CA Lyon, 1re et 2e ch. réunies, 8 septembre 1997, n° 9603572
LYON
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Sibille
Défendeur :
Lalliard (SA), Winterthur (SA), IG industries (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Girousse
Présidents de chambre :
MM. Bailly, Dulin
Conseillers :
Mmes Biot, Martin
Avoués :
SCP Dutrievoz, SCP Brondel-Tudela
Avocats :
Mes Rey, Ballaloud
Exposé du litige
Il est constant que la SCI Pré de la Grange a fait construire, en 1976, 11 maisons à usage d'habitation à Bonneville; que le maître d'œuvre était Monsieur Pierre Sibille, architecte; que les bardeaux mis en œuvre pour la couverture des 4 pavillons appartenant respectivement à Messieurs Canu, Blanc, Frison et Lopez ont été fournis par la société anonyme Lalliard; qu'ils ont été fabriqués par la société anonyme de droit beige IG industries (venant aux droits de la société Iko Amour Shingles), assurée auprès de la société anonyme compagnie Winterthur; que des désordres sont apparus dans l'ensemble des maisons, affectant, entre autres, la toiture; que 4 missions d'expertise ont été successivement confiées par le juge des référés puis par le conseiller de la mise en état à Monsieur Esther Buchet.
Par jugement du 20 août 1982, le Tribunal de grande instance de Bonneville a notamment:
- déclaré Monsieur Sibille et d'autres constructeurs responsables des divers désordres affectant les pavillons litigieux,
- déclaré Monsieur Sibille tenu de réparer, à hauteur de 80, les désordres affectant les toitures, Monsieur Raoul Bouvier étant tenu à hauteur de 20 %,
- condamné in solidum Monsieur Sibille et Monsieur Bouvier à payer aux copropriétaires des pavillons la somme de 180 000 F pour ces désordres, avec indexation, ainsi que des indemnités pour trouble de jouissance, dépréciation de leur bien et remboursement des frais exposés et non compris dans les dépens.
Par arrêt du 11 avril 1989, la Cour d'appel de Chambéry, saisie par un appel interjeté par Monsieur Sibille, a notamment:
- homologué les 4 rapports d'expertise,
- débouté Monsieur Sibille de son appel,
- mis hors de cause la société Lalliard, la société IG industries et la compagnie Winterthur,
- confirmé le jugement entrepris en ce qui concerne la responsabilité de Monsieur Sibille,
- condamné in solidum Monsieur Sibille, les héritiers de Raoul Bouvier et la société à responsabilité limitée Maillet à payer à la SCI Pré de la Grange la somme de 393 000 F valeur mars 1984 et la somme de 813 700 F valeur mai 1986, outre actualisation,
- condamné in solidum Monsieur Sibille, les héritiers de Raoul Bouvier et la société Maillet à payer à la SCI Pré de la Grange la somme de 3 500 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- condamné Monsieur Sibille aux dépens d'appel et aux frais des trois dernières expertises,
- condamné in solidum Monsieur Sibille, les héritiers de Raoul Bouvier et la société Maillet aux dépens de première instance et aux frais de la première expertise.
Par arrêt du 4 avril 1991, la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt du 11 avril 1989, mais seulement en ce qu'il avait:
- inclus dans la condamnation prononcée au profit de la SCI Pré de la Grange l'indemnisation des troubles de jouissance,
- mis la société IG industries hors de cause sur l'appel en garantie de Monsieur Sibille,
- condamné les héritiers de Raoul Bouvier à réparer l'intégralité des dommages,
- mis la société Lalliard hors de cause sur l'appel en garantie des héritiers de Raoul Bouvier, et a renvoyé la cause et les parties devant la Cour d'appel de Grenoble.
