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Décisions

CJCE, 14 juillet 1972, n° 52-69

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

JR Geigy AG SA

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocats :

Mes Ellis, Flad, Loesch

CJCE n° 52-69

14 juillet 1972

LA COUR,

1. Attendu qu'il est constant que, de janvier 1964 à octobre 1967, trois hausses générales et uniformes des prix des matières colorantes ont eu lieu dans la Communauté ;

Qu'entre le 7 et le 20 janvier 1964, une hausse uniforme de 15 % des prix de la plupart des colorants à base d'aniline, à l'exclusion de certaines catégories a eu lieu en Italie, aux Pays-Bas, en Belgique et au Luxembourg, ainsi que dans certains pays tiers ;

Que le 1er janvier 1965 une hausse identique est intervenue en Allemagne ;

Que, le même jour, la quasi-totalité des producteurs ont appliqué dans tous les pays du Marché commun, à l'exception de la France, une augmentation uniforme de 10 % du prix des colorants et des pigments exclus de la hausse de 1964 ;

Qu'à la suite de la non-participation de la société Acna à la hausse de 1965 sur le marché italien, les autres entreprises n'ont pas maintenu le relèvement annoncé de leurs prix sur ce marché ;

Que vers la mi-octobre 1967, à l'exception de l'Italie, une hausse de tous les colorants a été appliquée par presque tous les producteurs, de 8 % en Allemagne, aux Pays-Bas, en Belgique et au Luxembourg et de 12 % en France ;

2. Qu'en relation avec ces hausses, par décision du 31 mai 1967 la Commission a engagé, en application de l'article 3 du règlement n° 17-62, une procédure d'office pour violation présumée de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE contre dix-sept producteurs de matières colorantes établis dans et en dehors du Marché commun, ainsi que contre de nombreuses filiales et représentants de ces entreprises ;

Que, par décision du 24 juillet 1969, la Commission a constaté que ces hausses étaient le résultat de pratiques concertées, en violation de l'article 85, paragraphe 1, du traité, entre les entreprises

- Badische Anilin - und Soda-Fabrik AG (BASF) de Ludwigshafen,

- Cassella Farbwerke Mainkur AG de Francfort-sur-le-Main,

- Farbenfabriken Bayer AG de Leverkussen,

- Farbwerke Hoechst AG de Francfort-sur-le-Main,

- SA française des matières colorantes de Paris,

- Azienda Colori Nazionali Affini Spa (Acna) de Milan,

- Ciba SA de Bâle,

- JR Geigy SA de Bâle,

- Sandoz SA de Bâle, et

- Imperial Chemical Industries Ltd. (Ici) de Manchester ;

Qu'en conséquence, elle a infligé une amende de 50 000 unités de compte à chacune de ces entreprises, à l'exception d'Acna dont l'amende a été fixée à 40 000 unités de compte ;

3. Que, par requête déposée au greffe de la Cour le 3 octobre 1969, l'entreprise Geigy AG, actuellement Ciba-Geigy AG, a introduit un recours contre cette décision ;

Moyens de procédure et de forme

Quant aux moyens concernant la procédure administrative

A) Grief relatif à la signature de la "communication des griefs" par un fonctionnaire de la Commission

4. Attendu que la requérante soutient que la communication des griefs, visée à l'article 2 du règlement n° 99-63 de la Commission, est irrégulière parce que signée par le directeur général de la concurrence, alors qu'à défaut de disposition expresse la Commission ne pouvait pas légitimement lui déléguer un tel pouvoir ;

5. Attendu qu'il est constant que le directeur général de la concurrence s'est borné à signer la communication des griefs que le membre de la Commission compétent pour les problèmes de concurrence, dans l'exercice des pouvoirs que la Commission lui avait délégués, avait préalablement approuvée ;

Que ce fonctionnaire a donc agi dans le cadre, non pas d'une délégation de pouvoirs, mais d'une simple délégation de signature qu'il avait reçue du membre compétent ;

