CA Douai, 2e ch. sect. 2, 29 septembre 2005, n° 03-00268
DOUAI
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Laboratoires Medilis (SARL)
Défendeur :
Tyco Healthcare Manufacturing France (SAS), Inbrand France (SA), Kendall Incontinence (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
Mme Geerssen
Conseillers :
MM. Zanatta, Reboul
Avoués :
Me Quignon, SCP Carlier-Regnier
Avocats :
Mes Petit Demange, Benard
Vu le jugement contradictoire du Tribunal de commerce de Roubaix Tourcoing en date du 20 juin 2002 ayant débouté la société Laboratoires Medilis de sa demande à l'encontre de la société Inbrand France sur le fondement de la rupture abusive des relations commerciales, mis hors de cause la société Inbrand France des faits de concurrence déloyale et condamné pour faits de concurrence déloyale la société Kendall Incontinence à payer à la société Laboratoires Medilis la somme de 274 408,22 euro avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation outre la somme de 15 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Vu l'appel formé par la SARL Medilis le 18 novembre 2002;
Vu les conclusions déposées le 6 octobre 2004 et le 17 mai 2005 pour la SARL Medilis;
Vu les conclusions déposées le 2 février 2005 pour la SAS Tyco Healthcare Manufacturing France venant aux droits de la SA Inbrand France et pour la SARL Kendall Incontinence anciennement Alaune Celatose;
Vu l'ordonnance de clôture en date du 4 mai 2005.
Les faits
La société Inbrand France devenue la société Tyco Healthcare Manufacturing France fabrique des produits pour l'incontinence des adultes, les commercialisant jusqu'au début de l'année 1998 par cinq sociétés : la société Laboratoires Alaune qui est sa filiale, la société Laboratoires Medilis et les trois Laboratoires Alpan, Hexadis et Enalis.
En début d'année 1998, la société Molnlycke, son concurrent, a pris le contrôle des Laboratoires Alpan, Hexadis et Enalis, étant rappelé que la société Molnlycke contrôlait déjà pour partie la société Medilis depuis 1989.
En juillet 1998, 8 des 9 agents commerciaux de la société Medilis dont le directeur des ventes, Monsieur Gimenez, vont rejoindre les Laboratoires Alaune devenus Kendall après avoir démissionné, invoquant l'incertitude née des tractations en cours sur le rachat de la société Medilis par la société Molnlycke.
Ces embauches sont consécutives à des contacts pris d'avril à juin 1998 après publication d'annonces pour les commerciaux ou à un contact direct en ce qui concerne le directeur des ventes.
Par lettre du 12 août 1998, la société Inbrand notifie à la société Medilis la fin à leurs relations commerciales avec un préavis d'un an, soit à fin août 1999, tout en se réservant le droit de procéder à des essais techniques à compter du 30 avril 1999 pour des attributions de marchés postérieures au 31 août 1999. Elle précise qu'elle garantit la livraison des produits suite aux marchés publics qui seraient souscrits pendant cette période de préavis et quelle que soit la durée du marché (un ou deux ans). Elle motive la rupture sur le fait de la prise de contrôle par la société Molnlycke de trois de ses distributeurs qui vont distribuer désormais les produits de ce concurrent ce qui se traduit déjà par des chutes des ventes. Elle déclare être dans l'incertitude de la position de ce concurrent quant à la société Medilis et que, dans ce contexte, elle entreprend de réformer son réseau de distribution.
En septembre 2000, la société Medilis assigne la société Inbrand et la société Kendall pour rupture abusive des relations commerciales au motif de l'insuffisance du préavis et concurrence déloyale pour le débauchage de la quasi-totalité de ses agents commerciaux.
Le premier juge a débouté la société Medilis de son action en rupture abusive des relations commerciales en considérant suffisant le préavis d'une année mais a retenu la concurrence déloyale à l'encontre de la société Kendall.
