CA Paris, 5e ch. A, 14 septembre 2005, n° 04-06387
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
GD (SA)
Défendeur :
Suzuki France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riffault-Silk
Conseillers :
M. Roche, Mme Kermina
Avoués :
SCP Fanet-Serra-Ghidini, SCP Baskal Chalut-Natal
Avocats :
Mes Castellote, Karsenty-Ricard
Par un contrat de concession du 30 septembre 1996 consenti pour une durée indéterminée, la SA Suzuki France (ci-après la société Suzuki) a confié à la SA GD la distribution des véhicules automobiles de sa marque dans le département de l'Oise.
Les parties ont convenu, sous l'article XV du contrat, intitulé "résiliation", que :
" Suzuki France pourra résilier le présent contrat moyennant un préavis d'un an en cas de besoin réel de réorganiser l'ensemble ou une partie substantielle de son réseau.
" Suzuki France pourra résilier le présent contrat immédiatement de plein droit sans préavis un mois après mise en demeure restée infructueuse, délai réduit à 15 jours en cas de manquement à l'obligation de paiement, en cas de manquement du concessionnaire à l'une de ses obligations essentielles ; il en est notamment ainsi; et sans que cette énumération soit limitative :
- (...)
- au cas où surviendrait un événement de nature à modifier la répartition du capital social, un changement dans la personnalité, soit de l'un des associés de la société possédant une port notable du capital soit de l'un des dirigeants effectifs, administrateurs, gérants ou principaux responsables, ou de cession de fonds de commerce, sans l'accord préalable de Suzuki France. (...)".
Selon l'article XIV du contrat, " chaque partie pourra y mettre fin en respectant un préavis de 2 ans par LRAR, sans avoir à motiver les raisons de sa résiliation, ni à verser une quelconque indemnité pour quelque raison que ce soit, cette clause étant réputée par les parties essentielle à leur accord", ladite période de préavis étant réduite à un an " pendant la première durée convenue de l'accord [qui] est de deux ans" ;
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 30 novembre 2000, la société Suzuki a informé la société GD de ce que, prenant acte du souhait du dirigeant de l'entreprise, M. Dechaut, de la céder à la société DDG Automobiles à l'occasion de son départ à la retraite, la société Suzuki ne donnait pas son agrément à l'acquéreur pressenti et invitait son cocontractant à lui présenter une nouvelle candidature.
Le 1er juin 2001, M. Dechaut informait par lettre la société Suzuki qu'il quittait ses fonctions, que le nouveau dirigeant était M. Desjardins et que " la répartition du capital de GD SA se trou(vait) modifiée de fait ".
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 26 juin 2001, la société Suzuki notifiait à la société GD son exclusion du réseau des concessionnaires Suzuki.
Le 19 octobre 2001, la société Suzuki, invoquant son souhait de "trouver un terrain d'entente", proposait à la société GD de prolonger les relations contractuelles durant un an afin de lui permettre de trouver un autre fournisseur et qu'à défaut de réponse "satisfaisante", elle considérerait le contrat résilié du fait de la société GD.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 11 décembre 2001, la société Suzuki notifiait à la société GD qu'à défaut de réponse sous huitaine à sa proposition, elle prendrait les mesures consécutives à la résiliation (du) contrat".
Se fondant sur la violation de l'article 1134 du Code civil, la société GD a, par acte d'huissier de justice du 3 avril 2002, assigné la société Suzuki devant le Tribunal de grande instance de Paris en paiement de 182 964, 73 euro.
