CA Paris, 25e ch. B, 28 octobre 2005, n° 04-06266
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
D. Duchêne (SA)
Défendeur :
Gobin
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Jacomet
Conseillers :
Mme Delmas-Goyon, M. Laurent-Atthalin
Avoués :
SCP Régnier-Sevestre-Régnier-Régnier-Aubert, Me Pamart
Avocats :
Mes Lumbroso, Mattei
Dans le courant de l'année 2002, Daniel Gobin a été destinataire d'au moins dix courriers de la société D. Duchesne, société de vente par correspondance, comportant des documents publicitaires relatifs à des loteries avec pré-tirage au sort du gagnant mettant en jeu un chèque de 10 000 euros ;
Estimant que chacun de ces courriers lui annonçait le gain d'un chèque de 10 000 euro, alors que les gains réclamés ne lui ont jamais été attribués, il sollicite la condamnation de la société D. Duchesne à lui payer la somme de 100 000 euro sur le fondement de la responsabilité quasi-contractuelle de l'article 1371 du Code civil ou, à tout le moins, de la responsabilité quasi-délictuelle de l'article 1382 du Code civil ;
Par jugement du 1er décembre 2003, le Tribunal de commerce de Melun n'a pas retenu la responsabilité contractuelle de la société D. Duchesne au motif que celle-ci avait pris soin de respecter les dispositions de l'article L. 121-36 du code de la consommation mais, en raison du harcèlement publicitaire dont Daniel Gobin a été victime, combiné à la tromperie, du fait des termes non dénués d'équivoque, a condamné la société D. Duchesne à lui payer la somme de 20 000 euro sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle, ainsi que 1 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Vu les conclusions déposées le 5 septembre 2005 par la société D. Duchesne, appelante en principal et intimée incidemment, aux termes desquelles elle demande à la cour, infirmant ce jugement en toutes ses dispositions, de débouter Daniel Gobin de ses demandes et de le condamner à lui verser une indemnité de 1 525 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :
Vu les conclusions déposées le 9 septembre 2004 par Daniel Gobin, intimé en principal et appelant incidemment, par lesquelles il sollicite la réformation du jugement sur la somme qui lui a été allouée à titre do dommages et intérêts et demande la condamnation de la société D. Duchesne à lui payer la somme de 100 000 euro au titre dosa responsabilité contractuelle ou quasi-contractuelle, outre la capitalisation des intérêts, ainsi que 3 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, subsidiairement, la somme de 100 000 euro sur le fondement de l'article 1382 du code civil ;
Sur ce, LA COUR,
Considérant que pour un exposé complet des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère aux énonciations du jugement déféré et aux écritures ci-dessus visées ;
Considérant qu'au soutien de son appel, la société D. Duchesne fait valoir que les documents incriminés annoncent des loteries avec pré-tirage et mettent bien on évidence l'aléa existant dans ce type d'opération promotionnelle, qu'il n'existe aucun engagement contractuel ni aucun engagement ferme de versement d'un prix, qu'elle a respecté l'obligation de gratuité imposée par l'article L. 121-36 du Code de la consommation et qu'aucune faute ne peut être mise à sa charge ;
Qu'elle expose que Daniel Gobin a été destinataire de deux types de documents permettant, les premiers, de prendre part à des loteries publicitaires avec pré-tirage au sort du gagnant, les seconds, de recevoir le règlement d'une prochaine opération promotionnelle ;
Qu'elle soutient que les premiers documents comportent un règlement du jeu intégralement imprimé sur un feuillet à l'intérieur de l'enveloppe contenant les documents publicitaires, particulièrement clair et précis sur les modalités du jeu et le caractère aléatoire du gain ;
Qu'en outre, le matériel publicitaire qui, selon elle, expose sur un mode attractif comme il est d'usage la possibilité pour le destinataire d'être l'éventuel gagnant du premier prix, indiquerait sans ambiguïté et de manière extrêmement visible qu'il s'agit d'un pré-tirage au sort et attirerait l'attention du client sur les modalités du jeu et l'aléa inhérent au pré-tirage, l'invitant à se reporter au règlement du jeu ;