La SARL Laboratoires Medilis a interjeté appel en invoquant la rupture brutale des relations commerciales, la volonté de réorganiser le réseau de distribution suite à la prise de contrôle de 3 distributeurs par la société Molnlycke, ne constituant pas un cas de force majeure au sens de l'article L. 442-6 5° du Code de commerce puisque la société Medilis, demeurée indépendante par rapport à la société Molnlycke, a continué à distribuer les produits de la société Inbrand ; la contestation portant, non pas sur le principe de la rupture, mais sur la durée du préavis.
Elle soutient que cette durée aurait du être fixée à deux années ; que les relations duraient depuis 15 années et pouvaient se poursuivre au-delà de 1999 ; que la dépendance économique était de 90 % du chiffre d'affaires pour ces produits d'incontinence avec un accord d'exclusivité territoriale et un chiffre d'affaires en perpétuelle croissance dans un marché où il n'y a que 4 fabricants ; que l'activité de l'entreprise était organisée autour de la période de l'appel d'offres allant du 01/09 au 31/12 et les marchés conclus souvent pour 2 à 3 années avec échéance au 31/12 ; que la rupture est intervenue au début de la période d'appel d'offres soit au mois d'août pour se terminer au 31 août de l'année suivante ; qu'ainsi à compter de fin août 1998, la société Medilis n'a pu présenter que les produits de la société Inbrand sur les contrats d'une année et a du arrêter de présenter ces mêmes produits en août 1999 ; que ce préavis ne pouvait donc se limiter à une année et se terminer à la période de fin août; qu'au surplus, la société Inbrand s'était réservée la possibilité de débuter des essais techniques dès fin avril 1999 pour présenter les appels d'offres de septembre 1999 à la place de la société Medilis, réduisant de fait un peu plus la durée du préavis
Elle fait valoir en conséquence que ce préavis d'un an était insuffisant pour se réorganiser et assurer le suivi des clients pour le 1er septembre de l'année suivante ; que ces circonstances sont aggravées par les actes de concurrence déloyale ; que cette résiliation était préméditée, faisant suite au débauchage de toute la force de vente de la société Medilis; qu'en notifiant la rupture au mois d'août, la société Medilis était empêchée de répondre aux appels d'offres ce qui détournait aussitôt la clientèle; qu'ainsi elle n'a pas respecté l'article L. 442-6 du Code de commerce et les articles 1134 et 1135 du Code civil qui lui imposaient d'agir loyalement.
Sur les actes de concurrence déloyale, elle expose qu'elle employait en 1998, 14 salariés dont 9 commerciaux et réalisait un chiffre d'affaires sur la Normandie, la région parisienne et 4 départements pour 65 MF ; que Monsieur Gimenez, directeur des ventes ayant une obligation de non concurrence, a démissionné le 22 avril 1998 suivi le 20 mai par trois autres commerciaux puis 4 autres les 8 et 11 juin 1998, tous ces personnels étant embauchés par la société Alaune.
Elle remarque que les embauches ont été très rapides, Monsieur Gimenez ayant eu son contrat de travail signé dès avant sa démission et les autres ayant signé leur contrat dans les 8 jours de la parution de l'annonce des Laboratoires Alaune recherchant du personnel ; que seuls les commerciaux de la société Medilis ont été embauchés suite à cette annonce.
Elle considère que la conclusion d'un contrat de travail par un nouvel employeur alors que le salarié est encore sous contrat avec un autre employeur et ce, même lors de l'exécution du préavis, constitue un acte de concurrence déloyale indiscutable ; que l'embauche simultanée de plusieurs salariés soit la quasi-totalité de la force de vente de la société Medilis constitue un acte de concurrence déloyale lorsqu'il est frauduleux ou qu'il désorganise l'entreprise.
