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Décisions

CA Lyon, 3e ch. civ., 31 mars 2005, n° 03-04141

LYON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

CT2P - France Evasion Amincissement (SARL)

Défendeur :

Navarrot-Lavigne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Martin

Conseillers :

MM. Simon, Santelli

Avoués :

SCP Baufume-Sourbe, Me de Fourcroy

Avocats :

Mes Baschet, Novion

T. com. Lyon, du 21 mai 2003

21 mai 2003

Faits, procédure et prétentions des parties

La société CT2P - France Evasion Amincissement et Madame Sophie Navarrot-Lavigne ont conclu, le 11 décembre 2000, un "contrat de partenariat" (contrat de franchise) par lequel la société CT2P France Evasion Amincissement a concédé à Madame Sophie Navarrot-Lavigne le droit exclusif de commercialiser ses produits et de bénéficier de son savoir-faire et de ses méthodes commerciales dans le domaine de l'amincissement du corps, des soins corporels et de la diététique, développés sous la marque "France Evasion Amincissement". Madame Sophie Navarrot-Lavigne a ouvert un centre d'amincissement et de soins corporels, le 2 avril 2001. La société CT2P - France Evasion Amincissement a mis en œuvre par lettre recommandée avec avis de réception expédiée le 14 décembre 2001, la clause résolutoire pour manquements de Madame Sophie Navarrot-Lavigne aux obligations contenues au contrat de partenariat, la résiliation de plein droit étant effective un mois après la réception de la mise en demeure.

Par jugement rendu le 21 mai 2003, le Tribunal de commerce de Lyon, prononçant pour dol la nullité du contrat de partenariat re-qualifié de contrat de franchise, a condamné la société CT2P - France Evasion Amincissement à payer à Madame Sophie Navarrot-Lavigne la somme de 34 333,96 euro à titre de dommages et intérêts, outre une somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et a débouté la société CT2P - France Evasion Amincissement de sa demande reconventionnelle en paiement d'une facture au titre du contrat de franchise, le jugement étant assorti de l'exécution provisoire pour l'ensemble de ses dispositions.

La société CT2P - France Evasion Amincissement a régulièrement fait appel de cette décision dans les formes et délai légaux.

Vu l'article 455 alinéa premier du nouveau Code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 98-1231 du 28 décembre 1998;

Vu les prétentions et les moyens développés par la société CT2P - France Evasion Amincissement dans ses conclusions récapitulatives en date du 10 mai 2004 tendant à faire juger :

- qu'elle a parfaitement respecté ses obligations légales et contractuelles tant avant la conclusion du contrat de franchise qu'au cours de son exécution,

- que Madame Sophie Navarrot-Lavigne a suivi "une formation de base" dans des centres pilotes lyonnais du 4 au 12 décembre 2000 et a reçu à cette occasion un "volumineux manuel de formation de base", outre une "assistance" avant l'ouverture de son centre à Bordeaux (3 attestations en ce sens sur le suivi des travaux, la présence à l'inauguration...),

- que des actions nombreuses menées après l'ouverture du centre n'ont pu empêcher Madame Sophie Navarrot-Lavigne de commettre des fautes de gestion,

- qu'elle a remis à Madame Sophie Navarrot-Lavigne le document d'information pré-contractuelle prévue à la loi "Doubin" contenant toutes les informations légales et que la preuve de cette remise résulte de l'empressement de l'affiliée à vouloir ouvrir un second centre, outre des attestations des personnes qui ont remis le document d'information pré-contractuelle et de la reconnaissance de ce fait par Madame Sophie Navarrot-Lavigne, dans le contrat de franchise lui-même,

- qu'il n'y a pas eu vice du consentement ensuite du respect total de l'obligation de renseignement et d'information,

- subsidiairement que l'évaluation faite par Madame Sophie Navarrot-Lavigne de son préjudice est erronée et exagérée, certains postes ne pouvant être exigés au titre du prétendu préjudice,

- que le montant des redevances impayées arrêté au 31 décembre 2001 s'élève à 3 990,60 euro et qu'il conviendra de sanctionner "l'attitude particulièrement déloyale" de Madame Sophie Navarrot-Lavigne par l'octroi de dommages et intérêts à hauteur de 120 000 euro;

