CA Montpellier, 2e ch. A, 15 novembre 2005, n° 04-00165
MONTPELLIER
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Au Pain d'Anis (SARL), Cochard (Epoux)
Défendeur :
Moly (SA), Molydis (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Schmitt
Conseillers :
MM. Chassery, Magne
Avoués :
SCP Divisia-Senmartin, SCP Jougla-Jougla
Avocats :
Mes Marty, Bensoussen
Vu le jugement rendu le 28 octobre 2003 par le Tribunal de commerce de Rodez ;
Vu l'appel interjeté à l'encontre de ce jugement dans les conditions dont la régularité n'est pas discutée ;
Vu les conclusions de la société Au Pain d'Anis, appelante, déposées le 11 octobre 2005 ;
Vu les conclusions des sociétés Moly et Molydis, intimées, ainsi que les époux Cochard, intervenants, déposées le 5 octobre 2005 ;
Sur ce,
Attendu que pour l'exposé des moyens et prétentions des parties il est renvoyé par application des dispositions de l'article 455 du NCPC, à leurs conclusions visées ci-dessus ;
Attendu que la société Moly (le franchiseur), qui exploite un réseau de boulangeries-pâtisseries et a organisé un réseau de franchise sous l'enseigne "Les délices du mitron", s'est vu confier le 28 décembre 1998 par Olivier Cochard, désigné comme candidat franchisé, la mission de rechercher un emplacement moyennant rémunération puis, au vu de comptes d'exploitation prévisionnels, d'une étude de marché et d'un budget d'investissement qu'elle a élaborés, a conclu le 3 décembre 2000 avec la société Au Pain d'Anis (le franchisé), constituée à cet effet par Olivier Cochard, un contrat de franchise relatif à une boulangerie située à Nîmes dans les locaux d'une ancienne station-service sélectionnée par le franchiseur et acquis à la fin de l'année 1999 par le franchisé, à exploiter selon la méthode du terminal de cuisson et le savoir-faire du franchiseur, et approvisionnée exclusivement en pains et pâtisseries crus congelés par ce dernier;
Attendu que, le chiffre d'affaires et le résultat prévisionnel n'ayant pas été atteints, le franchisé a assigné le franchiseur en nullité du contrat de franchise et en remboursement de son investissement et s'est vu réclamer reconventionnellement le règlement de factures en souffrance tant par le franchiseur que par un autre fournisseur, la société Molydis, intervenante volontaire ; que par le jugement attaqué le Tribunal de commerce de Rodez a rejeté la demande principale et fait droit aux demandes du franchiseur et de l'intervenante aux motifs que le franchisé avait accepté en connaissance de cause l'emplacement sélectionné par le franchiseur, avait le projet d'exploiter en synergie la boulangerie et la station-service, devait en grande partie son échec à l'inexpérience d'Olivier Cochard, et ne rapportait la preuve ni du caractère grossièrement erroné des prévisions qui lui avaient été soumises par le franchiseur, ni de la défaillance de ce dernier en cours d'exécution du contrat ;
Attendu que le franchisé, qui a cédé fin 2003 son fonds au Conseil général du Gard, persiste dans sa demande d'annulation et d'indemnisation, les époux Cochard, parents d'Olivier Cochard, apporteurs de fonds et garants des engagements de la société franchisée, qui sont intervenus dans la procédure pour la première fois en appel, réclamant le remboursement de leurs apports et l'indemnisation de leur préjudice personnel; que pour sa part le franchiseur conclut à l'irrecevabilité de l'appel, des conclusions du franchisé et de l'intervention des époux Cochard, ainsi qu'à la confirmation du jugement attaqué ;
Attendu qu'il résulte des pièces jointes produites que la société franchisée a cessé son activité le 1er janvier 2003 avant d'interjeter appel le 4 janvier 2004, puis a cédé un droit au bail le 27 février 2004 mais est restée immatriculée au registre du commerce jusqu'à ce jour sans mention de dissolution: qu'il n'en découle pas que, comme soutenu par le franchiseur, la société franchisée a pris fin au sens de l'article 1844-7-2 du Code civil par la réalisation ou l'extinction de son objet, dès lors qu'elle est constituée et immatriculée au registre du commerce pour une activité générique de station-service et de boulangerie sans référence à un fonds précis, notamment celui concerné par la franchise, et que, conservant la faculté de s'établir à un autre endroit pour la même activité, sa mise en sommeil de fait n'entraîne pas la disparition de son objet; que seront par suite rejetées les conclusions du franchiseur tendant à l'irrecevabilité de l'appel et des conclusions de la société appelante pour défaut de capacité de cette dernière et de son organe de représentation ;
Attendu que l'article 554 du NCPC permet aux personnes qui n'ont été ni parties ni représentées en première instance ou qui y ont figuré en une autre qualité d'intervenir en cause d'appel ; que, hormis l'hypothèse d'une prétention ne tendant qu'à l'obtention du bénéfice d'une disposition légale impérative directement liée au débat soumis aux premiers juges et en découlant nécessairement, ce texte ne permet cependant pas à un intervenant en cause d'appel de soumettre à la cour un litige nouveau et de réclamer des condamnations personnelles non soumises aux premiers juges; qu'il en résulte qu'est irrecevable l'intervention en cause d'appel des époux Cochard qui tend à l'indemnisation non réclamée aux premiers juges du préjudice personnel qu'ils prétendent avoir subi par ricochet du fait de la nullité du contrat de franchise et des fautes imputées au franchiseur ;
