CA Caen, 1re ch. sect. civ. et com., 29 septembre 2005, n° 02-02469
CAEN
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Batard (Epoux)
Défendeur :
Prodim (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Le Fèvre
Conseillers :
Mlle Cherbonnel, Mme Holman
Avoués :
SCP Mosquet Mialon d'Oliveira Leconte, SCP Grandsard Delcourt
Avocats :
Mes Brouard, Charlet
LA COUR,
Vu l'arrêt de cette cour du 26 février 2004 auquel il convient de se reporter pour les faits, la procédure et les demandes et moyens des parties antérieurs qui a notamment annulé partiellement une sentence arbitrale rendue le 17 juillet 2002 dans un litige entre la SAS Prodim d'une part, M. Marcel Batard et Mme Eliane Villemer épouse Batard d'autre part, en ce qu'elle avait condamné les époux Batard à payer à la SAS Prodim les sommes de 20 000 euro, 38 000 euro et 70 000 euro, rouvert les débats sur les points annulés, dit n'y avoir lieu à surseoir à statuer, invité les parties à conclure sur l'existence et le montant d'un préjudice procédural, d'un préjudice commercial non réparé par la clause pénale, la validité de la clause de non-réaffiliation, l'existence et le montant d'un préjudice résultant de la violation de celle-ci.
Vu les conclusions du 30 juin 2005 de M. et Mme Batard qui demandent à la cour de communiquer le dossier au Parquet Général en vertu de l'article L. 442-6 du Code de commerce afin qu'il donne son avis sur la présente procédure et, le cas échéant " prenne toute décision de nature à faire cesser les agissements illicites ", déclarer la clause (de non-réaffiliation) nulle et de nul effet notamment sur le fondement de l'article 81-1 du traité de Rome sur l'interdiction de pratiques restrictives de concurrence ; débouter la société Prodim de toutes ses demandes ; subsidiairement désigner un expert pour éclairer la cour sur divers points indiqués dans les conclusions sur l'exécution par chaque partie de ses obligations, condamner Prodim à lui payer 10 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Vu les conclusions du 28 juin 2005 de la SAS Prodim qui demande à la cour de déclarer irrecevables les époux Batard en leurs demandes tendant à voir constater la prétendue inexécution par le franchiseur de ses obligations contractuelles lesquelles se heurtent à l'autorité de la chose jugée, rejeter des débats ce moyen nouveau comme étant développé en violation du respect du contradictoire ; les déclarer non fondées comme tardives débouter les époux Batard de toutes leurs demandes ; les condamner à lui payer à titre de dommages et intérêts 70 000 euro du chef de l'apposition de l'enseigne Coccinelle en violation de la clause de non-affiliation, 38 000 euro au titre du trouble commercial subi, 20 000 euro pour résistance abusive et dilatoire, 15 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que le dossier a été communiqué au Ministère public qui a signé le 29 juin 2005 l'acte de communication par le greffe et n'est pas intervenu ;
Attendu que la cour a déterminé très précisément, dans son arrêt susvisé du 26 février 2004, les limites de sa saisine dans le cadre de la réouverture des débats ; qu'elle ne saurait réexaminer l'ensemble des relations contractuelles des parties ni apprécier leurs comportements réciproques, ce qu'a déjà fait le tribunal arbitral, sauf en ce qu'ils auraient une incidence directe sur la validité de la clause de non-réaffiliation, sa violation, l'existence de fautes et des préjudices allégués par Prodim dans le cadre de la présente procédure ; que la cour n'est pas saisie du litige, réglé par le tribunal arbitral, relatif aux conditions d'exécution et de rupture du contrat ; que ce n'est que le 28 juin 2005 que les époux Batard ont fait une demande subsidiaire d'expertise aux fins de vérifier si Prodim a satisfait à certaines de ses obligations, mais qu'outre que Prodim, qui a, ainsi que ses conseils, une parfaite connaissance de l'affaire, y a répondu, la cour est libre d'ordonner une expertise. Si elle l'estime utile et même sans demande des parties et de déterminer la mission de l'expert, dans la stricte limite du cadre de sa saisine ; qu'il n'y a pas lieu de déclarer cette demande irrecevable ;
