CA Paris, 14e ch. A, 12 octobre 2005, n° 05-04311
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Cosmétique Active France (SNC), Inneov France (SNC)
Défendeur :
Allédia (SARL), BCD Pro (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Foulon
Conseillers :
Mmes Percheron, Provost-Lopin
Avoués :
SCP Taze-Bernard-Broquet, SCP Gaultier-Kistner
Avocats :
Mes Henriot-Bellargent, Brémond
Vu l'appel interjeté par les sociétés Cosmétique Active France (ci-après société CA) et Inneov France (Inneov) de l'ordonnance rendue le 15 décembre 2004 par le juge des référés du Tribunal de commerce de Créteil qui a dit n'y avoir lieu à référé sur leurs demandes,
Vu les conclusions du 9 août 2005 par lesquelles les sociétés CA et Inneov prient la cour, réformant cette décision, de faire interdiction aux sociétés Allédia et BCD Pro de diffuser par quelque moyen que ce soit un catalogue offrant à la vente les produits Vichy, La Roche Posay ou Inneov ainsi que de présenter, offrir à la vente, stocker et vendre tous produits de ces marques et d'enjoindre à la société BCD Pro d'insérer dans son catalogue une mention précisant qu'elle n'est pas habilitée à fournir les produits desdites marques, le tout sous astreinte de 3 000 euro par infraction constatée "à compter du prononcé de l'ordonnance à intervenir", et lui demandent de condamner in solidum les sociétés BCD Pro et Allédia à payer à chacune d'elles la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du NCPC,
Vu les conclusions signifiées le 2 septembre 2005 par la société de droit britannique BCD Pro qui poursuit, outre la confirmation de l'ordonnance entreprise, la condamnation des "sociétés demanderesses" à lui verser la somme de 3 000 euro chacune sur le fondement de l'article 700 du NCPC,
Vu les conclusions du 30 juin 2005 de la société Allédia qui tendent aux mêmes fins,
Considérant que la société CA, société du groupe L'Oréal, commercialise en France les produits dermo-cosmétiques des marques Vichy et La Roche Posay par l'intermédiaire d'un réseau de distribution sélective ; que la société Inneov, qui appartient au même groupe, distribue selon les mêmes principes les compléments nutritionnels à visée cosmétique de sa marque ;
Que reprochant aux sociétés BCD Pro et Allédia, tiers à leur réseau, de se procurer et revendre des produits des marques susvisées en violation tant des principes gouvernant la distribution de ces produits que de l'interdiction sous astreinte prononcée à l'encontre de la société LCJ Diffusion, avec laquelle elles ont une communauté d'intérêts, par jugement du Tribunal de commerce de Créteil du 22 avril 2003 assorti de l'exécution provisoire, les sociétés CA et Inneov les ont attraites devant le juge des référés commercial aux fins de voir ordonner, par les mesures sollicitées, la cessation du trouble manifestement illicite subi de ce fait ;
Que par la décision déférée le premier juge a rejeté leur demande aux motifs qu'elles n'apportaient pas d'éléments suffisamment probants du trouble manifestement illicite allégué dès lors que d'une part les sociétés défenderesses n'avaient pas été parties à l'instance ayant abouti au jugement du 22 avril 2003, d'autre part les sociétés demanderesses ne justifiaient ni des manœuvres illicites dont elles seraient victimes de la part des défenderesses, ni d'un péril imminent, ayant préalablement fait procéder à un constat des agissements incriminés ;
Considérant qu'au soutien de leur appel les sociétés CA et Inneov font valoir que le trouble manifestement illicite qu'elles allèguent est suffisamment établi par le fait que les sociétés intimées se livrent à la commercialisation des produits La Roche Posay, Vichy et Inneov dans des conditions portant gravement atteinte au principe de la distribution sélective de ces produits en raison des modalités adoptées, du refus de révéler la source d'approvisionnement et des mentions figurant sur les emballages des produits en réservant la vente aux seuls dépositaires agréés, la circonstance qu'elles contournent en toute connaissance de cause les interdictions faites à la société LCJ Diffusion, avec laquelle existe une communauté d'intérêts, ne jouant que comme facteur aggravant soulignant leur totale mauvaise foi ;
Que pour s'opposer aux demandes la société BCD Pro réplique que la procédure engagée repose sur la fraude commise par les appelantes dans l'obtention de l'ordonnance sur requête du 17 juin 2004 et les conditions d'exécution du constat du 23 septembre 2004, et que les sociétés du groupe L'Oréal ne justifient pas de la licéité de leur réseau de distribution sélective alors que celui-ci est dépourvu d'étanchéité, ne bénéficie pas de l'exemption prévue au règlement CE 2790-1999 du 22 décembre 1999, et que les obligations du réseau présentent un caractère artificiel ;
Que pour sa part la société Allédia invoque le fait que son activité est limitée à celle de prestataire en matière de logistique, en particulier de stockage;
Considérant, sur la fraude reprochée aux appelantes, que BCD Pro ne saurait faire grief aux sociétés Inneov et CA d'avoir présenté une requête sur le fondement de l'article 145 du NCPC, c'est-à-dire avant tout procès, alors qu'était pendante devant la cour d'appel l'instance engagée à l'encontre de LCJ Diffusion, dès lors que BCD Pro n'était pas partie à ladite instance et qu'en toute hypothèse aucun recours n'a été formé contre les ordonnances des 17 juin et 6 septembre 2004 par la société LCJ Diffusion, qui seule aurait pu le faire; qu'il importe peu par ailleurs que M. Beyls représentant les sociétés appelantes ait participé aux opérations de constat du 23 septembre 2004 dès lors qu'il ressort d'un courrier de l'huissier qui y a procédé, Me Meunier, dont les termes ne sont pas contestés, que la présence de M. Beyls n'a été requise que pour reconnaître les produits et marques en cause et que celui-ci s'est retiré ponctuellement en fonction de la nature des informations communiquées ou trouvées de façon à ne pas en avoir connaissance, ce qui a fait l'objet d'un accord de l'ensemble des intéressés ;
