CA Paris, 1re ch. H, 13 septembre 2005, n° ECEC0812919X
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
OGF (SA)
Défendeur :
Lamotte et Fils (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pezard
Conseillers :
M. Remenieras, Mme Mouillard
Avocat :
Me Cerny
Par lettre du 5 octobre 1993, enregistrée le 11 octobre 1993, la société Pompes Funèbres Privées Marbrerie Lamotte et Fils (ci-après Lamotte et Fils) a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre dans le Val-de-marne par la société Pompes Funèbres Générales, devenue la société OGF (ci-après OGF).
Par décision n° 00-D-58 du 6 décembre 2000, le Conseil de la concurrence a sursis à statuer afin qu'il soit procédé à un complément d'instruction.
Le 2 mars 2004, les griefs suivants ont été notifiés à OGF :
- d'avoir, sur les marchés des pompes funèbres de Villeneuve-Saint-Georges, de Bry-sur-Marne et de Saint-Maur et de leurs communes avoisinantes, exploité au cours des années 1992, 1993, et 1994 de façon abusive sa position dominante en mettant en place, dans le seul funérarium du secteur dont elle avait la gestion exclusive, d'une part, des informations à l'entrée, dans le hall et le bureau d'accueil, et d'autre part, des indications sur les factures destinées aux clients, susceptibles de créer une confusion entre l'activité de la chambre funéraire municipale et son activité de prestataire de service en matière d'organisation des funérailles et de rendre ainsi plus difficile le choix des familles pour un opérateur concurrent (3 griefs);
- d'avoir abusé de sa position de gestionnaire exclusif des seules chambres funéraires existant dans les villes de Villeneuve-saint-Georges, Bry-sur-Marne et Saint-Maur pour mettre en place des conventions avec les hôpitaux et maisons de retraite ne disposant pas de chambre mortuaire qui, en prévoyant la gratuité du transport des défunts au funérarium, ont eu pour objet ou pour effet d'inciter ces établissements à s'adresser à elle de manière préférentielle pour le transfert des corps et ainsi de rendre plus difficile le choix des familles pour un opérateur concurrent qui ne pouvait au surplus bénéficier de la gratuité de cette prestation (1 grief).
Le 9 mars 2004, la Présidente du Conseil de la concurrence a décidé que la procédure serait poursuivie sans établissement d'un rapport, conformément à l'article L. 463-3 du Code de commerce.
Après réception de la notification des griefs, OGF a sollicité le bénéfice des dispositions de l'article L. 464-2 II du Code de commerce auprès du rapporteur général.
Par procès-verbal du 10 mai 2004, OGF a déclaré ne pas contester, compte tenu de l'ancienneté des faits, les griefs notifiés et a souscrit divers engagements (reproduits au point 75 de la décision). En contrepartie, le rapporteur général s'est engagé à demander au Conseil d'accorder à OGF le bénéfice de l'article L. 464-2-II et à proposer que la sanction pécuniaire encourue soit réduite dans une proportion allant de 40 % à 50 % du montant qui aurait normalement été infligé en application de l'article L. 463-3.
Par décision n° 4-D-37 du 27 juillet 2004, le Conseil de la concurrence a décidé que :
"Article1 : Il est établi que la société OGF a enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce.
Article 2 : il est pris acte des engagements souscrits par la société OGF tels qu'ils sont mentionnés au paragraphe 77 de la présente décision et il lui est enjoint de s'y conformer en tous points.
Article 3 : Il est infligé à la société OGF une sanction pécuniaire de 76 224 euro."
Par déclaration déposée au greffe de la Cour d'appel de Paris le 26 août 2004, OGF a formé un recours contre cette décision. Dans l'exposé de ses moyens déposé le 27 septembre 2004, elle demande à la cour de :
* annuler et réformer la décision n° 04-D-37 aux motifs que :
- d'une part, le Conseil a fait une application erronée des dispositions de l'article L. 464-2 du Code de commerce et de l'article 22 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 dans le cadre du calcul du montant de l'amende,
- d'autre part, le Conseil a qualifié et condamné OGF pour des faits qui ne lui ont pas été notifiés et a pris en compte ces faits dans le calcul de l'amende.