Qu'une telle délégation constitue une mesure relative à l'organisation interne des services de la Commission, conforme à l'article 27 du règlement intérieur provisoire arrêté en vertu de l'article 7 du traité du 8 avril 1965 instituant un Conseil unique et une Commission unique ;

6. Que ce moyen n'est donc pas fondé ;

B) Grief concernant les disparités entre la "communication des griefs" et la décision d'ouverture de la procédure administrative

7. Attendu que la requérante soutient que la communication des griefs se réfère à l'application éventuelle d'amendes, alors que la décision d'ouverture ne se référait qu'à la procédure en constatation d'infractions ;

Qu'en procédant ainsi, la Commission aurait violé l'article 19 du règlement n° 17-62 et les articles 2 et 4 du règlement n° 99-63 combinés avec les articles 162, alinéa 2, du traité CEE et 27 du règlement intérieur de la Commission ;

8. Attendu que c'est seulement la communication des griefs et non la décision d'ouverture de cette procédure qui constitue l'acte fixant la position de la Commission vis-à-vis des entreprises à l'égard desquelles est engagée une procédure relative à la poursuite d'infractions aux règles de concurrence ;

Que, d'ailleurs, la décision d'ouverture de la procédure, tout en visant "notamment" les articles 3 et 9, alinéas 2 et 3, du règlement n° 17, se référait à ce règlement dans son ensemble, donc également à son article 15 concernant les amendes ;

9. Que, dès lors, ce moyen n'est pas fondé ;

C) Moyen relatif à la communication de l'exposé des griefs

10. Attendu que la requérante reproche à la Commission d'avoir effectué la communication de l'exposé des griefs d'une manière non conforme au droit suisse, loi du lieu où devait être effectuée cette communication ;

Que la Confédération helvétique ne reconnaîtrait pas sur son territoire la validité de la communication, par la poste, d'un acte étranger de ce genre ;

Que, dès lors, la communication des griefs, n'ayant pas été effectuée de façon régulière, serait nulle et de nul effet selon les principes généraux du droit international ;

Que de cette irrégularité découlerait une violation du droit de la requérante d'être entendue que lui reconnaissent les articles 19 du règlement n° 17 et 2 et 4 du règlement n° 99 ;

11. Attendu que la communication des griefs prévue par l'article 2, paragraphe 1, du règlement n° 99 a pour but de mettre les intéressés en mesure de faire valoir leurs arguments dans le cadre de la procédure ouverte à leur égard par une décision adoptée par la Commission dans l'exercice des pouvoirs que lui confèrent les articles 3 et 15 du règlement n° 17 ;

Qu'à défaut de convention en la matière entre la Communauté et la Confédération helvétique, la question des modalités de cette communication à des intéressés fixés hors du territoire de la Communauté relève de la pratique internationale et doit se résoudre dans le respect réciproque des sphères de compétence, tant de la Communauté que de l'Etat tiers intéressé ;

Qu'il ressort du dossier que les autorités de l'état tiers concerné n'envisageraient, dans l'état actuel des choses, aucune possibilité praticable de communication, considérée par elles comme valide, au regard du droit interne, sur le territoire de cet Etat ;

Qu'on ne saurait donc invoquer le droit international pour dénier à la Communauté le pouvoir de prendre les dispositions nécessaires pour garantir l'efficacité des mesures instituées en vue d'atteindre les comportements préjudiciables à la concurrence qui se sont manifestés dans le Marché commun, même si l'auteur de ces faits a son siège dans un pays tiers ;

Qu'au surplus, la communication en question a pour but essentiel de garantir aux intéressés l'exercice des droits qu'ils tiennent du traité et de la législation communautaire ;

Que, dans ces conditions, une communication faite conformément à la règlementation communautaire ne saurait, en raison de la circonstance qu'elle doit être effectuée dans un état tiers, être considérée comme entraînant l'invalidité de la procédure administrative ultérieure du moment qu'en mettant le destinataire en mesure de prendre effectivement connaissance des griefs retenus contre lui, elle atteint son but.

