CA Paris, 4e ch. B, 14 janvier 2005, n° 03-06296
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
SCPE (SA)
Défendeur :
Métropolitan Film Export (SARL), FKGB (SARL), Mercredi (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pezard
Conseillers :
Mme Regniez, M. Marcus
Avoués :
SCP Bourdais-Virenque-Oudinot, Me Pamart, Thevenier, Kieffer-Joly
Avocats :
Mes Becker, Sarfati, Hue, Allegret
LA COUR est saisie d'un appel formé par la Société de Conception de presse et d'édition, ci-après la société SCPE, à l'encontre d'un jugement rendu contradictoirement par le Tribunal de commerce de Paris le 6 novembre 2002 qui a :
- mis la société Mercredi hors de cause;
- dit la société FKGB agence de communication recevable mais mal fondée en ses oppositions;
- condamné la société SCPE à payer à la société Mercredi la somme de 7 622,45 euro au titre de l'article 700 du NCPC;
- condamné les sociétés Conception de presse, FKGB agence de communication et Métropolitan Film Export aux entiers dépens par tiers.
La société SCPE est propriétaire et éditrice du magazine "Entrevue, toutes les vérités sont bonnes à dire", diffusé depuis 1993. A l'occasion de la sortie en France, au début du mois de juin 1999, du film intitulé "Pecker", elle constatait que les affiches publicitaires destinées à promouvoir ce film reprenaient les caractéristiques distinctives de sa page de couverture sous le titre "Entrejambes, la vérité toute nue".
Elle estimait avoir à faire face à ce qui constituait un détournement de l'image et de la notoriété de son magazine à des fins promotionnelles et publicitaires par, d'une part le distributeur du film, la société Métropolitan Film Export, d'autre part, l'agence de communication et de publicité qui avait conçu et réalisé l'affiche, la société FKGB agence de communication, enfin l'agence de promotion, la société Mercredi. Elle requérait des mesures provisoires d'interdiction, de retrait et de destruction des objets litigieux ainsi qu'une mesure d'instruction destinée à conserver ou établir les preuves des agissements incriminés, en procédure de référé. Par ordonnance du 1er juin 1999, elle obtenait la nomination de Mme Rausch en qualité d'expert aux fins d'apporter au tribunal éventuellement saisi, tous les éléments d'appréciation nécessaires pour lui permettre de statuer sur un éventuel préjudice.
C'est dans ces conditions que par acte du 4 août 1999, la société SCPE a saisi le Tribunal de commerce de Paris. L'expert a remis son rapport le 30 mai 2000.
Dans ses dernières écritures signifiées le 15 novembre 2004, la société SCPE, appelante, demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit et jugé recevables les demandes de la SCPE, en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société FKGB et en ce qu'il a également rejeté les fins de non-recevoir et demandes de condamnation requises par cette même société, et a reconnu le bien-fondé de sa mise en cause;
- infirmer ce jugement en ce qu'il n'a pas retenu les demandes, prétentions, fins et conclusions de la société SCPE à l'encontre de la société Mercredi, tout comme les incriminations d'agissements parasitaires et demandes y afférentes et formulées à l'encontre des intimées, et en ce qu'il a rejeté les demandes en réparation des préjudices subis de ce fait, celles fondées sur l'article 700 du NCPC et les dépens;
- dire que les agissements perpétrés à l'encontre de la SCPE, notamment par le plagiat réalisé et reconnu par l'expert, ainsi que son exploitation/utilisation ou encore sa simple référence, sans jamais la moindre nécessité et même abusivement, par chacune des intimées constituent tant un détournement des plus flagrant de son magazine, tant au regard de ses éléments matériels d'identification que de son référentiel, de son image et de sa notoriété, ce à des fins purement promotionnelles et publicitaires, et commerciales, alors qu'aucune autorisation préalable n'a jamais été demandée par quelque intervenant que ce soit, une confusion en l'occurrence et au surplus volontairement créée entre sa publication et la campagne publicitaire et promotionnelle incriminée, voire le film lui-même, un véritable parasitisme, un comportement qui n'a eu pour but que d'usurper et profiter sans bourse délier de nombreuses années d'efforts et d'investissements de l'appelante pour imposer sa publication tant auprès du public que des annonceurs;
