CA Lyon, 3e ch. civ., 8 septembre 2005, n° 04-01046
LYON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Benichou
Défendeur :
Groupement social de gestion immobilière (GIE) ; Axiade Rhône-Alpes (SA) ; SIAL (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Martin
Conseillers :
M. Santelli, Mme Miret
Avoués :
SCP Junillon-Wicky, SCP Dutrievoz
Avocats :
SCP Dumont-Latour-Weckerlin, SCP Kohn, Associés
Faits, procédure et prétentions des parties
Le Groupement social de gestion immobilière (ci-après dénommé GSGI) est un GIE ayant pour activité l'administration d'immeubles résidentiels. Le GSGI était principalement mandataire de deux sociétés propriétaires de logements sociaux dans la Région Rhône-Alpes, la société Villeurbannaise d'HLM (ci-après dénommée SVHLM) et la société immobilière de l'agglomération lyonnaise (ci-après dénommée SIAL). Leurs parcs immobiliers respectifs étaient pour la SVHLM de 24 000 logements et pour la SIAL de 2 000 logements environ. De 1991 à 2002, Maître Gilbert Benichou, huissier de justice, a été le collaborateur attitré du GSGI et par conséquent de la SIAL et de la SVHLM pour le recouvrement des dettes locatives, l'établissement des états des lieux entrants et sortants et le contentieux de fixation des loyers.
Pour pallier l'annulation par le Conseil d'Etat le 5 mai 1999 de l'article 10 du décret du 11 décembre 1996, et en l'absence de dispositions textuelles, le GIE GSGI a conclu, le 6 juillet 1999, une convention d'honoraires pour une durée d'un an, renouvelable par tacite reconduction sauf résiliation unilatérale ou promulgation d'un nouveau texte d'ordre public prévoyant un honoraire supérieur à celui octroyé.
En septembre 2002, est née la SA d'HLM Axiade Rhône-Alpes (ci-après dénommé Axiade) de la fusion-absorption des sociétés d'HLM Logirel (près de 17 500 logements) et Villeurbannaise d'HLM. La société Axiade s'est substituée à la SVHLM au sein du GIE GSGI. A cette occasion, il est apparu que la méthode de recouvrement amiable mise en place par la société Logirel était moins coûteuse qu'un traitement contentieux. A l'issue de différentes réunions, la société Axiade a décidé de fonder son action de recouvrement des loyers sur des relances amiables en révisant ses procédures internes et en recrutant du personnel pour une mission de terrain. Dans le cadre de la restructuration des services chargés du recouvrement des loyers, l'utilité du GIE GSGI a été remise en cause en sa dissolution programmée. Le 23 octobre 2002, la société Axiade a convié Maître Benichou à une réunion au cours de laquelle lui ont été présentées les nouvelles orientations et lui a été annoncé que des relations a minima seraient maintenues jusqu'à décembre 2002. Par lettre du 25 octobre 2002, la société Axiade informait Maître Benichou qu'elle n'entendait pas lui confier de nouveaux dossiers. L'étude d'huissiers Joly & Millossi, étude collaborant avec la société Logirel, se voyait confier un volume similaire de dossiers, tandis que la société Axiade renonçait aux services d'autres huissiers comme Maître Denis ou Maître Laurent.
Maître Benichou se considérant victime d'une rupture brutale et non motivée de relation contractuelle, a rencontré les dirigeants de la société Axiade et à compter de février 2003, celle-ci lui confiait à nouveau quelques dossiers, avec l'intention de mettre fin en douceur à leur collaboration.
Par acte du 28 février 2003, Maître Benichou assignait devant le Tribunal de commerce de Lyon les sociétés Axiade et SIAL ainsi que le GIE GSGI aux fins d'obtenir leur condamnation à réparer le préjudice subi du fait de la rupture brutale et abusive de leurs relations.
Par jugement du 3 février 2004, le Tribunal de commerce de Lyon rejetait la demande d'expert formée par Maître Benichou, disait que la société Axiade n'avait commis aucune faute, disait que Maître Benichou, en vertu de son statut d'officier public ne pouvait prétendre à l'existence d'un contrat, et que la société Axiade pouvait le révoquer à tout moment, et déboutait Maître Benichou de l'ensemble de ses demandes.
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 13 février 2004, Maître Benichou a interjeté appel de ce jugement.
