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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 13 décembre 2005, n° ECOC0600127X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Casino du Lac de la Magdeleine (Sté)

Défendeur :

Groupe Lucien Barrière (SAS), Groupe Partouche (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pezard

Conseillers :

M. Remenieras, Mme Mouillard

Avoué :

SCP Fiddelier-Chiloux-Boulay

Avocats :

Mes Goldnadel, Théophile, Sebag, SCP Darrois-Villey-Maillot-Brochier

CA Paris n° ECOC0600127X

13 décembre 2005

La commune de Gujan Mestras, dont le conseil municipal avait décidé d'autoriser la création d'un casino, a lancé le 16 janvier 2000 un appel d'offres auquel ont répondu quatre candidats, la société Européenne de Casinos, appartenant au Groupe Partouche, la société Accor Casinos, la Compagnie Financière Régionale et la société Socodem. Cette société, qui a remporté l'appel d'offres, a signé ensuite avec la commune de Gujan Mestras une convention de délégation de service public puis a cédé la concession à sa filiale, la société Casino du Lac de la Magdeleine.

Toutefois, le ministre de l'Intérieur a notifié le 22 décembre 2004 au préfet de la Gironde qui lui avait transmis une demande présentée par cette société en vue de l'exploitation de jeux d'argent dans ce casino, que, après avis de la commission supérieure des jeux, il ne réserverait pas une suite favorable à cette requête, "en raison de la situation de l'offre locale de jeux résultant de la présence de deux casinos implantés autour du bassin d'Arcachon, à proximité de Gujan Mestras, et de celle du casino de Bordeaux doté d'un important parc de machines à sous".

C'est dans ces conditions que la société Casino du Lac de la Magdeleine, à qui cette décision a été notifiée le 7 janvier 2005, a saisi le 28 février 2005 le Conseil de la concurrence en dénonçant, notamment, sur le marché des jeux de hasard exploités par les casinos sur la côte Aquitaine et le département de la Gironde :

- les ententes et abus de position dominante imputables aux sociétés Accor Casinos et Groupe Partouche,

- l'attitude anticoncurrentielle des pouvoirs publics à qui un syndicat professionnel dominé par le Groupe Partouche avait adressé une note restrictive en ce qui concerne l'ouverture de nouveaux casinos, alors que, parallèlement, le Groupe Lucien Barrière avait obtenu l'autorisation d'accroître le parc de machines à sous du casino de Bordeaux.

Par décision n° 05-D-20 du 13 mai 2005, le Conseil, en application de l'article L. 462-8 du Code de commerce :

- a déclaré la saisine irrecevable en ce qu'elle tend à l'appréciation de la légalité de la décision du ministre de l'Intérieur refusant d'autoriser l'exploitation de jeux à Gujan Mestras et l'a rejetée pour le surplus,

- a rejeté la demande de mesures conservatoires tendant, notamment, à la communication du procès-verbal de la séance du 5 octobre 2004 de la commission supérieure des jeux;

LA COUR

Vu le recours en réformation formé par la société Casino du Lac de la Magdeleine le 26 mai 2005;

Vu le mémoire, déposé par cette société le 18 juillet 2005 à la suite de son recours, dans lequel cette société demande à la cour, à la fois:

- d'infirmer la décision du Conseil de la concurrence,

- de la réformer et, statuant à nouveau : de dire et juger sa saisine recevable,

- de dire et juger que la transmission de la note émanant du Syndicat de Casino Modernes constitue un acte anticoncurrentiel au sens de l'article L. 420-1 du Code de commerce,

- de dire et juger que l'augmentation du parc de machines à sous du casino de Bordeaux par la société Accor Casinos, concomitamment à la conclusion de l'accord créant la nouvelle entité Lucien Barrière constitue une entente anticoncurrentielle au sens de l'article L. 420-2 du Code de commerce;

Vu le mémoire en réponse au recours déposé le 6 septembre 2005 par la société Lucien Barrière, dans lequel cette société demande à la cour de rejeter le recours et de condamner la requérante à lui verser une indemnité de 10 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Vu le mémoire, déposé le 16 septembre 2005, aux termes duquel la société Groupe Partouche prie la cour :

- à titre principal, de confirmer la décision déférée,

- à titre subsidiaire, de débouter la requérante de sa demande;

Vu les observations du ministre de l'Economie, déposées le 27 septembre 2005, tendant au rejet du recours;

Vu les observations du Conseil de la concurrence déposées le 3 juin 2005;