Vu les prétentions et les moyens développés par Madame Sophie Navarrot-Lavigne dans ses conclusions n° 1 en date du 2 mars 2004 tendant à faire juger :

- que le contrat de partenariat n'était qu'une suite d'obligations pécuniaires mises à sa charge sans réciprocité,

- que des frais ou participations de toute nature lui ont été réclamés et dès le mois de novembre 2000 une facture de 542 694,29 F a été émise, un acompte de 140 000 F étant immédiatement réglé,

- qu'elle a dû recourir à un prêt de 700 000 F pour faire face à l'ensemble de l'investissement considérable qui lui était demandé et qu'elle chiffre à 1 554 410 F,

- que la société CT2P - France Evasion Amincissement n'a pas respecté les obligations légales d'information des futurs franchisés, en ignorant la quasi-totalité du dispositif légal et en ne remettant que des documents sans intérêt et erronés,

- qu'elle a été victime d'un dol par dissimulation volontaire d'informations qui lui auraient permis de prendre une décision éclairée,

- que son préjudice est important comme ayant dû cesser son activité et se faire radier du registre du commerce et des sociétés, le 23 septembre 2003, et doit être évalué à 262 439,13 euro;

Motifs et décision

Attendu que selon l'article L. 330-3 du Code de commerce le franchiseur (affiliant) "est tenu préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l'intérêt commun des deux parties, de fournir à l'autre partie (l'affiliée) un document donnant des information sincères, qui lui permette de s'engager en connaissance de cause"; que ce document dont le contenu est fixé par le décret n° 91-337 du 4 avril 1991, doit préciser notamment, l'ancienneté et l'expérience de l'entreprise, l'état et les perspectives de développement du marché concerné ... ainsi que le champ d'exclusivité; qu'il doit être communiqué vingt jours au minimum avant la signature du contrat, ou le cas échéant, avant le versement de toute somme exigée préalablement à la signature du contrat;

Attendu qu'en l'espèce, la société CT2P - France Evasion Amincissement a émis le 14 novembre 2000 une facture pour "redevance d'entrée" et fourniture d'appareils et produits, outre des prospectus et objets pour une campagne publicitaire d'un montant de totale 542 694,29 F TTC, sur laquelle Madame Sophie Navarrot-Lavigne a réglé le même jour la somme de 140 000 F à titre d'acompte; que le contrat de partenariat a été signé, le 11 décembre 2000; qu'à ce contrat figurent en annexes un plan délimitant le territoire concédé en exclusivité, un manuel rassemblant le "savoir-faire" dit France Evasion Amincissement et "un plan média";

Attendu qu'il appartient à la société CT2P - France Evasion Amincissement de faire la preuve qu'elle a satisfait à son obligation légale d'information préalable en justifiant avoir fourni à Madame Sophie Navarrot-Lavigne toutes les informations sur le réseau de franchisage et ses perspectives de développement; que cette preuve ne saurait résulter de la simple stipulation dans le contrat de partenariat que "l'affiliée a en communication, depuis 20 jours au moins précédent la date de signature du présent contrat, du document d'information pré-contractuelle, tel que visé par la loi du 31 décembre 1989", sans référence à la nature précise des documents qui auraient été remis et des circonstances précises de leur remise ; que celle-ci aurait dû intervenir au plus tard vingt jours avant le 14 novembre 2000;

Attendu que la preuve de cette remise ne peut résulter de l'attestation d'un autre gérant affilié de centre, Monsieur Tolozanot, qui a fait visiter en septembre 2000 le centre de son épouse à Arles (13), a répondu aux questions de Madame Sophie Navarrot-Lavigne sur le fonctionnement d'un centre et lui a "remis le document d'information pré-contractuelle"; qu'une telle attestation qui mentionne au détour d'une page la remise sans précision sur la nature et la composition du "document" en question et sans expliciter en quelle qualité la remise a été faite, observation faite que ce document doit contenir nombre d'informations précises et confidentielles - comptes annuels des deux derniers exercices, les envisagées conditions du contrat, une présentation du réseau, - est de pure complaisance et ne peut être retenue; que de même "l'attestation" (non conforme aux dispositions de l'article 202 du nouveau Code de procédure civile) de Monsieur Thierry Machefert, gérant de la société CT2P - France Evasion Amincissement qui ne se présente pas sous cette qualité mentionnant que Madame Sophie Navarrot-Lavigne" a reçu de ma part ou (sic) de la part de Monsieur Tolozanot et de Monsieur Rime tous les documents concernant la législation en vigueur (re sic) avant ma visite sur Bordeaux le 24 novembre 2000" ne peut être retenue, nul ne pouvant se constituer des preuves à soi-même et le témoignage étant particulièrement indigent sur la nature et la consistance du "document" en question;

