CA Paris, 5e ch. A, 21 septembre 2005, n° 03-11951
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Institut Esthederm (SAS)
Défendeur :
Montheil
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riffault-Silk
Conseillers :
M. Roche, Mme Kermina
Avoués :
SCP Arnaudy-Baechlin, Me Buret
Avocats :
Mes Jacquier, Saulais
Par acte sous seing privé en date du 20 janvier 1996 la société Esthederm a conclu avec Mme Montheil, laquelle était propriétaire d'un fonds de commerce de produits et soins d'esthétique sis 19 boulevard Albert 1er à Antibes (06600), un contrat de franchise libre pour une durée d'une année à compter du 1er janvier 1996 et renouvelable par tacite reconduction d'année en année.
En vertu de ce contrat la société Esthederm s'engageait à fournir son franchisé en produits de soins de sa marque moyennant leur commercialisation dans des conditions spécifiques.
Excipant de différents impayés de la part de Mme Montheil caractérisés par le retour d'effets partiellement honorés malgré les courriers et mises en demeure adressés à cet effet, la société Esthederm a, courant novembre 1999, interrompu ses livraisons à l'intéressée en l'attente du complet règlement de ses fournitures.
Estimant cependant que la cessation unilatérale de la fourniture par la société Esthederm de ses produits constituait une résiliation irrégulière du contrat de franchise les liant, Mme Montheil a, par acte du 12 novembre 2001, assigné l'intéressée devant le Tribunal de commerce de Paris en paiement de dommages-intérêts au titre de son préjudice financier et moral.
La société Esthederm a, reconventionnellement, sollicité le paiement d'un solde de factures de 874,91 euro outre l'indemnisation du préjudice causé par la demanderesse, laquelle est, selon elle, à l'origine de la rupture litigieuse du contrat de franchise.
Par jugement du 26 mars 2003 le tribunal saisi a estimé que la résiliation du contrat de franchise était intervenue à l'initiative de la société Esthederm et n'avait pas respecté la procédure prévue à cet effet et a, en conséquence, condamné la défenderesse à payer à Mme Montheil la somme de 10 000 euro au titre de son préjudice financier et moral, cette dernière se devant, en revanche, de régler à son franchiseur la somme réclamée par ce dernier de 874,91 euro.
Régulièrement appelante, la société Institut Esthederm a, par conclusions enregistrées le 13 juin 2005, prié la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il condamne Mme Montheil au paiement de la somme de 874,91 euro au titre de factures impayées.
- l'infirmer en ce qu'il l'a condamnée au paiement de la somme de 10 000 euro à titre de dommages-intérêts ainsi que de celle de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
et statuant à nouveau de ces chefs,
- débouter Mme Montheil de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions,
- condamner cette dernière à lui payer la somme de 5 000 euro en réparation de son préjudice financier,
- condamner également l'intéressée aux dépens ainsi qu'au versement de la somme de 2 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par conclusions enregistrées le 7 juin 2005 Mme Montheil a prié, pour sa part, la cour de :
- réformer le jugement entrepris, et statuant à nouveau,
- condamner la société Institut Esthederm à lui verser la somme de 30 490 euro en réparation de son préjudice financier ainsi qu'à reprendre le stock qui se trouve toujours en sa possession, et ce, sans aucun abattement par rapport au prix d'achat,
- condamner la société Institut Esthederm aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 2 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur ce
Considérant qu'aux termes de l'article 1131 du Code civil "l'obligation sans cause ou sur une fausse cause ou sur une cause illicite ne peut avoir aucun effet" ; qu'en application de ces dispositions, dans les contrats synallagmatiques, l'obligation de chaque contractant trouvant sa cause dans l'obligation, envisagée par lui comme devant être effectivement exécutée, de l'autre contractant, cette cause fait défaut quand la promesse de l'une des parties n'est pas exécutée ; que, de même, l'article 1612 dudit Code énonce que "le vendeur n'est pas tenu de délivrer la chose si l'acheteur n'en paye pas le prix et que le vendeur ne lui ait pas accordé un délai pour le paiement";
Considérant, par ailleurs, que l'article 6 alinéa 6 du contrat de franchise stipule expressément que " les conditions de cession des produits sont conformes à celles qui sont précisées sur les bons de commande en vigueur "; que les conditions générales de vente figurant au dos de ceux-ci, et annexées en outre au contrat de franchise, prévoient que "toute commande de produits de la marque Institut Esthederm emporte acceptation, sans réserve, des présentes conditions générales de vente" ; que l'article V-5 de ces dernières prévoit notamment que "tout retard de paiement entraîne automatiquement et sans mise en demeure l'application d'intérêts de retard ... sans préjudice pour Institut Esthederm sa filiale ou son concessionnaire, de suspendre la livraison de toutes les commandes en cours...";