Que les seconds documents seraient de simples documents publicitaires comportant l'offre de recevoir le règlement d'un prochain jeu intitulé l'envoi du chèque de 10 000 euro en recommandé" de manière à y participer, cette offre portant sur l'envoi du règlement d'un jeu et non pas le règlement d'une somme d'argent ;
Qu'elle estime que la démarche du consommateur qui participe à des jeux entièrement gratuits et qui tente de récupérer par la voie judiciaire une somme d'argent conséquente doit être également dénoncée, comme est dénoncé, à juste titre selon elle, l'emploi illicite des loteries ;
Considérant qu'en application de l'article L. 121-36 du Code de la consommation, les loteries publicitaires ne peuvent être pratiquées que si elles n'imposent aux participants aucune contrepartie financière ni dépense sous quelque forme que ce soit, le bulletin de participation devant on outre être distinct de tout bon de commande ;
Considérant, par ailleurs, qu'en application des dispositions de l'article 1371 du code civil, l'organisateur de loteries publicitaires qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence l'existence d'un aléa s'oblige, par ce fait purement volontaire, à te délivrer ;
Considérant, en l'espèce que dans le courant de l'année 2002, Daniel Gobin a reçu des documents publicitaires personnalisés lui annonçant de manière non équivoque qu'il était le gagnant d'un chèque de 10 000 euro ;
Que ces documents, diffusés sous les marques TV Direct Distribution ou les indispensables, parfois successivement sous les deux marques, comportaient en effet les messages suivants :
"confirmation officielle de gain" "c'est officiel, les résultats viennent de tomber. M. Gobin vous avez vraiment gagné! ... nous vous garantissons l'envoi de 10 000 euro (65 595,70 F) à votre ordre exclusif",
"constat de gain garanti d'huissier de justice" : "statut confirmé du destinataire : gagnant formellement identifié, nature du prix à remettre chèque, montant du chèque bancaire : 10 000,00 euro ; "toutes nos plus sincères félicitations! vous êtes déclaré officiellement, M. Gobin, grand gagnant d'un chèque, les 10 000,00 euro sont à vous-en nous retournant les documents nécessaires attendus par notre huissier dans les plus brefs délais", le nom et l'adresse du destinataire étant en outre précédés de la mention 'identification gagnant officiel' ;
"gagnant confirmé" : "M. Gobin, vous avez gagné de façon ferme et définitive la somme de 10 000,00 euro! payée par chèque de banque ;
"gros gain" "nature de l'opération, versement concours gros gain 002002 à M. Gobin, valeur en centimes d'euro : 1 000 000,00 mode de paiement chèque bancaire" ;
"envoi du chèque certifié de 70 000,00 euro confirmé": "attention M. Gobin si vous avez déjà reçu un chèque de 10 000,00 euro veuillez nous le signaler SVP! si vous n'avez toujours pas reçu de chèque (ce qui est possible) suivez attentivement les instructions à l'intérieur pour le réclamer sans attendre" ;
Considérant que c'est vainement que la société D. Duchesne persiste à soutenir que les documents publicitaires dont s'agit attireraient l'attention des consommateurs auxquels ils s'adressent sur les modalités du jeu et l'aléa inhérent au pré-tirage au sort du gagnant ;
Considérant, en effet, que si la mention qu'il s'agit d'un pré-tirage figure bien sur les documents, elle n'est accompagnée d'aucune explication concernant ce pré-tirage, cette seule mention ne permettant pas au consommateur non initié de comprendre l'aléa auquel est soumis le gain annoncé, alors au surplus que tout est conçu dans la présentation des documents pour que le destinataire comprenne qu'il est le gagnant désigné par ledit tirage au sort, ainsi qu'illustré par des mentions telles que "votre numéro personnel a été choisi" ou "cher M. Gobin, bravo, bravo et encore bravo, vous pouvez vraiment me croire, vous avez officiellement gagné car le tirage au sort a déjà eu lieu devant huissier!".
