CA Paris, 4e ch. A, 9 mars 2005, n° 04-05391
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Villeroy & Boch Arts de la table (SAS)
Défendeur :
Promotion Sept (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Carré-Pierrat
Conseillers :
Mme Magueur, Rosenthal-Rolland
Avoués :
Mes Teytaud, Huyghe
Avocats :
Mes Legrand, Sarfati
Vu l'appel interjeté par la société Villeroy & Boch Arts de la table, ci-après Villeroy & Boch, du jugement rendu le 19 février 2004 par le Tribunal de commerce de Bobigny qui a :
- dit n'y avoir lieu de surseoir à statuer,
- constaté qu'il n'y a pas copie servile du modèle Villeroy & Boch,
- dit qu'il n'y a pas concurrence déloyale et parasitaire,
- débouté la société Villeroy & Boch de sa demande principale,
- débouté la société Promotion Sept de sa demande reconventionnelle,
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- condamné la société Villeroy & Boch aux dépens ;
Vu les dernières écritures signifiées le 31 janvier 2005 par lesquelles la société Villeroy & Boch, poursuivant l'infirmation du jugement entrepris sauf en ce qu'il a rejeté l'incident de sursis à statuer, demande à la cour de :
- dire qu'en introduisant en France, en offrant à la vente et en vendant des articles de vaisselle reproduisant les caractéristiques essentielles du décor "Basket" et traduisant une recherche délibérée de confusion avec ce décor, la société Promotion Sept s'est rendue coupable de concurrence déloyale et parasitaire à son préjudice,
- faire défense à la société Promotion Sept de commercialiser les articles du service de vaisselle imitant le service "Basket", sous astreinte de 100 euro par infraction constatée, l'infraction s'entendant de la vente d'un seul article revêtu du décor incriminé,
- dire que la cour se réservera la liquidation de l'astreinte ordonnée,
- condamner la société Promotion Sept à lui payer la somme de 40 000 euro à titre de dommages-intérêts provisionnels,
- ordonner une mesure d'expertise aux fins de déterminer son préjudice,
- débouter la société Promotion Sept de l'ensemble de ses prétentions,
- condamner la société Promotion Sept à lui payer la somme de 15 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux dépens, qui comprendront notamment les frais des constats des 3 avril 1998, 4 juin et 6 septembre 2002 ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 7 février 2005 aux termes desquelles la société Promotion Sept sollicite la confirmation du jugement déféré, réclamant en outre l'allocation d'une indemnité de 7 500 euro à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et d'une somme de 7 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Sur ce, LA COUR,
Considérant que la société Villeroy & Boch bénéficie, en vertu d'un contrat dit de concession exclusive du 15 juin 1987, du droit exclusif de commercialisation sur le territoire français des produits du département "Arts de la Table" de la société de droit allemand Villeroy & Boch AG ;
Que parmi les articles qu'elle commercialise, figure un service de table en porcelaine dénommé "Basket" qu'elle distribue depuis 1979 ;
Qu'ayant constaté, courant 1996, l'offre à la vente par les sociétés Veropam, Paris Affaires et Paris Discount d'un service de table dénommé "Jardin", au décor imitant celui du service "Basket", fabriqué par la société de droit grec Ceramica Olympia, distribué en France par la société SOF, elle a engagé à leur encontre une procédure en contrefaçon et concurrence déloyale ;
Que par jugement du 2 avril 1998, le Tribunal de commerce de Paris l'a déboutée de ses demandes ;
Qu'elle a interjeté appel de cette décision et, constatant que le même service était distribué par la société Promotion Sept, elle l'a assignée en intervention forcée devant la cour; que par arrêt du 16 novembre 2001, cette cour, infirmant le jugement précité du 2 avril 1998, a dit que les sociétés Veropam, Paris Affaires, Paris Discount et Ceramica Olympia ont, en commercialisant des articles de vaisselle "Jardin" imitant le service "Basket", commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Villeroy & Boch, mais déclaré irrecevable l'appel en intervention forcée de la société Promotion Sept, faute de respect du double degré de juridiction ;