Sur l'existence d'une action concertée et frauduleuse pour le débauchage, elle fait valoir la célérité des démissions, la concomitance des dates de démission et de signature des contrats de travail, la concordance du contenu de la motivation des lettres de démission ; que ce départ massif et soudain de presque toute la force de vente a anéanti et désorganisé totalement celle-ci qu'il a fallu reconstituer avec difficulté dans ce secteur spécialisé et difficile juste au moment le plus fort de la vente, à savoir la période des appels d'offres.
Sur l'existence de manœuvres particulières en direction du personnel, elle relève que les salaires proposés par la société Alaune ont été relevés de 15 % en moyenne pour les agents et de 60 % pour le directeur des ventes ; que Monsieur Gimenez avait une obligation de non-concurrence à l'égard de la société Medilis, obligation contournée à l'embauche par les Laboratoires Alaune en précisant dans le contrat l'emploi "Directeur des ventes France Sud" alors qu'en fait celui-ci est devenu "directeur des ventes France" et que c'est sous cette appellation qu'il s'est présenté aux clients ; que la société Medilis en a informé la société Kendall dès juin 1998 ; que si la société Kendall venant aux droits d'Alaune essaie aujourd'hui par tous les moyens de prouver que cette clause n'existait plus, elle ne le démontre pas sérieusement; qu'il est de jurisprudence constante que l'embauche par une entreprise concurrente d'un salarié tenu par une clause de non-concurrence engage la responsabilité du nouvel employeur ; que s'il est invoqué par la société Kendall la nécessité d'une contrepartie à toute clause de non-concurrence pour qu'elle soit valable, cette jurisprudence date de 2002 et ne s'applique pas au cas d'espèce de 1998.
Elle ajoute que les nouveaux salariés de la société Kendall ont fait croire que la société Medilis n'avait plus d'activité réelle voire qu'elle n'existait plus ; que parallèlement ils rappelaient leur activité chez Medilis créant une confusion dans l'esprit du client, confusion constitutive d'agissements parasitaires et de dénigrements; qu'il y a eu détournement de clientèle en ce que Monsieur Gimenez alors qu'il était en période de préavis, a répondu à un appel d'offres d'un client de la société Medilis en donnant un chiffre supérieur à celui que la société Kendall avait donné la veille; que ce sont près de 200 clients qui ont quitté la société Medilis à compter de cette époque.
Sur le préjudice, la société Medilis estime sa perte au montant des appels d'offres pour la période allant de septembre à décembre 1999 et à la marge correspondante soit 11 176 973 F ou 1 703 918 euro (perte de chiffre d'affaires de 39 729 575 F).
Cependant, elle souligne que la concomitance de la rupture brutale et des actes de concurrence déloyale l'a empêchée de répondre aux appels d'offres de septembre 1998 à décembre 1998 faute d'avoir une force de vente ainsi que de septembre à décembre 1999 faute de pouvoir y répondre avec un nouveau produit, les essais ayant été effectués avec les produits de la société Inbrand au printemps 1999 et la recherche d'un nouveau fournisseur étant longue et difficile; que la perte de ces appels d'offres a eu des conséquences sur les années 1999 à 2001 compte tenu de la durée de 1 à 3 ans des appels d'offre (1998 : 10,433 ME, 1999 : 8,962 ME, 2000 : 5,12 ME, 2001 : 5,102 ME) ; qu'en partant sur la base d'un chiffre d'affaires maintenu sur ces années, elle a ainsi perdu près de 80 MF de chiffre d'affaires soit 20,8 MF ou 3,170 ME de marge brute.
Elle demande à voir reporter l'ordonnance de clôture à la date des débats, dire que la société Inbrand a rompu abusivement les relations contractuelles, dire que la société Inbrand et la société Kendall ont exercé des actes de concurrence déloyale, condamner solidairement la société Tyco Healthcare Manufacturing France anciennement Inbrand et la société Kendall Incontinence anciennement Laboratoires Alaune à lui payer la somme de 3 170 939 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation, les condamner solidairement à cesser les actes de dénigrement et de parasitisme à l'encontre de la société Medilis sous astreinte de 7 500 euro par jour et par infraction constatée, ordonner la publication de la décision à intervenir, leur condamnation à la somme de 30 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, confirmer le jugement du tribunal en ce qu'il a condamné la société Kendall à lui payer la somme de 121 959,21 euro au titre de l'atteinte à son image de marque.