Attendu qu'il résulte des bilans versés aux débats, fiables à cet égard malgré les doléances du commissaire aux comptes de la franchisée qui, pour les comptes de l'année 2001 uniquement, a fait état de distorsions et d'erreurs d'appréciation commises par la comptable n'affectant pas les ordres de grandeur en l'absence de démonstration concrète, que la franchisée n'a, jusqu'à sa cessation d'activité le 1er novembre 2002, réalisé que des pertes et la moitié environ du chiffre d'affaires annoncé dans les comptes prévisionnels établis par le franchiseur, que ce dernier en impute la responsabilité, non à ses prévisions qu'il dit sérieuses et établies en considération des résultats obtenus par un autre de ses franchisés exerçant dans la même agglomération, mais à la carence du franchisé qui a fermé son magasin pendant trois semaines dès la première année, n'a pas fait achever les travaux de rénovation immobilière préconisés et est entré en conflit avec un entrepreneur et son bailleur, n'a pas apporté à son affaire toute l'attention nécessaire au plan de la gestion et a, notamment, laissé son magasin partir à la dérive avec du personnel pléthorique ;
Attendu cependant que :
- bien que les comptes prévisionnels soumis au franchisé avant la conclusion du contrat de franchise mentionnent qu'ils ont été établis à partir d'éléments de 250 magasins l'étude de base dont ils sont ainsi censés être issus, et qui devrait nécessairement exister, n'a pas été produite malgré l'insistance du franchisé ;
- contredisant les termes de l'information précontractuelle, le franchiseur soutient à présent que les comptes prévisionnels ont été élaborés à partir des résultats d'un autre magasin de son réseau qu'il n'identifie pas et dont il ne fournit pas les comptes, de sorte que toute vérification est impossible ;
- les comptes prévisionnels ont été nécessairement élaborés en considération d'une ouverture sept jours de sept heures du matin à vingt heures trente le soir imposée par le contrat de franchise illégale au regard de l'obligation édictées par un arrêté du 8 novembre 1990 de fermer un jour par semaine et de n'ouvrir que cinq dimanches par an au plus dans le département du Gard, cette violation non contestée de la réglementation, qu'elle soit intentionnelle ou procède d'une négligence, étant d'autant plus significative que les états comptables produits démontrent que le chiffre d'affaires, en soi insuffisant pour que le seuil de rentabilité figurant dans les prévisions soit atteint, était deux fois plus important le dimanche que les jours de semaine ;
- l'importance du chiffre d'affaires du dimanche démontre, d'une part que le fonds créé n'a attiré préférentiellement les clients de la zone d'exclusivité concédée qu'à titre de dépannage sur un créneau largement illégal, d'autre part que la clientèle de passage censée selon les prévisions générer une part prépondérante du chiffre d'affaires a été amplement surestimée dans les prévisions ;
- ne constitue la cause déterminante de cette situation, ni le désintérêt simplement affirmé du créateur de la société franchisée et nié par ce dernier, ni son inexpérience parfaitement connue en ce qu'elle ressortait des renseignements annexés au contrat de franchise et en toute hypothèse relative compte tenu du peu de compétence technique que nécessitait le fonctionnement de la boulangerie, ni une fermeture pendant quinze jours au mois d'août en l'an 2000 dont le franchisé a démontré l'opportunité compte tenu de la modicité du chiffre d'affaires et de l'importance des frais fixes, ni encore l'inachèvement, dans une proportion non démontrée, des travaux de rénovation immobilière auxquels le franchiseur n'a pas fait allusion au nombre des remèdes proposés en exécution de son devoir contractuel d'assistance après s'être rendu sur les lieux, et pas davantage un conflit avec le bailleur et un entrepreneur aux répercussions incertaines et non quantifiables ;
