CA Lyon, 3e ch. civ., 24 novembre 2005, n° 03-07218
LYON
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Dalkia Facilities Management (SA)
Défendeur :
Permi (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Robert
Conseillers :
M. Santelli, Mme Clozel-Truche
Avoués :
Me de Fourcroy, SCP Junillon-Wicky
Avocats :
Me Carreu, Cabinet Lamy Lexel
Eléments constants et procédure :
La société Dalkia Facilities Management, filiale de la société Dalkia, est spécialisée notamment dans l'entretien, la maintenance et l'ingénierie d'exploitation des installations de services et de production industrielle.
Après divers pourparlers, elle a signé le 4 décembre 2000 avec la société des Laboratoires Aguettant un contrat de prestation de services d'une durée de cinq années à compter du 1er décembre 2000, portant sur diverses installations et équipements des deux usines de cette société situées à Lyon et à Champagne (Ardèche). Ce contrat a été résilié avant son terme par le laboratoire Aguettant le 18 juillet 2002, pour le 1er septembre suivant, au motif de fautes ou d'insuffisances imputées au prestataire de services.
En vue de l'exécution d'une partie des prestations lui incombant, la société Dalkia Facilities Management (dite ci-après Dalkia) a recouru aux services de la société Permi avec laquelle, au cours de l'année 2000, elle avait entretenu des pourparlers afin d'envisager la sous-traitance de certaines des prestations, notamment de maintenance, confiées par les laboratoires Aguettant.
La société Permi a démarré sa collaboration dès la première période d'exécution du marché Dalkia Aguettant, établissant sa première facture mensuelle le 31 janvier 2001 pour un montant de 22 105,11 euro hors taxes, correspondant au 12e du forfait annuel envisagé avec la société Dalkia (1 740 000 F HT). Toutefois, et malgré l'établissement d'une proposition de contrat de maintenance par la société Permi en juin 2001, aucune convention n'a été signée entre les parties, en raison de désaccords persistants sur le poste " pièces détachées ".
Par lettre du 26 mars 2002, la société Dalkia a notifié à la société Permi sa décision de ne plus lui confier de travaux au titre du chantier Aguettant à partir du 31 mars suivant. Estimant qu'il s'agissait là d'une rupture brutale et dommageable de leurs relations contractuelles, la société Permi a assigné le 4 juin 2002 la société Dalkia devant le Tribunal de commerce de Lyon qui, par jugement du 2 octobre 2003 a, pour principales dispositions :
- retenu la nature contractuelle partielle des relations existantes entre les sociétés Permi et Dalkia avec, notamment, un accord sur le prix,
- retenu la bonne exécution du contrat de maintenance de la société Permi vis-à-vis de la société Dalkia,
- jugé que la rupture contractuelle revêtait un caractère brutal, imprévisible et abusif au sens de l'article L. 442-6-4° du Code de commerce,
- condamné en conséquence la société Dalkia à payer à la société Permi des dommages et intérêts calculés sur la base du forfait mensuel et en fonction de la durée du contrat principal soit 94 664,05 euro,
- condamné la société Dalkia à payer la société Permi, en deniers ou quittances, les sommes principale de 79 313,13 euro au titre des factures de janvier, février et mars 2002, et de 7 471,76 euro au titre des pièces détachées,
- rejeté la demande en dommages-intérêts pour résistance abusive et attitude déloyale formée par la société Permi,
- alloué à cette dernière une indemnité de procédure de 4 600 euro, le tout avec bénéfice de l'exécution provisoire.
La société Dalkia a relevé appel le 17 décembre 2003.
Par une ordonnance du 3 février 2004, le premier président l'a déboutée de sa demande d'arrêt de l'exécution provisoire moyennant séquestre d'une somme de 110 000 euro.
Aux termes de ses conclusions numéro 2 du 1er mars 2005, la société Dalkia qui sollicite la réformation du jugement, demande acte de ce qu'elle ne conteste pas devoir régler les trois factures de la société Permi de 26 437,71 euro chacune, non plus que celle de 60 250,79 euro dont elle indique qu'elles se trouvent déjà payées ou en cours de règlement. Elle demande à la cour de rejeter toutes les prétentions de la société Permi et de la condamner au paiement à son profit d'une indemnité de procédure de 4 573 euro.
Elle soutient essentiellement qu'aucun contrat de sous-traitance n'est intervenu entre la société Permi et elle-même, même en l'état de projets ou de propositions qui n'ont pu aboutir en raison de désaccords majeurs subsistant entre les parties notamment à propos du périmètre du contrat ou des pièces détachées; elle en déduit qu'elle était donc parfaitement en droit de ne plus confier de prestations à la société Permi, à partir du 1er avril 2002, ne serait-ce, par ailleurs qu'en raison du dénigrement systématique pratiqué par cette société à son égard auprès des laboratoires Aguettant.