La SAS Tyco Healthcare Manufacturing France venant aux droits de la SA Inbrand France et la SARL Kendall Incontinence venant aux droits des Laboratoires Alaune exposent qu'en raison de la réorganisation de la distribution des produits suite à la prise de contrôle de 3 de ses distributeurs par un concurrent, la société Inbrand a été amenée à cesser ses relations avec la société Medilis, susceptible elle aussi de passer à la concurrence que la société Kendall a ainsi été amenée, pour recruter des postes de commerciaux, à passer des annonces auxquelles les salariés de la société Medilis ont répondu, inquiets des rachats de sociétés en cours et des risques pour leur emploi.
Sur la rupture brutale des relations commerciales, la société Inbrand estime que la durée d'une année correspond à un plein exercice, ce qui est la norme habituelle dans l'activité de distribution; que la prise de contrôle de la plupart de ses distributeurs par un concurrent nécessitait une réorganisation urgente liée à la chute brutale des commandes de ses produits ; que le délai d'une année permettait à la société Medilis de se réorganiser et de retrouver un autre fabricant; que compte tenu de ses liens avec la société concurrente Molnlycke, la société Medilis était bien placée pour assurer la distribution des produits de celle-ci dès septembre 1999 ; que la possibilité de faire des essais techniques dès fin avril 1999 ne réduisait pas le préavis mais correspondait aux nouveaux contrats résultant des appels d'offres à traiter à compter de septembre 1999 ; que le chiffre d'affaires de la société Medilis avec la société Inbrand était en 1997 et 1998 de 65 % et non de 90 % ; que la perte de chiffre d'affaires avancée au support de la demande de réparation ne repose sur aucun élément sérieux.
Sur les actes de concurrence déloyale, les sociétés Inbrand et Kendall exposent que l'embauche dans des conditions régulières de salariés d'une entreprise concurrente n'est pas fautif en soi, en raison d'une part de la liberté du travail et d'autre part du fait qu'il ne peut être reproché au nouvel employeur d'utiliser l'expérience acquise précédemment par le salarié ; que le recrutement par voie d'annonces publiques de postes de commerciaux auxquelles ont répondu les salariés de la société Medilis, était licite pour se trouver justifié par le contexte de renforcement dans un bref délai de la société Kendall devenue son seul distributeur à ne pas tomber sous le contrôle du concurrent Molnlycke ; qu'il ne constituait pas une manœuvre déloyale dans ce contexte car il n'y avait pas volonté de désorganiser l'autre société mais de se réorganiser rapidement soi-même ; que le motif commun avancé par les salariés dans leur lettre de démission s'explique par leur inquiétude quant à l'avenir de leur société.
Sur la proposition de conditions financières avantageuses, elles font valoir que la société Medilis ne démontre pas la réalité de ces chiffres, la simple feuille de salaire d'un mois de mai 1998 ne présumant pas du salaire annuel qui comporte primes, commissions et treizième mois ; que la promesse d'avantages pécuniers devient déloyale lorsque l'offre est anormalement élevée.
Elles contestent l'existence d'une clause de non-concurrence pour Monsieur Gimenez, chef des ventes, qui a été effective dans son contrat de 1985 passé avec la société Medilis mais non reconduite dans le contrat suivant du 15 janvier 1987 ; qu'au surplus cette clause est nulle si elle n'a pas une contrepartie financière ce qui était le cas, cette jurisprudence de 2002 de la Cour de cassation s'appliquant rétroactivement.
Sur l'accusation de dénigrement, elles remarquent que les attestations proviennent des seuls salariés de la société Medilis.
Sur le détournement de clientèle, elles rappellent que la charge de la preuve appartient à la société Medilis qui doit en outre établir que ce détournement s'est accompagné de manœuvres déloyales.
