'elle n'hésitait pas à apposer sur les médailles destinées à être vendues dans les distributeurs automatiques, la mention " Collection nationale, Monnaie de Paris, Médaille officielle ". Si seule la marque " Monnaie de Paris " a une valeur juridique, les autres mentions étaient toutefois de nature à conférer au produit en cause une valeur exceptionnelle et à introduire une confusion, du point de vue des acheteurs, entre les activités régaliennes de la Monnaie de Paris et cette activité commerciale. Cette confusion était renforcée par l'association, sur plusieurs supports promotionnels, entre sa mission de service public et ses activités commerciales annexes, conférant à ces dernières un caractère officiel indu.

84. Dans ces conditions, les refus de vente opposés aux sociétés LB & Associés et Médailles et Souvenirs étaient susceptibles de créer un obstacle à l'entrée de sociétés concurrentes d'EVM sur le marché aval. De fait, les sociétés LB & Associés et Médailles et Souvenirs n'ont pu pénétrer le marché et, même s'il existe aujourd'hui des sociétés concurrentes d'EVM sur ce marché, le partenaire de la Monnaie de Paris occupe toujours, en 2005, une position largement prédominante sur les sites touristiques français, avec 296 sites équipés d'un distributeur à sa marque, contre 116 pour la société AMMP, 106 pour la société S&P et 5 pour la société Arthus-Bertrand, les sociétés Martineau et Tower Mint livrant, par ailleurs, respectivement 27 et 54 sites en médailles destinées à la vente " à la corbeille ".

85. Il résulte de ce qui précède, qu'en refusant, sans justifications objectives, de livrer en médailles-souvenir la société LB & Associés, en 1998 et la société Médailles et Souvenirs en 2000-2001, la Monnaie de Paris a enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce.

C. SUR LES SANCTIONS

86. Les infractions retenues ci-dessus ont été commises antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques. Par suite et en vertu de la non rétroactivité des lois à caractère punitif, les dispositions introduites par cette loi à l'article L. 464-2 du Code de commerce, en ce qu'elles sont plus sévères que celles qui étaient en vigueur antérieurement, ne leur sont pas applicables.

87. Aux termes de l'article L. 464-2 du Code commerce dans sa rédaction applicable avant l'entrée en vigueur de la loi du 15 mai 2001 : "Le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement soit en cas de non exécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5% du chiffre d'affaires hors taxe réalisé en France au cours du dernier exercice clos. Si le contrevenant n'est pas une entreprise, le maximum est de 1 524 490 17 euro ".

88. Aux termes du cinquième alinéa de l'article L. 464-2-I du Code de commerce : " Le Conseil de la concurrence peut ordonner la publication, la diffusion ou l'affichage de sa décision ou d'un extrait de celle-ci selon les modalités qu'il précise (...). Les frais sont supportés par la personne intéressée ".

89. La pratique qui consiste, pour une entreprise détenant un monopole légal, à s'appuyer sur la renommée et le savoir-faire qu'elle détient du fait de ce monopole pour faire obstacle à l'entrée d'entreprises sur un marché connexe revêt un caractère de gravité certain.

90. Afin d'apprécier le dommage à l'économie causé par les pratiques, il y a lieu de relever que l'entrée sur le marché de concurrents de la société EVM est récente. Toutefois, si EVM garde une avance sur ses concurrents, les données collectées par l'Amicale des Collectionneurs de Jetons Touristiques (ACJT), qui recense pour ses membres, les sites touristiques de France proposant des médailles-souvenir, montrent une progression de l'implantation de distributeurs concurrents : le nombre de sites équipés d'un distributeur EVM-MDP s'élève aujourd'hui à 291, contre 116 pour la société AMMP, 106 pour la société S&P, 5 seulement pour la société Arthus-Bertrand, qui avait été citée par la MDP en tant que concurrente sur le marché amont à l'époque des pratiques. Les médailles de la société Martineau et celles de la société Tower Mint sont, par ailleurs distribuées " à la corbeille " sur respectivement 27 et 64 sites touristiques.

91. Aucune disposition du Code de commerce ne fait obstacle à ce qu'une administration de l'Etat soit sanctionnée, au titre de l'article L. 464-2 du Code, pour des pratiques anticoncurrentielles relevant d'une activité économique : l'article L. 410-1 du Code dispose en effet que les règles définies au livre IV, parmi lesquelles figurent celles de l'article L. 464-2, " s'appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques... ". Les activités de la Monnaie de Paris en cause dans la présente affaire, qui s'exercent sur un marché concurrentiel et n'ont aucun lien avec les tâches régaliennes confiées à cette direction, relèvent bien de cette catégorie, ce qui justifie d'ailleurs la compétence du Conseil de la concurrence pour statuer sur la qualification des comportements en cause au regard de l'article L. 420-2 du Code de commerce. Ces activités peuvent être isolées au sein de l'Etat, dans la mesure où la direction des monnaies et médailles, même si elle ne bénéficie pas aujourd'hui d'une personnalité juridique distincte de celle de l'Etat, qui devrait lui être conférée par le changement annoncé pour 2007 de son statut en établissement public industriel et commercial, jouit d'une certaine autonomie, notamment budgétaire, illustrée par le fait qu'elle dispose d'un budget annexe doté en 2005 de 98 millions d'euro et gère sa propre politique commerciale.