Que par arrêt du 14 décembre 2004, la Cour de cassation a rejeté les pourvois formés à l'encontre de cet arrêt ;
Qu'après avoir fait pratiquer des constats au siège de la société Promotion Sept, le 4 juin 2002, et dans l'un de ses établissements secondaires à Aubervilliers, le 6 septembre 2002, la société Villeroy & Boch l'a assignée devant le Tribunal de commerce de Bobigny en concurrence déloyale et parasitaire ;
- Sur la concurrence déloyale et parasitaire
Considérant que, relevant à titre superfétatoire que la combinaison de dessins et de couleurs couverte par le décor "Basket" est originale, la société Villeroy & Boch fait valoir qu'elle a été la première à commercialiser en France un service de table revêtu de ce décor, que le service litigieux en reprend les éléments caractéristiques et que ces ressemblances ne sauraient procéder du hasard mais attestent d'une recherche de confusion délibérée avec le service "Basket" qui est à l'origine d'un détournement de clientèle; qu'elle ajoute que la société Promotion Sept s'est délibérément placée dans son sillage afin de profiter indûment de ses investissements et du courant d'affaires créé en faveur de ce décor, dont la notoriété est établie ;
Que la société Promotion Sept réplique que ce décor appartient au domaine public et relève d'un genre largement diffusé en Europe, que le modèle qu'elle diffuse présente de nombreuses différences avec le décor "Basket" de sorte que le risque de confusion n'est pas démontré et que la société Villeroy & Boch ne justifie pas des investissements qu'elle a engagés pour commercialiser et promouvoir ce produit ;
Mais considérant qu'il n'y a pas lieu de rechercher si le décor "Basket" appliqué à un service de table en porcelaine est protégeable par le droit d'auteur alors que la société de droit allemand Villeroy & Boch AG qui réalise et fabrique ces articles n'est pas partie à l'instance et que la société de droit français Villeroy & Boch, distributrice exclusive en France des produits de la ligne "Basket", agit exclusivement en concurrence déloyale et parasitaire sur le fondement de l'article 1382 du Code civil et de l'article 10 bis de la Convention d'Union de Paris;
Considérant que la société Villeroy & Boch caractérise le décor du service "Basket" comme suit :
- un fond blanc sur lequel se détache un treillis de couleur verte comportant des reflets blancs et enserré entre deux bordures vertes,
- la représentation de diverses compositions de fruits (poires, pommes, cerises, raisin), de feuillage vert et de fleurs roses, présentées seules ou dans un panier,
- le treillis étant, selon les pièces du service, soit continu, soit interrompu par l'un des motifs ci-dessus décrit;
Considérant qu'il n'est pas contesté que le service de table orné de ce décor est commercialisé en France par la société Villeroy & Boch depuis 1979 et figure encore à ce jour sur les catalogues de vente ;
Considérant que le service à café incriminé a été offert à la vente dans le magasin de la société Promotion Sept situé 23, rue de Montreuil à Vincennes, comme le révèle le procès-verbal de constat dressé le 3 avril 1998 ; qu'il ressort de l'examen des tasses à café, auquel la cour a procédé, qu'elles reprennent la combinaison d'un treillis de couleur verte aux lattes éclairées de reflets blancs, pour obtenir un effet de tressage, ce treillis étant enserré dans un encadré vert, interrompu par le motif d'une composition de fruits (pommes, poires, raisin, cerises) lui-même entouré d'un liseré vert ; que la société Promotion Sept fait valoir vainement que ce décor s'inspire du dessin du treillis interrompu par des compositions de fleurs et de fruits, qui se retrouve sur les plats et assiettes en faïence de Rouen du XVIIIe siècle de Guillibaud ; qu'en effet, le Conservateur du Musée National de Céramique de Sèvres relève justement que le tracé en aplat du quadrillage de ces faïences ne permet pas d'obtenir l'effet de tressage du décor "Basket", que seul un éclairage alternativement clair et foncé peut évoquer ; qu'elle souligne en outre que les compositions plus anciennes ne comportent pas ce mélange de fleurs et de fruits ;
