CA Angers, ch. com., 21 juin 2005, n° 04-02197
ANGERS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Gesret
Défendeur :
Guerbet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
Mme Ferrari
Conseillers :
Mme Lourmet, M. Mocaer
Avoués :
SCP Chatteleyn, George, SCP Gontier-Langlois
Avocats :
Mes Delafond, Guepin
Exposé du litige
Marie-Renée Thomas, épouse Gesret, qui exerce à l'enseigne NCF une activité de forage et de pompage a conclu avec Renaud Guerbet le 1er février 1996 un contrat d'agent commercial à titre non exclusif. Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 28 avril 1999, elle a résilié ce contrat à compter du 31 juillet de la même année.
Le 28 octobre 2003, Renaud Guerbet a assigné Marie-Renée Gesret devant le Tribunal de commerce de Laval qui, par jugement du 23 juin 2000, a déclaré recevable la demande de Renaud Guerbet et condamné Marie-Renée Gesret à lui payer la somme de 77 716,07 euro à titre de dommages et intérêts ainsi que celle de 1 524,49 euro à titre de commission sur le dossier Caget avec exécution provisoire, dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et condamné Marie-Renée Gesret aux dépens.
Marie Renée Gesret en est appelante et demande à la cour de débouter Renaud Guerbet de toutes ses demandes et de le condamner à lui payer à la somme de 36 854,62 euro à titre de dommages et intérêts pour infractions répétées à l'obligation de non-concurrence avant et après rupture du contrat, subsidiairement de réduire l'indemnité due à Renaud Guerbet et de le condamner à lui payer la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Renaud Guerbet conclut à la confirmation du jugement déféré et à la condamnation de Marie-Renée Gesret à lui payer en outre les sommes de 10 107,37 euro à titre de solde de commissions, de dire que les condamnations produiront intérêts à compter du 24 juin 2000 et de condamner en outre Marie-Renée Gesret à lui payer la somme de 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Motifs de la décision
Sur la recevabilité de l'action
L'article L. 134-12 du Code de commerce prévoit que l'agent qui n'a pas notifié à son mandant dans l'année qui suit la rupture du contrat son intention de faire valoir ses droits perd son droit à réparation.
Renaud Guerbet a adressé à Marie-Renée Gesret, par l'intermédiaire de son avocat, une lettre recommandée avec accusé de réception en date du 23 juin 2000 lui notifiant clairement cette intention de sorte que les prescriptions légales ont été accomplies.
Contrairement aux dires de Marie-Renée Gesret, cette notification peut émaner de l'avocat de l'agent commercial, lequel est le mandataire de son client et peut en conséquence agir valablement en ses lieu et place. Aucun texte ne prévoit par ailleurs qu'à l'expiration du délai d'un an un nouveau délai d'un an court pour l'assignation.
La forclusion de l'article L. 134-12 du Code de commerce n'est donc pas encourue et l'action de Renaud Guerbet est recevable, le jugement déféré étant confirmé sur ce point.
Sur la résiliation du contrat
Selon l'article L. 134-12 du même Code, l'agent a droit à une indemnité compensatrice du préjudice subi en cas de cessation de ses relations avec le mandant, mais aucune réparation ne lui est due si la cessation du contrat a été provoquée par une faute grave qu'il aurait commise.
Ce texte n'impose pas au mandant de motiver sa lettre de résiliation et Marie-Renée Gesret est donc recevable à invoquer les fautes que Renaud Guerbet aurait commises, même si elle ne les lui a pas expressément reprochées ni pendant l'exécution du contrat ni dans sa lettre de résiliation.
Marie-Renée Gesret formule 3 reproches à l'encontre de Renaud Guerbet : l'absence de rapport mensuel sur les ventes, une baisse de son activité et une activité concurrentielle.
1) L'absence de rapports mensuels
L'article 6.3 du contrat d'agent commercial impose à l'agent d'adresser chaque mois à son mandant un rapport sur les ventes.
Le 21 janvier 1999, Marie-Renée Gesret a adressé à Renaud Guerbet une lettre recommandée avec accusé de réception lui rappelant cette obligation que ce dernier reconnaît n'avoir respectée ni avant ni après le 21 janvier 1999.
Renaud Guerbet n'a donc pas respecté les termes de son contrat malgré la volonté exprimée de son mandant, ce qui constitue une faute, mais seule une faute grave, c'est-à-dire portant atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun liant les parties peut priver l'agent de l'indemnité prévue à la fois par le contrat et l'article L. 134-12 précité.
Or, selon Bruno Leva, ancien salarié de Marie-Renée Gesret, il était dans l'habitude de l'entreprise qu'aucun rapport ne soit établi par écrit, les entretiens et les facturations en tenant lieu. Si ce témoignage ne répond pas aux exigences de l'article 202 du nouveau Code de procédure civile, lesquelles ne sont pas requises à peine d'irrecevabilité, il n'est pas contesté sur ce point par Marie-Renée Gesret et est suffisamment précis et détaillé pour être probant.
