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Décisions

CA Caen, 1re ch. sect. civ. et com., 3 novembre 2005, n° 04-03075

CAEN

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Ebel

Défendeur :

Quesnel ; Alliance 3000 (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Fevre

Conseillers :

Mmes Holman, Boissel Dombreval

Avoués :

SCP Dupas-Trautvetter Ygouf Balavoine Levasseur, SCP Grandsard Delcourt

Avocats :

Mes Delot, Guesdon

T. com. Caen, du 21 janv. 2004

21 janvier 2004

LA COUR,

Vu le jugement du Tribunal de commerce de Caen du 21 janvier 2004 qui a condamné Mme Sylviane Ebel à payer à Mme Marie-France Quesnel 2 461,23 euro correspondant aux redevances d'un contrat de franchise ou de "concession" de marque impayées et l'indemnité de préavis majorée de 10 % par mois de retard, a condamné Mme Ebel sous astreinte à restituer à Mme Quesnel l'enseigne et matériels publicitaires et tous documents remis à l'occasion du contrat, à faire disparaître toute référence directe ou indirecte au réseau et à ne pas concurrencer directement ou indirectement le concédant ni le nouveau concessionnaire désigné dans le secteur dont dépend Mme Ebel, a dit que Mme Ebel devait respecter la clause de non-concurrence insérée au contrat de concession, accordé à Mme Quesnel 3 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ordonné l'exécution provisoire;

Vu l'appel de Mme Sylviane Ebel et ses conclusions du 8 août 2005 par lesquelles elle demande à la cour d'ordonner l'annulation ou au moins la résolution du contrat du 22 avril 2002 aux torts de Mme Quesnel, dire que cette dernière devra lui rembourser la somme de 5 727 euro perçue au titre de ce contrat, dire nulle la clause de non-concurrence prévue au contrat ; débouter Mme Quesnel de ses demandes, la condamner à lui payer les sommes de 43 905,32 euro au titre de son préjudice professionnel, 4 573,47 euro pour préjudice moral, 6 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Vu les conclusions du 28 juin 2005 de Mme Marie-France Quesnel qui demande la confirmation du jugement et 800 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Attendu que c'est à juste titre que Mme Ebel fait valoir que la clause de non-concurrence ne répond pas aux conditions légales, est contraire aux libertés individuelles et au principe de la libre concurrence ; que l'article 10 du contrat stipule qu'en cas de rupture le concessionnaire devra "ne pas concurrencer directement ou indirectement le concédant ou le nouveau concessionnaire désigné dans le "secteur" en s'affiliant à un autre réseau concurrent ou en commercialisant des services similaires à ceux visés au présent contrat" (le courtage matrimonial) ; que cette clause ne comporte aucune limitation dans le temps ; que le "territoire concédé" est défini à l'article 2 comme le secteur géographique défini entre les parties et "dont la délimitation figure sur la carte annexée au présent contrat" mais qu'il n'apparaît pas qu'une telle carte y ait été annexée; que le "réseau" exploité par Mme Quesnel sous l'enseigne "Alliance 3000" comprenait selon elle, outre apparemment l'agence du Calvados, deux agences à Mulhouse et une au Mans ; que le "secteur" de l'agence exploité à Lunéville par Mme Ebel était en fait indéterminé ; que la clause n'était pas déterminée dans l'espace ; que l'appelante remarque que rien ne démontre "qu'Alliance 3000" ait jamais eu antérieurement une activité dans la région de Lunéville ; que la clause ne protège aucun intérêt légitime ; qu'elle doit être annulée;

Attendu que l'appelante invoque les articles 1116, 1134 et 1382 du Code civil, L. 330-3 du Code de commerce et 1er du décret du 4 avril 1991; qu'elle soutient que Mme Quesnel ne lui a pas remis les documents d'information précontractuels vingt jours avant l'engagement, qu'aucune présentation de l'état général et local du marché ne lui a été faite, qu'aucun élément préalablement à la signature du contrat, ne lui a été fourni lui permettant d'avoir une vue objective du savoir-faire original et compétitif du concédant par rapport à celui des autres concédants et aux agences indépendantes;