Attendu que la clause de non-affiliation, par laquelle les époux Batard s'interdisaient l'usage d'une enseigne de renommée nationale ou régionale et s'engageaient à ne pas offrir en vente des marchandises dont les marques sont liées à ces enseignes, ceci pendant une durée d'un an à compter de la rupture du contrat et dans un rayon d'un kilomètre du magasin Shopi exploité n'avait pas pour conséquence de rendre totalement impossible la poursuite de l'exploitation du fonds de commerce mais rendait cette exploitation très difficile et sa rentabilité aléatoire; que l'utilisation d'une enseigne de renommée nationale ou régionale et la vente de marchandises liées à cette enseigne est le fait de la quasi-totalité des commerces du type de ceux qu'exploitaient les époux Batard sous l'enseigne Shopi ; que ces éléments sont en réalité nécessaires à une telle exploitation dans des conditions normales ; que la clause de non-affiliation doit dès lors être assimilée à une clause de non-concurrence ; que le fait qu'elle ne soit applicable qu'en cas de rupture anticipée du contrat, supposée fautive de la part du franchisé, ne constitue pas un élément modificatif de ses conditions de validité, les manquements étant normalement sanctionnés par des dommages et intérêts y compris forfaitaires dans le cadre d'une clause pénale comme c'est le cas en l'espèce, et non par des interdictions de faire restreignant la libre concurrence ;
Attendu qu'il n'est pas contesté que la clause figure dans tous les contrats de franchise de Prodim ; que celle-ci déclare que le seul réseau Shopi compte à ce jour plus de six cents "enseignes", en fait apparemment points de vente, répartis sur tout le territoire national ; que l'application de la clause est donc susceptible d'affecter la concurrence entre réseaux au niveau national ; qu'il ne s'agit pas d'un "accord d'importance mineure" comme le dit Prodim ; qu'au moins la partie de celle-ci interdisant l'offre à la vente des marchandises dont les marques sont "liées" aux enseignes nationales ou régionales est susceptible d'affecter le commerce entre Etats membres de l'Union européenne, ces marchandises n'étant pas exclusivement d'origine française ; que Prodim remarque que le contrat de franchise l'ayant liée aux époux Batard a été conclu en 1994 et que le règlement CEE de 1999 ne prévoit pas de rétroactivité ; mais que les parties se réfèrent à un règlement du 30 novembre 1988 et à une jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes du 28 février 1986 ; qu'au demeurant les principes qui régissent les droits de la concurrence français et européen ne sont pas différents et ne sauraient l'être ; que le droit européen prévaut en cas de divergence ;
Attendu en tous cas qu'il est constant que tant en droit français qu'en droit européen, une clause de non-concurrence, même limitée dans le temps et dans l'espace doit, pour être valable, tendre à la protection légitime de l'entreprise bénéficiaire ; que la clause de non-réaffiliation doit être nécessaire au maintien de l'identité commune ou à la réputation du réseau, ce qui implique qu'elle soit indispensable à la protection du savoir-faire ; que les époux Batard font valoir que le savoir-faire qui peut être protégé doit être secret, substantiel et identifié ; que les époux Batard remarquent justement que la clause restrictive de concurrence doit être strictement nécessaire à la protection d'un intérêt légitime et proportionnée à cette protection ;
