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Décisions

CA Fort-de-France, ch. soc., 24 juin 1999, n° 97-00946

FORT-DE-FRANCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Bedouin

Défendeur :

Shell des Antilles et de la Guyane française (SA), Shell (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Boulet-Gercourt

Conseillers :

Mme Civalero, M. Guerin

Avocats :

SCP Thréard-Léger-Bourgeon, Me Courchinoux

Cons. prud'h. Fort-de-France, sect. enca…

26 juin 1997

M. Raymond Bedouin exploite en qualité de locataire-gérant un fonds de commerce de station-service situé route de Balata à Fort-de-France au sein du réseau de la société des pétroles Shell représentée aux Antilles par la société anonyme Shell des Antilles et de la Guyane Françaises - ci-après SAGF -, depuis le 1er août 1967.

Dans ce contrat, il est mentionné qu'est donné en location-gérance à M. Raymond Bedouin "qui accepte et aura la qualité de gérant libre le fonds de commerce de la station Shell, route de Balata, dans la commune de Fort-de-France".

En juin 1969 un second contrat est signé entre cet exploitant et Messieurs de La Houssaye et Roy-Camille, représentants de la SAGF pour l'exploitation de ce même fonds à l'enseigne " station Shell Balata Floréal ".

Estimant être créancier de la SAGF sur le fondement de l'article L. 781-1-2° du Code du travail et en application de la Convention collective nationale de l'Industrie du Pétrole relative aux cadres et assimilés, M. Raymond Bedouin a saisi dans le courant du mois d'août 1996 le Conseil des prud'hommes de Fort-de-France, section encadrement, pour obtenir le paiement de sommes dues notamment pour ancienneté (800 464 F), récupération des heures supplémentaires (692 934 F) , heures supplémentaires (852 357 F), travail les dimanches et jours fériés (143 195 F), congés pris par tranches (28 064 F), congés payés (162 582 F), participation aux résultats (168 000 F) et différence entre le salaire de la convention collective et résultat des BIC (542 764 F), outre la somme de 50 000 F sur le fondement de l'article 700 nouveau Code de procédure civile.

Par jugement en date du 26 juin 1997, le Conseil des prud'hommes de Fort-de-France a estimé que les quatre conditions requises pour l'application de l'article L. 781-1-2° du Code du travail n'étaient pas réunies dans la situation de M. Raymond Bedouin et s'est donc déclaré incompétent pour connaître les demandes formulées par lui à l'encontre de la société anonyme des Pétroles Shell et de la SAGF, en renvoyant les parties à mieux se pourvoir devant le Tribunal mixte de commerce de Fort-de-France.

Par déclaration transmise au greffe de cette juridiction le 11 juillet 1997, M. Raymond Bedouin a formé contredit à l'encontre de ce jugement et a demandé à la cour de retenir la compétence du conseil des prud'hommes et de déclarer nulle la clause attributive de compétence au profit du tribunal de commerce, d'ordonner une expertise destinée à déterminer sa créance sur la société SAGF, de maintenir dans la cause la société des Pétroles Shell et de lui allouer une provision de 100 000 F sur le montant des sommes devant lui revenir.

Par arrêt de cette cour en date du 19 février 1998, il a été jugé que la société anonyme des Pétroles Shell, dont la SAGF n'est qu'une succursale, devait demeurer en la procédure ; par ailleurs la cour, avant dire droit sur l'application de l'article L. 781-1-2° du Code du travail, a ordonné une expertise comptable à l'effet de déterminer quels avaient été les bénéfices nets retirés par M. Raymond Bedouin de l'exploitation de la station-service depuis 1991 et jusqu'à fin 1997, provenant d'une part de la vente de produits pétroliers et assimilés et d'autre part des activités annexes de vente de pneus, de tickets de loto et de boissons.

Il doit être précisé que la société des Pétroles Shell a déposé un pourvoi en cassation, enregistré sous le numéro U 98-42.108 contre cet arrêt, critiquant le fait d'avoir été maintenue dans la procédure.

