CA Caen, 1re ch. sect. civ. et com., 4 mai 2005, n° 03-03597
CAEN
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Yonnet
Défendeur :
Prodim (SAS), Logidis (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Le Fevre
Conseillers :
Mlle Cherbonnel, Mme Holman
Avoués :
SCP Dupas-Trautvetter Ygouf Balavoine Levasseur, SCP Grandsard Delcourt
Avocats :
Me Thill, SCP Baron Cosse Gruau
LA COUR,
Vu le jugement du Tribunal de commerce de Bayeux qui a condamné M. Eric Yonnet, ancien franchisé de la SAS Prodim, à payer à cette dernière la somme de 4 321,01 euro avec intérêts de droit à compter du 30 octobre 2001 en vertu du contrat de franchise, à la SAS Logidis la somme de 67 369,76 euro au titre du contrat d'approvisionnement et représentant le montant des fournitures de marchandises avec intérêts au taux contractuel de une fois et demie le taux légal à compter du 30 octobre 2001, accordé à Prodim 200 euro, à Logidis 300 euro en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejeté la demande d'exécution provisoire;
Vu l'appel de M. Eric Yonnet et ses conclusions du 16 novembre 2004 par lesquelles il demande à la cour de débouter la SAS Prodim et Logidis ; réformer le jugement, prononcer la nullité, aux torts exclusifs de la société Prodim des contrats d'approvisionnement et de franchise du 1er octobre 1999, ordonner la remise des parties en l'état antérieur à la conclusion des contrats, désigner un expert pour faire le compte entre les parties subsidiairement condamner in solidum les SAS Prodim et Logidis à lui payer 71 690,77 euro avec compensation et réclame 4 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Vu les conclusions du 10 décembre 2004 des SAS Prodim et Logidis qui demandent la confirmation du jugement et 1 000 euro pour chacune d'elles au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Attendu que le tribunal a rappelé les faits; que pour conclure à la nullité des contrats, l'appelant invoque les articles L. 330-3 du Code de commerce et 1er du décret du 4 avril 1991 et soutient que le document d'information prévu par ces textes ne lui a pas été remis vingt jours au moins avant la signature du contrat; que l'avant-contrat signé par lui portant la date du 9 septembre 1999 a été antidaté ; que ce document et les contrats de franchise et d'approvisionnement ont été tous signés le 1er octobre 1999 ; que les intimées invoquent l'article 1322 du Code civil, soutiennent que M. Yonnet qui a lui-même certifié avoir reçu l'avant-contrat de franchise le 9 septembre 1999 est mal venu à prétendre que la date certifiée par lui-même serait fausse, que la preuve d'une telle fausseté n'est pas rapportée;
Attendu qu'il n'est pas sérieusement contesté et qu'il résulte d'une attestation de son employeur que le 9 septembre 1999, M. Yonnet qui était alors employé au rayon boucherie du magasin Shopi de Creully, était à son poste ; qu'il n'est pas non plus formellement contesté que c'est ce même jour et par voie téléphonique qu'il a appris que sa candidature avait été retenue pour diriger le magasin Shopi de Port en Bessin ; que la distance routière entre les deux points est de vingt-deux kilomètres ; mais qu'il n'y a apparemment pas à Port en Bessin un centre administratif quelconque de Prodim ni de Logidis mais seulement un magasin Shopi ; qu'il n'est pas soutenu, ce qui n'aurait d'ailleurs aucune raison d'être, que ce magasin ait détenu des stocks de documents d'informations prévus par l'article L. 330-3 du Code de commerce, ni qu'il ait été enjoint à M. Yonnet de s'y précipiter le jour même pour en retirer un ; qu'il n'est pas plus soutenu que ce pré-contrat ait été adressé le même jour par fax ou autre modalité rapide à M. Yonnet ; qu'il eut d'ailleurs été rationnel de faire un tel envoi à Creully où se trouvait M. Yonnet et non à Port en Bessin ; que M. Yonnet, présent à l'audience du 10 mars 2004 et entendu, sur sa demande, par la cour, en application de l'article 20 du nouveau Code de procédure civile, a déclaré que c'est d'un établissement administratif de Prodim se trouvant à Cholet, que les pré-contrats étaient envoyés que vers le 25 septembre, il lui avait été indiqué qu'il devait attendre le " pré-contrat " car il venait de Cholet et qu'ensuite, on lui avait demandé de l'antidater ; qu'à la suite de cette audition les deux parties ont donné leur accord pour l'échange d'une note en délibéré ; que M. Yonnet a fait une "attestation" du 