Par arrêt du 23 novembre 1993, la Cour d'appel de Grenoble a notamment:
- constaté qu'il était définitivement jugé que Monsieur Sibille était responsable des désordres affectant les bardeaux couvrant les pavillons de Messieurs Canu, Blanc, Frison et Lopez et devait supporter les frais des trois dernières expertises,
- déclaré Monsieur Sibille seul responsable de l'aggravation des désordres affectant la couverture des pavillons,
- condamné la SCI Pré de la Grange à restituer aux héritiers de Raoul Bouvier la somme de 29 364,56 F,
- condamné Monsieur Sibille à relever et garantir la SCI Pré de la Grange de cette condamnation,
- condamné la société Lalliard à relever et garantir Monsieur Sibille de sa condamnation consécutive aux vices affectant les bardeaux couvrant les pavillons de Messieurs Canu, Blanc, Frison et Lopez,
- condamné la société IG industries à relever et garantir Monsieur Sibille et la société Lalliard de cette condamnation,
- condamné la compagnie Winterthur à relever et garantir la société IG industries de cette condamnation, dans les limites de la police d'assurances,
- débouté les héritiers de Raoul Bouvier de leur action récursoire contre la société Lalliard,
- débouté Monsieur Sibille et la société Lalliard de leur action récursoire contre la compagnie Winterthur,
- débouté la société Lalliard et la société IG industries de leurs demandes d'indemnisation,
- débouté la SC1 Pré de la grange, les héritiers de Raoul Bouvier, la société Maillet, la société Lalliard, la société IG industries et la compagnie Winterthur de leurs demandes de remboursement des frais exposés et non compris dans les dépens,
- partagé par moitié les dépens afférents à la procédure de renvoi entre la SCI Pré de la Grange et Monsieur Sibille,
- dit que ceux-ci devraient en être relevés et garantis de la même manière que pour le principal.
Par arrêt du 17 janvier 1996, la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt du 23 novembre 1993, mais seulement en ce qu'il avait:
- condamné la société Lalliard à relever et garantir Monsieur Sibille de sa condamnation consécutive aux vices affectant les bardeaux couvrant les pavillons de Messieurs Canu, Blanc, Frison et Lopez,
- condamné la société IG industries à relever et garantir Monsieur Sibille et la société Lalliard de cette condamnation,
- condamné la compagnie Winterthur à relever et garantir la société IG industries de cette condamnation, et a renvoyé la cause et les parties devant la Cour d'appel de Lyon.
Par déclaration du 14 mai 1996, la société Lalliard, intimée, a saisi la Cour d'appel de Lyon.
Elle demande à la cour de:
- à titre principal, déclarer irrecevable l'appel en cause diligenté à son encontre devant la Cour d'appel de Chambéry,
- déclarer recevable, en tant que de besoin, son appel en cause diligenté contre la société IG industries,
- à titre subsidiaire, déclarer mal fondées les demandes formées contre elle par les héritiers de Raoul Bouvier et Monsieur Sibille,
- constater que sa responsabilité ne peut être engagée que sur le fondement de l'article 1641 du Code civil et des articles suivants, et que la demande n'a pas été introduite à bref délai,
- constater que la cause des désordres ne réside pas dans un vice caché du matériau mais dans un mauvais choix de celui-ci et une mauvaise mise en œuvre,
- la mettre hors de cause,
- constater qu'elle ignorait le défaut de la chose vendue, et ne pourrait être tenue qu'à restitution du prix de vente sur le fondement de l'article 1648 du Code civil et non à relever et garantir les héritiers de Raoul Bouvier de toutes les condamnations mises à leur charge,
- en tout état de cause, réduire l'indemnisation réclamée au titre du coût des travaux de réfection en raison de l'amélioration donnée à l'ouvrage et de l'inertie et de la carence des propriétaires des pavillons pendant la période allant de 1980 à 1984,
- en cas de condamnation, condamner in solidum la société IG industries et la compagnie Winterthur à la relever et garantir de toutes les condamnations mises à sa charge, en principal, intérêts frais et dépens,
- condamner les héritiers de Raoul Bouvier ou qui mieux le devra à lui payer la somme de 10 000 F à titre de dommages-intérêts et la somme de 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Monsieur Sibille, appelant, demande à la cour de:
- déclarer recevable et bien fondée son action récursoire contre la société Lalliard, fournisseur des bardeaux litigieux, et la société IG industries, qui les a fabriqués,
- condamner la société Lalliard et la société IG industries à le relever et garantir de toutes les condamnations mises à sa charge au titre des travaux de réfection des toitures de Messieurs Canu, Blanc, Frison et Lopez,
- condamner la société Lalliard, la société IG industries et la compagnie Winterthur aux dépens.
La société IG industries et la compagnie Winterthur ont été assignées, par acte délivré au parquet, le 29 janvier 1997.
Ces intimées n'ont pas constitué avoué.
L'assignation délivrée au siège belge de la compagnie Winterthur en tant que société résidant à l'étranger est irrégulière puisque cette compagnie d'assurances avait comparu devant la Cour d'appel de Grenoble après avoir été assignée à son siège social de Lyon.
Il y a donc lieu de la mettre hors de cause.
En revanche, la société IG industries a été régulièrement assignée et, en raison de son défaut de comparution, la présente décision sera réputée contradictoire.