Dans ses conclusions après expertise, déposées le 22 avril 1999, M. Raymond Bedouin relève que les investigations de l'expert ont déterminé que les produits pétroliers et assimilés représentaient entre 91,28 et 99,55 pour cent de la marge totale de l'exploitation ce qui selon lui rend très marginale la pratique d'activités annexes qui, en ne lui ayant rapporté qu'un profit négligeable, ne sauraient avoir eu d'incidence sur l'existence d'un lien de subordination.

La cour n'ayant ordonné cette mesure d'instruction que pour être en mesure de se déterminer sur la 4e condition requise cumulativement pour l'application de l'article L. 781-1-2° du Code du travail, à savoir la vente de marchandises ou denrées de toute nature "fournies exclusivement ou presque exclusivement par une seule entreprise industrielle et commerciale ", il estime qu'il résulte des opérations d'expertise que cette condition est remplie, son activité ayant consisté à vendre, dans des locaux fournis par la société Shell, des produits pétroliers et assimilés fournis presque exclusivement par cette société aux prix et conditions imposés par elle.

La réunion de ces quatre conditions étant en ce qui le concerne effective, il conclut en conséquence à la compétence du Conseil des prud'hommes de Fort-de-France pour statuer sur sa demande et demande à la cour d'évoquer le dossier et d'ordonner une expertise pour fixer sa créance sur son employeur en condamnant celui-ci solidairement avec la société des Pétroles Shell à lui allouer une provision de 100 000 F à valoir sur cette créance, ainsi que la somme de 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sous la réserve du pourvoi en cassation formé, la société anonyme des Pétroles Shell déclare s'en rapporter aux explications et conclusions déposées par la société SAGF, et précise qu'elle s'oppose à toute évocation par la cour du dossier, l'affaire n'étant pas en état d'être jugée et l'appelant n'ayant ni chiffré ses demandes ni versé aux débats les pièces justificatives de celle-ci susceptibles d'être vérifiées par expertise.

Subsidiairement elle soutient qu'aucune condamnation ne saurait être prononcée à son encontre, dans la mesure où elle n'a jamais été liée contractuellement avec M. Raymond Bedouin dont le contrat était conclu avec la société SAGF et ne faisait aucune référence à la société des Pétroles Shell.

Elle prie donc la cour de rejeter le contredit élevé par celui-ci à l'encontre du jugement du Conseil des prud'hommes de Fort-de-France du 26 juin 1997 et demande sa condamnation à lui verser la somme de 5 000 F au titre de ses frais irrépétibles.

La société Shell des Antilles et de la Guyane Françaises - SAGF - à déposé des conclusions après expertise à l'audience du 22 avril 1999. Dans ses écritures, cette société rappelle que l'exploitant de la station-service a acquis, en signant un contrat lui confiant la location-gérance de celle-ci, la qualité de commerçant, laquelle s'évince de ce qu'il est immatriculé au registre du commerce et des sociétés, du fait qu'il tient une comptabilité commerciale en la forme, de son inscription au régime d'assurance maladie des travailleurs non salariés non agricoles, et de ce qu'il est soumis fiscalement à la taxe professionnelle et imposé sur ses bénéfices industriels et commerciaux.

S'il est vrai que par des arrêts du 13 janvier 1972, la Cour de cassation a admis que la qualité de commerçant reconnue à un locataire-gérant n'était pas exclusive de celle de salarié lorsque les conditions figurant à l'article L. 781-1-2° du Code du travail se trouvaient réunies, l'interprétation à donner à ce texte qui constitue un texte d'exception doit être strictement réservée aux situations dans lesquelles les quatre conditions qui y sont énoncées sont réunies cumulativement et de façon certaine et absolue.

La SAGF soutient encore que dans son arrêt avant dire droit du 17 février 1998, la cour n'a pas tranché la question de la réunion des trois premières conditions, l'arrêt étant muet sur la motivation les concernant et n'ayant pas répondu aux conclusions déposées par elle sur ce point.