12 juillet 2002, qui vaut déclaration écrite d'une partie, et qui est très précise, selon laquelle M. Joly, " superviseur " de Promodes lui aurait demandé le 30 septembre 1999, jour de l'inventaire du magasin Shopi de Port en Bessin, d'antidater l'avant-contrat de franchise au 9 septembre 1999 pour des raisons administratives puisqu'il prenait la gérance de ce magasin le 1er octobre 1999 ; que par note en délibéré du 7 avril 2005 Logidis a transmis une attestation de M. Pascal Defay aux termes de laquelle il déclare qu'ayant en 1999 la responsabilité du service contrôle gestion de vente, ses fonctions étaient basées à Nantes qu'il n'y avait aucune personne basée à Cholet ayant compétence pour établir des contrats ou avant-contrats de franchise, ceux-ci étant préparés à Nantes; que cette attestation ne change rien à la solution du litige puisque les contrats n'étaient de toute manière ni établis ni stockés à Port en Bessin ; que le contrat litigieux ait été établi à Nantes ou à Cholet, il n'a pu être signé à Port en Bessin, le 9 septembre, date du choix de M. Yonnet en qualité de cocontractant ;
Attendu qu'il résulte de la combinaison de ces différents éléments qu'il n'est pas vraisemblable que le document pré-contractuel d'information prévu par les textes précités ait été remis à M. Yonnet dans le délai légal ; que la renonciation à l'action en nullité dans l'acte de résiliation du contrat de franchise du 1er mars 2001, parfaitement inopérante puisque le texte, sanctionné pénalement, est d'ordre public est un élément de preuve supplémentaire de la parfaite connaissance de l'irrégularité par Prodim.
Attendu que l'article L. 330-3 du Code de commerce ne prévoit pas, comme le remarquent les intimées, la sanction de la nullité automatique du contrat concerné ; que celle-ci ne saurait résulter de l'existence de sanctions pénales, le défaut de délivrance au moins vingt jours à l'avance du document d'information précontractuel n'ayant pas pour effet de rendre le contrat principal illicite; qu'il y a lieu de rechercher si l'irrégularité ci-dessus constatée a vicié le consentement de M. Yonnet ;
Attendu que les intimées font valoir, ce que reconnaît l'appelant dans sa déclaration précitée du 12 juillet 2002, qu'il a été libéré de son contrat de travail le 14 septembre 1999 pour se rendre dans différents magasins Shopi de la région et rencontrer d'autres franchisés, et rappellent que le projet ne consistait pas en la création d'un magasin, avec les risques y afférents, mais en la simple reprise d'une activité existante ; que le fait de visiter des magasins et de rencontrer des franchisés a certes permis, selon toute vraisemblance, à M. Yonnet de se rendre compte de ce qu'impliquait, de manière générale, en termes de contraintes quotidiennes, mode de vie, relations courantes avec le franchiseur et les fournisseurs, l'exploitation en franchise d'un magasin Shopi; mais que cela ne lui donnait aucune indication sur la situation économique spécifique du magasin de Port en Bessin et ses perspectives d'avenir ; qu'il n'est même pas établi qu'il ait obtenu par ce biais des informations précises sur le contenu du contrat; que le document d'information intitulé "avant-contrat" pour l'examen duquel M. Yonnet aurait dû disposer d'au moins vingt jours, indiquait les caractéristiques du contrat de franchise, notamment la durée, les sanctions en cas de résiliation, les conditions résolutoires ; qu'y étaient annexés un état général du marché, une étude de marché, un compte d'exploitation prévisionnel et le détail des coûts spécifiques à la mise aux normes Shopi ; que ces éléments étaient particulièrement importants pour l'appréciation économique ; que si M. Yonnet, chef d'un rayon boucherie salarié sans expérience de gestion d'entreprise, avait eu des difficultés à en apprécier la portée, il aurait pu consulter un expert comptable ; que l'article V de l'avant-contrat prévoit d'ailleurs expressément que le "candidat franchisé" fasse contrôler par le cabinet ou le conseil de son choix l'étude de marché réalisée par Prodim, cette contre-étude devant être remise au plus tard dans les dix jours précédant la signature du contrat de franchise; que cette clause n'a pu être exécutée ; que faute de remise de l'avant-contrat et de ses annexes dans le délai légal, M. Yonnet n'a pu "s'engager en connaissance de cause" comme le dit l'article L. 330-3 du Code de commerce; qu'il s'ensuit que le contrat de franchise doit être annulé ;