12. Que le moyen doit être rejeté ;

13. Attendu que la requérante soutient que la Commission notification de la communication des griefs;

14. Attendu que la requérante soutient que la Commission, en procédant à des enquêtes après la notification de la communication des griefs, aurait méconnu le caractère de cette communication qui, ainsi qu'il ressortirait des règlements n° 17 et 99, devrait constituer l'acte final de l'instruction ;

Qu'en outre la décision attaquée se baserait sur des éléments, tels que la simultanéité des télex, qui ne figuraient pas dans la communication des griefs ;

14. Attendu que la Commission a le droit et éventuellement le devoir de procéder, au cours de la procédure administrative, à de nouvelles enquêtes si le déroulement de cette procédure fait apparaître la nécessité de vérifications complémentaires ;

Que de telles enquêtes ne rendraient nécessaire la communication aux intéressés d'un complément des griefs que dans le cas où le résultat des vérifications amènerait la Commission à mettre à la charge des entreprises des faits nouveaux, ou à modifier sensiblement les éléments de preuve des infractions contestées ;

Que tel n'est pas le cas en l'espèce ;

Qu'il ressort du texte de l'exposé des griefs que les faits retenus à charge de la requérante y étaient clairement indiqués ;

Que cet exposé contient tous les éléments nécessaires pour déterminer les griefs retenus contre la requérante, et notamment les conditions dans lesquelles les hausses de 1964, 1965 et 1967 ont été annoncées et mises en œuvre ;

Que des rectifications apportées par la décision attaquée en ce qui concerne le déroulement exact de ces faits à la suite des éléments que les intéressés ont pu fournir à la Commission au cours de la procédure administrative, ne portent pas atteinte aux droits de la défense ;

15. Que, dès lors, ces griefs ne sont pas fondés ;

Quant au moyen relatif à la notification de la décision

16. Attendu que la requérante soutient que la décision attaquée est irrégulière en tant qu'elle prévoit, à son article 4, qu'elle peut être notifiée à une de ses filiales ;

17. Attendu que l'article 191, alinéa 2, du traité prévoit que "les décisions sont notifiées à leurs destinataires et prennent effet par cette notification" ;

Qu'en tout état de cause, l'article 4 de la décision attaquée ne saurait modifier ce régime ;

Qu'il ne saurait donc faire grief à la requérante ;

18. Attendu que les irrégularités dans la procédure de notification d'une décision sont extérieures à l'acte et ne peuvent donc le vicier ;

Que, dans certaines circonstances, ces irrégularités sont susceptibles d'empêcher que le délai de recours commence à courir ;

Que l'article 173, dernier alinéa, du traité prévoit que le délai des recours en annulation contre les actes individuels de la Commission commence à partir de la notification de la décision au requérant ou, à défaut, du jour où celui-ci en a eu connaissance ;

Qu'en l'espèce, il est constant que la requérante a eu complète connaissance du texte de la décision et qu'elle a fait usage, dans les délais, de son droit de recours ;

Que, dans ces circonstances, la question des irrégularités éventuelles de notification devient sans intérêt ;

19. Que, dès lors, ce moyen est irrecevable faute d'intérêt ;

Quant au moyen de prescription

20. Attendu que la requérante soutient que la décision attaquée est contraire au traité et aux règles relatives à son application, en raison de ce que la Commission, en engageant, le 31 mai 1967, une procédure à l'égard de la hausse de prix de janvier 1964, aurait dépassé toute limite raisonnable de temps ;

21. Attendu que les textes régissant le pouvoir de la Commission d'infliger des amendes en cas d'infraction aux règles de concurrence ne prévoient aucune prescription ;