Sur le préjudice, elles contestent la décision du premier juge qui a retenu le coût de réorganisation de la force de vente pour la somme excessive et injustifiée de 152 449,01 euro (6 mois de la rémunération du personnel débauché) et l'atteinte à l'image de marque par dénigrement pour 121 959,21 euro.
Sur le prétendu détournement de clientèle, elles rappellent que la société Medilis n'était pas propriétaire de sa clientèle, s'agissant de marchés institutionnels soumis aux appels d'offres ; que le lien de causalité entre la baisse du chiffre d'affaires et les actes de concurrence déloyale n'est pas établi ; que sur la dernière année d'activité commune, le chiffre d'affaires de la société Medilis avec la société Inbrand est resté de 65 % comme l'année précédente ; que la société Medilis se fonde pour son préjudice sur des tableaux de "clients perdus" établis par elle-même à partir d'une clientèle qu'elle considère comme sienne alors que tout se fait par appels d'offres ; qu'il est seulement démontré l'existence de 3 clients Medilis devenus Kendall.
Elles contestent tout préjudice lié à l'atteinte à l'image de marque et, à les supposer établis, le risque de confusion et le trouble commercial qu'il aurait pu entraîner.
La société Tyco et la société Kendall, faisant appel incident, demandent l'infirmation du jugement en ce qu'il a condamné la société Kendall pour faits de concurrence déloyale et la confirmation pour le surplus outre la somme de 15 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur ce :
La société Medilis sera déboutée de sa demande de rabat de l'ordonnance de clôture au jour des plaidoiries, faute de démontrer l'existence d'une cause grave ; ses conclusions du 17 mai 2005 qui ne modifient pas celles du 6 octobre 2004 sont irrecevables en application de l'article 783 du nouveau Code de procédure civile.
La rupture des relations commerciales
Il convient de rappeler que l'entreprise qui décide de cesser ses relations commerciales avec une autre, n'a pas à motiver sa décision. Il faut et il suffit qu'elle accorde à celle-ci un délai de préavis suffisant.
La contestation de la société Medilis porte, non pas sur le principe de la rupture des relations commerciales établies, mais sur la durée du délai de préavis. L'article L. 442-6 5° du Code de commerce fait référence dans ce domaine "aux usages du commerce".
Ce délai doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concernés. Il doit s'apprécier au cas d'espèce sans pouvoir être déterminé de façon générale pour l'ensemble d'une profession sauf à le fixer au préalable par contrat.
Dans le cas d'espèce, il n'est pas contesté que, pour la société Medilis, la relation commerciale était ancienne, la dépendance économique importante pour être supérieure à 50 %, le produit spécialisé, les clients réels ou potentiels parfaitement connus, la concession exclusive sur un territoire important de plusieurs régions administratives et le mode de prospection des clients identique pour les distributeurs de ce type de produits à savoir la réponse aux appels d'offres.
Une relation ancienne de distribution d'un produit spécialisé sur un territoire concédé de manière exclusive et représentant la majorité du chiffre d'affaires de la société distributrice, sont autant de critères militant pour une durée de préavis raisonnable.
La question posée est donc de dire quel était le temps nécessaire à la société Medilis pour se réorganiser.
Il convient en premier lieu de remarquer que le taux de dépendance (90 % selon la société Medilis et 65 % selon la société Inbrand France) est très important quel que soit le taux retenu et qu'il constitue un risque pris en connaissance de cause par le producteur mais aussi par le distributeur.
En second lieu, il faut rappeler que, si la concession était exclusive d'un point de vue territorial, la clientèle de leur secteur ne leur appartenait pas car il y avait concurrence et soumission à appels d'offres ce qui induit l'existence d'une clientèle changeante et non acquise sur la durée.