Mise à part la condition relative à la propriété du local d'exploitation, dont elle ne conteste pas qu'elle est remplie, la SAGF estime que les trois autres ne le sont pas :

- Quant à la fourniture de marchandises exclusive ou quasi-exclusive par le fournisseur-bailleur, elle est selon le contrat de location-gérance lui-même, limitée aux seuls carburants et lubrifiants de la marque Shell et laisse à l'exploitant toute liberté dans le choix de ses fournisseurs pour les autres produits conformes à la destination du fonds de commerce qu'il est susceptible de vendre.

M. Raymond Bedouin ayant loué des locaux commerciaux qui comportaient notamment un magasin de vente d'une surface de 41 m2, deux locaux de graissage et de lavage de 39 m2 chacun, deux élévateurs, une machine à laver, un compresseur et un équipement de graissage, il aurait pu avoir s'il l'avait voulu une activité assimilable à celle d'un véritable garagiste et n'était nullement contraint de se limiter à la distribution de carburants et de lubrifiants. Du reste, ainsi que l'ont fait observer les premiers juges, le locataire-gérant a usé de cette faculté en créant dans la station un point Loto et en tentant de développer la vente et le montage de pneumatiques, ainsi que la vente de poulets rôtis...

- Quant à la disposition relative à l'exercice de la profession qui aurait été soumis aux conditions fixées impérativement par l'entreprise, la SAGF rappelle que la liberté du locataire-gérant était totale quant au choix de son personnel et qu'il disposait d'une entière autonomie de gestion ayant, notamment, pu se traduire par la décision prise à sa seule initiative de ne pas exploiter les activités de graissage et de lavage pourtant comprises dans le fonds de commerce. De la même manière il a disposé de toute latitude pour concéder à titre gracieux un emplacement sur le parking de la station au bénéfice d'un monteur de pneumatiques et pour ouvrir un point Loto sans avoir sollicité l'autorisation préalable de la SAGF ou même sans lui en avoir rendu compte.

- Enfin, relativement à la condition portant sur la vente des produits aux prix imposés par le bailleur, cette société fait observer que, dans la limite déterminée réglementairement par les pouvoirs publics, la marge réservée aux détaillants est suffisante pour lui permettre de conduire une politique de prix, la répartition de la marge globale entre le détaillant et le grossiste se faisant actuellement dans un sens beaucoup plus favorable aux intérêts du détaillant (marge de 43 F par hectolitre au stade du détail).

En ce qui concerne les lubrifiants, le locataire-gérant prétend qu'ils sont vendus aux prix conseillés par le pétrolier mais ne le démontre nullement.

Enfin, il élude la question du prix de vente des accessoires, articles divers ou prestations de services en se contentant d'affirmer que ces ventes sont quasi-inexistantes alors qu'il ne dépendrait que de lui de les développer en en fixant librement le prix.

En conséquence la société SAGF demande à la cour de confirmer en toutes ses dispositions le jugement du Conseil des prud'hommes de Fort-de-France en renvoyant l'appelant devant le Tribunal mixte de commerce de Fort-de-France par application de la clause attributive de juridiction stipulée au contrat.

Subsidiairement, si la cour devait infirmer ce jugement, elle ne saurait faire droit à la demande d'expertise et à la demande de provision, l'affaire n'étant pas en état d'être évoquée et aucun motif ne justifiant que les parties se voient privées du double degré de juridiction. L'intimée demande en outre la condamnation de M. Raymond Bedouin à lui payer la somme de 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Dans des conclusions déposées également à l'audience du 22 avril 1999 et intitulées " conclusions subsidiaires au fond ", la société SAGF relève en premier lieu que même si l'action de l'appelant était admise par la cour, il ne saurait cumuler deux revenus pour le même travail, ce qui impliquerait une comparaison entre les bénéfices commerciaux réalisés et le salaire de référence auquel il aurait pu prétendre, majoré le cas échéant des heures supplémentaires, l'intéressé ne pouvant prétendre à rappel de salaires que si ses BIC ont été inférieurs à celui-ci.