92. Le droit national est, sur ce point, en accord avec le droit communautaire, tel que l'a interprété la Commission européenne dans une décision du 17 juin 1998 par laquelle elle a condamné l'AAMS, administration des tabacs intégrée à l'administration financière italienne : elle a relevé que cette administration, bien que dépourvue de personnalité juridique propre, jouissait d'une certaine autonomie d'organisation et devrait être regardée comme une " entreprise " au sens de l'article 82 (ex. 86) du traité CE.

93. Au vu des éléments relatifs à la gravité de la pratique et au dommage à l'économie et du chiffre d'affaires hors taxe de 46 117 379 euro réalisé par la Monnaie de Paris, au cours du dernier exercice, clos le 31 décembre 2004, il y a lieu de fixer à 100 000 euro le montant de la sanction pécuniaire. Le Conseil n'ayant pas les moyens de s'assurer que cette sanction pécuniaire aura par elle-même l'effet dissuasif recherché par le législateur, en dissuadant l'entreprise de réitérer les pratiques condamnées, dès lors qu'il n'est pas possible de vérifier que le montant de la sanction sera prélevé sur le budget annexe des monnaies et médailles et non transféré d'une ligne de crédits à une autre au sein du ministère de l'Economie et des Finances, il y a lieu d'accompagner la sanction pécuniaire de mesures d'information adéquates qui participent à l'objectif d'efficacité rappelé ci-dessus.

Décision

Article 1er: Il est établi que la Monnaie de Paris (direction des Monnaies et médailles du ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie) a enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce.

Article 2 : Il est infligé à la Monnaie de Paris (direction des Monnaies et médailles du ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie) une sanction pécuniaire de 100 000 euro.

Article 3 : Il est enjoint à la Monnaie de Paris, dans un délai de 2 mois à compter de la notification de la présente décision, et pendant une durée de 3 mois minimum, de faire paraître l'encadré suivant sous la rubrique " Actualité " de la page d'accueil du site Internet Monnaie de Paris.

Par une décision n° 05-D-75 en date du 22 décembre 2005 le Conseil de la concurrence a établi que la Monnaie de Paris avait enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce et abusé, en 1998 et en 2000-2001, de sa position dominante sur le marché de la fabrication de médailles souvenirs en refusant l'approvisionnement en médailles des sociétés LB & Associés et Médailles Souvenirs.

La Monnaie de Paris, direction d'administration centrale rattachée au ministère de l'Economie et des Finances, a en effet privilégié son partenariat avec la société EVM au détriment des concurrents de cette société sur le marché de la vente de médailles souvenirs sur les sites touristiques. A cette fin, elle a exploité la notoriété de sa marque et autorisé notamment, l'usage de la mention " Collection nationale, Monnaie de Paris, Médaille officielle " sur les médailles-souvenirs commercialisées dans les distributeurs EVM, conférant ainsi à des produits issus d'une activité purement commerciale un caractère officiel indu.

Cette pratique a eu pour objet et pour effet de faire obstacle à la libre concurrence en restreignant l'entrée sur le marché de la vente de médailles souvenirs sur les sites touristiques. Le Conseil a décidé dans cette affaire d'imposer une sanction pécuniaire de 100 000 euro à la Monnaie de Paris et d'ordonner la diffusion de l'information relative à cette décision.

Le texte intégral de la décision du Conseil de la concurrence est disponible sur son site Internet à l'adresse suivante : http://www.conseil-concurrence.fr

Article 4 : Il est enjoint à la Monnaie de Paris d'expédier sous pli recommandé, suivant les mêmes délais et à ses frais, une copie de cet encadré par courrier dans une lettre en format A4 et en caractères Times New Roman de dimension 12, noir sur fond blanc, à l'Amicale des collectionneurs de jetons touristiques (ACJT), ainsi qu'aux responsables des espaces commerciaux des sites touristiques gérés par la Réunion des Musées Nationaux et par le Centre des Monuments Nationaux.

La parution de l'encadré sur le site Internet de la Monnaie de Paris et les envois par courrier seront précédés de la mention : "Décision n° 05-D-75 du 22 décembre 2005 du Conseil de la concurrence relative à des pratiques mises en œuvre par la Monnaie de Paris".

Notes :

1 Plaquettes en cuivre ou en fonte réalisées par électroformatage.

2 En fait ISM, dénomination sociale de la société LB & associés (erreur d'orthographe).