Motifs de la décision
Sur la recevabilité de l'action
Monsieur Sibille soutient que la détérioration des bardeaux des 4 pavillons constitue un fait nouveau matérialisé seulement après le prononcé du jugement du Tribunal de grande instance de Bonneville; que le premier rapport d'expertise ne préconisait aucun remplacement des bardeaux; que ce n'est que le second rapport d'expertise qui a permis de constater la détérioration particulière concernant les toitures de Messieurs Canu, Blanc, Frison et Lopez; que ce fait nouveau a entraîné la mise en œuvre d'une troisième expertise, au cours de laquelle le phénomène a été véritablement analysé; qu'il y a donc eu évolution du litige; que la troisième expertise, opposable à la société Lalliard, a été consacrée aux désordres particuliers présentés par les bardeaux qu'elle avait fournis; que les conclusions des deux expertises la concernant ont été élaborées contradictoirement et ne peuvent être écartées.
La société Lalliard soutient que ce n'est qu'après le dépôt du second rapport d'expertise que Raoul Bouvier l'a mise en cause, par assignation du 25 janvier 1984, alors que le juge des référés avait été saisi dès 1979 et que le juge du fond avait été saisi en 1982; qu'elle a appelé dans la cause la société IG industries par assignation du 27 novembre 1984; que le conseiller de la mise en état a ordonné un complément d'expertise le 25 janvier 1985; que, dès le 11 décembre 1986, elle a demandé à la Cour d'appel de Chambéry de déclarer irrecevables les demandes formées contre elle par les héritiers de Raoul Bouvier; que la mise en cause de la qualité des bardeaux ne résultait pas de l'acte introductif d'instance; que l'expert avait pourtant déjà signalé dans son premier rapport la fissuration des bardeaux dans 4 toitures; que les éléments ayant servi à justifier sa mise en cause existaient depuis le début du litige; qu'il n'y a donc pas eu évolution du litige; que l'appel est, en ce qui la concerne, tardif, et qu'elle ne peut se voir opposer les mesures d'instruction diligentées avant sa mise en cause.
La cour constate que le premier rapport d'expertise ne mentionne pas les bardeaux et ne contient aucune constatation de désordre les affectant ou causé par eux; que le second rapport d'expertise indique à la page 6 que la qualité des bardeaux peut être mise en doute, qu'il faut les remplacer entièrement pour les pavillons de Messieurs Canu, Blanc, Frison et Lopez, et qu'ils se sont fendus dans toute leur épaisseur; que, dans son ordonnance du 25 janvier 1985, le conseiller de la mise en état indique expressément que c'est à la suite des constatations opérées par l'expert au cours de sa deuxième mission qu'un complément d'expertise est devenu nécessaire et que la société Lalliard a été mise en cause et a appelé en cause la société IG industries.
Il résulte de l'article 555 du nouveau Code de procédure civile que les personnes qui n'ont pas été parties en première instance peuvent être appelées devant la cour, même aux fins de condamnation, quand l'évolution du litige implique leur mise en cause.
La cour estime qu'il est démontré que la qualité défectueuse du matériau n'a été révélée qu'après la décision rendue par le tribunal de grande instance, et que cette évolution du litige justifiait la mise en cause des sociétés intimées.
Les opérations d'expertise concernant ces bardeaux ont été menées contradictoirement, puisque l'expert a repris les constatations et appréciations mentionnées dans second rapport au cours des opérations ayant abouti au troisième rapport et en présence des parties qui venaient d'être mises en cause.
La demande de Monsieur Sibille est donc recevable.
Sur la responsabilité de la société Lalliard
Monsieur Sibille soutient que les désordres affectant la toiture des pavillons de Messieurs Canu, Blanc, Frison et Lopez sont imputables au fournisseur et au fabriquant des bardeaux; qu'il n'a commis sur ce point aucune erreur de conception; qu'il ne pouvait connaître l'état et la qualité de ces matériaux, qui présentaient un vice caché les rendant impropres à leur destination.
La société Lalliard soutient que Monsieur Sibille n'a aucun lien de droit avec elle; qu'il ne peut agir sur le fondement de la garantie décennale mais seulement sur celui de la garantie des vices cachés en matière de vente; que les désordres étaient connus dès 1980 alors que la demande a été formulée pour la première fois en 1984 par les héritiers de Raoul Bouvier; que l'action est donc prescrite; qu'elle est mal fondée puisqu'elle ne connaissait pas le vice des bardeaux; qu'en outre les désordres proviennent d'un mauvais choix de ces matériaux et d'une mise en œuvre maladroite.
La société Lalliard a été mise en cause dans l'année qui a suivi la découverte par l'expert d'un vice particulier affectant les bardeaux de certains pavillons, et aucun élément du dossier ne prouve qu'un des constructeurs connaissait antérieurement le vice de ces matériaux.