Quant aux dommages-intérêts demandés pour non-affiliation au régime de sécurité sociale, la société fait observer que l'appelant ne précise pas en quoi aurait consisté pour lui le préjudice qui serait la conséquence de cette non-inscription au régime général. Selon elle en effet, le fait pour un gérant libre de s'être de sa propre initiative affilié à un organisme social couvrant les risques des travailleurs indépendants s'oppose à ce qu'une affiliation ultérieure au régime général puisse rétroactivement anéantir les droits et obligations nés de l'affiliation antérieure à un autre régime.

Elle conclut donc de plus fort au débouté de la demande d'expertise et de versement d'une provision, en sollicitant à titre subsidiaire que l'expert qui pourrait être commis pour chiffrer une éventuelle créance de salaires de M. Raymond Bedouin n'omette pas de prendre en compte les bénéfices commerciaux réalisés par celui-ci et limite sa recherche à la prescription quinquennale.

En cours de délibéré, et sur demande de la juridiction, le conseil de l'appelant a communiqué un document attestant selon lui de l'application aux Antilles de la Convention collective nationale de l'Industrie du Pétrole, et a résumé ses précédentes observations relatives au lien de subordination du gérant de la station-service.

Cette note en délibéré, communiquée au conseil des intimées, a conduit ce dernier à faire observer que la convention collective susvisée ne pouvait recevoir application qu'au bénéfice des salariés de la société SAGF, mais que tel n'était pas le cas de M. Raymond Bedouin dont le contrat n'avait pas été signé avec cette société ; quant au lien de subordination allégué, il en a contesté la réalité en soutenant que l'intéressé bénéficiait d'une grande autonomie dans la gestion du fonds qu'il avait loué.

Sur quoi,

Attendu qu'il convient en premier lieu de préciser que la cour conserve toute liberté d'appréciation pour rechercher si les trois conditions énoncées à l'article L. 781-1-2° du Code du travail qui se situaient en dehors du domaine de l'expertise ordonnée se trouvent ou non réunies en l'espèce, l'arrêt ayant prescrit que cette mesure d'instruction étant, ainsi que le font observer à juste titre les intimées, une décision de pur avant dire droit dont les motifs ne portent pas sur cette recherche.

Attendu qu'il résulte de l'article précité du Code du travail que pour prétendre bénéficier des disposition des livres I et II de ce Code, et ainsi échapper, dans ses rapports avec son "employeur", à la commercialité de son statut de locataire-gérant découlant de la loi du 20 mars 1956, M. Raymond Bedouin doit justifier de la réunion des quatre conditions suivantes :

- vente de marchandises fournies exclusivement ou presque exclusivement par une seule entreprise industrielle ou commerciale

- exercice de l'activité dans un local fourni ou agréé par cette entreprise

- exercice de l'activité aux conditions fixées par cette entreprise

- vente des marchandises aux prix imposés par celle-ci

Attendu que seule la seconde de ces conditions est reconnue remplie par les parties, l'exploitation du fonds ayant eu lieu dans des locaux appartenant à la société SAGF qui en a conçu l'installation et les aménagements selon les normes propres à son réseau.

Attendu qu'en ce qui concerne la condition relative à la fourniture de marchandises exclusive au quasi-exclusive par le fournisseur-bailleur, la cour ne peut faire autrement que constater qu'il résulte des vérifications opérées par l'expert que la presque totalité du chiffre d'affaires de la station-service provenait de la distribution de carburants et produits assimilés (lubrifiants), fournis exclusivement par le réseau Shell.

Qu'il doit d'ailleurs être indiqué que la marge brute sur cette activité représentait des montants très significatifs jusques à l'année 1995 comprise, puisque atteignant ou dépassant le chiffre de un million de francs.

Qu'à cette époque, le locataire-gérant ne songeait nullement à se prévaloir d'un lien de dépendance vis-à-vis de la société pétrolière, considérant que son activité lui permettait d'obtenir des résultats annuels très corrects...