* statuer à nouveau, de :
- dire et juger que le plafond applicable à l'amende dans la présente affaire avant l'engagement de procédure de non-contestation des griefs, était de 76 224 euro, conformément à l'article 22 de l'ordonnance du 1er décembre 1986,
- dire et juger que la réduction légale de moitié du maximum de l'amende encourue ramenait donc celle-ci à un montant de 38 112 euro, en application de l'article L. 464-2-II du Code de commerce,
- dire et juger que c'est sur ce dernier montant que devait être appliquée le taux de réduction proposé par le rapporteur général et accepté par le Conseil,
- dire et juger que l'infraction constatée aux dispositions de l'article L. 420-2 du Code est limitée à la seule période visée par les griefs notifiés, à savoir la période 1992-1994 pour le grief d'abus de position dominante à partir de la chambre funéraire de Saint-Maur;
Lamotte et Fils mise en cause par ordonnance en date du 20 septembre 2004, a déposé des observations le 20 octobre 2004 ; le Conseil de la concurrence et le ministre de l'Economie ont, à leur tour, déposé leurs observations le 5 novembre 2004;
Par ses observations complémentaires déposées le 3 décembre 2004, OGF répond en abordant d'une part, la mauvaise application par le Conseil de la concurrence des textes relatifs au mécanisme de réduction d'amende et, d'autre part, la prise en considération par le Conseil, dans la détermination de l'infraction et de l'amende, de faits autres que ceux objet de la notification des griefs;
Après arrêt préparatoire en date du 22 février 2005, par arrêt du 12 avril 2005, la cour a :
- sollicité l'avis de la Cour de cassation sur le point de savoir si les dispositions des articles L. 463-3 et L. 464-2-II du Code de commerce doivent être interprétées en ce sens qu'elles donnent au Conseil de la concurrence la possibilité de mettre en œuvre la procédure simplifiée et la procédure de transaction pour l'examen de pratiques présumées anticoncurrentielles, et dans l'affirmative, quel est le montant de la sanction pécuniaire encourue et si ce montant varie en fonction de la chronologie de la procédure suivie devant le Conseil de la concurrence;
- sursis à statuer jusqu'à réception de l'avis;
Le 11 juillet 2005, la Cour de cassation a émis l'avis sollicité
Sur ce,
Sur le moyen d'annulation de la décision :
Considérant, à titre préliminaire, que, devant le Conseil, sont prévues la procédure simplifiée (article 22 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenu les articles L. 463-3 et L. 464-5 du Code de commerce) et la procédure de transaction (article L. 464-2-II du Code de commerce), ces deux procédures se caractérisant par l'absence de rapport;
Considérant que s'agissant de l'applicabilité des dispositions, il ressort de l'article 94 de la loi 2001-420 du 15 mai 2001, dite NRE, que les nouvelles modalités de l'article L. 464-2-I (ancien article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986) et l'article L. 464-5 (ancien article 22 alinéa 2 de la même ordonnance) du Code de commerce ne sont pas applicables aux affaires pour lesquelles une saisine du Conseil de la concurrence a été effectuée avant la date d'entrée en vigueur de cette loi;
Considérant que cela signifie qu'en l'espèce, le plafond des sanctions pécuniaires pouvant être infligées par le Conseil est de 5 % du chiffre d'affaires hors taxe réalisé en France au cours du dernier exercice clos (droit commun), et que le montant de la sanction pouvant être infligée dans le cadre d'une procédure simplifiée ne peut excéder 500 000 F, soit 76 224 euro ; que l'article L. 464-2-II du Code de commerce dans sa rédaction actuelle est applicable;
Considérant que pour démontrer que c'est à tort que le Conseil a appliqué la réduction de moitié prévue à l'article L. 464-2-II du Code de commerce sur le montant maximum de l'amende encourue au titre de l'article L. 464-2-I dudit Code correspondant à 5 % de son chiffre d'affaires, à savoir un plafond après réduction de 5 139 802 euro, OGF fait valoir que lorsque le Conseil rend sa décision, le plafond légal de l'amende encourue n'est pas un montant équivalent à 5 % de son chiffre d'affaires dans la mesure où la Présidente du Conseil avait mis en œuvre la procédure simplifiée en application de l'article 22 précité qui dispose que "la sanction pécuniaire prononcée ne peut excéder 500 000 F pour chacun des auteurs de pratiques prohibées" (76 224 euro) ; que dès lors, le Conseil ne peut prononcer une amende excédant 76 224 euro et, en cas d'engagement de la procédure de non-contestation des griefs, c'est sur ce montant que le Conseil devait faire application de la réduction légale de moitié prévue par l'article L. 464-2-II du Code de commerce ; qu'en conséquence, c'est sur le montant maximum de l'amende qui aurait pu être infligée par application de ces deux textes, à savoir 38 112 euro, que le Conseil, ayant décidé de suivre la proposition du rapporteur général, aurait du faire application du taux de réduction suggéré;