Attendu que le contrat n'a été que partiellement exécuté ; que Quesnel en demande l'exécution et réclame des sommes à ce titre ; que Mme Ebel est recevable à en demander la nullité;

Attendu que Mme Quesnel soutient qu'elle n'avait qu'une obligation de moyens ; qu'elle ne pouvait certes garantir les résultats de Mme Ebel et la rentabilité de son activité ; mais qu'elle avait l'obligation de respecter les dispositions d'ordre public de l'article L. 330-3 du Code de commerce et de son décret d'application ; qu'elle fait valoir qu'elle a annexé à une lettre du 11 janvier 2002, antérieure de plus de vingt jours à la signature du contrat le 22 avril 2002, un exemplaire du contrat et divers documents ; qu'il s'agissait d'un document indiquant succinctement le contenu de la formation et les "tarifs", une fiche baptisée "étude de marché" mais ne contenant que des "statistiques INSEE datant du mois de mars 1999" relatives à la composition globale de la population française par âge, sexe et situation de famille, une fiche de neuf lignes intitulée "outils mis à votre disposition" et un "document d'entente préalable" ne donnant comme éléments concrets en ce qui concerne "Alliance 3000" que ses activités "Agence matrimoniale", club de rencontre, son statut d'entreprise individuelle, le nom de son dirigeant Marie-France Quesnel, sa domiciliation bancaire "La Poste Rouen", sa création le 31 novembre 1999 comme agence matrimoniale et la mise en place en juillet 2000 d'un "réseau club de rencontres" ; qu'aucun document comptable n'était joint, aucune information économique ni concernant la présence de concurrents en tel ou tel lieu, aucune présentation du réseau, aucune indication des coordonnées des entreprises dudit réseau ; que ces carences ont eu pour effet de vicier le consentement de Mme Ebel ; qu'en effet l'absence de tout renseignement économique sérieux, de toute étude de marché ont empêché Mme Ebel de faire toute prévision utile sur la rentabilité de l'entreprise; que l'absence de présentation du "réseau" l'ont empêchée d'en apprécier l'importance, en fait l'extrême faiblesse, et le peu de valeur de la marque concédée ; que les documents joints à la lettre et au projet de contrat, qui n'avaient aucune utilité réelle, étaient destinés à donner à la prétendue franchise ou concession une apparence de sérieux ; qu'au surplus il résulte du contenu du dossier "concession" que la "formation", petites annonces, modèles de publicité, indication du fonctionnement d'une base de données, était élémentaire et peu spécifique que les sommes versées au concédant n'avaient pas de contrepartie réelle ; que le contrat de "concession" doit être annulé ; que les parties devant être replacées en l'état antérieur, les sommes versées par Mme Ebel en exécution du contrat doivent lui être remboursées ; qu'il n'y a pas de contestation entre les parties sur le montant de ces sommes ;

Attendu qu'en dépit du manque d'information économique dont a bénéficié Mme Ebel et de l'absence de contrepartie effective aux versements effectués à Mme Quesnel, elle conservait la responsabilité de son entreprise, l'autonomie de sa gestion et la possibilité de la rentabiliser; qu'il n'est en tout cas pas démontré que cette rentabilité était impossible ; qu'aucun lien de causalité directe n'est établi entre les fautes de Mme Quesnel et les pertes ou le "manque à gagner", de Mme Ebel et donc le préjudice moral y afférent ; que c'est Mme Ebel qui avait la maîtrise de ses décisions en matière d'emprunt comme pour les autres aspects de la gestion ; que la cour ne peut faire droit aux demandes de dommages et intérêts de Mme Ebel;

Attendu que chaque partie triomphant et succombant partiellement, il est équitable de laisser à chacune d'elles la charge des frais irrépétibles et dépens de première instance et d'appel qu'elles ont engagés.

Par ces motifs - Infirme le jugement entrepris; - Dit nuls la clause de non-concurrence et le contrat de concession conclu le 22 avril 2002 entre Mmes Marie-France Quesnel et Sylviane Ebel; - Condamne Marie-France Quesnel à rembourser Mme Sylviane Ebel la somme de 5 727 euro; - Déboute les parties de leurs autres demandes - Laisse à chacune d'elles la charge des dépens de première instance et d'appel qu'elles ont engagés.