Attendu que la condition d'exclusivité ne doit pas être appréciée au vu des seules indications comptables mais qu'il faut la mettre en perspective avec ce qu'aurait pu, et même dû, être l'activité du locataire-gérant telle que le lui permettait son contrat.

Qu'à cet égard, il faut rappeler qu'en sus de la distribution de carburants et lubrifiants, il disposait d'un local pour le graissage et d'un autre local pour le lavage des véhicules comportant notamment un pont-élévateur, dont il n'a jamais exploité les possibilités;

Qu'outre ces prestations connexes à l'activité de station-service, il avait également la faculté de diversifier celle-ci, ainsi que le font du reste toutes les stations-service depuis une quinzaine d'années, en offrant à la vente pour sa clientèle des marchandises de natures diverses, en particulier de l'alimentation et des boissons.

Qu'enfin, ce locataire-gérant pouvait encore, ainsi qu'il l'a mis d'ailleurs en pratique, concéder une partie de la surface louée à un prestataire de services (en l'occurrence, un monteur de pneumatiques), en bénéficiant ainsi indirectement de l'apport de cette clientèle, et même exercer une activité de nature moins habituelle dans une station-service telle que l'ouverture d'un point Loto.

Attendu qu'il n'est pas prétendu que ces activités connexes à la fourniture de carburants et lubrifiants telles que les prestations de lavage, de vidange-graissage ou de petite mécanique ont été interdites par l'entreprise concédante.

Que par contre, il est évident qu'après des années de non-utilisation, les installations matérielles se sont nécessairement dégradées, ce qui a fini par condamner un recours à une diversification de l'activité, sauf à envisager préalablement des investissements que ni l'exploitant, ni la SAGF n'étaient prêts à consentir, étant rappelé que le dossier ne comporte aucune trace d'une quelconque demande en ce sens qui aurait été formulée par M. Raymond Bedouin à l'encontre de la société pétrolière dans les débuts de sa période d'exploitation, et encore moins d'un refus de celle-ci de laisser s'exercer ces activités complémentaires.

Attendu que le locataire-gérant aurait été d'autant plus avisé de ne pas limiter la quasi-totalité de son activité à la vente de carburants et lubrifiants, mais de la compléter par les prestations ci-dessus évoquées qu'outre la part de chiffre d'affaires supplémentaire qu'elles lui auraient procuré, il ne serait pas resté dans une situation de dépendance à l'égard de son plus gros client, une société de transports, qui a fait chuter en 1996 dans des proportions considérables le résultat de l'entreprise en changeant de fournisseur de carburant...

Attendu quoi qu'il en soit qu'il échet de considérer qu'en présence de la gamme des activités qu'il était loisible à M. Raymond Bedouin d'exercer, la condition d'exclusivité ou quasi-exclusivité ci-dessus rappelée n'eût pas été remplie, la part des marchandises non fournie par le réseau Shell (produits alimentaires, boissons, souvenirs etc...), comme celles relatives aux prestations de services de main-d'œuvre dans les opérations type vidange-graissage, lavage des véhicules ou entretien mécanique), sans être majoritaire dans l'activité, pouvant représenter une part significative de celle-ci.

Attendu que la seule considération de ce que l'une des quatre conditions n'est pas remplie en l'espèce justifierait le débouté pur et simple de l'action engagée par M. Raymond Bedouin.

Que toutefois la cour croit également devoir répondre aux arguments échangés entre les parties quant aux deux dernières des conditions ;

Attendu, en ce qui concerne l'exercice de la profession aux conditions fixées impérativement par le fournisseur-bailleur, que s'il est certain que le contrat d'origine réglementait très précisément ces conditions, notamment quant aux produits vendus, aux horaires d'ouverture de la station, au port de la tenue de la marque et plus généralement à l'obligation de se conformer à toutes instructions commerciales et techniques qui seraient adressées par les représentants de celle-ci, il n'en reste pas moins que d'une part ce locataire-gérant conservait la liberté de sa gestion et du personnel qu'il engageait, ainsi que des activités annexes qu'il pouvait développer et qu'il a mises en place sans en référer à la société SAGF, d'autre part qu'un certain nombre des prescriptions figurant dans ces contrats n'ont plus été mises en application au fil des années.