La société Dalkia conteste toute formation d'un véritable contrat verbal en observant que les prestations confiées pendant quelques mois à la société Permi n'étaient pas identiques à celles envisagées dans le projet de contrat. Selon elle, les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce ne sont donc pas applicables en l'espèce.
Elle considère que sur le plan-quasi délictuel aucune faute ne peut lui être reprochée, alors que si elle a décidé de mettre fin à sa collaboration avec la société Permi c'est en raison du mécontentement du client sur les prestations et de la déloyauté de l'intimée, qui avait cherché à l'éliminer à son profit.
En l'état de ses écritures du 16 novembre 2004, la société Permi conclut à l'entière confirmation du jugement, au visa des articles 1134 et suivants du Code civil et L. 442-6 du Code de commerce et sollicite en outre la condamnation de la société Dalkia au paiement de la somme de 15 000 euro pour résistance abusive au paiement et attitude déloyale ainsi que d'une indemnité de procédure de 4 600 euro.
Elle souligne d'abord qu'en fait la société Dalkia a pris l'initiative d'une brutale rupture de leurs relations contractuelles, notifiée le 26 mars 2002 pour le 31 mars, quatre mois avant que les laboratoires Aguettant résilient à leur tour le contrat qui le liait à la société Dalkia. Elle rappelle que c'est après cette résiliation qu'ils lui ont demandé de reprendre ses prestations à compter du 1er septembre 2002 dans des conditions strictement identiques à celles qui lui avaient été sous-traitées.
La société Permi soutient que ses prestations s'intégraient dans le cadre du contrat signé pour cinq ans par la société Dalkia avec les Laboratoires Aguettant et relevaient donc d'une sous-traitance contractuelle visée pour une partie des prestations confiées par le client; selon elle, il ne s'agissait en aucun cas de commandes isolées mais successives, ainsi que le confirmerait sans équivoque l'examen de ses conditions d'intervention au sein de l'entreprise Aguettant.
L'intimée conteste formellement le grief du dénigrement qui lui est imputé, et elle fait valoir que c'est en réalité l'incompétence de la société Dalkia qui est à l'origine de la position adoptée par les laboratoires Aguettant; elle prétend que la société Dalkia a tenté de détourner à son profit la maintenance "Procèss " dont elle était chargée et elle affirme qu'en réalité elle n'a pu assumer cette mission qui dépassait ses compétences.
À propos de son préjudice, elle précise qu'elle l'a déterminé en fonction de la suppression totale de ses prestations pendant les mois d'avril à août 2002 alors qu'elle aurait pu prétendre à une indemnité de l'ordre de 12 mois conformément à un usage général.
Sur ce, LA COUR :
Attendu, sur la nature des relations entre les parties, qu'il ressort des pièces produites que la société Dalkia a sous-traité à la société Permi une part des prestations de maintenance industrielle qu'elle était chargée d'assurer au sein de deux usines des laboratoires Aguettant selon contrat du 4 décembre 2000; qu'il s'agissait plus particulièrement de la partie "Process" ;
Que cette sous-traitance ne s'est pas inscrite dans un cadre contractuel prédéterminé, puisque, malgré l'existence de négociations en vue de la conclusion d'un véritable contrat permanent, menées dès le début de l'année 2000, aucun n'accord n'a pu être trouvé entre les parties, essentiellement en raison d'une divergence d'appréciation sur l'importance du poste pièces de rechange, dont la société Permi estimait le montant sous-évalué dans le contrat principal;
Qu'ainsi, le contrat de prestation de services élaboré par la société Permi est resté à l'état de projet, l'appelante ayant expressément indiqué dans son courrier du 29 juin 2001 qu'elle n'entendait pas en accepter les clauses ; que le règlement de facture mensuelle de la société Permi, établie sous le libellé " Contrat de maintenance chez les laboratoires Aguettant" pour un montant égal au 12e de la rémunération prévue dans la proposition de contrat ne peut suffire à caractériser l'intention commune des parties de donner valeur contractuelle à cette proposition, en l'absence de tout indice d'un changement de la volonté clairement exprimée à ce sujet par la société Dalkia, six mois après le début de l'intervention de la société Permi pour son compte ; que de la même manière, le degré élevé d'intégration des employés de la société Permi au sein des usines Aguettant, liée à la nature de leur mission, ne permet pas d'en déduire avec quelque certitude l'intention de la société Dalkia de s'attacher nécessairement les services du même sous-traitant pendant toute la durée du contrat principal, soit cinq ans;
Que la société Permi ne peut donc prétendre avoir eu droit à la poursuite de sa mission pendant l'intégralité de cette durée;
Attendu qu'il reste que jusqu'à la décision prise le 26 mars 2002 par la société Dalkia de ne plus faire appel de la société Permi, celle-ci avait bénéficié d'un apport régulier d'affaires de la part de son donneur d'ordre ; que cette collaboration, intervenue dès la mise en place du contrat principal, et après des pourparlers déjà relatifs à l'élaboration d'un contrat permanent, a duré 15 mois et a représenté pour l'intimée un investissement humain important afin de pouvoir bien appréhender le mode de fonctionnement et les exigences des laboratoires Aguettant et pour s'intégrer à l'équipe Dalkia;