Considérant, en l'espèce, qu'ainsi qu'il a été ci-dessus rappelé la société Institut Esthederm a souffert depuis octobre 1999 de multiples impayés de la part de Mme Montheil, laquelle reconnaît elle-même dans ses écritures " la tardiveté de ses règlements " même si elle l'impute à "l'obstination" de l'appelante qui aurait " refusé pendant plusieurs mois de reconnaître ses manquements contractuels " ; que le décompte versé aux débats et non utilement contesté démontre la réalité d'un solde débiteur de l'intimée au 7 octobre 1999 de 3 966 F du fait du retour d'une traite de ce montant venant à échéance au 30 septembre précédent et restée non honorée ; qu'ultérieurement le montant des impayés devait s'élever à 5 739,01 F soit 874,91 euro ; que, dans ces conditions, en décidant, après avoir multiplié les lettres de relance et les mises en demeure, de suspendre ses livraisons de produits à sa franchisée la société Institut Esthederm n'a fait que mettre en œuvre les stipulations contractuelles précitées, elles-mêmes n'étant que la traduction sur le plan conventionnel des articles susmentionnés du Code civil et du principe de l'interdépendance des obligations réciproques résultant d'un contrat synallagmatique, lequel donne le droit à l'une des parties de ne pas exécuter son obligation quand l'autre n'exécute pas la sienne ; que, par suite, et contrairement aux énonciations du jugement déféré, aucune résiliation du contrat de franchise n'est intervenue à l'initiative de l'appelante, laquelle avait, au demeurant, dans un courrier daté du 3 octobre 2000, indiqué que " si l'institut Montheil acceptait de régler ses arriérés et de rentrer dans un processus normal de règlement avec notre société nous serions tout à fait disposés à reprendre une activité avec ce point de vente dans l'esprit du contrat qui nous a toujours habité" ; que, dès lors, Mme Montheil n'est fondée ni à reprocher à la société Institut Esthederm une quelconque résiliation de sa part de la convention de franchise souscrite ni à solliciter à ce titre l'octroi de dommages-intérêts ou la reprise des stocks de produits dont elle disposait; qu'en revanche, il convient de relever que dans une lettre du 19 septembre 2000 l'intimée déclarait elle-même, par l'intermédiaire du cabinet Juridica, vouloir "mettre un terme à cette affaire" en cas de reprise, sans pénalité, du stock de produits en sa possession et de versement d'une indemnité en réparation du préjudice qu'elle aurait subi ; que les parties n'ayant pu parvenir à un accord sur ces exigences, Mme Montheil a pris alors l'initiative d'assigner la société Institut Esthederm afin qu'elle soit indemnisée de la " rupture brutale " des relations commerciales qu'elle reprochait à cette dernière alors pourtant que l'énoncé des circonstances de fait et de droit susrappelées révèle que cette résiliation n'est imputable qu'à elle-même, et ce sans qu'elle même ne justifie de l'existence d'un motif contractuel de rupture ou du respect de la procédure prévue pour ce faire en cas de "défaut constaté" au sens de l'article 5 de la convention de franchise; que, dans ces conditions, Mme Montheil doit être regardée comme ayant engagé, à la suite de la résiliation unilatérale intervenue à son initiative, sa responsabilité contractuelle à l'égard de la société Institut Esthederm, laquelle a perdu la possibilité de poursuivre la distribution de ses produits au travers de la convention de franchise irrégulièrement rompue ; qu'au regard du volume d'affaires généré jusqu'alors par celle-ci et de la marge bénéficiaire lui revenant il sera fait une juste appréciation du préjudice subi de ce chef en l'évaluant à la somme de 2 000 euro;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné Mme Montheil au paiement de la somme de 874,91 euro au titre des factures impayées sauf à dire que la condamnation est prononcée en deniers ou quittances valables compte tenu des affirmations de l'intéressée déclarant s'en être d'ores et déjà acquittée le 23 mai 2000, de l'infirmer pour le surplus, et statuant à nouveau, de débouter Mme Montheil de l'ensemble de ses prétentions et de la condamner en revanche à payer à la société Institut Esthederm la somme de 2 000 euro à titre de dommages-intérêts;
Sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
Considérant que l'équité commande dans les circonstances de l'espèce de condamner Mme Montheil à verser à l'appelante la somme de 1 500 euro au titre des frais hors dépens;
Par ces motifs, Reçoit les appels principal et incident jugés réguliers en la forme, Au fond, confirme le jugement en ce qu'il a condamné Mme Montheil au paiement de la somme de 874,91 euro au titre des factures impayées sauf à dire que la condamnation est prononcée en deniers ou quittances valables, L'infirme pour le surplus. Et statuant à nouveau. Déboute Mme Montheil de l'ensemble de ses prétentions, La condamne à payer à la société Institut Esthederm la somme de 2 000 euro à titre de dommages-intérêts, Condamne Mme Montheil aux entiers dépens de première instance et d'appel avec, pour ces derniers, droit de recouvrement direct au profit de la SCP Arnaudy et Baechlin, avoué, La condamne aussi à payer à la société Institut Esthederm la somme de 1 500 euro au titre des frais hors dépens.