- cette cause réside, selon ce que l'information fragmentaire fournie par le franchiseur et les comptes du franchisé permettent de déduire, en premier lieu dans le choix, préconisé par le franchiseur qui a assumé à cet égard une mission rémunérée et était seul à même de porter un jugement éclairé, de la combinaison d'une activité de boulangerie et de station-service qui, quelle que fût l'attractivité propre de cette dernière a, selon une judicieuse opinion émise par un conseil du franchisé, contaminé l'image du fonds de boulangerie, en second lieu dans le choix, par le franchiseur dont le franchisé n'a fait que suivre les recommandations, d'un emplacement que les photographies produites révèlent comme peu attractif et dont un témoin rapporte sans être contesté qu'en sa présence le responsable du franchiseur l'avait qualifié de non-valable, en troisième lieu et à tout le moins, en l'absence de démonstration de la mauvaise qualité des produits et services offerts par le franchisé et de tout renseignement permettant de déterminer avec une certitude suffisante les itinéraires et tropismes de la clientèle potentielle, dans la saturation du secteur en boulangeries découlant notamment de la présence d'une grande surface à proximité, ainsi que dans l'important taux de fidélité des clients rapporté par une revue professionnelle et illustré tant par les affirmations du franchiseur quant à la progression de l'activité des concurrents directs que par les comptes de l'un d'eux versés aux débats ;
Attendu qu'il en résulte que le franchiseur, s'il n'avait pas comme il le soutient l'obligation de fournir des comptes prévisionnels pour satisfaire aux exigences des articles L. 330-3 du Code de commerce et du décret du 4 avril 1991, n'en a pas moins par sa négligence et son impéritie fourni au candidat à la franchise des renseignements établis sur des bases purement théoriques et des conseils lourdement erronés qui ont induit ce dernier en erreur quant à l'opportunité et à la rentabilité de l'opération; qu'il sera en conséquence fait droit à la demande d'annulation du contrat de franchise et de restitution du doit d'entrée versé de 5 336 euro ;
Attendu que le franchisé réclame à titre de dommages-intérêts le remboursement de la somme de 54 119 euro correspondant à l'emprunt contracté, de celle de 109 117 euro correspondant au montant des crédits-baux, et de celle de 79 863 euro correspondant aux pertes enregistrées; que seront écartées les objections du franchiseur tirées :
- d'erreurs de gestion prétendues commises par le franchisé et se trouvant à l'origine des pertes alors que, appelé à fournir son assistance, il s'est contenté de préconiser la compression de la masse salariale dans une mesure incompatible avec une existence décente pour le personnel subsistant, et de recommander des modifications de détail ou des opérations de promotion à l'évidence sans incidence significative sur le handicap d'origine dont souffrait le fonds et dont il n'est pas même établi qu'elles n'auraient pas été mises en œuvre ;
- du manque de sécurité des comptes du franchisé alors que, en mesure de procéder à des reconstitutions à partir de la quantité de matières premières livrées par lui en exclusivité et des ratios comptables nécessairement précis de son réseau, il s'est abstenu d'avancer des chiffres contredisant substantiellement ceux qu'il critique ;
- de la conservation par le franchisé des matériels financés au moyen de crédit-baux, ceux-ci étant, en l'absence de démonstration contraire, restés la propriété des crédit-bailleurs après la résiliation non contestées des contrats, en raison de la nature de ces derniers ;
Attendu que dans le contrat de franchise le franchiseur s'est engagé, pour l'ensemble de ses livraisons de produits, à accorder au franchisé une remise de 8 % sur son tarif général ; que, soutenant qu'il n'en a pas bénéficié, le franchisé réclame de ce chef une somme de 20 000 euro ; que cette demande sera satisfaite, alors que les factures partiellement versées aux débats ne font pas apparaître la déduction promise, en l'absence de toute contestation du franchiseur quant à son principe et au montant de la créance ;
Attendu que le franchiseur de la société Molydis réclament le paiement de factures en souffrance respectivement de 52 115,92 et 2 433,51 euro mais n'en fournissent pas le détail ni aucun justificatif et n'invoquent aucun moyen de preuve autre que ceux qu'ils pourraient eux-mêmes détenir ; que, n'étant pas établi et soutenu que les dettes fournisseurs révélées par le bilan du franchisé arrêté au 31 décembre 2004 correspondent aux livraisons litigieuses, les demandes, compte tenu des contestations du franchisé, seront en conséquence rejetées ;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Déclare l'appel recevable, Déclare irrecevable l'intervention des époux Cochard, Au fond, infirme la décision attaquée et, statuant à nouveau, Annule le contrat de franchise du 3 décembre 2000 ayant lié la société Au Pain d'Anis à la société Moly, Déboute les sociétés Moly et Molydis de leurs demandes en paiement de factures ; Condamne la société Moly à payer à la société Au Pain d'Anis les sommes de 5 336 euro en remboursement du droit d'entrée, de 20 000 euro au titre de la remise contractuelle sur les livraisons, et de 79 863 euro à titre de dommages-intérêts ; Condamne les époux Cochard aux entiers dépens nés de leur intervention ; Met le surplus des dépens de première instance et d'appel à la charge des sociétés Moly et Molydis qui seront tenues in solidum entre elles ; Condamne la société Moly à payer à la société Au Pain d'Anis une somme de 5 500 euro par application des dispositions de l'article 700 du NCPC ; Admet les avoués des parties gagnantes au bénéfice des dispositions de l'article 699 du NCPC.