Par jugement du 27 novembre 2003, le tribunal de grande instance saisi a débouté la société GD "de toutes ses demandes", a débouté la société Suzuki de sa demande reconventionnelle et a condamné la société GD à payer 1 500 euro à la société Suzuki au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Appelante, la société GD demande à la cour, par conclusions signifiées le 2 mars 2005, de condamner avec exécution provisoire la société Suzuki à lui payer 182 964,73 euro avec intérêt au taux légal à compter du 26 juin 2001, date de la résiliation du contrat, et lui allouer 3 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Intimée, la société Suzuki conclut à la confirmation du jugement sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande reconventionnelle et, formant appel incident, demande la condamnation de la société GD à lui payer 8 000 euro en réparation du dommage que lui a causé son attitude et 4 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur ce,
Sur la demande principale de la société GD
Considérant que les parties tiennent pour fait constant que M. Desjardins est le dirigeant de la société DDG Automobiles au profit de laquelle s'est trouvée modifiée la répartition du capital social de la société GD;
Considérant que la société GD soutient que la rupture du contrat de concession, intervenue le 26 juin 2001 à l'initiative de la société Suzuki, est abusive dans la mesure où, en violation des stipulations contractuelles, elle n'a pas notifié de mise en demeure préalable, et où elle n'a pas laissé aux nouveaux dirigeants le temps de faire leurs preuves alors que très rapidement un nouveau concessionnaire Suzuki s'est installé sur le même territoire;
Considérant que la société Suzuki fait valoir qu'elle n'avait pas à respecter le formalisme de la mise en demeure dès lors que la rupture était imputable à la société GD à laquelle l'agrément de la société DDG Automobiles avait déjà été refusé six mois auparavant; qu'elle ajoute que la société GD n'avait pas l'intention de poursuivre les relations contractuelles comme l'a démontré son refus de donner suite à la proposition de la société Suzuki de prolonger le contrat et déclare que la société GD ne justifie pas subir un préjudice;
Considérant qu'il résulte des énonciations non ambiguës de l'article XV du contrat stipulant une clause de résiliation au profit de la société Suzuki que celle-ci ne pouvait s'en prévaloir sans préciser un mois auparavant au concessionnaire (s'agissant d'un manquement autre que le défaut de paiement) la nature du manquement et le délai dont il disposait pour y mettre fin ; que le courrier adressé le 30 novembre 2000 par lequel la société Suzuki faisait connaître son refus d'agréer le candidat présenté par la société GD ne constitue pas une mise en demeure au sens de cet article;
Qu'il s'ensuit que le défaut de mise en demeure préalable rend à lui seul nécessairement abusive la rupture du contrat aux torts de la société Suzuki;
Considérant, dès lors que la société GD aurait dû bénéficier d'un préavis de deux ans, conformément aux dispositions de l'article XIV du contrat, l'offre qui lui a été faite par le concédant par courrier du 19 octobre 2001, postérieurement à la rupture, ne pouvant être prise en compte, aucun élément ne venant établir qu'elle ait été acceptée ; qu'ainsi la demande de l'appelant tendant à être indemnisée de son " préjudice " du fait du non-respect de l'article XV et demandant "une stricte application du contrat" doit être regardée comme une demande d'application des clauses sus-rappelées;
Mais considérant que la société GD, qui demande une somme en principal de 182 964,73 euro, et se borne à verser au soutien de ses prétentions l'estimation d'un expert-comptable proposant " en considérant que l'objectif du contrat aurait été atteint" de chiffrer "sa perte économique" au multiple de cet objectif de vente (80 véhicules neufs par an) par la marge réalisée en moyenne sur la vente d'un véhicule neuf Suzuki pendant la même période, en y ajoutant la prime de volume prévue par véhicule neuf vendu, n'apporte aucun élément sur le chiffre d'affaires effectivement réalisé par elle au cours de la période précédant la résiliation, ses comptes n'étant pas produits;
Que si ce courrier fait état sans contestation de l'intimée d'une marge de 15 083,31 euro (98 940 F) réalisée sur la vente de 20 véhicules d'occasion Suzuki au cours des 20 derniers mois soit 18 099,97 euro (118 728 F) pour 2 ans, d'une marge de 18 865,57 euro (123 750 F) réalisée sur la vente de pièces détachées et d'accessoires et d'un chiffre d'affaires pour les activités d'atelier pour l'entretien et la réparation des véhicules Suzuki de 34 910,82 euro (229 000 F) "selon le compte de résultat du 30 septembre 2000", sans indication d'aucune marge, l'existence d'un stock de pièces Suzuki estimé à 27 440,82 euro (180 000 F) sans aucune pièce justificative, n'est pas établie ; qu'il y a lieu en définitive, compte tenu de ces divers éléments, de fixer à 40 000 euro l'indemnité de préavis due par la société Suzuki ; que cette somme sera augmentée d'intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 3 avril 2002;
Sur la demande de dommages et intérêts de la société Suzuki
Considérant que la société Suzuki ne démontre pas que la société GD ait abusé de son droit d'ester en justice ni que son attitude ait perturbé, comme elle le prétend, le bon fonctionnement du réseau de distribution Suzuki ; qu'elle sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts, le jugement étant sur ce point confirmé;
Sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
Considérant qu'il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au profit de la société Suzuki ; qu'en revanche, il sera alloué une indemnité de ce chef en cause d'appel à la société GD dans les termes du dispositif ci-après;
Considérant qu'il n'y a pas lieu à exécution provisoire, l'arrêt étant de plein droit exécutoire;
Par ces motifs, Infirme le jugement entrepris dans toutes ses dispositions, à l'exception de celles déboutant la SA Suzuki France de sa demande de dommages et intérêts, Statuant à nouveau sur les chefs du dispositif réformés. Condamne la société Suzuki France à payer à la SA GD 40 000 euro à titre d'indemnité compensatrice de son préavis, avec intérêts au taux légal à compter du 3 avril 2002, Condamne la SA Suzuki France à payer à la SA GD 40 000 euro à titre d'indemnité de préavis avec intérêts au taux légal à compter du 3 avril 2002, Y ajoutant, Déboute la SA Suzuki France de ses demandes et la société GD du surplus des siennes, Condamne la SA Suzuki France à payer à la SA GD 2 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la SA Suzuki France aux dépens qui seront recouvrés directement par la SCP Fanet Serra Ghidini, avoué, conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.