Vu le mémoire en réplique de la requérante, déposé le 10 octobre 2005, dans lequel elle prie la cour d'infirmer et annuler la décision déférée en précisant, cette fois-ci, que son second grief constitue non plus une entente mais une position dominante au sens de l'article L. 420-2 du Code de commerce;

Vu des observations écrites du Ministère public, mises à la disposition des parties à l'audience;

Ouï à l'audience du 18 octobre 2005 en leurs observations orales les conseils des parties, le représentant du ministre chargé de l'Economie et le Ministère public, chaque partie ayant été mise en demeure de répliquer et la société Casino du Lac de la Magdeleine ayant eu la parole en dernier;

Sur ce,

Considérant que, au soutien de son recours, la société Casino du Lac de la Magdeleine fait valoir que, contrairement à ce qu'a décidé le conseil, elle ne procède pas à une critique de la légalité de décisions administratives mais entend seulement dénoncer des interventions anticoncurrentielles imputables au Groupe Partouche et au Groupe Lucien Barrière ; qu'elle maintient, à cet égard, que la note à objet anticoncurrentiel diffusée par un syndicat majoritairement constitué du Groupe Partouche en position dominante sur le marché considéré et présentée de manière inexacte comme l'analyse d'une proposition de loi, a directement influencé la décision ministérielle de refus d'autorisation de jeux ; que, consciente par ailleurs de l'arrivée probable d'un concurrent à Gujan Mestras, le Groupe Accor Casinos, qui a créé avec la famille Barrière-Desseigne une société commune dénommée Lucien Barrière en position dominante sur le marché considéré de la Gironde, a réagi en déposant une demande d'augmentation de son parc de machines à sous du casino que cette société exploite à Bordeaux qui, finalement acceptée par le ministre de l'Intérieur, est à l'origine du refus d'autorisation de jeux qui lui a été notifié;

Mais considérant que la note critiquée du Syndicat des Casinos Modernes de France, qui est intitulée "étude territoriale sur le développement des casinos et synthèse sur la proposition de loi de M. Dominique Paille" et qui est annoncée comme "s'inscrivant dans le cadre d'une réflexion sur l'esquisse d'un schéma directeur sous forme d'orientation partagée entre les pouvoirs publics et les opérateurs" qui devait faire l'objet d'un échange de vues dans le cadre d'un groupe de travail se réunissant le 17 novembre 2004, est uniquement consacrée aux perspectives générales de développement des casinos;

Considérant que ces thèmes étant étrangers à la question ponctuelle du refus d'ouverture d'un casino à Gujan Mestras, qui n'y est pas abordée, la diffusion de la note, dont la date est, de surcroît, postérieure à la date de la réunion de la commission supérieure des jeux, ne saurait, dans ces conditions, avoir un objet anticoncurrentiel;

Considérant que c'est dès lors à bon droit qu'en l'absence d'indice d'une entente expresse ou tacite ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet de restreindre ou de fausser le jeu de concurrence sur le marché considéré, le conseil a retenu qu'aucune qualification n'était susceptible d'être retenue au regard des dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce ;

Considérant que s'agissant ensuite des griefs formulés à l'encontre du groupe Lucien Barrière, le seul dépôt, postérieur à la demande d'autorisation en cause, d'une requête concernant l'extension de jeux d'argent exploités au casino de Bordeaux, favorablement accueillie par l'autorité administrative dont la décision n'a pas fait l'objet un recours, n'est en l'absence de tout indice d'un abus de domination incriminé par l'article L. 420-2 du Code de commerce, pas non plus susceptible de caractériser une pratique anticoncurrentielle;

Considérant, dès lors, que sous couvert de griefs de comportements anticoncurrentiels, la société Casino du Lac de la Magdeleine, qui insinue que l'autorité administrative a, au cas d'espèce, manqué à son devoir d'impartialité, conteste ainsi la légalité de la décision du ministre de l'Intérieur, acte administratif mettant en œuvre des prérogatives de puissance publique, qui relève de la compétence des juridictions administratives, le cas échéant au regard du droit de la concurrence ; qu'au surplus, force est de constater qu'une ordonnance du 14 avril 2005 du juge des référés du Tribunal administratif de Bordeaux a, précisément, suspendu l'exécution de la décision du ministre à la demande de la requérante et que, à la suite de cette décision, le dossier de la société Casino du Lac de la Magdeleine a fait l'objet d'un nouvel examen par la commission supérieure des jeux, puis d'un nouveau refus d'autorisation du ministre de l'Intérieur;

Considérant qu'il suit de là que le recours doit être rejeté;

Par ces motifs, Rejette le recours, Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Déboute la société Groupe Lucien Barrière de sa demande au titre de ses frais irrépétibles.