En troisième lieu, il n'est pas contesté par la société Medilis que celle-ci était sous le contrôle depuis 1989 de la société Raynaud devenue la société Molnlycke, concurrente de la société Inbrand de sorte que dès l'annonce de l'arrêt des relations commerciales, la société Medilis avait toute possibilité de prévoir la distribution à court terme des produits de la société Molnlycke.
Enfin en quatrième lieu, il convient de constater que, la vente des produits se faisant après appels d'offres pendant la période allant de septembre à fin d'année, l'annonce de la rupture début août n'empêchait pas la société Medilis de présenter les produits Inbrand pour les contrats futurs, cette dernière leur garantissant la livraison des produits pour les contrats passés pendant le délai de préavis et pour une durée de 1 ou 2 ans.
Il se déduit de l'ensemble de ces éléments que la société Medilis a pris, en connaissance de cause, un risque en diffusant pour majorité de son chiffre d'affaires les produits Inbrand; que sur son territoire, sa clientèle ne lui était pas attachée pour être soumise à la concurrence ; qu'elle disposait de la faculté de distribuer les produits de la société Molnlycke, concurrente de la société Inbrand, sans avoir à rechercher un autre producteur qui veuille l'intégrer dans son réseau de distribution; que l'annonce de la rupture en août ne l'empêchait pas de continuer à soumettre les produits Inbrand aux appels d'offres pour des contrats d'une durée égale ou supérieure à une année ; que dans ces conditions, le délai d'une année accordé par la société Inbrand France apparaît raisonnable et suffisant pour permettre à la société Medilis de se réorganiser sur la distribution d'autres produits.
La société Medilis sera déboutée de ce moyen.
La concurrence déloyale
La société Medilis reproche, sur le fondement de la concurrence déloyale, aux sociétés Kendall et Inbrand, le débauchage par une action concertée et frauduleuse de 8 de ses 9 salariés chargés de la vente soit la quasi-totalité de sa force de vente, action entraînant sa désorganisation totale.
Parmi ces 9 salariés, figurait le directeur des ventes, Monsieur Gimenez, lequel n'avait plus de clause de non-concurrence dans son deuxième contrat de travail. Il est à noter que même si la clause signée dans le premier contrat était demeurée dans le second, celle-ci aurait été nulle, faute de présenter une contrepartie financière. Les autres salariés n'étaient pas soumis à une clause de non-concurrence par la société Medilis.
Il ressort de l'attestation du commissaire aux comptes de la société Medilis que le chiffre d'affaires de cette société pour l'année 1998 a été de 68 437 662 F pour une marge brute de 18 017 888 F et pour l'année 1999 de 58 792 864 F pour une marge brute de 15 333 494 F ce qui traduit une baisse de la marge de 2 684 394 F soit 409 233 euro; que cette baisse s'est poursuivie par la suite.
Il n'est pas contestable qu'à part Monsieur Gimenez, les 7 autres salariés de la société Medilis ont été recrutés par la société Alaune suite à une annonce parue dans les journaux et que leur embauche a été particulièrement rapide étant rappelé cependant que le principe demeure la liberté du travail pour le salarié qui a le droit de changer d'emploi au mieux de ses intérêts vers un nouvel employeur à qui on ne peut reprocher d'utiliser les connaissances acquises de son nouvel employé.
Il n'apparaît pas anormal que, dans le contexte de la prise de contrôle par sa concurrente Molnlycke de 3 de ses 5 distributeurs, la société Inbrand ait décidé de réorganiser son réseau de distribution avec en outre la crainte de voir sortir de son réseau son quatrième distributeur, la société Medilis dont la société Molnlycke avait en partie le contrôle depuis 1989; que dès lors, sa réorganisation sur la seule base de sa filiale les Laboratoires Alaune, se trouvait justifiée et nécessitait d'en prévoir le renforcement car elle allait devoir distribuer, à elle seule, l'ensemble des produits distribués auparavant par 5 sociétés, situation que la société Alaune ne pouvait ignorer en sa qualité de filiale.