Que, pour remplir sa fonction, un délai de prescription doit être fixé d'avance ;

Que la fixation de ce délai et de ses modalités d'application relève de la compétence du législateur communautaire ;

Que si, en l'absence de texte à cet égard, l'exigence fondamentale de la sécurité juridique s'oppose à ce que la Commission puisse retarder indéfiniment l'exercice de son pouvoir d'infliger des amendes, son comportement en l'espèce ne saurait être regardé comme constituant un empêchement à l'exercice de ce pouvoir en relation avec la participation aux pratiques concertées de 1964 et de 1965 ;

22. Que, dès lors, ce moyen n'est pas fondé ;

Moyens de fond sur l'existence de pratiques concertées

Thèses des parties

23. Attendu que la requérante fait grief à la Commission de n'avoir prouvé l'existence de pratiques concertées au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE à l'égard d'aucune des trois hausses visées par la décision attaquée ;

24. Attendu que cette décision considère qu'une première preuve du caractère concerté des hausses de 1964, 1965 et 1967 résiderait dans l'identité des taux appliqués par les différents producteurs dans chaque pays lors de chaque hausse, dans l'identité, à de très rares exceptions près, des matières colorantes qui en ont fait l'objet, ainsi que dans la très grande proximité, voire même l'identité, de la date de leur mise en application ;

Que ces hausses ne pourraient être expliquées par le seul fait que la structure du marché serait de nature oligopolistique ;

Qu'il ne serait pas plausible que, sans une concertation préalable, les principaux producteurs approvisionnant le Marché commun aient, à plusieurs reprises, majoré de pourcentages identiques, pratiquement au même moment, les prix d'une même et importante série de produits, y compris les produits spéciaux dont le degré d'interchangeabilité serait très bas, voire même nul, et cela dans plusieurs pays où les conditions du marché des colorants sont différentes ;

Que, devant la Cour, la Commission a soutenu que, pour qu'il y ait concertation, il ne serait pas nécessaire que les intéressés dressent en commun un plan en vue d'adopter un certain comportement ;

Qu'il suffirait qu'ils se mettent à l'avance réciproquement au courant de l'attitude qu'ils ont l'intention d'adopter, de sorte que chacun puisse régler son action en escomptant que ses concurrents auront un comportement parallèle ;

25. Attendu que la requérante soutient que la décision attaquée serait basée sur une conception erronée tant du marché des produits en cause que de la notion de pratique concertée, en identifiant celle-ci avec le comportement sciemment parallèle des participants à un oligopole, alors même qu'il serait dû à des décisions autonomes de chaque entreprise, déterminées par des nécessités économiques objectives, et notamment par l'exigence de redresser le niveau insatisfaisant de rentabilité de la production des matières colorantes ;

Qu'en effet, les prix des produits en cause auraient manifesté une tendance constante à la baisse en raison de ce que le marché de ces produits serait caractérisé par une vive concurrence entre producteurs portant non seulement sur la qualité des produits et l'assistance technique à la clientèle, mais également sur les prix, par le moyen notamment de rabais importants, octroyés individuellement aux principaux acheteurs ;

Que l'identité des taux de hausse résulterait de l'existence du "price-leadership" d'une entreprise ;

Que le comportement de Geigy, lors de la réunion du 18 août 1967 à Bâle, serait caractéristique d'une entreprise dirigeant les prix sur un marché oligopolistique et n'aurait aucun rapport avec une pratique concertée ;

Que des hausses de prix différentes pour des produits interchangeables, ou ne pourraient amener à des résultats économiquement importants en raison du niveau limité des stocks et du temps nécessaire pour adapter les installations à une demande sensiblement accrue, ou conduiraient à une lutte ruineuse des prix ;

Que les matières colorantes non interchangeables n'auraient qu'une faible importance dans le chiffre d'affaires des producteurs ;

