CA Paris, 5e ch. B, 20 octobre 2005, n° 05-13805
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Compagnie des bateaux à roue (SA)
Défendeur :
Interm'Enzo (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pimoulle
Conseillers :
MM Faucher, Rememieras
Avoués :
Me Thevenier, SCP Lagourgue-Olivier
Avocats :
Mes Guelot, Bernard
LA COUR statue sur l'appel interjeté par la société Compagnie des bateaux à roue (CBR) contre un jugement rendu le 13 juin 2005 par le Tribunal de commerce de Paris :
- qui, après avoir constaté qu'elle avait rompu de manière brutale ses relations commerciales avec la société Interm'Enzo, l'a condamnée à payer à cette dernière la somme de 800 000 euro à titre de dommages et intérêts,
- qui l'a condamnée à lui verser une indemnité de 5 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et, enfin, qui la condamnée aux dépens.
La cour se réfère au jugement déféré pour un plus ample exposé des faits, du contenu des demandes et des prétentions initiales des parties ainsi que pour un plus ample exposé de la procédure.
Il suffit de rappeler :
- que CBR, qui, dans le cadre de l'exploitation de deux bateaux de croisière fluviale avait confié des prestations de traiteur à Interm'Enzo, a consenti la location-gérance de son fonds de commerce à la société Eurobar, qui appartient au groupe Elior.
- que, par courrier du 16 septembre 2004, un représentant de ce groupe a informé le gérant de Interm'Enzo de ce que, dans le cadre de leurs relations commerciales, un audit d'agrément devait être réalisé sur son site de fabrication afin de s'assurer du respect des dispositions légales en matière de qualité et de sécurité alimentaires,
- que le dirigeant de Interm'Enzo lui a alors répondu par lettre du 18 septembre 2004, qu'il venait d'apprendre l'existence du contrat de location-gérance et que, devenant son "interlocuteur privilégié", il souhaitait connaître de quelle manière il envisageait le suivi de leur collaboration et sous quelles modalités contractuelles, en lui fixant, dans ces conditions, un rendez-vous, antérieurement au rendez-vous fixé avec le cabinet chargé de l'audit d'agrément;
- que, dans un autre courrier du 27 septembre 2004, son interlocuteur, qui lui confirmait l'existence du contrat de location-gérance, l'informait que Elior, qui avait pour principal objet une activité de restauration, effectuerait directement l'ensemble des prestations de traiteur sur les bateaux en question, en précisant qu'à la demande du dirigeant de CBR elle lui avait demandé d'effectuer les prestations traiteur des manifestations prévues en août et septembre 2004, et en lui indiquant que s'agissant de ses relations commerciales avec CBR, il lui appartenait de se rapprocher de ses dirigeants;
- que, dans un nouveau courrier du 22 octobre 2004, un représentant du groupe Elior lui rappelait que n'ayant pas souhaité recevoir le cabinet CMA l'absence de réalisation de l'audit ne lui permettait pas de donner un avis favorable en ce qui concerne son référencement,
- que le gérant de Interm'Enzo lui a alors répondu, le 28 octobre 2004, que ce refus résultait des termes de sa précédente réponse en la renvoyant, en ce qui concerne ses relations commerciales, vers CBR.
C'est dans ces conditions que, compte tenu de l'interruption des commandes, après un nouvel échange de correspondance, Interm'Enzo a assigné CBR afin d'obtenir sa condamnation, notamment, au paiement de la somme de 805 379 euro à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice.
Vu l'appel relevé par CBR;
Vu l'assignation à jour fixe délivrée par CBR à l'encontre de Interm'Enzo, aux termes de laquelle elle demande à la cour, infirmant le jugement entrepris:
- à titre principal, de dire et juger que sa responsabilité ne saurait être retenue sur le fondement de l'article L. 442-6(5°) du Code de commerce,
- à titre subsidiaire, de constater que le préjudice allégué par Interm'Enzo est imputable à la carence de cette entreprise,
- de la débouter en conséquence de toutes ses demandes,
- de la condamner à lui payer une indemnité de 12 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et de la condamner aux dépens;
Vu les uniques conclusions, signifiées le 5 septembre 2005, par lesquelles la société Interm'Enzo, intimée et incidemment appelante, prie la cour :
- de réformer le jugement en ce que cette décision a limité son indemnisation à la somme de 800 000 euro et, en conséquence, de condamner CBR à lui payer outre, cette somme, celle de 48 740,42 euro correspondants à divers coûts supportés en raison de la rupture brutale de leurs relations commerciales.