La cour en déduit que l'action a été intentée dans le bref délai prévu par l'article 1648 du Code civil.
La cour constate que l'expert a, dans le second rapport d'expertise, envisagé plusieurs causes de désordres, parmi lesquels la qualité du matériau, et qu'il a fallu des investigations complémentaires pour constater la gravité des fissures des bardeaux et en déduire qu'il s'agissait d'un vice de ce matériau; que l'expert a procédé à un prélèvement qu'il a fait analyser, qu'il a constaté certaines anomalies, mais n'a nullement conclu qu'il existait un vice apparent et n'a même pas expliqué pour quelle raison technique ces bardeaux s'étaient fendus, alors que ceux mis en œuvre sur d'autres pavillons, et provenant d'un autre fabriquant, avaient mieux résisté; que l'expert n'a absolument pas mis en cause la responsabilité du fournisseur, et n'a pas non plus dit ni même envisagé que le vice des bardeaux ait été connu par la société Lalliard ou qu'il aurait pu être décelé par cette société entre le moment où elle les a reçus et celui où elle les a livrés à ses clients.
La cour en déduit que l'appelant ne prouve pas la connaissance par l'intimée du vice des bardeaux.
Conformément aux articles 1645 et 1646 du Code civil, le vendeur qui ne connaissait pas le vice de la chose vendue ne peut être tenu qu'à la restitution du prix, et la demande de dommages-intérêts doit être déclarée mal fondée.
La cour déboute en conséquence Monsieur Sibille de sa demande dirigée contre la société Lalliard.
Sur la responsabilité de la société IG industries.
Monsieur Sibille reprend les mêmes moyens que ceux concernant la société Lalliard, et il soutient en outre que seuls les 4 pavillons couverts avec les bardeaux fabriqués par la société IG industries sont affectés par un désordre particulier de leur toiture, provenant de la fissuration de ces éléments de couverture, et que le fabriquant a déjà subi de nombreux autres sinistres à la suite desquels il a reconnu sa responsabilité en les réglant transactionnellement.
La société IG industries avait soulevé, devant la Cour d'appel de Grenoble, les mêmes moyens de forme et de fond que la société Lalliard, et elle avait en outre contesté que les bardeaux fussent de sa fabrication ainsi que l'existence d'un vice de ces matériaux.
La cour constate que l'expert, après avoir noté que la société IG industries contestait avoir fourni les bardeaux, a joint à son troisième rapport la facture du 16 septembre 1976 correspondant à la livraison de ces matériaux, et qu'il a très nettement affirmé que les bardeaux mis en œuvre sur les 4 pavillons provenaient de la société IG industries et présentaient des défectuosités les rendant tout à fait impropres à leur destination.
Aucun élément du dossier ni des précédentes décisions judiciaires ne remet en cause la réalité de la fourniture de ces bardeaux ni du vice qu'ils présentaient.
La preuve de la faute de la société IG industries est ainsi suffisamment rapportée, et la cour estime que cette faute est de nature à engager son entière responsabilité en ce qui concerne ces 4 pavillons.
Il y a donc lieu de faire entièrement droit à l'appel en garantie formé par Monsieur Sibille contre la société IG industries,
Sur les demandes annexes
Il n'est apporté la preuve d'aucun abus dans l'exercice du droit d'appel, et la demande de dommages-intérêts doit être rejetée.
Monsieur Sibille, partie perdante, supportera les dépens du recours, conformément à l'article 696 du nouveau Code de procédure civile.
La cour fixe à 4 000 F le remboursement des frais exposés par la société Lalliard et non compris dans les dépens du recours.
Monsieur Sibille sera garanti de ces condamnations par la société IG industries.
Par ces motifs, LA COUR, dit que la compagnie Winterthur n'a pas été régulièrement mise en cause, déclare l'action intentée par Monsieur Sibille contre la société Lalliard recevable mais mal fondée, en déboute Monsieur Sibille, déclare l'action intentée par Monsieur Sibille contre la société IG industries recevable et bien fondée, condamne la société IG industries à relever et garantir Monsieur Sibille de sa condamnation consécutive aux vices affectant les bardeaux couvrant les pavillons de Messieurs Canu, Blanc, Frison et Lopez, Condamne Monsieur Sibille à payer à la société Lalliard la somme de 4 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne Monsieur Sibille aux dépens du recours, et accorde à l'avoué de son adversaire le droit de recouvrer directement ceux des dépens dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision, condamne la société IG industries à relever et garantir Monsieur Sibille de ses condamnations aux dépens et au remboursement des frais exposés et non compris dans les dépens.