Que, compte tenu de ces caractéristiques du marché et eu égard au phénomène généralisé d'érosion continue des prix, chaque membre de l'oligopole ayant décidé de procéder à une hausse de ses prix pouvait raisonnablement s'attendre à être suivi par ses concurrents qui avaient les mêmes problèmes de rentabilité ;

Qu'enfin, la décision attaquée serait basée essentiellement sur des considérations théoriques, sans individualiser les éléments concrets susceptibles de prouver l'existence d'une pratique concertée ;

Quant à la notion de pratique concertée (Texte identique à l'arrêt 669J048, considérants 64-68)

Quant aux caractéristiques du marché des colorants (Texte identique à l'arrêt 669J048, considérants 69-82)

Quant aux hausses de 1964, 1965 et 1967 (Texte identique à l'arrêt 669J048, considérants 83-119)

Sur l'incidence de la concertation sur le commerce entre Etats membres

38. Attendu que la requérante soutient que les hausses de prix uniformes n'étaient pas susceptibles d'affecter le commerce entre les Etats membres, dès lors que, malgré les différences sensibles existant entre les prix pratiqués dans les différents états, les consommateurs ont toujours préféré effectuer leurs achats de colorants dans leur propre pays ;

39. Attendu qu'il ressort toutefois de ce qui précède que les pratiques concertées, en visant le maintien du fractionnement du marché, étaient susceptibles d'affecter les conditions dans lesquelles se déroule le commerce des produits en question entre les Etats membres ;

Que les parties qui ont mis en œuvre ces pratiques ont visé, lors de chaque hausse de prix, à réduire au minimum les risques de modifier les conditions de la concurrence ;

Que le caractère uniforme et simultané des hausses a servi notamment à figer des situations acquises, en évitant le glissement de la clientèle de chaque entreprise, et a donc contribué à préserver le caractère "cimenté" des marchés nationaux traditionnels des marchandises, au détriment de la liberté effective de circulation des produits en cause dans le Marché commun ;

40. Que, dès lors, ce moyen n'est pas fondé ;

Sur la compétence de la Commission

41. Attendu que la requérante dont le siège social est en dehors de la Communauté soutient que la Commission n'a pas compétence pour lui infliger des amendes en raison des seuls effets produits dans le Marché commun par des actes qu'elle aurait commis à l'extérieur de la Communauté ;

42. Attendu que, s'agissant d'une pratique concertée, il convient d'abord de savoir si le comportement de la requérante s'est manifesté dans le Marché commun ;

Qu'il résulte de ce qui précède que les hausses litigieuses ont été opérées dans le Marché commun et concernaient la concurrence entre producteurs opérant dans celui-ci ;

Que, dès lors, les actions en raison desquelles l'amende litigieuse a été infligée constituent des pratiques réalisées directement à l'intérieur du Marché commun ;

Qu'il ressort de ce qui a été dit à l'occasion du moyen relatif à l'existence des pratiques concertées, que la société requérante a décidé des hausses des prix de vente de ses produits aux utilisateurs dans le Marché commun, hausses ayant un caractère uniforme par rapport aux hausses décidées par les autres producteurs en cause ;

Qu'en se prévalant de son pouvoir de direction sur ses filiales établies dans la Communauté, la requérante a pu faire appliquer sa décision sur ce marché ;

43. Attendu que la requérante objecte que ce comportement est le fait de ses filiales et non d'elle-même ;

44. Attendu que la circonstance que la filiale a une personnalité juridique distincte ne suffit pas à écarter la possibilité que son comportement soit imputé à la société mère ;

Que tel peut être notamment le cas lorsque la filiale, bien qu'ayant une personnalité juridique distincte, ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l'essentiel les instructions qui lui sont imparties par la société mère ;

Que, lorsque la filiale ne jouit pas d'une autonomie réelle dans la détermination de sa ligne d'action sur le marché, les interdictions édictées par l'article 85, paragraphe 1, peuvent être considérées comme inapplicables dans les rapports entre elle et la société mère, avec laquelle elle forme une unité économique ;

