CA Caen, 1re ch. sect. civ., 10 décembre 2002, n° 01-01274
CAEN
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Supercham (Sté)
Défendeur :
Prodim (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Callé
Conseillers :
Mlle Cherbonnel, Mme Ody
Avoués :
SCP Mosquet Mialon d'Oliveira Leconte, SCP Grandsard Delcourt
Avocats :
Mes Brouard, Bednarski
Dans le cadre d'un différend opposant les sociétés Supercham et Prodim quant à l'exécution des contrats de franchise et d'approvisionnement qu'elles ont signé le 18 janvier 1991, il a été rendu une première sentence arbitrale, le 23 septembre 1998, désormais définitive et exécutée, qui a :
- constaté que les parties sont d'accord pour considérer que les contrats de franchise et d'approvisionnement sont résiliés,
- dit que la résiliation est imputable à la société Supercham,
- condamné la société Supercham à payer, après compensation, à la société Prodim la somme de 88 929,21 F au titre des marchandises livrées et non réglées,
- condamné la société Supercham à payer à la société Prodim la somme de 209 025 F au titre de la clause pénale figurant à l'article 6 du contrat de franchise,
- accordé à la société Supercham un délai de deux ans pour s'acquitter de cette indemnité de 209 025 F,
- dit que chacune des parties supportera la moitié des honoraires des arbitres,
- rejeté les autres demandes des parties.
La société Prodim a, à nouveau, engagé une procédure arbitrale, en application de la clause compromissoire incluse dans les contrats, aux fins d'obtention de dommages et intérêts du fait de la violation de la clause de non-réaffiliation stipulée dans le contrat de franchise, après avoir relevé que le précédent tribunal arbitral ne se serait pas prononcé sur le fondement de cette demande nouvellement formulée, prétention à laquelle s'est opposée la société Supercham.
Par sentence du 25 avril 2001, le second tribunal arbitral a :
- rejeté la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée,
- condamné la société Supercham, en raison de son manquement, dûment établi et constaté, à la clause de non-réaffiliation, à verser à la société Prodim à titre de dommages et intérêts, la somme de 100 000 F,
- rejeté les demandes reconventionnelles de la société Supercham,
- condamné les parties aux frais et honoraires des arbitres, la société Supercham aux 2/3, et la société Prodim à 1/3,
- condamné la société Supercham, compte tenu de l'avance intégrale des frais et honoraires des arbitres par la société Prodim, à en rembourser à cette dernière les 2/3, soit la somme de 140 000 F HT, correspondant à la somme de 167 740 F TTC,
- rejeté toutes les autres demandes des parties,
- décidé que cette sentence sera assortie de l'exécution provisoire,
La société Supercham a formé un recours en annulation à l'encontre de cette sentence arbitrale.
Vu les conclusions déposées :
- le 4 octobre 2002, par la société Prodim qui conclut à l'irrecevabilité de ce recours, au débouté de la société Supercham de toutes ses demandes, à sa condamnation aux sommes de 7 625 euro à titre de dommages et intérêts pour "appel" abusif et 7 625 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
- le 21 octobre 2002, par la société Supercham tendant à l'annulation de ladite sentence, au débouté de la société Prodim de ses demandes reconventionnelles et à sa condamnation à lui verser la somme de 8 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Vu l'ordonnance de clôture en date du 30 octobre 2002,
Sur ce,
La demande d'annulation se fonde sur trois des six cas limitativement visés par l'article 1484 du nouveau Code de procédure civile, à savoir : l'arbitre a statué sans se conformer à la mission qui lui a été conférée, l'arbitre a violé une règle d'ordre public, et la sentence n'est pas motivée, cas de nullité prévu à l'article 1480, lequel renvoie notamment à l'alinéa 2 de l'article 1471 du même Code.
1) Sur la violation des dispositions d'ordre public
a) Sur l'autorité de la chose lugée :
L'autorité de la chose jugée, constitutive d'une fin de non-recevoir, n'a pas un caractère d'ordre public.
Elle ne prend un caractère d'ordre public que dans les deux hypothèses suivantes : lorsque sont en cause des droits dont les parties n'ont pas la libre disposition et lorsque, au cours d'une même instance, il est statué sur les suites d'une précédente décision passée en force de chose jugée.
Or, aucune de ces deux hypothèses ne correspond à la présente espèce alors, d'une part, que sont concernés des droits dont les parties ont la libre disposition, d'autre part, que le second tribunal arbitral a statué dans le cadre d'une instance différente de celle du premier, en vertu d'un nouveau compromis d'arbitrage, quand bien même les demandes de la société Prodim se fondent sur l'exécution des contrats de franchise et d'approvisionnement résiliés par la première sentence.
Dans leur sentence du 25 avril 2001, les arbitres ont largement motivé leur décision relative à la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée et il n'appartient pas à la cour de reprendre ou remettre en cause cette motivation des arbitres qui, en qualité d'amiables compositeurs, n'avaient pas l'obligation de se référer aux règles de droit.
De ce premier chef, la société Supercham doit être déboutée,
b) Sur l'ordre public économique :
La société Supercham est mal fondée à rechercher, sous couvert d'une demande en annulation, qu'il soit à nouveau statué au fond.
Il convient tout d'abord de souligner que la clause litigieuse, habituellement appelée clause de non-concurrence, est en réalité une clause de non-réaffiliation interdisant d'utiliser, pendant une période de trois ans et dans un rayon de cinq kilomètres, une enseigne de renommée nationale ou régionale déposée ou non et d'offrir en vente des marchandises dont les marques sont liées à cette enseigne.