- condamner les intimées en raison de leurs agissements fautifs de parasitisme au détriment de la SCPE en application des articles 1382 et suivants du Code civil;
- condamner in solidum les intimées à verser à la SCPE une indemnité en réparation des préjudices subis soit 10 000 euro au titre du préjudice économique et 15 000 au titre du préjudice moral;
- faire interdiction aux intimées de toute référence quelle qu'elle soit, notamment par reproduction et/ou imitation, partiellement ou totalement, et tout usage de quelque nature et sous quelque forme que ce soit, et plus particulièrement pour l'affiche publicitaire et de promotion du film Pecker ou pour tout autre support ou document, des caractéristiques distinctives, reconnaissables et uniques de présentation et d'identification propres, ainsi que de leur combinaison, à la publication par la SCPE du magazine "Entrevue, toutes les vérités sont bonnes à dire", et en particulier sous la forme d'une couverture de publication, et en relation avec le titre" Entrejambes la vérité toute nue", ce sous astreinte définitive de 3 000 euro, par infraction constatée à compter de l'arrêt à intervenir;
- ordonner à titre de complément de réparation desdits préjudices la publication, par extraits ou non, de l'arrêt à intervenir, dans cinq publications au choix de la SCPE, aux frais exclusifs et in solidum des intimées dans la limite de 15 000 euro au total, hors TVA, et ordonner le remboursement de chacune des insertions autorisées sur simple présentation des factures, le montant en principal étant augmenté des intérêts courant au taux légal + cinq points passé le délai de huit jours à compter de cette présentation;
- condamner in solidum les intimées à verser à l'appelante la somme de 10 000 euro en application de l'article 700 du NCPC et aux entiers dépens.
Dans ses dernières écritures signifiées le 2 février 2004, la société FKGB agence de communication, intimée, demande à la cour de :
- la recevoir en son appel incident;
- dire que les demandes de la société SCPE sont fondées sur le droit spécial des marques;
- dire qu'en conséquence l'action de la société SCPE devait être portée devant le tribunal de grande instance territorialement compétent;
- dire qu'en tout état de cause l'action de la société SCPE est prescrite car n'ayant pas été introduite dans le bref délai de l'article L. 716-6 du Code de la propriété intellectuelle;
- dire et juger que le rapport d'expertise de Mme Rausch en date du 30 mai 2000 est inopposable à la société FKGB agence de communication;
- dire et juger la société SCPE irrecevable en ses demandes à l'encontre de la société FKGB agence de communication;
Subsidiairement et reconventionnellement,
- dire et juger l'action de la société SCPE à l'encontre de la société FKGB agence de communication abusive ;
- condamner la société SCPE à verser à la société FKGB agence de communication la somme de 10 000 euro pour procédure abusive;
- condamner la société SCPE à verser à la société FKGB agence de communication la somme de 7600 euro sur le fondement de l'article 700 du NCPC et aux entiers dépens.
Dans ses dernières écritures signifiées le 19 août 2003, la société Métropolitan Film Export, intimée, demande à la cour de :
- constater l'absence d'agissements parasitaires de la société Métropolitan Film Export;
- constater l'absence de préjudice économique ou moral subi par la SCPE;
- dire et juger la société SCPE mal fondée en ses prétentions;
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté l'ensemble des demandes de la société SCPE;
- condamner l'appelante à payer à la société Métropolitan Film Export la somme de 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC et aux entiers dépens.
Dans ses dernières écritures signifiées le 11 septembre 2003, la société Mercredi, intimée, demande à la cour de :
- déclarer la société SCPE irrecevable en ses demandes et la débouter de son appel et de l'ensemble de ses moyens, fins et prétentions;
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé la mise hors de cause de la société Mercredi;
- condamner la société SCPE à payer à la société Mercredi une somme de 1 500 euro au titre de l'article 559 du NCPC;
- condamner la société SCPE à payer à la société Mercredi une somme de 7 622,45 euro au titre de l'article 700 du NCPC et aux entiers dépens.