Marie-Renée Gesret soutient que ces rapports auraient été rendus indispensables par la baisse de l'activité de Renaud Guerbet, mais ces rapports ne pouvaient lui apporter d'éléments supplémentaires, le témoignage de Bruno Leva démontrant la permanence des contacts entre les parties.
La faute commise par Renaud Guerbet en ne rédigeant pas de rapport mensuel n'est donc pas une faute grave au sens de l'article L. 134-12 du Code de commerce.
2) La baisse d'activité
Selon un tableau comparatif de la société Arcogest, expert-comptable de Marie-Renée Gesret, le chiffre d'affaires de Renaud Guerbet a été de 1 352 943,30 F en 1996, 2 380 667,99 F en 1997, 1 741 827,19 F en 1998 et 88 768,31 F pendant les 7 mois de travail de l'année 1999.
Renaud Guerbet aurait ainsi réalisé, en 1996, 28,77 % du chiffre d'affaires de l'entreprise, 40,45 % en 1997, 46,48 % en 1998 et seulement 4,86 % pendant les 7 mois de travail de l'année 1999.
Mais ces chiffres ne représentent pas la réalité, Marie-Renée Gesret ayant classé dans l'année 1998 une facture de Renaud Guerbet d'un montant de 38 676,49 F de commissions, représentant un chiffre d'affaires réalisé de 297 751,46 F émise le 8 janvier 1999 (pièce Guerbet n° 13).
D'autre part, la lettre de résiliation du contrat est en date du 28 avril 1999 : l'activité de Renaud Guerbet du 29 avril au 31 juillet 1999 n'a donc pu provoquer la cessation du contrat. Or du premier janvier 1999 au 28 avril 1999, soit pendant 4 mois Renaud Guerbet a réalisé un chiffre d'affaires de 353 625 F, rectification effectuée, ce qui, comparé au chiffre d'affaires réel de l'année 1998 ne révèle qu'une diminution de l'ordre de 30 %.
Une baisse d'activité est donc démontrée, mais elle ne représente pas un arrêt brutal de l'activité de l'agent comme le soutient Marie-Renée Gesret et n'établit aucune faute et a fortiori de faute grave de Renaud Guerbet.
3) Une activité concurrentielle
Le contrat du 1er février 1996 mentionne les activités de Marie-Renée Gesret : sondages, forages, essais de pompage et stations de pompage, et précise que si des activités nouvelles sont crées, celle-ci se réserve la possibilité d'en confier la commercialisation à Renaud Guerbet (article 1).
Il définit encore le secteur de l'activité de Renaud Guerbet : Sud Mayenne et Sud Sarthe (article 3).
Il interdit enfin à Renaud Guerbet de s'intéresser directement ou indirectement, pendant la durée du contrat et pendant 2 ans après sa cessation, à toute activité ou entreprise concurrente dans les départements prospectés et les départements limitrophes (article 6.4).
Marie-Renée Gesret soutient que Renaud Guerbet a manqué à cette obligation en démarchant sa clientèle pour le compte d'entreprises concurrentes, et notamment de la société Armor Eau pendant les mois d'avril et mai 1999.
Elle produit des pièces démontrant que Renaud Guerbet a commercialisé dans les départements de la Sarthe et de la Mayenne des dispositifs de traitement de l'eau, et dans celui de la Loire Atlantique, des forages.
S'agissant d'un département qui n'est limitrophe ni de la Sarthe ni de la Mayenne, ce dernier démarchage, effectué auprès de la société Regie Linge, de Nantes, ne constitue pas une activité contractuellement interdite à Renaud Guerbet.
Ce dernier ne conteste pas par ailleurs avoir commercialisé des dispositifs de traitement de l'eau, tout en reconnaissant que Marie-Renée Gesret réalise ce type de traitements (conclusions page 10). Il explique que les réalisations de Marie-Renée Gesret en la matière s'avéraient à ce point défectueuses qu'il avait été autorisé à commercialiser des dispositifs concurrents.
Il est indifférent que de tels dispositifs ne soient pas mentionnés expressément dans le contrat du 1er février 1996 parmi les activités de Marie-Renée Gesret puisqu'il est établi qu'elle en commercialisait. Marie-Renée Gesret et la société Armor Eau étaient donc, sur ce marché au moins, concurrentes et Renaud Guerbet devait, selon le contrat, s'abstenir de s'intéresser à cette dernière société.
Mais il résulte d'une attestation de William Preault, ancien employé de Marie-Renée Gesret, que NCF n'obtenait pas de bons résultats dans le traitement de l'eau. Il ajoute avoir en conséquence mis Marie-Renée Gesret et son époux, qui intervenaient dans l'entreprise, en contact avec la société Armor Eau. Il écrit:
" M. et Mme Gesret étaient d'accord pour que Renaud Guerbet utilise les services de ce spécialiste et ne voyaient aucun inconvénient à ce qu'il développe cette activité. "
Ce témoignage est confirmé par celui de Bruno Leva, autre ancien employé de Marie-Renée Gesret qui cite plusieurs exemples des difficultés rencontrées par celle-ci dans ce secteur, entraînant le mécontentement de ses clients et ajoute:
" A cause des problèmes incessants et insolubles, M. Noël Gesret avait autorisé verbalement Renaud Guerbet à utiliser les spécialistes de son choix, pour y remédier. "
Si ces témoignages ne répondent pas aux exigences de l'article 202 du nouveau Code de procédure civile, ils sont concordants et précis et il convient d'en tenir compte.