Attendu que Madame Sophie Navarrot-Lavigne n'a reçu que quelques bribes d'informations fragmentaires ne pouvant satisfaire aux exigences légales et réglementaires quant aux comptes annuels des deux derniers exercices de la société CT2P - France Evasion Amincissement, au rappel des principales étapes de l'évolution de l'entreprise, à la liste des entreprises qui font partie du réseau, à celles des entreprises qui ont entendu cesser de faire partie du réseau au cours de l'année précédant celle de la délivrance du document avec précision sur la cause de la rupture du contrat... ; qu'aucune des rares et éparses pièces remises ne concerne la société CT2P - France Evasion Amincissement ; qu'elles ont trait à des membres de la famille Machefert, Thierry ou Christian (?);

Attendu que le défaut d'information préalable n'entraîne la nullité du contrat de franchise que s'il a eu pour effet de vicier le consentement du franchisé ; qu'en l'espèce la quasi-absence de toute information exacte et sincère donnée préalablement à la remise de fonds et/ou à la signature du contrat de franchise, a réalisé une réticence dolosive de la part de la société CT2P - France Evasion Amincissement; que cette réticence dolosive n'a pas permis à Madame Sophie Navarrot-Lavigne de prendre une décision éclairée et l'a trompée sur les possibilités de développer une clientèle en bénéficiant d'un savoir-faire et de méthodes éprouvés; que le comportement du franchiseur qui a dissimulé la véritable situation économique et juridique de son entreprise et celle économique de son réseau de franchisés (de nombreux échecs et fermetures de centres étant enregistrés) a abusé Madame Sophie Navarrot-Lavigne sur les conditions réelles dans lesquelles elle a été amenée à contracter;

Attendu que les premiers juges ont justement prononcé la nullité du contrat de franchise pour réticence dolosive;

Attendu qu'il n'est pas avéré que Madame Sophie Navarrot-Lavigne a commis des fautes de gestion expliquant le résultat déficitaire de son centre; que ce résultat déficitaire est imputable aux seules fautes commises par la société CT2P - France Evasion Amincissement principalement avant la conclusion du contrat de franchise (surestimation des résultats possibles ou plus exactement totale imprévision quant aux résultats possibles) ; que le montant des redevances impayées au 31 décembre 2001 doit rester à la charge de la société CT2P - France Evasion Amincissement, comme conséquence de la nullité prononcée ou/et à titre de dommages et intérêts;

Attendu en outre que Madame Sophie Navarrot-Lavigne a subi une perte d'exploitation, a été privée d'un gain escompté résultant du fait que les relations contractuelles n'ont pas eu une durée raisonnablement admissible et a engagé des investissements hors de proportion avec les profits qu'elle pouvait raisonnablement tirer de l'exploitation du centre; que pour l'ensemble de son préjudice, il convient d'allouer à Madame Sophie Navarrot-Lavigne la somme de 35 000 euro;

Attendu que l'équité commande de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; que la partie tenue aux dépens devra payer à l'autre la somme de 3 000 euro au titre des frais exposés en appel et non compris dans les dépens;

Par ces motifs, LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, Reçoit l'appel de la société CT2P - France Evasion Amincissement comme régulier en la forme, Au fond, confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf celles "arrêtant" le préjudice de Madame Sophie Navarrot-Lavigne à la somme de 34 333,96 euro. Statuant à nouveau, condamne la société CT2P - France Evasion Amincissement à porter et payer à Madame Sophie Navarrot-Lavigne la somme de 35 000 euro, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement attaqué à titre compensatoire et celle de 3 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, en cause d'appel. Condamne la société CT2P - France Evasion Amincissement aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de Maître Annick de Fourcroy, avoué sur son affirmation de droit, en application de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.