Attendu qu'en choisissant de mettre fin à cette collaboration le 26 mars 2002, à compter du 31 mars suivant, la société Dalkia a procédé de manière brutale, sans donner à l'intimée un délai de préavis suffisant tenant compte de la durée et de la nature de leurs relations afférentes aux contrats Aguettant;
Que sans doute des divergences étaient-elles déjà apparues entre les parties, comme le révèle le mémorandum adressé le 7 mars 2002 par la société Permi en vue de la réunion programmée pour le 12 mars ; que toutefois celles-ci, qui pouvaient expliquer le défaut de signature d'un contrat permanent de sous-traitance, n'étaient pas de nature à rendre prévisible une rupture aussi rapide des relations entre les deux sociétés;
Que la société Dalkia ne démontre la réalité de motifs justifiant une rupture dans de semblables conditions ; qu'en effet elle ne communique aucune pièce au soutien de son allégation de la déloyauté ou du dénigrement systématique qu'aurait pratiqués à on encontre la société Permi auprès des laboratoires Aguettant et que pas davantage elle ne tente d'établir que la résiliation du contrat par ces derniers, intervenue seulement le 18 juillet 2002, ait eu pour motif la mauvaise qualité des prestations sous-traitées à la société Permi ;
Attendu en conséquence que la responsabilité de la société Dalkia apparaît engagée sur le fondement de l'article L. 442-6 5° du Code de commerce, disposition applicable également lorsque la relation commerciale porte sur des prestations de services ; qu'elle doit donc réparer les conséquences dommageables pour la société Permi de la rupture décidée avec un préavis de quatre jours, manifestement insuffisant;
Attendu, sur le préjudice, que la société Permi sollicite en définitive la confirmation de l'appréciation qu'en a faite le tribunal en lui allouant une somme de 94 664 euro, qui correspond au montant du forfait mensuel qu'elle aurait pu percevoir jusqu'au 18 juillet 2002, date de résiliation du contrat Dalkia - Laboratoires Aguettant; que l'appelante s'est abstenue de discuter le quantum de la demande, même à titre subsidiaire;
Que, compte tenu de :
- la durée effective de la collaboration des parties pour l'exécution du contrat principal,
- des perspectives envisagées entre elles depuis le début de l'année 2000 de relations institutionnalisées sur le moyen terme,
- et de la mobilisation consécutive de moyens humains et techniques par la société Permi, il apparaît que l'estimation du dommage par les premiers juges, sur la base de trois mois et demi du chiffre d'affaires mensuel réalisé depuis le 1er janvier 2001 par la société Permi au titre de la maintenance constitue une juste réparation en ce qu'une telle durée de préavis aurait été admissible en l'espèce ; qu'il convient donc de confirmer le jugement de ce chef;
Attendu que la société Permi ne justifie pas de la réalité d'un plus ample préjudice; qu'en particulier elle ne démontre pas avoir été victime d'un comportement déloyal de la société Dalkia dont, par exemple, que les tentatives de débauchage de deux salariés ne sont nullement prouvées ; que de même, il n'est pas possible de considérer que l'appelante ait fait dégénérer en abus son droit de contester en justice les prétentions de la société Permi; que la réclamation supplémentaire d'une somme de 15 000 euro formée par cette dernière sera donc rejetée;
Attendu qu'il convient également de maintenir les dispositions du jugement relatives au paiement des factures émises par la société Permi, qui ne sont l'objet d'aucune contestation de la part de la société Dalkia, laquelle indique les avoir réglées pour l'essentiel; qu'il convient donc de maintenir la condamnation en deniers ou quittances;
Attendu que le jugement sera donc confirmé en toutes ses dispositions statuant sur les demandes pécuniaires formées par les parties ; qu'il ne peut l'être en revanche du chef des dispositions qui, bien que figurant dans le dispositif, constituent des motifs dont certains n'ont pas été repris par la cour;
Par ces motifs : Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort : Confirme le jugement du 2 octobre 2003 en ses dispositions : - portant condamnations de la société Dalkia Facilities Management au paiement de sommes en principal et intérêts à la société Permi, - rejetant la demande en dommages-intérêts formée par cette dernière, statuant sur les dépens et l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Y ajoutant, condamne la société Dalkia Facilities Management à payer à la société Permi une indemnité de procédure complémentaire de 1 500 euro : Réformant pour le surplus, dit que les mentions figurant aux paragraphes 1 à 4 et 6 du dispositif du jugement constituent des motifs sans portée décisoire; Condamne la société Dalkia Facilities Management aux dépens et accorde contre elle à la SCP Junillon-Wicky, avoués, le droit de recouvrement direct prévu à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.