Attendu que le fait que les époux Batard n'aient pas, dans le cadre de la procédure arbitrale sur le litige relatif au respect par les parties de leurs obligations réciproques, allégué un défaut de transmission de savoir-faire ne les empêche pas de le faire dans le litige sur la validité de la clause de non-réaffiliation, les critères d'appréciation n'étant pas les mêmes ; que le paiement d'une cotisation de franchise peut avoir pour contrepartie, entre autres choses, la transmission d'un savoir-faire banal et non spécifique tels que la formation aux techniques commerciales de base et la transmission de l'expérience de gestion du franchiseur qui ne sauraient suffire à justifier la clause restrictive de concurrence; que Prodim ne fait aucune démonstration de la transmission d'un savoir-faire spécifique substantiel qui lui soit propre et ne soit pas aisément accessible et qui ne se limite donc pas à l'initiation aux techniques commerciales et administratives et à la transmission d'une expérience professionnelle générale ; qu'elle ne procède même à aucune description d'un tel savoir-faire ; que les magasins Shopi distribuent des produits généraux de consommation courante ;
Attendu que comme le remarquent les époux Batard, la clause ne peut permettre le maintien d'un point de vente et de la cohérence du réseau puisqu'à la fin du contrat l'enseigne et la clientèle de ce point sont perdus pour le franchiseur, qu'il y ait ou non-réaffiliation du franchisé ; que la reconstitution du réseau local peut être faite indépendamment de l'application de la clause de non-réaffiliation ; qu'en réalité la clause litigieuse a pour but et pour effet de dissuader les franchisés, par une sanction dépassant la réparation du préjudice du franchiseur prévue par la clause pénale et donc disproportionnée, de résilier le contrat par anticipation, et de rendre plus difficile la pénétration du marché par les enseignes concurrentes, l'exploitation pendant un an du fonds de commerce sans enseigne d'importance nationale ou régionale et sans possibilité de vendre les marchandises y étant liées pouvant être très difficile et aboutir en fait à la disparition du point de vente ; qu'il ne s'agit pas là de la protection d'un intérêt légitime ; qu'il s'ensuit que la clause de non-réaffiliation litigieuse constitue une atteinte illégitime au libre jeu de la concurrence et qu'elle n'est donc pas valable;
Attendu que Prodim ne fait pas la démonstration de préjudices distincts de ceux réparés par le tribunal arbitral ; que le prétendu préjudice relatif au coût de création d'un point de vente "Shopi" résulte de la rupture du contrat, entraînant le dépôt de l'enseigne, qui n'aurait pas été elle-même fautive si elle avait eu lieu à terme ; que Prodim n'avait pas le pouvoir de maintenir son enseigne en fin de contrat contre la volonté des époux Batard; qu'elle ne caractérise le principe ni n'établit le montant d'un préjudice commercial autre que celui réparé par la sentence arbitrale résultant de l'anticipation de la résolution du contrat ; qu'il y a lieu de remarquer surabondamment qu'il en est de même du prétendu préjudice résultant de la seule violation de la clause de non-réaffiliation ; que Prodim paraît estimer, en citant une sentence arbitrale rendue dans une autre affaire, qu'il y aurait eu une perte de crédit auprès de la clientèle ; mais qu'elle ne démontre pas en quoi, le fait que les époux Batard n'aient pas, pendant un an, exploité leur fonds sans aucune enseigne avant de l'exploiter sous l'enseigne Coccinelle, a pu entraîner pour elle une quelconque perte de crédit ;
Attendu que Prodim ne fait pas plus la démonstration d'une attitude procédurale abusive et de mauvaise foi des époux Batard dans le cadre de la procédure arbitrale ayant entraîné pour elle un préjudice distinct de l'engagement de frais irrépétibles ; que la cour a d'ailleurs partiellement fait droit au recours en annulation de la sentence arbitrale, ce qui exclut le caractère abusif de la résistance des époux Batard ;
Attendu qu'il est équitable de laisser à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles ;
Par ces motifs, LA COUR, Dit nulle la clause de non-réaffiliation litigieuse ; Déboute la SAS Prodim de toutes ses demandes ; Déboute aussi M. et Mme Batard de leur demande au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Met les dépens à la charge de la SAS Prodim et dit qu'ils seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.