Que de même, sites termes "aléa" ou "gain potentiel" sont utilisés dans certains envois, en petites lettres et sans autre explication permettant d'en comprendre la portée, ils sont noyés dans un message dont l'unique objet est de convaincre le destinataire qu'il est le gagnant du jeu et qu'en renvoyant un bulletin de réclamation de son gain, il recevra le chèque de 10 000 euro annoncé ;
Considérant que c'est encore en vain que la société D. Duchesne souligne qu'une mention figure dans la partie inférieure du bon de commande précisant: "... vous avez participé à un pré-tirage contrôlé par huissier de justice, ce qui signifie que le ou les gagnants potentiels ont d'ores et déjà été définis et que vous avez une réelle possibilité d'être parmi eux. il s'agit donc bien pour vous d'une éventualité et non d'une certitude ... et que le règlement du jeu est joint aux documents publicitaires ;
Qu'en effet, ces deux éléments d'information, les seuls qui indiquent en vérité l'existence d'un aléa, sont conçus pour dissuader le destinataire d'en prendre connaissance, la mention précitée par son emplacement et la petite taille de ses caractères, et le règlement du Jeu par sa présentation en bloc compact de 17 articles qui se suivent, sans aucun espace et en très petits caractères, ce qui le rend illisible ;
Considérant qu'en dépit du renvoi des documents réclamés pour pouvoir bénéficier des chèques, Daniel Gobin n'a jamais reçu les gains annoncés ;
Considérant que Daniel Gobin a également reçu d'autres documents dans lesquels il lui était indiqué, dans la notification d'envoi confirmé de règlement": "dès réception de votre commande autorisant ledit envoi, je m'engage personnellement et formellement à procéder à la remise de ce règlement ci-dessous désigné, soit "l'envoi du chèque de 10 000,00 euro en recommandé" sous contrôle d'un huissier de justice conformément aux clauses administratives obligatoires",
dans la "confirmation expresse de remise" : "concernant les règlements validés par huissier de justice l'envoi du chèque de 10 000 euro en recommandé" que la direction générale vous a attribué est prêt!" ;
Que la société D. Duchesne ne peut sérieusement prétendre que ce qui est promis dans ces documents est l'envoi du règlement d'un prochain jeu dès lors que tant par la rédaction des termes mêmes de l'annonce et l'emploi du mot à double sens "règlement" que par la garantie annoncée d'un envoi sous contrôle d'un huissier de justice, elle a voulu à l'évidence faire croire à l'envoi, non d'un règlement de jeu, mais d'un chèque de 10 000 euro, ce que dit d'ailleurs expressément la "notification d'envoi confirmé de règlement" lorsqu'elle ajoute : "C'est absolument sûr, M. Gobin, "l'envoi du chèque de 10 000 euro en recommandé" vous sera bien adressé si vous commandez au moins un article dans notre catalogue joint! Je m'engage personnellement à établir le chèque bancaire à votre nom si vous retournez l'acte d'acceptation préalable de chèque, sans que le terme "règlement ne soit même repris" ;
Que le document intitulé "lisez ceci avec attention" inclus dans l'un de ces courriers se borne à des indications d'ordre général sur le fait que la commande d'un produit permet de faire partie des listes de clients et, de ce fait, de recevoir des règlements de jeux auxquels le destinataire pourra participer gratuitement, aucune référence n'étant faite au "règlement" objet de la publicité en cause ;
Considérant qu'à l'instar de ceux précédemment discutés, ces documents annoncent un gain qui ne sera pas délivré :
Considérant, par ailleurs, qu'est inexacte l'affirmation de la société D. Duchesne, reprise par le tribunal, selon laquelle elle aurait respecté les dispositions de l'article L. 121-36 du Code de la consommation :
Que pour bénéficier du "règlement" ci-dessus évoqué, en effet, le client se voit imposer de commander au moins un article du catalogue joint à l'envoi et dans les autres jeux, il est précisé qu'en commandant un ou plusieurs articles du catalogue, le destinataire bénéficie "gratuitement" du traitement en priorité absolue de son dossier, le chèque gagné devant lui parvenir plus vite, ceci n'ayant toutefois pas d'incidence sur les dispositions ci-après ;
Considérant, ainsi, qu'en adressant à Daniel Gobin au moins dix envois dans chacun desquels elle lui annonçait qu'il était le gagnant d'un chèque de 10 000 euro, sans mettre en évidence l'aléa lié à l'obtention de ces gains, la société D. Duchesne s'est obligée à délivrer le montant des gains annoncés, dont il n'est pas discuté qu'il s'élève au total à la somme de 100 000 euro ;
Qu'il convient en conséquence, substituant au fondement de la responsabilité quasi-délictuelle retenu par les premiers juges celui de la responsabilité quasi-contractuelle de l'article 1371 du Code civil et réformant le jugement sur le quantum, de condamner la société D. Duchesne à payer à Daniel Gobin la somme de 100 000 euro, avec intérêts au taux légal à compter de la date du présent arrêt, en l'absence de demande autre sur ce point, et capitalisation de ces intérêts, le cas échéant, dans les conditions de l'article 1154 du Code civil;
Que la société D. Duchesne sera on outre condamnée à verser à Daniel Gobin une indemnité complémentaire de 2 000 euro pour les frais exposés par lui en cause d'appel, en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Que la société D. Duchesne sera également condamnée aux dépens de l'appel ;
Par ces motifs ; Confirme le jugement déféré, sauf sur le quantum, Statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant, Condamne la société D. Duchesne à payer à Daniel Gobin la somme de 100 000 euro, avec intérêts au taux légal à compter de la date de l'arrêt et capitalisation de ces intérêts dans les conditions de l'article 1154 du Code civil, Condamne la société D. Duchesne à payer à Daniel Gobin une indemnité de 2 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Rejette toute autre demande, Condamne la société D. Duchesne aux dépens de l'appel, et admet Maître R. Pamart, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.