Ceci étant exposé,
Sur l'exception d'incompétence
Considérant que la société FKGB soutient que l'action de la société SCPE est fondée sur la marque Entrevue et qu'elle relevait par conséquent de la compétence exclusive du tribunal de grande instance;
Mais considérant que la société SCPE ne se prévaut pas d'atteintes au droit privatif dont elle jouit en qualité de propriétaire de la marque Entrevue mais des obligations de loyauté entre opérateurs économiques ; que la société SCPE se fondant sur l'article 1382 du Code civil au titre de la concurrence parasitaire, elle était dès lors recevable en son action devant le tribunal de commerce;
Que le jugement sera confirmé en ce qu'il a dit la société FKGB agence de communication mal fondée en son exception d'incompétence;
Sur la fin de non-recevoir à l'encontre de la société FKGB
Considérant que la société FKGB agence de communication soutient que l'action de la société SCPE est irrecevable à son encontre, le rapport de l'expertise lui étant inopposable dans la mesure où elle n'était pas attraite dans la procédure de référé l'ayant ordonnée et qu'elle n'y a pas été l'objet d'un appel en cause;
Mais considérant que la société FKGB agence de communication fait expressément référence dans ses écritures au rapport d'expertise en ce qu'il lui est favorable; que, quand bien même ne peut-elle exploiter qu'à titre d'information le contenu d'un rapport non contradictoire, elle apparaît dans ces conditions mal fondée à en invoquer l'inopposabilité;
Que le jugement sera confirmé en ce qu'il a dit la société FKGB agence de communication mal fondée en sa fin de non-recevoir;
Considérant que la société FKGB agence de communication ne peut davantage prétendre à la prescription de l'action au fond, celle-ci ayant été engagée à bref délai le 4 août 1999 dans les conditions de l'article L. 716-6 du CPI; qu'elle sera en conséquence déboutée de sa demande;
Sur la mise hors de cause de la société Mercredi
Considérant que la société appelante soutient que la société Mercredi a participé aux faits qui lui ont causé un préjudice par voie de diffusion de l'affiche litigieuse;
Considérant toutefois qu'il ressort des éléments versés aux débats que la société Mercredi avait la qualité d'agence de promotion ; que dans le cadre du lancement du film, son rôle se bornait à organiser des événements de relations publiques sans rapport avec la campagne d'affichage ; qu'elle n'a pas participé à la conception et à la réalisation des affiches litigieuses, ni à leur exposition au public;
Qu'elle doit par conséquent être mise hors de cause ; que le jugement sera confirmé de ce chef;
Sur l'action en concurrence parasitaire
Considérant que la société SCPE agit en concurrence parasitaire à l'encontre des sociétés Métropolitan Film Export, FKGB agence de communication et Mercredi;
Considérant que la société Mercredi a été mise hors de cause;
Considérant que la société FKGB soutient que la société SCPE aurait dû agir sur le fondement de son droit privatif sur le titre Entrevue et la couverture du magazine; qu'en outre il n'est pas établi de faute ni de lien de causalité à son égard;
Mais considérant d'une part que la société SCPE est en droit d'agir sur le fondement de l'article 1382 du Code civil au titre de la concurrence parasitaire et non sur le fondement de ses droits privatifs et d'autre part, qu'il est constant que la société Métropolitan Film Export en qualité de distributeur du film en France a commandé des affiches à l'agence FKGB agence de communication qui les a conçues puis réalisées dans la forme litigieuse ; que la société SCPE est dès lors bien fondée à agir à l'encontre de la société FKGB au titre de la concurrence parasitaire;
Considérant que la société Métropolitan Film Export soutient qu'aucun acte parasitaire ne saurait être relevé dans la mesure où, d'une part, les parties ne sont nullement en situation de concurrence et, d'autre part, la volonté des auteurs de l'affiche litigieuse et de la société Métropolitan n'était nullement de se placer dans le sillage de la revue Entrevue;