Que l'association de ce treillis à une composition de fruits quasi-similaire, dans un même choix de coloris, ne saurait être purement fortuit et évoque en tous points le décor "Basket" de la société Villeroy & Boch ; que l'absence du motif central du panier est insuffisante pour conférer au service à café un aspect différent dès lors qu'il ne se retrouve ni sur les éléments de petite taille du service "Basket", ni sur les couvercles des théières ou légumiers, les fruits étant présentés seuls ; que les légères modifications apportées au tracé du treillis par l'absence de bordure en cordage comme la taille des lattes n'affectent pas davantage l'impression d'ensemble qui reste la même mais traduisent la volonté manifeste de créer la confusion avec les articles de ligne "Basket" ;
Que la commercialisation de ces articles qui constituent l'imitation du service de table dénommé "Basket" est constitutive de concurrence déloyale ;
Considérant que si la société Villeroy & Boch ne justifie pas des investissements publicitaires qu'elle a engagés spécifiquement pour la promotion de la ligne de produits "Basket", ce service de table représente l'un des modèles phare qui fait partie de sa collection depuis 1979 ;
Qu'en offrant à sa clientèle, des articles pour la table revêtus d'un décor imitant, à des prix nettement inférieurs, la société Promotion Sept a délibérément cherché à se placer dans le sillage de la société Villeroy & Boch afin de profiter indûment de la renommée dont jouissent ses produits dans le domaine des arts de la table ;
Que la société Promotion Sept fait valoir en vain que la clientèle ne peut se méprendre sur la qualité des produits qu'elle achète dans ses magasins, spécialisés dans la vente en solde d'objets variés de second choix ou provenant de fins de séries ou de stocks de liquidation judiciaire, alors qu'il n'est pas exclu qu'elle pouvait penser que la diffusion de ces articles avait été faite avec l'autorisation de la société Villeroy & Boch ; qu'en tout état de cause, l'offre faite dans ces conditions vulgarise et déprécie les produits authentiques ;
Que le grief de parasitisme est donc caractérisé ;
- Sur les mesures réparatrices
Considérant que si la diffusion des articles litigieux a été limitée, ces agissements déloyaux ont porté atteinte à la valeur patrimoniale du service de table "Basket" et au réseau de distribution sélective mis en place par la société Villeroy & Boch ; que le préjudice qui s'infère de ces faits sera entièrement réparé par l'allocation d'une indemnité de 30 000 euro à titre de dommages-intérêts, sans qu'il soit nécessaire de recourir à une mesure d'expertise ;
Considérant que la société Villeroy & Boch est bien fondée à solliciter une mesure d'interdiction pour mettre un terme aux agissements illicites ;
Considérant que la solution du litige commande de rejeter la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive et celle fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile formées par la société Promotion Sept ;
Qu'en revanche, les dispositions de ce texte doivent bénéficier à la société Villeroy & Boch, la somme de 10 000 euro devant lui être allouée à ce titre;
Par ces motifs, Infirme le jugement entrepris, Statuant à nouveau, Dit que la société Promotion Sept a, en commercialisant des services à café imitant les caractéristiques essentielles du service de table dénommé "Basket" distribué en France par la société Villeroy & Boch, commis à son encontre des actes de concurrence déloyale et parasitaire, Interdit à la société Promotion Sept de poursuivre la commercialisation de ces articles, sous astreinte de 100 euro par infraction constatée, à compter de la signification du présent arrêt, Se réserve la liquidation de l'astreinte, Condamne la société Promotion Sept à payer à la société Villeroy & Boch la somme de 30 000 euro à titre de dommages-intérêts et celle de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Rejette toutes autres demandes, Condamne la société Promotion Sept aux dépens qui comprendront les frais de constat des 3 avril 1998, 4 juin et 6 septembre 2002 et seront recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.