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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 13 avril 2005, n° 03-05939

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Concurrence (SA)

Défendeur :

JVC France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Riffault-Silk

Conseillers :

M. Roche, Mme Kermina

Avoués :

SCP Bernabe-Chardin-Cheviller, Me Chevillier, SCP Autier

Avocat :

Me Sitruk

T. com. Paris, du 17 janv. 2003

17 janvier 2003

Reprochant à la société JVC France (ci-après société JVC), importateur pour la France des matériels audio et vidéo de la marque JVC fabriqués par la société de droit japonais Victor Company of Japan, de refuser de lui livrer ses produits, la société Concurrence, elle-même exploitant d'un point de vente de matériels audio-visuels situé Place de la Madeleine à Paris, l'a assignée devant le Tribunal de commerce de Paris au visa des dispositions des articles L. 420-1, L. 420-2, L. 442-6 1-1 et L. 442-6 1-3 du Code de commerce, sollicitant 1 200 000 euro de dommages-intérêts pour la réparation de son préjudice outre 5 000 euro pour ses frais irrépétibles. La société JVC a conclu au débouté de ces demandes et sollicité 4 500 euro pour ses frais hors dépens.

Par jugement du 17 janvier 2003, le tribunal saisi, estimant que les refus de vente opposés par la société JVC à la société Concurrence étaient licites, a débouté celle-ci de toutes ses demandes et l'a condamnée à payer à la société JVC 4 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Régulièrement appelante, la société Concurrence prie la cour, par conclusions déposées le 1er mars 2005, de :

Vu les aveux judiciaires de la société JVC France,

Vu l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 16 décembre 2004,

- réformer le jugement en ce qu'il a statué sur des faits déjà soumis à son tribunal et ayant décidé de surseoir à statuer, pour dire que ces faits anciens de 1990 et 1991, invoqués par JVC, justifiaient un refus de livrer,

- dire que le tribunal de commerce ne pouvait invoquer des faits déjà soumis à son appréciation dans une procédure toujours en cours, d'autant plus qu'il a décidé de surseoir à statuer,

- dire que le refus de vente ne peut être justifié par la seule existence de procédures intentées par le fournisseur et reprochant des pratiques commerciales anormales,

- constater qu'aucune décision de justice définitive ou non ne condamne la société Concurrence dans ses rapports avec la société JVC,

- constater que le motif invoqué par JVC " dans sa lettre du " (sic) pour refuser de livrer à savoir l'existence " d'une " (sic) est anéanti par l'arrêt du 16 décembre 2004, qui a entièrement rejeté les accusations de la société JVC et l'a condamnée à payer 450 000 F de frais d'expertise.

- constater que la seule décision définitive applicable aux conditions de vente pour les années 1990 et 1991, condamne la clause d'enseigne affectant toutes les conditions quantitatives annuelles et semestrielles au titre de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, et qu'en application de l'article 9 de la même ordonnance, les conditions quantitatives et qualitatives de 1990 et 1991 sont nulles et donc inopposables pour justifier un refus de vente,

- constater que la notification de griefs du Conseil de la concurrence contient des preuves de dérogations contraires à l'article 7 et à l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, rendant les conditions de vente inopposables aux autres revendeurs, en application de l'article 9 mais aussi de la jurisprudence de l'arrêt Rolex,

- juger que la société JVC ne peut donc invoquer le non-respect de ses conditions de vente pour 1990 et 1991, pour justifier son refus de livrer,

- dire que le refus de vente généralisé opposé par la société JVC France à la société Concurrence est constitutif d'une faute en application des dispositions des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce,

- dire que le refus de vente généralisé opposé par la société JVC France à la société Concurrence est constitutif d'une faute en application des dispositions des articles L. 442-6,1-1 et L. 442-6,1-3 du Code de commerce,

- dire que cela a créé un préjudice à la société Concurrence,

- condamner la société JVC France à payer à la société Concurrence 1 200 000 euro de dommages-intérêts, 10 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux dépens.

Dans ses conclusions enregistrées le 22 février 2005, la société JVC France, intimée, demande à la cour de :

Vu l'article 1382 du Code civil,

Vu les articles L. 420-1, L. 420-2, L. 442-6 1 du Code de commerce,

- déclarer la société Concurrence mal fondée en son appel,

- l'en débouter,

- déclarer irrecevable la demande de nullité des conditions générales de vente au regard de l'autorité de chose jugée attachée aux décisions rendues entre les mêmes parties,

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- la condamner aux entiers dépens et au paiement de 6 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur ce,

Considérant qu'il appartient à celui qui se prévaut d'un refus de vente, qui ne constitue plus par lui-même une faute civile depuis l'abrogation des dispositions de l'article 36, alinéa 1er, paragraphe 2, de l'ordonnance du 1er décembre 1986 dans sa rédaction antérieure à la loi n° 96-588 du 1er juillet 1996, d'établir la réalité de l'éventuel abus de droit que celui-ci peut néanmoins constituer;

