CA Poitiers, ch. soc., 7 août 2003, n° 02-00567
POITIERS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
BMINI (SA)
Défendeur :
Bouchaud
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dubois
Conseillers :
Mmes Feltz, Grandbarbe
Avocats :
Mes Valin, Redureau
Monsieur Bouchaud a été engagé le 2 juin 1999 par la société Bureau Moderne Informatique & Négoce Interprofessionnel (BMINI) en qualité de représentant; il a été licencié le 15 juillet 2000 pour motif économique et a adhéré le 8 septembre 2000 à une convention d'allocation spéciale du Fonds National de l'Emploi;
Par jugement du 23 janvier 2002, le Conseil des prud'hommes de Saintes, considérant que le licenciement n'avait pas de cause réelle et sérieuse, a condamné l'employeur à payer au salarié les sommes de 3 811,23 euro à titre de dommages et intérêts, 1 407,26 euro par mois pendant 24 mois en contrepartie de la clause de non-concurrence, et 762,25 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
La société BMINI a régulièrement interjeté appel de cette décision dont elle sollicite la réformation; elle entend voir débouter Monsieur Bouchaud de toutes ses demandes et réclame, outre les remboursement des sommes versées en exécution des décisions de justice intervenues, les sommes de 3 811,23 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et 15 000 F (?) sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Monsieur Bouchaud conclut à la confirmation du jugement entrepris mais entend voir ajouter aux sommes qui lui ont été allouées celles de 22 870 euro au titre de l'indemnité de clientèle et 2 500 euro au titre des frais irrépétibles d'appel;
Motifs
Sur le licenciement
Pour dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, le conseil des prud'hommes, après s'être livré à une analyse du comportement de chacune des parties au cours de l'exécution du contrat de travail, a relevé que le salarié avait dénoncé la convention FNE à laquelle il avait adhéré et a considéré que l'employeur ne prouvait pas l'existence d'un motif économique;
Cependant, il n'est pas contesté que le licenciement a été prononcé pour motif économique;
Par ailleurs, si après avoir adhéré à la convention FNE le 8 septembre 2000 Monsieur Bouchaud a écrit à la société BMINI le 2 octobre qu'après réflexion et renseignements pris il n'entendait pas bénéficier de ce dispositif il apparaît qu'en réalité il n'a pas ou pas pu dénoncer effectivement la convention, et sur question de la cour il a été précisé à l'audience qu'il a bien perçu les allocations spéciales jusqu'à l'âge de la retraite;
Il convient de rappeler que le salarié qui a adhéré à une convention AS-FNE ne peut remettre en discussion la régularité et la légitimité de la rupture de son contrat de travail, sauf fraude de l'employeur ou vice du consentement dont il lui appartient de rapporter la preuve;
Or, en l'espèce, non seulement Monsieur Bouchaud ne rapporte nullement une telle preuve, mais il résulte de ses propres écrits qu'il a été très "demandeur" de la conclusion de la convention FNE par la société BMINI, recueillant lui-même les renseignements nécessaires et fournissant à l'employeur les indications utiles ;
Dans ces conditions, c'est à tort et en se fondant sur des éléments indifférents à la cause que les premiers juges ont dit le licenciement abusif;
Il y a lieu, en conséquence, de réformer sur ce point le jugement entrepris et de débouter Monsieur Bouchaud de sa demande de dommages et intérêts;
Sur la contrepartie financière de la clause de non-concurrence
L'appelante soutient qu'au contraire de ce qu'a dit le conseil des prud'hommes la contrepartie financière de la clause de non-concurrence n'est pas due à Monsieur Bouchaud qui, en adhérant à la convention FNE, devait cesser toute activité et ne pouvait cumuler cette indemnité avec le revenu de substitution que constitue l'allocation FNE, ce pourquoi elle a précisé qu'elle renonçait à la clause de non-concurrence dès qu'elle a eu connaissance de l'adhésion du salarié à la convention; elle ajoute qu'en tout état de cause Monsieur Bouchaud a violé son obligation de non-concurrence en travaillant pour le compte des sociétés Adhexo et La Presqu'île aux Images;