Ils ne sont pas contredits par les lettres de clients, qui, elles non plus ne respectent pas les dispositions de l'article 202 précité.
Marie-Renée Gesret produit deux attestations de Daniel Belsoeur et Reynald Veille, qui sont ses salariés, et qui soutiennent que Renaud Guerbet a prospecté pour le compte d'une société concurrente, Euroforage, sans préciser le secteur de cette prospection, ce qui ne démontre donc pas une activité concurrentielle sur le secteur qui lui était interdit.
Noël Gesret (pièce Gesret n° 31), stigmatise enfin dans un écrit produit aux débats le comportement de Renaud Guerbet et ajoute : " Je trouve cela inacceptable et désire rompre le contrat immédiatement pour faute lourde ", ce qui démontre qu'il joue dans l'entreprise un rôle décisionnel.
Les témoignages de William Preault et de Bruno Leva démontrent, eux, que, rencontrant des difficultés dans un secteur accessoire de son activité, Marie-Renée Gesret a choisi d'autoriser Renaud Guerbet à vendre des produits concurrents sur ce secteur afin de satisfaire sa clientèle et de préserver le secteur principal du forage et du pompage, ce qu'elle a fait verbalement, directement ou par son époux et mandataire.
Renaud Guerbet n'a donc pas commis ce faisant une faute grave et c'est à juste titre que le jugement déféré lui a reconnu le droit à percevoir une indemnité compensatrice du préjudice subi par la résiliation de son contrat.
Sur l'indemnité de fin de contrat
Selon l'article L. 134-12 du Code de commerce, l'indemnité due à l'agent doit compenser le préjudice subi, c'est-à-dire la perte des commissions auxquelles il pouvait raisonnablement prétendre.
L'article 10 du contrat prévoit que cette indemnité doit être " calculée selon les usages de la profession ", mais la loi du 25 juin 1991 est d'ordre public et impose de compenser le préjudice subi.
Renaud Guerbet a représenté Marie-Renée Gesret pendant 3 ans et demi ; il est juste de l'indemniser sur la base, habituellement retenue et parfaitement adaptée à l'espèce, de 2 années de commissions, ces deux années devant cependant être calculées sur les 24 derniers mois travaillés par Renaud Guerbet, soit une somme de 36 854,62 euro au lieu de 77 716,07 euro retenus par le jugement déféré qui sera donc réformé.
Cette somme portera intérêts à compter du jugement déféré.
Sur les commissions
Renaud Guerbet prétend que de nombreuses commissions lui restent dues par Marie-Renée Gesret, pour un montant de 10 107,37 euro mais il n'a demandé en première instance qu'une commission de 1 524,49 euro pour le seul contrat Caget.
Ses demandes nouvelles en appel sont irrecevables par application de l'article 564 du nouveau Code de procédure civile, comme le soutient à juste titre Marie-Renée Gesret.
Quant au contrat Caget, il n'est pas démontré que Renaud Guerbet a effectué seul la prestation, le nom de Belsoeur, autre salarié de Marie-Renée Gesret y étant également mentionné. L'article 7.1 du contrat prévoit une rémunération réduite à 3 % dans le cas où l'intervention d'un tiers a été utile, or Renaud Guerbet a été commissionné sur ce chantier à hauteur de 5 %.
Il ne démontre donc pas qu'il lui reste dû un solde sur ce contrat et il sera donc débouté de sa demande, le jugement déféré étant réformé.
Sur la demande de dommages et intérêts de Marie-Renée Gesret
Cette demande est recevable, contrairement aux dires de Renaud Guerbet, les demandes reconventionnelles étant recevables en appel par application de l'article 567 du nouveau Code de procédure civile.
Marie-Renée Gesret prétend avoir subi un préjudice en raison de la concurrence de Renaud Guerbet, mais aucune faute de celui-ci n'est démontrée sur ce point et aucun préjudice n'est établi.
Marie-Renée Gesret sera donc déboutée de sa demande.
Aucune considération d'équité ne commande de faire droit aux demandes d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Les dépens de première instance seront à la charge de Marie-Renée Gesret tandis que ceux d'appel seront laissés à la charge des parties qui les ont exposés.
Par ces motifs, Statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré recevable la demande de Renaud Guerbet, dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et condamné Marie-Renée Gesret aux dépens; Déclare Renaud Guerbet irrecevable en sa demande nouvelle en appel d'un paiement d'une somme de 10 107,37 euro à titre de commissions; Réformant pour le surplus; Condamne Marie-Renée Gesret à payer à Renaud Guerbet la somme de 36 854,62 euro au titre de l'indemnité de rupture, avec intérêts au taux légal à compter du jugement déféré. Déboute les parties de leurs autres demandes; Laisse à chacune des parties la charge des dépens d'appel par elle exposés.