Qu'il s'en suit que c'est en vain que la société Concurrence fonde l'essentiel de ses moyens sur le fait que les litiges antérieurement survenus entre les parties, au motif qu'elle conteste des pratiques commerciales anormales qui lui seraient imputables, n'ont pas fait l'objet de décisions définitives, pour soutenir que ces refus ne sont pas justifiés;

Que pour le même motif, les contestations développées par l'appelante sur une irrégularité prétendue des clauses figurant dans les conditions générales de vente de la société JVC sont inopérantes, dès lors que le litige concerne un refus d'engagement de relations contractuelles entre les parties, et non les modalités de ces relations ; que le moyen tiré des " aveux judiciaires " prêtés à la société JVC dans une procédure suivie devant le Conseil de la concurrence, et d'après lesquels la société Concurrence aurait bénéficié de remises quantitatives en 1990, est sans portée dans le présent litige;

Que la société Concurrence, à laquelle incombe la charge de la preuve de l'abus qu'aurait commis la société JVC en refusant à la fin de l'année 2000 d'engager à nouveau des relations commerciales alors qu'il n'existait plus entre elles aucun courant d'affaires depuis 1992, n'en justifie pas;

Qu'il n'est pas établi, en premier lieu, que ce refus résulterait d'une concertation au sens de l'article L. 420-1 du Code de commerce, l'appelante ne faisant état au-delà d'affirmations non corroborées, d'aucun fait précis au soutien de ce premier grief et les termes du courrier du 10 octobre 2000 de la société JVC notifiant unilatéralement ce refus à la société Concurrence, renouvelés dans un courrier du 21 août 2001, ne contenant ni n'impliquant aucune référence à une concertation quelconque avec des tiers;

Que la société Concurrence, qui fait état, en second lieu, d'un abus de domination qu'aurait commis la société JVC en refusant de lui vendre les caméscopes qu'elle produit sous marque JVC, ne justifie pas de la situation de domination de l'intimée sur ce marché, précisant au contraire que la part de marché détenue par la société JVC sur ce produit particulier s'élève à 26,8 % en 2002; que selon l'étude de marché versée aux débats par l'appelante (pièce 22 déjà produite en première instance), et qui ne fait pas l'objet de contestations, les parts de JVC et de Sony sur le marché du caméscope s'élevaient en 2000, respectivement à 23 % et 40 %; qu'il n'est ni allégué ni a fortiori justifié que l'intimée occuperait avec la société Sony, qui est sa principale concurrente sur ce marché, une position de domination conjointe ; que la société Concurrence n'allègue l'existence d'aucune domination par JVC sur le marché d'autres produits (magnétoscopes, DVI), téléviseurs, HIFI, minidisque auto-radio notamment) dont la distribution lui a été refusée par l'intimée ; qu'il suit que les conditions d'application de l'article L. 420-2 du Code de commerce ne sont pas réunies;

Considérant, en troisième lieu, que s'il résulte des dispositions du même article in fine que le refus de vente est illicite lorsqu'il résulte de l'exploitation abusive par une entreprise de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente, la société Concurrence ne démontre pas se trouver dans une situation de dépendance économique vis-à-vis de l'intimée ; qu'il résulte au contraire de ses écritures qu'elle a " connu un fort développement" postérieurement à la cessation de leurs relations en devenant distributeur de la marque Sony en 1998, et ce notamment pour les caméscopes commercialisés sous marque Sony, qui représentaient en 2000, 40 % de ce marché, et 34,4 % en 2002 selon les pièces versées aux débats ; que la faculté pour la société Concurrence de proposer à sa clientèle des produits substituables dans des conditions équivalentes, qu'elle exerce, est de nature à exclure la situation de dépendance économique qu'elle allègue vis-à-vis d'un autre producteur ;

Considérant, en quatrième lieu, que la société Concurrence n'établit pas en quoi le refus opposé par la société JVC serait constitutif en lui-même d'une discrimination au sens des articles L. 442-6 I-1° et L. 442-6 I-3°, la critique des clauses contenues dans les conditions générales de vente de la société JVC étant inopérante ainsi qu'il a été vu ci-avant;

Considérant qu'il convient de confirmer la décision entreprise;

Qu'il est équitable que la société JVC France soit indemnisée de ses frais irrépétibles d'appel pour lesquels lui seront alloués 5 000 euro;

Par ces motifs, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit l'appel jugé régulier en la forme, Au fond, le rejetant, Confirme le jugement, Y ajoutant, Déboute la société Concurrence de toutes ses demandes, Condamne la société Concurrence à payer à la société JVC France 5 000 euro pour ses frais irrépétibles d'appel ainsi qu'aux dépens d'appel dont distraction au profit de la SCP Autier, avoué.