Cependant, l'adhésion du salarié licencié pour motif économique à une convention de préretraite FNE, qui est postérieure au licenciement, n'a pas pour effet d'annuler celui-ci en sorte que le contrat de travail a bien été résilié par l'employeur; dès lors, la contrepartie de la clause de non-concurrence est due en vertu des dispositions de l'article 17 de l'Accord National Interprofessionnel des VRP du 3 octobre 1975 si l'employeur n'a pas prévenu le VRP par lettre recommandée avec accusé de réception dans les 15 jours de la notification de la rupture de son intention de dispenser l'intéressé de l'exécution de la clause, et si le salarié respecte son obligation de non-concurrence;
Or, en l'espèce, alors que le licenciement a été prononcé le 15 juillet 2000, c'est seulement le 13 octobre que pour la première fois la société BMINI a envisagé de " lever " la clause de non-concurrence;
Par ailleurs, l'employeur qui est tenu contractuellement et conventionnellement au paiement de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence, n'a pas qualité pour contester au salarié le droit de cumuler les sommes ainsi perçues avec d'autres revenus;
Il est également contradictoire de la part de l'appelante de se prévaloir d'une impossibilité pour Monsieur Bouchaud de reprendre une activité professionnelle à la suite de son adhésion à la convention FNE et de lui reprocher en même temps une violation de la clause de non-concurrence; sur ce point, force est de constater que la preuve d'une telle violation n'est nullement rapportée: aucune indication n'est fournie sur l'activité de la société la Presqu'île aux Images", dont rien ne permet de dire qu'elle ait employé Monsieur Bouchaud, et celui-ci ne conteste pas avoir été engagé le 18 juillet 2002 - ce dont il justifie - par la société Adrexo en qualité de distributeur de journaux et prospectus...
Dans ces conditions, c'est à bon droit que les premiers juges ont accueilli la demande de Monsieur Bouchaud, et ils ont exactement calculé la contrepartie financière de la clause de non-concurrence au vu des bulletins de salaire et des dispositions conventionnelles applicables;
Il y a lieu, en conséquence, de confirmer sur ce point le jugement entrepris;
Sur l'indemnité de clientèle
A juste titre, le conseil des prud'hommes a débouté Monsieur Bouchaud de sa demande de ce chef ;
Celui-ci affirme avoir apporté l'importante clientèle qu'il avait développée au service de son précédent employeur, et que si les objectifs assignés par la société BMINI étaient irréalisables et si son licenciement précipité ne lui a pas permis de recueillir les fruits de sa prospection, la société a pu profiter, dès son départ et à moindre frais, de son activité;
Cependant, outre que, comme le souligne la société BMINI, Monsieur Bouchaud avait déjà été indemnisé pour la perte de sa clientèle à la suite du redressement judiciaire de son précédent employeur, la société Presses du Massif Central, l'on observe à la lecture du courrier de l'administrateur judiciaire de cette société qu'il a perçu en réalité l'indemnité conventionnelle et l'indemnité spéciale de rupture, ce qui suppose qu'il avait renoncé au bénéfice de l'indemnité de clientèle et qu'il avait donc une idée beaucoup plus modeste qu'il ne le prétend aujourd'hui de l'importance de cette clientèle;
Cette appréciation est confortée par le fait que le contrat de travail ne fait aucune mention d'un apport de clientèle, élément pourtant déterminant pour un VRP sollicité par un nouvel employeur, comme prétend l'avoir été Monsieur Bouchaud;
Enfin, la faiblesse des résultats de Monsieur Bouchaud ne s'explique pas si, comme il l'affirme, il avait apporté une clientèle conséquente sur le secteur qui lui a été confié;
Sur ce point également, le jugement doit donc être confirmé;
La société BMINI sera déboutée de ses demandes reconventionnelles qui ne sont pas fondées, le droit de Monsieur Bouchaud à la contrepartie de la clause de non-concurrence étant admis, ce qui exclut tout caractère abusif de son action en justice;
Enfin, il est équitable de ne pas faire application en cause d'appel des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Par ces motifs, LA COUR, Réformant pour partie le jugement entrepris, Déboute Monsieur Bouchaud de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse; Confirme le jugement en ses autres dispositions; Déboute les parties de leurs autres demandes; Condamne Monsieur Bouchaud aux dépens d'appel;