Attendu que si le contrat d'approvisionnement n'est pas indivisible avec le contrat de franchise quant aux modalités de son exécution, les obligations étant distinctes et des manquements éventuels pouvant le cas échéant ne concerner qu'un seul des contrats, la conclusion du contrat d'approvisionnement est la conséquence de celle du contrat de franchise; que le contrat d'approvisionnement n'aurait pas été conclu sans le contrat de franchise et que ce dernier n'aurait pu être exécuté sans le contrat d'approvisionnement; qu'il s'ensuit que la nullité du contrat de franchise entraîne nécessairement celle du contrat d'approvisionnement;
Attendu sur les effets de l'annulation des contrats qu'il n'est pas possible de remettre les parties en l'état antérieur à leurs conventions ; que le contrat a été exécuté pendant dix sept mois, du 1er octobre 1999 au 28 février 2001 ; que les redevances payées ont été la contre-partie d'un chiffre d'affaires réalisé par M. Yonnet en exploitant un magasin de Prodim à l'enseigne Shopi ; que la somme réclamée par Prodim correspond à un reliquat de cotisation dont le montant n'est pas contesté d'une manière précise et circonstanciée par M. Yonnet, se rapportant à la période d'exploitation, et non à une indemnité de résiliation ou quelqu'autre indemnité qui ne pourrait être demandée, à la fois en raison de la nullité du contrat et de la renonciation contenue dans l'acte du 1er mars 2001 ; que les demandes de Logidis correspondent à des paiements de marchandises livrées à M. Yonnet et, au moins en partie revendues par lui dans une proportion non déterminable ; qu'en tous cas il n'est pas possible de faire retour à Logidis de marchandises dont certaines peuvent être périssables, qui en tous cas sont entrées en possession de M. Yonnet sans que celui-ci allègue qu'elles aient été affectées d'un défaut quelconque ; que Logidis produit à l'appui de sa demande des factures incluant des états détaillés des marchandises livrées dont aucune n'est contestée de manière précise et circonstanciée par l'appelant; que M. Yonnet n'a pas protesté à la réception des factures et des avis de prélèvement qui ont seulement été impayés pour défaut de provision ou demande de prorogation; qu'en définitive la seule conséquence que la cour peut tirer en l'espèce de la nullité des contrats est l'inapplicabilité du taux d'intérêts contractuel du contrat d'approvisionnement et donc le remplacement du taux une fois et demie le taux légal par le taux légal;
Attendu que M. Yonnet reproche à Prodim d'avoir manqué non seulement à son devoir d'information précontractuelle mais aussi à la transmission d'un savoir-faire technique, commercial et administratif; mais que faute d'analyse des causes et des difficultés de M. Yonnet, il n'établit pas le lien de causalité avec un quelconque préjudice qui ne saurait être constitué par les seules obligations de payer le reliquat de la redevance et le prix des marchandises commandées et livrées ; qu'au surplus il n'est pas soutenu que la nullité des contrats du 1er octobre 1999 entraîne celle de la convention de résiliation du 1er mars 2001 dont l'annulation n'est pas demandée ; que si la renonciation à l'action en nullité se heurte, comme dit ci-dessus, à l'ordre public et doit donc être réputée non écrite, il n'en est pas de même de la renonciation à toute " indemnité de part et d'autre " qui est parfaitement valable; que la cour ne peut faire droit à la demande de dommages et intérêts;
Attendu que chaque partie succombant et triomphant partiellement en ses demandes et eu égard à leur situation économique respective il est équitable de laisser à chacune d'elles la charge des frais irrépétibles et dépens d'appel qu'elle a engagés.
Par ces motifs, - Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a débouté M. Yonnet de sa demande en annulation et en ce qu'il a assorti la condamnation principale au profit de Logidis des intérêts au taux contractuel; - Annule les contrats de franchise et d'approvisionnement conclus entre M. Eric Yonnet et respectivement les SAS Prodim et Logidis le 1er octobre 1999; - Dit en conséquence que la condamnation au paiement de 67 369,76 euro au profit de Logidis est assortie des intérêts au taux légal à compter du 30 octobre 2001 - Déboute les parties de leurs autres demandes; - Laisse à chacune la charge des dépens d'appel qu'elle a engagés.