- à titre subsidiaire, de confirmer le jugement entrepris,
- en tout état de cause, de condamner l'appelante à lui verser la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et de la condamner aux dépens;
Sur la rupture des relations commerciales
Considérant qu'au soutien de son recours, CBR prétend, pour l'essentiel, que la mise en location-gérance de son fonds de commerce, simple transfert juridique de son activité dont elle avait, de toute façon, informé sa partenaire en 2003, ne peut en soi, s'analyser comme une rupture des relations commerciales, laquelle trouve en réalité son origine dans le refus injustifié opposé par l'intimée aux demandes du groupe Elior;
Mais considérant que s'il est vrai que CBR avait, en effet, fait état auprès de sa partenaire des pourparlers antérieurement engagés avec un autre groupe spécialisé dans la restauration, force est de constater que, se dispensant de tout préavis écrit elle ne l'a elle-même informée, de surcroît verbalement, de l'existence du contrat de location-gérance passé avec le groupe Elior, qui emportait nécessairement la fin de leur partenariat, qu'au mois d'août 2004, plus d'un mois après sa conclusion ; qu'en outre, les propres termes employés par les représentants du groupe Elior, en particulier dans le courrier du 27 septembre 2004 à propos de la réalisation des seules commandes antérieurement passées par CBR au cours de l'été de 2004 et l'information donnée sur sa volonté d'effectuer elle-même les prestations de traiteur sur les bateaux en cause, confirment que, comme soutient Interm'Enzo, des relations commerciales n'ont pas pour autant été nouées ensuite avec la locataire-gérante du fonds de commerce ; que s'agissant des pourparlers qui ont été entrepris, l'intimée est de toute façon fondée à opposer au groupe Elior, à qui elle a donné toutes les explications utiles dans son courrier du 28 octobre 2004, que" l'audit d'agrément" qui lui a été proposé conditionnait, non la poursuite d'une collaboration identique à celle qui existait auparavant avec CBR mais seulement un hypothétique référencement;
Considérant, dans ces conditions, que la cessation par CBR de toute commande auprès de Interm'Enzo à qui elle n'avait, à la suite de la conclusion du contrat de location-gérance, notifié aucun préavis écrit, constitue bien une rupture de relations commerciales établies engageant sa responsabilité en application de l'article L. 442-6 1(5°) du Code de commerce et l'obligeant à réparer le préjudice causé;
Sur le préavis et sur le préjudice
Considérant que s'il est constant que le chiffre d'affaires réalisé par Interm'Enzo avec CBR a en effet progressé depuis le début de leurs relations en 1995 pour représenter finalement environ 80 % de son chiffre d'affaires global, une telle situation ne caractérise cependant pas pour autant l'état de dépendance économique allégué par l'intimée, dès lors que, non contractuellement liée à titre exclusif à CBR, elle ne prétend ni ne démontre avoir été placée dans l'impossibilité de rechercher la diversification de sa clientèle ou de ses activités ; que Interm'Enzo ne justifie pas non plus qu'elle a été contrainte de réaliser des investissements spécialement dédiés aux prestations accomplies pour le compte de CBR ; qu'en l'absence d'accord interprofessionnel permettant de déterminer la durée minimale de préavis applicable en l'espèce, il convient, au vu des éléments ci-dessus analysés et eu égard à la durée des relations commerciales ainsi qu'aux caractéristiques de l'activité de traiteur exercée en la cause, au sujet de laquelle n'est pas allégué un délai particulier de reconversion technique, le délai raisonnable de préavis sera fixé à trois mois;
Considérant qu'au vu des bilans et comptes de résultat produits par l'intimée ainsi que des attestations ou relevés de son expert-comptable, le préjudice résultant de la rupture brutale des relations commerciales nouées avec l'appelante, et consistant dans la perte, pendant la période de préavis, des bénéfices qu'elle pouvait escompter tirer du maintien de ses relations avec sa partenaire doit être évalué à 100 000 euro ; que l'intimée ne justifie pas enfin que les frais ainsi que l'indemnité de licenciement octroyé à un salarié dont elle demande le remboursement ni la prétendue atteinte à son image de marque constitueraient un préjudice complémentaire également imputable au caractère brutal de la rupture ; qu'en conséquence, la cour, réformant le jugement déféré de ce seul chef, condamnera CBR a lui verser la somme de 100 000 euro à titre de dommages et intérêts;
Par ces motifs, substitués en tant que de besoin à ceux des premiers juges, Confirme le jugement entrepris sauf ce qu'il a condamné la société CBR à payer à la société Interm'Enzo la somme de 800 000 euro à titre de dommages et intérêts, Le réformant de ce seul chef, Condamne la société CBR à payer à la société Interm'Enzo la somme de 100 000 euro à titre de dommages et intérêts, Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Déboute la société et CBR et la société Interm'Enzo de leur demande au titre des frais irrépétibles d'appel, Déboute les parties de leurs autres demandes, Laisse à chaque partie la charge des dépens exposés en appel.