Mais considérant d'une part, que si le procès-verbal de transaction signé entre OGF et le rapporteur général du Conseil indique que ce dernier proposera au Conseil que la sanction pécuniaire encourue soit réduite dans une proportion allant de 40 à 50 % "du montant qui aurait normalement été infligé en application de l'article 22 de l'ordonnance de 1986", et quand bien même le rapporteur général et le commissaire du gouvernement ont-ils précisé en séance que c'est sur le montant de 76 224 euro que les réductions successives de l'article L. 464-2-II du Code de commerce s'appliquent, les termes de cet article, contrairement à ce que soutient la requérante, n'autorisaient pas l'entreprise à tenir pour acquis que le Conseil suivrait cette proposition, dans la mesure où, "il ne se déduit pas des termes de l'article L. 464-2-II du Code de commerce, que l'engagement pris par procès-verbal par le rapporteur général du Conseil devait conduire la société OFG à tenir pour acquis que la proposition de réduction de la sanction émise par celui-ci serait purement et simplement entérinée par le Conseil" et par conséquent que celle-ci "ne pouvait se méprendre sur la portée juridique de la transaction et ignorer que le Conseil dans son pouvoir d'appréciation de la sanction n'était en aucune façon lié par les propositions émises par le rapporteur général";
Considérant que d'autre part, il ne peut être tiré argument de l'absence de texte légal sur l'application exclusive des deux dispositifs pour retenir le moyen soulevé par la requérante dès lors que :
- ni les dispositions des articles L. 463-3 et L. 464-2-II devenu L. 464-2-III du Code de commerce, ni aucune disposition du titre VI du Livre IV de ce Code, n'interdisent au Conseil de la concurrence de mettre en œuvre cumulativement, dans une même affaire, la procédure simplifiée régie par le premier de ces textes et la procédure dite de transaction prévue par le second;
- dans le cas de mise en œuvre cumulative des procédures simplifiée et de transaction, et quel que soit l'ordre chronologique de cette mise en œuvre, le montant de la sanction qui sera infligé à l'entreprise doit être calculé conformément aux dispositions de l'article L. 464-2-II devenu L. 464-2-III, sans pouvoir dépasser le seuil fixé par l'article L. 464-5 du Code de commerce;
Considérant que, dans ces conditions, la méthode de calcul retenue par le Conseil, et compte tenu du principe de non-rétroactivité de la loi répressive plus sévère, n'a pas violé les dispositions de l'article L. 464-2-II du Code de commerce ni celles de l'article 22 de l'ordonnance du 1er décembre 1986;
Considérant qu'en conséquence, le moyen d'annulation soulevé par la requérante sera rejeté;
Sur le moyen de réformation de la décision :
Considérant qu'à l'appui de sa demande en réformation, OGF rappelle que Lamotte et Fils avait, dans un mémoire du 22 avril 2004 présenté devant le Conseil de la concurrence, avancé des éléments nouveaux ne figurant pas au dossier, que le Conseil a refusé d'examiner la majeure partie de ces éléments en ce qu'ils n'étaient pas rattachables aux griefs notifiés et n'avaient pas pu être instruits par le rapporteur; que néanmoins, le Conseil a examiné un de ces éléments, le procès-verbal de constat établi le 20 janvier 2004 devant la chambre funéraire de Saint-Maur et que, sur la base de cette pièce, a considéré que la pratique s'était poursuivie jusqu'en janvier 2004 ; que, par conséquent, la motivation de la décision laisserait penser que OGF aurait été sanctionnée pour une pratique mise en œuvre sur une durée dépassant la seule période retenue par les griefs;
Considérant que la requérante soutient également que la prise en compte de cet élément nouveau lui a porté préjudice dans la mesure où il apparaît comme un élément aggravant pour le calcul du montant de l'amende alors qu'il n'a pas fait l'objet d'instruction; qu'elle ajoute qu'il est faux de considérer que la pratique s'est poursuivie sans interruption de 1992 à janvier 2004; qu'il serait déloyal que la procédure de non-contestation des griefs, qui entraîne une procédure écrite raccourcie, puisse permettre d'ajouter des éléments à charge en profitant du fait que l'entreprise mise en cause a renonce à se défendre ; qu'en tout état de cause, cet élément ne permet pas de constater l'existence d'un abus de position dominante, ni la poursuite de cet abus.
Considérant que le Conseil ne peut se prononcer sur un grief qui n'a pas été notifié ; qu'il peut utiliser tout élément de preuve qui a fait l'objet d'un débat contradictoire;
Considérant qu'en l'espèce, le Conseil a examiné le constat d'huissier du 20 janvier 2004 et a estimé qu'il " fait apparaître que la société OGF a continué à mentionner son sigle, sur un panneau, devant la chambre funéraire " et que par conséquent, la pratique reprochée à ladite société relative à l'existence d'un panneau de la société devant la chambre funéraire de Saint-Maur, a persisté et a pu influencer le choix des familles quant à la réalisation des prestations hors monopole liées aux obsèques;
Considérant que d'une part, la société OGF a pris connaissance de cet élément, invoqué par la partie saisissante dans ses observations écrites le 22 avril 2004, avant la séance en venant consulter le dossier et a admis en séance la présence du panneau, d'autre part, le constat d'huissier dressé en janvier 2004 relève d'une pratique directement rattachable aux griefs notifiés relatifs aux informations destinées au public;
Considérant que la prise en compte de la pièce litigieuse a seulement permis, entre autres éléments, d'apprécier le dommage causé à l'économie, et les éventuels effets anticoncurrentiels du comportement d'OGF sans constituer un nouveau grief n'ayant pas fait l'objet d'une instruction;
Considérant que, dans ces conditions, il n'y a pas lieu d'écarter le constat d'huissier du 20 janvier 2004 des débats ni de considérer qu'il aurait été retenu à tort pour le calcul du montant de la sanction pécuniaire;
Considérant qu'en conséquence, le moyen de réformation soulevé par la requérante sera rejeté;
Par ces motifs, Rejette le recours formé par la société OGF contre la décision n° 04-D-37 du 27 juillet 2004 prise par le Conseil de la concurrence, Condamne la requérante aux dépens.