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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 16 novembre 2005, n° 05-07002

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

C&A Buying KG (Sté)

Défendeur :

Free (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Riffault-Silk

Conseillers :

MM. Roche, Byk

Avoués :

SCP Roblin-Chaix de Lavarene, SCP Narrat-Peytavi

Avocats :

Mes Sion, Bessis

T. com. Paris, du 16 nov. 2004

16 novembre 2004

De 1997 à l'année 2000 la société Free, créateur et fabricant d'articles de prêt à porter, a entretenu un courant affaires avec la société de droit allemand C&A Buying KG (ci-après désignée société C&A Buying) qui est la centrale d'achats de l'ensemble des magasins C&A. Aucune commande n'ayant été passée ensuite, la société Free a assigné sa cocontractante devant le Tribunal de commerce de Paris en paiement de la somme de 475 205 euro en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales, ainsi que de celle de 12 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par jugement contradictoire du 16 novembre 2004 assorti de l'exécution provisoire avec constitution d'une garantie bancaire, le tribunal a condamné la société C&A Buying à payer à la société Free 265 000 euro augmentés des intérêts au taux légal à compter du 17 septembre 2003, date de l'assignation, outre 4 000 euro pour ses frais irrépétibles.

Appelante, la société C&A Buying, dans ses conclusions signifiées le 20 septembre 2005, prie la cour d'infirmer le jugement entrepris en déboutant la société Free de toutes ses demandes, et subsidiairement d'évaluer le préjudice à la seule somme de 33 656 euro, enfin, de lui allouer 10 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Intimée, la société Free, dans ses conclusions signifiées le 19 septembre 2005 sollicite la confirmation du jugement déféré et formant appel incident sur le quantum du préjudice demande la condamnation de la société C&A Buying à lui verser une somme supplémentaire de 210 205 euro majorés des intérêts au taux légal à partir du 17 septembre 2003. Elle requiert aussi le versement de 20 000 euro de dommages et intérêts pour appel abusif, outre 12 000 euro au titre des frais irrépétibles d'appel.

Sur ce,

Sur l'application de l'article L. 422-6 5° du Code commerce

Considérant qu'aux termes de l'article susvisé "engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait par tout... commerçant de rompre brutalement, même partiellement une relation commerciale établie sans préavis écrit..."

Considérant que la société C&A Buying prétend que les dispositions de l'article L. 422-6 5° ne sont pas applicables aux faits de l'espèce aux motifs, d'une part, de l'absence de relations commerciales établies, le chiffre d'affaires réalisé par la société Free auprès de la société centrale d'achat ayant été "extrêmement aléatoire" et, d'autre part, de l'existence de justes motifs ayant fondé la cessation des relations commerciales, la fourniture de vêtements ne correspondant pas au style souhaité, outre des prix trop élevés;

Que toutefois, la société C&A Buying ne conteste pas l'existence de relations commerciales ayant duré près de quatre années consécutives, soit au moins sept collections successives ; que peu importe la variabilité du chiffre d'affaires dès lors que la société appelante s'était régulièrement approvisionnée auprès de la société Free; que de surcroît, la qualification de relations commerciales "établies" au sens de l'article susvisé n'est pas conditionnée par l'existence d'une durée minimum, ni par celle d'investissements effectués dans une perspective de développement des relations;

Qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les relations commerciales de l'espèce revêtent un caractère "établi" au sens de l'article susvisé et qu'il convient de confirmer le jugement sur ce point;

Considérant au surplus, que, contrairement à ce qu'affirme la société appelante, ledit article sanctionne la brutalité de la rupture des relations caractérisée par l'absence de préavis écrit et ce, en dépit de l'existence d'un juste motif, étant aux surplus observé qu'en l'espèce la société C&A Buying ne rapporte pas la preuve des griefs qu'elle allègue ; qu'il y a lieu de relever également qu'elle n'invoque pas, et à fortiori ne justifie pas, la présence d'un cas de force majeure, ni celle d'une inexécution par la société Free de ses obligations rendant impossible le maintien du lien contractuel;

Que la société C&A Buying ayant rompu brutalement, sans préavis écrit ni explication, les relations contractuelles avec la société intimée, il échet de confirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à réparer le préjudice subi de ce fait par sa cocontractante;

Sur l'évaluation du préjudice

Considérant que la société Free fonde sa demande en réparation sur une moyenne du chiffre d'affaires des deux dernières années, soit les années 1999 et 2000, et sollicite le paiement d'une somme supplémentaire de 210 205 euro, tandis que la société C&A Buying nie la réalité d'un préjudice et en tout état de cause fait valoir que seule la marge bénéficiaire doit être prise en compte en prenant la moyenne du chiffre d'affaires afférent à la durée totale des relations contractuelles;

Qu'il convient, d'abord, de relever que la société C&A Buying ne peut valablement soutenir l'absence de préjudice subi par la société Free au motif que cette dernière " n'était qu'un fournisseur parmi beaucoup d'autres et ne bénéficiait d'aucune exclusivité " ; que par suite ce moyen inopérant ne peut être que rejeté;

Que toutefois, en raison de la grande variabilité du chiffre d'affaires réalisé par la société Free afférent aux commandes de la société C&A Buying, l'évaluation du préjudice doit tenir compte de la moyenne du chiffre d'affaires réalisé non pas au cours des deux dernières années, la progression de celui-ci étant loin d'être acquise, mais durant toute la durée des relations contractuelles ; qu'au surplus, seul le préjudice réel devant être indemnisé, il y a lieu de le calculer en fonction de la seule perte de la marge bénéficiaire que la société Free pouvait escompter tirer du maintien des relations contractuelles, étant observé que les parties au litige ne contestent pas l'analyse des premiers juges qui ont retenu une durée de préavis égale à une collection ; qu'enfin, la société Free ne rapportant pas la preuve, qui lui incombe, d'une marge bénéficiaire de 28 % il convient de retenir le calcul précis et détaillé exposé par la société C&A Buying dans ses écritures, au demeurant non contesté utilement par la société Free, et que la cour fait sien; que par suite, il y lieu de réformer le jugement entrepris en ce qui concerne le quantum du préjudice et de fixer celui-ci à la somme de 33 656 euro;

Sur la demande indemnitaire présentée par la société Free

Considérant que la société Free sollicite 20 000 euro à titre de dommages et intérêts réparant le préjudice subi du fait du caractère abusif de l'appel interjeté par la société C&A Buying;

Que cependant, la société Free ne justifie pas de ce que la société appelante ait abusé de son droit à agir en justice, ni de l'effectivité du préjudice dont elle demande réparation; que dès lors, la société intimée ne peut être que déboutée de sa demande de dommages et intérêts peur procédure abusive;

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Considérant qu'il est équitable que chacune des parties conserve la charge de ses frais irrépétibles d'appel, la société C&A Buying étant condamnée aux dépens d'appel ;

Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qui concerne le montant de la condamnation principale ; Statuant à nouveau sur le seul chef du dispositif réformé, Fixe le préjudice subi par la société Free du fait de la rupture du contrat à 33 656 euro, Condamne la société C&A Buying à payer à la société Free 33 656 euro augmentés des intérêts au taux légal à compter du 17 septembre 2003, Y ajoutant, Déboute la société Free du surplus de ses demandes, Déboute les parties de leurs demandes respectives formées au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la société C&A Buying aux dépens d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Narrat Peytavi.