Que BCD Pro oppose encore aux sociétés appelantes l'illicéité de leur réseau motif pris de son défaut d'étanchéité juridique, dès lors que les produits en cause sont diffusés en France par l'intermédiaire de grossistes répartiteurs qui ne vérifient pas l'agrément des pharmaciens d'officine pour leur distribution, ces derniers pouvant alors les rétrocéder en dehors du réseau ; qu'elle ajoute que le règlement d'exemption par catégorie susvisé se trouve inapplicable dès lors que les marques du groupe L'Oréal représentent une part globale de 31,5% sur le marché des produits solaires (40,2 % selon les pièces des appelantes) et de 46 % pour les produits de soin de l'homme, ce qui excède le seuil limite de 30 % ; qu'elle observe qu'en tout état de cause les obligations du réseau sont artificielles, le conseil du pharmacien diplômé ne pouvant à l'évidence bénéficier au consommateur final qui passe commande par l'intermédiaire d'un comité d'entreprise ou sur l'un des nombreux sites Internet recensés en Europe;
Considérant que les sociétés CA et Inneov ne peuvent invoquer l'existence d'un trouble manifestement illicite à l'encontre d'un distributeur distribuant leurs produits sans être membre de leur réseau de distribution sélective que si elles établissent la licéité de ce réseau ;
Considérant, sur l'absence d'étanchéité, que contrairement aux allégations de BCD Pro les conventions produites, tant les contrats de grossistes agréés que ceux de détaillants agréés, comportent l'obligation de ne pas revendre les produits hors du réseau de distribution sélective ; que le seul fait que la charte de distribution La Roche Posay autorise, par dérogation, le grossiste à vendre à titre provisoire ses produits à des pharmaciens d'officine qui n'auraient pas encore signé la charte ne saurait permettre d'en déduire que ces pharmaciens, n'étant tenus par aucun contrat à l'égard des appelantes, seraient la source des approvisionnements illicites, observation étant faite que BCD Pro refuse d'indiquer ses sources d'approvisionnement ;
Considérant que la société BCD Pro n'est pas davantage fondée à prétendre que le règlement CE 2790-1999 serait inapplicable du fait du dépassement du seuil de 30 % des parts détenues par L'Oréal sur le marché des produits solaires et celui des produits de soins pour hommes dès lors que le seul marché pertinent à considérer est le marché global des produits dermo-cosmétiques de luxe, sur lequel il n'est pas contesté que ce seuil n'est pas atteint ;
Considérant que le grief tenant au caractère artificiel des obligations faites au réseau n'est pas davantage fondé, le seul fait que des grossistes répartiteurs utilisent le mode de communication qu'est Internet ne les dispensant pas de procéder aux vérifications nécessaires au maintien de l'étanchéité, étant rappelé que le titulaire du réseau, tenu d'en assurer l'étanchéité juridique et qui justifie comme en l'espèce de ses efforts pour préserver ladite étanchéité, ne saurait se voir opposer les actes déviants de distributeurs non agréés commis sur des sites étrangers sur lesquels il n'a aucune influence ;
Considérant que dès lors que leur réseau de distribution sélective est licite, les sociétés CA et Inneov sont fondées à solliciter en référé les mesures propres à faire cesser le trouble manifestement illicite que constitue la commercialisation de leurs produits par des tiers non agréés ;
Considérant qu'il résulte du constat de Me Di Pieri effectué le 2 juillet 2004 dans les locaux de la poste que la boîte postale 365 à Champigny-sur-Marne est attribuée à la société Allédia ayant son siège social dans cette commune, 851 rue de Berneau, le même contrat d'abonnement étant également établi sous les dénominations BCD Pro et BCD Pro France et l'ensemble du courrier étant livré et collecté dans les locaux d'Allédia, dont la machine à affranchir sert au courrier expédié par BCD Pro; que le constat effectué le 23 septembre 2004 par Me Mercier établit l'existence d'une communauté d'intérêts entre ces sociétés qui disposent d'un réseau téléphonique commun (y compris avec LCJ Diffusion) et d'un système informatique permettant à chaque utilisateur au sein d'une société d'avoir accès aux fichiers des deux autres ; qu'il établit la présence dans le bureau de BCD Pro de catalogues offrant à la vente des produits des marques La Roche Posay, Vichy et Inneov, et dans le local de stockage d'Allédia de nombreux produits desdites marques ; qu'il convient dans ces conditions de faire droit à la demande des sociétés appelantes dans les termes du dispositif ci-après ;
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge des sociétés appelantes les frais irrépétibles par elles exposés pour l'ensemble de la procédure ;
Par ces motifs, LA COUR, Infirme l'ordonnance entreprise et, statuant à nouveau, Fait interdiction aux sociétés BCD Pro et Allédia de présenter, offrir à la vente par quelque moyen que ce soit, stocker et vendre, directement ou indirectement tout produit de marque Vichy, La Roche Posay ou Inneov, sous astreinte de 3 000 euro par infraction constatée, Rejette le surplus des demandes, Condamne in solidum les sociétés BCD Pro et Allédia à payer à chacune des sociétés Cosmétique Active France et Inneov la somme de 4 000 euro en application de l'article 700 du NCPC et à supporter les entiers dépens de première instance et d'appel, ces derniers pouvant être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du NCPC.