Une telle clause, qui n'interdit pas totalement la poursuite d'une activité commerciale identique, et se trouve limitée dans le temps et dans l'espace, n'est pas contraire aux règles d'ordre public européen, tel qu'il résulte de l'article 85, devenu 81, du traité de 25 mars 1957 instituant la Communauté économique européenne qui interdit les pratiques concertées susceptibles d'affecter le commerce entre les Etats membres ou qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun.
Les contrats de franchise Shopi, réseau qui reste exclusivement français, ne rentrent pas dans les prévisions de ce texte.
Par ailleurs, il n'est pas démontré que la clause de non-réaffiliation viole quelconque règle de droit national qui soit d'ordre public. Elle constitue une simple restriction, certes non négligeable, mais limitée dans l'espace et dans le temps, d'exercice d'une activité similaire sous une enseigne de renommée nationale ou régionale et de vente de produit liés à celle-ci.
Il n'y a, en conséquence, pas lieu à annulation de ce chef.
c) Sur les demandes reconventionnelles :
La société Supercham expose que le tribunal arbitral a violé l'ordre public en refusant d'examiner ses demandes reconventionnelles.
Mais le tribunal arbitral a largement exposé les raisons pour lesquelles il écartait ces demandes.
Sur celle de dommages-intérêts pour manquement de la société Prodim à son obligation précontractuelle d'information, les arbitres ont relevé que la même demande en dommages-intérêts sur le même fondement avait été rejetée par la précédente sentence arbitrale, de sorte que devait s'appliquer le principe de l'autorité de la chose jugée, en l'absence de fait nouveau qui aurait motivé la situation des parties.
Les arbitres ont d'ailleurs, au surplus, exposé que les pièces produites ne font que confirmer la justesse, tant en droit qu'en équité, de la solution retenue par la sentence arbitrale du 23 septembre 1998.
Sur la seconde demande tenant à l'obtention de la justification de l'emploi des sommes versés à la société Prodim au titre des redevances de publicité, les arbitres exposent, d'une part que n'est formée aucune demande de restitution des dites redevances et, d'autre part, qu'une action en répétition serait infondée tant en droit qu'en équité, notamment à raison du temps écoulé.
Ces motivations, sur le fond desquelles la cour n'a pas à se prononcer, ne violent aucune règle d'ordre public qui serait susceptible de générer la nullité de la sentence entreprise
II) Sur le défaut de motivation
La sentence du 25 avril 2001 est longuement motivée.
Il a déjà été précisé que la motivation était suffisante en ce qui concerne l'absence d'autorité de la chose jugée attachée à la première sentence du 23 septembre 1998, en ce qui concerne la demande de la société Prodim.
La société Supercham prétend que les arbitres n'ont pas motivé leur sentence sur le point de savoir si l'enseigne Coccinelle fait partie de celles qui ont une renommée nationale ou régionale.
Toutefois, les arbitres ont indiqué que l'enseigne Coccinelle est " bien connue en France ", ce qui la place dans les enseignes de renommée nationale ou régionale. Ils ont relevé que ladite enseigne Coccinelle commercialise ses propres produits de marque " Belle France ", produits qu'a distribué la société Supercham après le changement d'enseigne.
Ainsi, par ces seules constatations, la création et la commercialisation de produits d'une marque propre nécessitant une organisation qui ne peut se concevoir qu'au niveau national, ou à tout le moins régional, les arbitres ont suffisamment motivé leur décision.
Il n'y a, en conséquence, pas lieu à annulation de ce chef.
III) Sur les limites de la mission
La société Supercham prétend que les arbitres ont statué au-delà de la mission qui leur était dévolue en prononçant des condamnations au titre des honoraires d'arbitrage.
Cependant, outre le fait que les arbitres doivent nécessairement statuer sur la prise en charge de leurs honoraires quand bien même la clause compromissoire est muette sur ce point, il échet de constater que chacune des parties, dans son mémoire déposé devant le tribunal arbitral, a demandé que l'autre soit condamnée" aux entiers dépens en ce compris les frais et honoraires des arbitres".
Ces derniers n'ont, en conséquence, pas outrepassé les limites de leur mission.
IV) Sur les dommages et intérêts, les frais irrépétibles et les dépens
Le recours exercé par la société Supercham n'est pas manifestement abusif, de telle sorte que la société Prodim, qui ne justifie d'ailleurs pas du préjudice que ce recours lui aurait causé, doit être déboutée de sa demande de dommages et intérêts.
En revanche, il y a lieu de faire application au profit de cette dernière, qui a exposé des frais à l'occasion de ce recours, des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, pour un montant qu'il est équitable de fixer à 4 000 euro.
La société Supercham, dont les demandes sont rejetés, ne saurait obtenir quelconque somme de ce chef et doit conserver à sa charge les entiers dépens de la présente procédure en annulation.
Par ces motifs, LA COUR, Rejette les demandes en annulation présentées par la société Supercham contre la sentence arbitrale rendue le 25 avril 2001 ; Condamne la société Supercham à verser à la société Prodim la somme de 4 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Déboute les parties de leurs autres demandes; Condamne la société Supercham aux entiers dépens, avec application des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile au profit de la SCP Grandsard Delcourt, avoué.