Cependant, en embauchant uniquement des salariés de la société Medilis soit 8 personnes dont le directeur des ventes, sur les 9 formant la force de vente de celle-ci alors qu'elle ne pouvait ignorer que sa société mère Inbrand allait écarter la société Medilis de son réseau de distribution un mois après, la société Alaune a nécessairement désorganisé de façon très importante la société Medilis en la mettant dans l'obligation de recruter à compter de ce mois d'août 1998 des nouveaux salariés qui n'avaient pas nécessairement la formation, la connaissance de ces produits spécialisés, du territoire et des clients que pouvaient avoir leurs prédécesseurs outre le fait important que cette situation est intervenue juste avant la période la plus importante de l'année à savoir les appels d'offres débutant en septembre 1998 où l'équipe de vente de la société Medilis n'était pas encore reconstituée entièrement et ses éléments en cours d'adaptation à ce nouveau créneau commercial ; étant ajouté que les pertes de marchés par la société Medilis sur les produits Inbrand, pertes consécutives à cette période transitoire de mise sur pied d'une nouvelle équipe de vente ont nécessairement profité à la nouvelle force de vente de la société Alaune devenue Kendall, renforcée dans le même temps par tous les vendeurs expérimentés de la société Medilis.
En embauchant le directeur des ventes et 7 des 8 personnes chargées de la vente chez Medilis, tandis que sa société mère Inbrand signifiait à cette dernière un mois plus tard la fin de leur relation commerciale avec préavis d'un an, la société Kendall a, nécessairement et en connaissance de cause, totalement désorganisé la société Medilis au moment crucial du début de la période d'appels d'offres tout en tirant profit de cette situation.
Ce débauchage concomitant à l'arrêt programmé de la relation commerciale constitue un acte de concurrence déloyale de la part de la société Kendall Incontinence.
La société Inbrand France sera mise hors de cause sur ce moyen.
La cour estime pouvoir indemniser la société Medilis par l'attribution de la somme de 426 857 euro correspondant à la perte de marge brute correspondant à la baisse de chiffre d'affaires de 1999 par rapport à 1998.
La société Medilis sera déboutée de sa demande pour dénigrement, ses preuves, qui reposent sur les seules attestations de ses salariés, ne présentant pas un caractère suffisant d'impartialité.
Elle sera déboutée également de sa demande de détournement de clientèle, cette demande reposant sur un seul dossier client relatif à des réponses de juin 1998 de la société Medilis et de la société Alaune sur un appel d'offres et rien n'établissant que Monsieur Gimenez ait été le signataire ou l'instigateur de la réponse du "moins offrant", la société Alaune.
La publication de la décision sollicitée par la société Medilis sera ordonnée.
La société Kendall sera condamnée à payer à la société Medilis une somme de 15 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Il est équitable de laisser à la société Tyco Healthcare Manufacturing France venant aux droits de la société Inbrand France la charge de ses frais irrépétibles.
Par ces motifs, Statuant publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, contradictoirement et en dernier ressort; Rejette la demande de report de l'ordonnance de clôture; Confirme le jugement entrepris sauf sur le montant de la condamnation de la société Kendall Incontinence au titre de la concurrence déloyale envers à la société Medilis et sur le montant des frais irrépétibles; Statuant sur ces chefs; Condamne la société Kendall Incontinence à payer à la société Medilis la somme de 426 857 euro avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 14 septembre 2000; Ordonne la publication d'un extrait de la décision à intervenir dans 4 journaux au choix de la société Medilis dans les départements où elle bénéficiait d'une exclusivité, publication dans les termes suivants : "Par arrêt de la Cour d'appel de Douai en date du 8 septembre 2005, la société Kendall Incontinence a été condamnée à payer des dommages et intérêts à la société Medilis pour des actes de concurrence déloyale" Déboute les parties de leurs autres demandes; Condamne la société Kendall Incontinence à payer à la société Medilis la somme de 15 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne la société Kendall Incontinence aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.