Qu'en considération de l'unité du groupe ainsi formé, les agissements des filiales peuvent, dans certaines circonstances, être rattachés à la société mère ;

45. Attendu qu' il n'est pas contesté qu'à l'époque les filiales de la requérante établies dans le Marché commun étaient entièrement placées sous le contrôle de celle-ci ;

Que la requérante pouvait notamment influencer de manière déterminante la politique des prix de vente de ces filiales et qu'elle a utilisé en fait ce pouvoir à l'occasion des trois hausses de prix dont il est question ;

Qu' en effet, les télex relatifs à la hausse de 1964, que la requérante avait adressés à ses filiales dans le Marché commun, déterminaient de manière impérative pour leurs destinataires les prix et les autres conditions de vente que celles-ci devaient pratiquer à l'égard de leurs clients ;

Qu'à défaut d'indications contraires, il convient de penser qu'à l'occasion des hausses de 1965 et de 1967 la requérante n'a pas agi autrement dans ses rapports avec ses filiales établies dans le Marché commun ;

Que, dans ces conditions, la séparation formelle entre ces sociétés, résultant de leur personnalité juridique distincte, ne pourrait s'opposer à l'unité de leur comportement sur le marché aux fins de l'application des règles de concurrence ;

Qu'ainsi, c'est bien la requérante qui a réalisé la pratique concertée à l'intérieur du Marché commun ;

46. Qu'il y a donc lieu de déclarer que le moyen d'incompétence soulevé par la requérante n'est pas fondé ;

47. Attendu que la requérante excipe du caractère incomplet de la motivation de la décision en ce qu'elle n'aurait pas fait état du lien existant entre la société mère et ses filiales pour justifier la compétence de la Commission ;

48. Attendu que l'absence d'un argument relatif à la justification de cette compétence n'est pas de nature à entraver le contrôle du bien-fondé de la décision ;

Que, d'ailleurs, la Commission n'est pas tenue d'exposer dans ses décisions tous les arguments qu'elle pourrait par la suite invoquer pour s'opposer aux moyens d'illégalité qui seraient soulevés à l'encontre de ses actes ;

49. Que, dès lors, cette exception n'est pas fondée ;

50. Attendu en outre que la requérante reproche à la Commission de ne pas avoir tenu compte de sa situation particulière en tant qu'entreprise ayant son siège à l'extérieur de la Communauté ;

Qu'en raison des divergences de vue sur l'application du principe de la compétence fondée sur les effets, la requérante aurait pu estimer à bon droit que la Commission n'était pas compétente pour engager une procédure contre elle ;

Qu'il faudrait donc reconnaître qu'en tout état de cause la requérante aurait commis une erreur excusable et que les violations éventuelles de l'article 85, paragraphe 1, du traité ne seraient pas imputables à une faute de sa part ;

51. Attendu qu'il ressort de l'examen du moyen relatif à la compétence de la Commission que cette compétence se fonde, non sur les seuls effets résultant d'un comportement tenu à l'extérieur de la Communauté, mais sur une activité exercée à l'intérieur du Marché commun et imputable à la requérante ;

52. Que, dès lors, ce moyen n'est pas fondé ;

Sur l'amende

53. Attendu que, compte tenu du nombre et de l'importance des interventions de la requérante dans les pratiques illicites, des conséquences de celles-ci quant à la réalisation du Marché commun des produits en cause, le montant de l'amende est adéquat à la gravité de la violation des règles de concurrence communautaires ;

54. Attendu qu'aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens ;

Que la partie requérante a succombé en ses moyens ;

Qu'elle doit donc être condamnée aux dépens ;

LA COUR,

Rejetant toutes autres conclusions plus amples ou contraires, déclare et arrête :

1) Le recours est rejeté ;

2) La partie requérante est condamnée aux dépens de l'instance.