Vu l'article 455 alinéa 1er du nouveau Code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 98-1231 du 28 décembre 1998;
Vu les prétentions et les moyens développés par Maître Benichou dans ses conclusions récapitulatives en date du 19 avril 2005, tendant à obtenir la nullité du jugement entrepris, la condamnation solidaire des sociétés Axiade et SIAL ainsi que du GIE GSGI à lui verser la somme de 741 700 euro à titre de dommages-intérêts outre intérêts légaux à compter de l'assignation et capitalisation des intérêts, et subsidiairement la somme de 408 750 euro à titre de dommages-intérêts outre intérêts légaux à compter de l'assignation et capitalisation des intérêts, et en tout état de cause la condamnation solidaire des sociétés Axiade et SIAL ainsi que du GIE à lui verser chacun 5 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, aux motifs que le tribunal de commerce n'a pas respecté le principe du contradictoire, au fond qu'il y a eu rupture abusive de relations commerciales établies, qu'il a subi un préjudice considérable de ce fait;
Vu les prétentions et les moyens développés par la société Axiade, la SIAL et le GIE GSGI dans leurs conclusions récapitulatives en date du 26 mai 2005, tendant à obtenir la confirmation du jugement entrepris outre 10 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, aux motifs que le fond du litige a été abordé et que le principe du contradictoire a été respecté, qu'il n'y avait ni relation contractuelle, ni relation commerciale avec Maître Benichou, subsidiairement qu'ils disposent du libre choix et de la liberté de révocation de leur mandataire, que les prétendues pertes de Maître Benichou leur sont inopposables;
Motifs de la décision
Sur la nullité du jugement
L'assignation délivrée par Maître Benichou aux sociétés Axiade, SIAL et au GIE GSGI tendait à la réparation d'un préjudice subi du fait d'une rupture brutale de relations contractuelles, ce préjudice ayant dès l'origine été évalué à la somme de 705 800 euro. Le litige était clairement exposé et la mise en état a donné lieu à l'échange de plusieurs jeux de conclusions au fond. Aux termes du jugement, il apparaît que le fond du litige a été intégralement abordé, comme les abondantes conclusions échangées en première instance le confirment, malgré le caractère oral de la procédure. Les parties ont été toutes deux représentées à l'audience ce qui permettait a fortiori le respect du principe du contradictoire. Il est constant, en outre, que la question de la demande de production forcée formée par Maître Benichou était indissociable du fond de l'affaire. En effet, il s'agissait de la communication d'un rapport d'audit de fusion, dont la société Axiade conteste l'existence et qui est une pièce, à supposer qu'elle existe, interne au groupement. Le fait d'accéder à la demande de Maître Benichou entraînait nécessairement une prise de position sur la liberté de choix et de révocation d'un mandataire. Les premiers juges ont d'ailleurs statué sur la demande subsidiaire d'expertise qui, comme la production du rapport d'audit, était destinée à établir la justification ou l'absence de justification des choix de la société Axiade. Il a donc bien été débattu de l'affaire au fond dans le respect du principe du contradictoire.
La demande de nullité du jugement doit par conséquent être rejetée.
Sur la rupture brutale et abusive d'une relation contractuelle établie
La demande de Maître Benichou est expressément fondée sur l'article L. 442-6-1 5° du Code de commerce aux termes duquel s'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, la fait, pour tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au Répertoire des Métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit à l'encontre de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce, par des accords inter-professionnels." Contrairement à ce qu'affirme Maître Benichou, un huissier de justice, officier ministériel, bénéficiant d'un monopole conféré par l'Etat, titulaire d'une charge, soumis à une tarification en partie imposée par la loi, ne saurait prétendre accomplir des actes de commerce, quand bien même il s'agirait de "prestations de services", ce qui ne change ni le statut spécifique dont bénéficient les huissiers de justice, ni la nature des actes qu'ils accomplissent, par définition de nature civile. Il est constant que le texte précité a pour but de sanctionner les abus dans un secteur où le principe fondamental est celui de la liberté. Précis, il vise expressément les personnes auxquelles le texte est applicable et il est d'interprétation stricte comme tous les textes dérogatoires. Il n'est en aucun cas applicable à un huissier de justice qui n'est pas un agent de recouvrement privé, susceptible de nouer une relation commerciale par le biais d'un contrat de prestation de service.
Surabondamment, et sans qu'il soit nécessaire de répondre à tous les moyens, il doit être observé que, pour les mêmes raisons, la nature contractuelle des relations n'est pas établie. L'huissier est un auxiliaire de justice mandaté pour accomplir un acte particulier et tarifé, peu important que l'acte se répète compte tenu de la nature de l'activité du mandant. Il est constant que la convention d'honoraires conclue pour une durée limité et seulement à compter de juillet 1999 alors que Maître Benichou intervenait depuis 1991, a été dictée par l'annulation, par le Conseil d'Etat, de l'article 10 du décret du 11 décembre 1996 pour permettre la rémunération de l'huissier instrumentaire.
Dès lors Maître Benichou doit être débouté de l'intégralité de ses demandes et la décision entreprise doit être confirmée.
Sur les frais et les dépens
L'équité commande que la totalité des frais irrépétibles ne soit laissée à la charge des intimés, il leur sera alloué 2 000 euro chacune à ce titre.
Maître Benichou, qui succombe en ses demandes sera condamné aux dépens.
Par ces motifs, LA COUR, Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions; Condamne Maître Benichou à verser 2 000 euro à chacun des intimés, la société Axiade Rhône Alpes, la société immobilière de l'agglomération lyonnaise et le GIE Groupement social de gestion immobilière; Condamne Maître Benichou aux dépens, qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile, par la SCP Dutrievoz, avoués.