Qu'en outre ainsi que le fait remarquer justement l'intimée, la nature même de l'activité d'exploitant de station-service imposait, quand bien même ces prescriptions n'eussent pas été incluses dans le contrat d'origine, que cet exploitant se conformât aux usages en pratique dans les stations voisines, et concurrentes de la sienne.

Que, plus généralement, le fait d'exploiter personnellement le fonds et de ne pas y porter atteinte, de le tenir ouvert et de se conformer aux usages de la profession constituent des obligations qui sont de l'essence même du contrat de location-gérance ; que les adaptations propres à une station dépendant d'un réseau particulier, en l'espèce la marque Shell ne sont pas critiquables dès lors qu'elles visent à différencier cette marque pour la clientèle, sans pour autant conduire a affirmer l'existence d'un lien de dépendance totale entre le bailleur et le locataire.

Qu'ainsi, là encore, la cour ne saurait considérer comme remplie cette condition dans le cas de M. Raymond Bedouin.

Attendu enfin qu'en ce qui concerne la dernière condition, relative aux prix imposés par le fournisseur pour la vente des produits, il convient de distinguer selon qu'il s'agit des carburants ou des lubrifiants ou autres produits dérivés de marque " Shell ".

Que pour ces seconds, aucune précision n'est communiquée par l'exploitant qui se contente de mentionner qu'il doit les vendre aux prix "conseillés " par le réseau, mais sans en justifier, alors que la SAGF conteste cette affirmation en indiquant que la marge de l'exploitant est librement fixée par lui.

Que par contre, pour les carburants, et dans la limite des limites fixées par les pouvoirs publics pour lesquels cette distribution ressort du régime administré, la marge du détaillant - après, il est vrai, une période de très longue durée ayant vu les compagnies pétrolières ne laisser qu'une marge infime aux détaillants - est actuellement significative, puisqu'elle représente 43 centimes par litre de super sans plomb (43 F/hl).

Attendu que si, en Métropole, cette marge n'est pas suffisante pour permettre aux détaillants de fixer une politique commerciale de prix, dans la mesure où la distribution de l'essence en grandes surfaces, qui dépasse 50 % de la distribution globale et a entraîné la fermeture de plusieurs dizaines de milliers de stations-service, se fait à prix moyen égal ou inférieur au prix-plancher que peut obtenir le détaillant, et auquel il travaillerait à marge nulle, tel n'est pas le cas en Martinique où ce secteur n'a pas été à ce jour capté par ces grandes surfaces et où par voie de conséquence le prix de l'essence est à un ou deux centimes au maximum le même partout... au bénéfice du maintien des stations-service et des nombreux emplois qu'elles comportent!

Qu'il reste néanmoins qu'une politique de prix peut être envisagée par un détaillant sans qu'elle ne se traduise automatiquement par un anéantissement de sa marge commerciale, et sans non plus qu'elle ne soit dérisoire, donc inefficace.

Attendu que cette dernière condition non plus ne peut être considérée comme réalisée en l'espèce, la latitude dont dispose le détaillant s'opposant à ce qu'il soit jugé que le fournisseur pratique des prix imposés au sens de la loi de 1941.

Attendu qu'au vu de cette analyse, la cour ne pourra que débouter M. Raymond Bedouin de son action, sans que pour autant l'équité ne commande qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au bénéfice des sociétés intimées.

Par ces motifs, LA COUR, statuant sur contredit, publiquement, contradictoirement, et en dernier ressort après en avoir délibéré conformément à la loi, Déclare M. Raymond Bedouin recevable en la forme, mais mal fondé en son contredit, Confirme en conséquence en toutes ses dispositions le jugement du Conseil des prud'hommes de Fort-de-France du 26 juin 1997, Dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne M. Raymond Bedouin aux dépens de la procédure d'appel.