Cass. soc., 3 novembre 2005, n° 03-47.968
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Esso (Sté)
Défendeur :
Dane (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mazars (faisant fonctions)
LA COUR : - Attendu que suivant deux contrats successifs des 1er octobre 1992 et 29 septembre 1995, la société Esso a confié à la société Dane, constituée le 15 septembre 1992, la gérance d'un fonds de commerce de station-service exploité sous l'enseigne "Esso Service des Flandres" à Saint-Martin Longueau (Oise) ; que la station-service a été fermée et les contrats résiliés à compter du 27 février 1998 ; que revendiquant à leur profit l'application des dispositions de l'article L. 781-1, 2, du Code du travail, M. Couzic et Mme Piaulet cogérants de la société Dane ont saisi le conseil de prud'hommes de diverses demandes ;
Sur les deux moyens réunis : - Attendu que la société Esso fait grief à l'arrêt attaqué, statuant sur contredit (Amiens, 22 octobre 2003) d'avoir déclaré la juridiction prud'homale compétente pour connaître du litige, alors, selon le moyen : 1°) que sauf l'hypothèse de société fictive, le bénéfice des dispositions de l'article L. 781-1-2 du Code du travail ne s'applique par aux gérants d'une personne morale et que, non seulement la cour d'appel n'a pas retenu le caractère fictif de la société Dane, mais qu'elle a au contraire constaté que cette société avait exploité la station-service pendant toute la durée des contrats de location-gérance qu'elle avait conclus avec la société Esso ; que dès lors, fait une fausse application du texte susvisé et méconnaît, en violation de l'article 1842 du Code civil, le principe de la personnalité morale de la société, l'arrêt attaqué qui déclare les gérants de la société Dane recevables à saisir le conseil de prud'hommes ; 2°) que, selon l'article L. 223-18 du Code de commerce, dans ses rapports avec les tiers, le gérant d'une société agit "au nom de la société" et que viole ce texte l'arrêt qui, pour permettre aux gérants associés d'agir sur la base de l'article L. 781-1-2 du Code du travail et écarter la société Dane, retient que l'activité professionnelle résultant de celle-ci a été de fait exercée par chacun des gérants associés ; 3°) que l'arrêt attaqué relève, lui-même (p. 9) que la société Dane agit en justice contre Esso, pour la même activité, dans le cadre d'une procédure commerciale ; 4°) que le chiffre d'affaires du mandataire correspond à ses commissions et non à la valeur des produits qui restent la propriété du mandant jusqu'à la vente et que viole, ensemble, les articles 1984 et suivants du Code civil et l'article L. 781-1 du Code du travail l'arrêt qui intègre le prix des carburants dans le chiffre d'affaires du fonds de commerce de la station-service pour en déduire que la part de l'activité soumise à la condition de fourniture exclusive serait prépondérante par rapport à la part de l'activité exercée librement ; 5°) que la cour d'appel laisse dépourvues de toute réponse, en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, les conclusions (p. 8 al. 4 et s.) de la société Esso qui faisaient valoir que le chiffre d'affaires réalisé avec le carburant était dépourvu de la moindre signification et ne pouvait être représentatif de l'activité réelle, son montant étant constitué de taxes pétrolières pour plus de 80 % ; 6°) que viole derechef l'article 455 du nouveau Code de procédure civile l'arrêt qui laisse sans réponse les conclusions (p. 8 al. 7 et s.) selon lesquelles le prétendu critère de l'activité déployée pour la commercialisation des carburants devait être écarté dès lors que comme le reconnaissaient les défendeurs la station-service était selon l'usage actuel exploitée en self service ;
Mais attendu que, selon le premier alinéa de l'article L. 781-1 du Code du travail, les dispositions de ce Code, qui visent les apprentis, ouvriers, employés, travailleurs, sont applicables aux personnes dont a profession consiste essentiellement, soit à vendre des marchandises ou denrées de toute nature, des titres, des volumes, publications, billets de toute sorte qui leur sont fournis exclusivement ou presque exclusivement par une seule entreprise industrielle ou commerciale, soit à recueillir les commandes ou à recevoir des objets à traiter, manutentionner ou transporter, pour le compte d'une seule entreprise industrielle ou commerciale, lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agréé par cette entreprise et aux conditions et prix imposés par la dite entreprise ;
Et attendu, d'abord, que la cour d'appel a constaté que si le contrat de gérance était conclu avec la société Dane, l'activité professionnelle était, en fait, exercée par Mme Piaulet et M. Couzic ; que le fait, par ces derniers, d'avoir saisi la juridiction commerciale au nom de la société Dane dont ils sont cogérants, ne caractérise pas à lui seul la manifestation d'une volonté claire et non-équivoque de renoncer aux droits qu'ils pouvaient tenir à titre individuel du Code du travail ;
Attendu, ensuite, qu'appréciant l'ensemble des éléments de preuve qui lui étaient soumis, parmi lesquels les montants des chiffres d'affaires réalisés, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, après avoir relevé qu'une clause d'exclusivité d'approvisionnement avait été souscrite pour la vente des carburants et des lubrifiants, a constaté que l'activité prépondérante de la station-service était celle de la distribution des carburants et a retenu que la condition relative à la fourniture quasi exclusive par la seule entreprise industrielle et commerciale était ainsi remplie ; qu'ayant, par des motifs non critiqués, constaté que les trois autres conditions cumulatives prévues par le texte étaient réunies, elle a exactement déduit de ses constatations que M. Couzic et Mme Piaulet pouvaient se prévaloir des dispositions de l'article L 781-1, 2 , du Code du travail et que la juridiction prud'homale était compétente pour connaître de leurs demandes ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Par ces motifs : Rejette les pourvois.