Considérant toutefois que si la société SCPE et la société Métropolitan Film Export ne sont pas en situation de concurrence, quiconque usurpe sensiblement une valeur économique d'autrui, alors qu'il n'est pas un de ses concurrents se rend coupable d'agissements parasitaires;
Que les éléments versés aux débats établissent que la couverture de revue fictive de l'affiche litigieuse et la couverture de la revue Entrevue présentent une mise en page semblable, un traitement en couleur similaire, une typographie identique et une connotation évidente entre leurs titres;
Qu'il résulte de ces considérations que les intimées ont entendu détourner à leur profit, sans bourse délier et sans la moindre autorisation préalable de l'appelante, la notoriété du magazine afin d'attirer le public dans les salles de cinéma diffusant le film Pecker;
Que les sociétés Métropolitan Film Export et FKGB ont, en s'inspirant sensiblement de la couverture du magazine Entrevue, qui constitue une valeur économique, fruit d'un travail intellectuel et d'investissements, commis des agissements parasitaires fautifs;
Que le jugement sera infirmé en ce qu'il a rejeté la demande de la société SCPE au titre de la concurrence parasitaire;
Sur le préjudice
Considérant que la société Métropolitan Film Export et la société FKGB agence de communication contestent l'existence d'un préjudice économique ou moral subi par l'appelante;
Considérant que si cette dernière n'établit pas l'existence d'un préjudice économique, les agissements parasitaires de la société Métropolitan Film Export et de la société FKGB agence de communication lui ont en revanche causé un préjudice moral, constitué par le risque de tromperie des lecteurs du magazine Entrevue qui ont pu penser que leur magazine aurait partie liée avec le film auquel, à leurs yeux, il avait été volontairement associé, d'une part et par la dépréciation du signe ainsi exploité commercialement sans autorisation préalable de la société SCPE, d'autre part;
Que ce préjudice sera justement réparé par l'allocation d'une somme de 8 000 euro à la société SCPE ; que le jugement sera infirmé en ce qu'il a estimé que la société SCPE ne rapportait pas la preuve d'avoir subi un préjudice;
Sur les mesures d'interdiction et de publication
Considérant que des mesures d'interdiction et de publication n'apparaissent pas justifiées en l'espèce; que les demandes à ce titre de la société SCPE seront rejetées;
Sur les demandes reconventionnelles
Considérant que la cour a fait droit à la demande en concurrence parasitaire de la société SCPE intentée à l'encontre de la société FKGB ; qu'en conséquence, la demande reconventionnelle de la société FKGB sera rejetée; que le jugement sera confirmé sur ce point;
Considérant que la société SCPE a pu se méprendre sur la portée de ses droits; que la demande en procédure abusive formée par la société Mercredi sera également rejetée;
Sur l'article 700 du NCPC et les dépens
Considérant que l'équité commande de ne pas d'allouer d'indemnité supplémentaire au titre de l'article 700 du NCPC; que le jugement sera confirmé de ce chef;
Considérant que la société Métropolitan Film Export et la société FKGB agence de communication seront condamnées in solidum aux entiers dépens de première instance et d'appel;
Par ces motifs, Infirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a mis la société Mercredi hors de cause, rejeté l'exception d'incompétence et la fin de non-recevoir soulevées par la société FKGB agence de communication et condamné la société de Conception de presse à payer à la société Mercredi la somme de 7 622,45 euro au titre de l'article 700 du NCPC; Statuant de nouveau, Dit que les agissements de la société Métropolitan Film Export et de la société FKGB agence de communication sont constitutifs de parasitisme; Condamne in solidum les sociétés Métropolitan Film Export et FKGB agence de communication à verser à la société de Conception de presse la somme de 8 000 euro au titre de la réparation de son préjudice moral; Rejette toute autre demande; Condamne in solidum les sociétés Métropolitan Film Export et FKGB agence de communication aux entiers dépens qui seront recouvrés par la SCP Bourdais Virenque-Oudinot conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.