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Décisions

Cass. com., 15 janvier 2002, n° 99-13.597

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Coty France (SARL)

Défendeur :

Mélisana (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dumas

Rapporteur :

Mme Champalaune

Avocat général :

M. Viricelle

Avocats :

SCP Piwnica, Molinié, Me Choucroy

Paris, 25e ch., sect. A, du 15 janv. 199…

15 janvier 1999

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 janvier 1999), que la société Mélisana spécialisée dans la fabrication de produits cosmétiques, en a confié la distribution à la société Coty France (la société Coty) par contrat du 3 octobre 1991 ; que le contrat est venu à échéance le 31 décembre 1995 et n'a pas été renouvelé ; que la société Coty a sollicité, en application d'une clause de reprise des stocks figurant au contrat, la reprise des produits invendus par la société Mélisana, qui ne l'a acceptée que partiellement ; que la société Coty a alors introduit une action en paiement au titre des produits non repris ;

Sur le premier moyen et le deuxième moyen, pris en ses quatre branches, réunis : - Attendu que la société Coty fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté ses demandes en paiement, alors, selon le moyen : 1°) que la cour d'appel a constaté que les parties avaient convenu que les stocks seraient repris quelle que soit l'éventuelle péremption des produits et que la société Coty ne pourrait être privée de cette mesure d'indemnisation prévue pour le cas où le contrat ne serait pas renouvelé une première fois, qu'en cas de mauvaise foi ou de faute grave de sa part ; qu'en décidant que la reprise des stocks ne pouvait être demandée en raison de leur seule mauvaise gestion par la société Coty tout en constatant qu'aucun "sur-stockage" délibéré ne pouvait lui être reproché, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations au regard de l'article 1134 du Code civil, en violation de ce texte ; 2°) qu'en décidant que l'importance des stocks "ne pouvait s'expliquer que par une mauvaise gestion de la société Coty", la cour d'appel a présumé l'existence d'une telle faute dont il est ainsi supposé qu'elle en était la seule explication possible ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 1315 du Code civil ; 3°) que les articles 4-4 et 4-5 du contrat de distribution du 3 octobre 1991 ne faisaient expressément obligation à la société Coty que de réaliser les objectifs annuels de ventes et de maintenir un minimum de stock en rapport avec ces objectifs ; qu'en se bornant à reprocher l'importance des stocks sans vérifier, comme l'avaient recherché les premiers juges, si leur valeur relative totale correspondant à 1,5 mois des ventes de 1995 de la société Coty n'était cependant pas conforme à son chiffre d'affaires, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ; 4°) qu'en se référant de même au principe de gestion du "premier entré, premier sorti" sans même relever qu'il constituait une obligation contractuelle stipulée au profit de la société Mélisana par le contrat de distribution dont les clauses expresses obligeaient seulement la société Coty à maintenir des stocks en rapport avec ses ventes, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ; 5°) qu'en tout état de cause, en se bornant à affirmer que l'importance des stocks faisait présumer la violation du principe du "premier entré, premier sorti", sans rechercher, comme le faisait valoir la société Coty, si les produits acquis en 1993 en proportion de ses ventes, ne résultaient pas de simples invendus retournés par la distribution et de la désaffection du public d'abord plus intéressé par les nouveautés lancées entre-temps par la société Mélisana, dont les ventes s'étaient ensuite effondrées en 1996 postérieurement à la rupture des relations des parties, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision qu'elle a privée de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ;

Mais attendu qu'ayant relevé que les pièces du dossier, non contredites par d'autres éléments, dont elle a souverainement apprécié la portée, démontraient que les produits litigieux avaient été livrés environ deux ans avant leur date de péremption, que la quantité de marchandises périmées ou proches de l'être au moment de leur restitution ne pouvait s'expliquer que par une mauvaise gestion des stocks et qu'il était patent que la vente des cosmétiques n'avait pas été systématiquement effectuée de manière chronologique suivant le principe de bon sens "premier entrant, premier sorti" alors qu'il s'agissait de denrées périssables, et déduit de ces constatations que cette défaillance, propre à l'organisation de la société Coty, constituait un manquement grave à l'obligation d'exécuter le contrat de bonne foi, la cour d'appel, qui a ainsi écarté que la présence dans les stocks de la société Coty de produits périmés aient pu avoir une autre cause, a, justifiant légalement sa décision, pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le troisième moyen, pris en ses trois branches : - Attendu que la société Coty fait encore le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen : 1°) que la cour d'appel a constaté que la lisibilité des indications apposées par la société Mélisana sur ses produits appelait une réserve de sa part et que certaines erreurs de date de conditionnement avaient été commises ; que la société Coty avait également souligné que les dates de péremption invoquées par la société Mélisana, à qui l'article 5-6 du contrat du 3 octobre 1991 imputait l'entière responsabilité des lois et règlements relatifs à ses produits, n'étaient pas compréhensibles et qu'elles n'étaient pas conformes aux mentions réglementaires imposées aux fabricants de cosmétiques par le décret du 28 avril 1977 ; qu'en se bornant à retenir que les produits avaient été mal gérés par la société Coty qui n'avait pas protesté contre les dates de péremption utilisés par la société Mélisana, sans égard pour les fautes de la société fabricante qui n'avait pas pris les mesures qui s'imposaient à elle, pour assurer une gestion correcte de ses produits, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ; 2°) que de même, la société Coty avait conclu que c'était à juste titre que le tribunal avait constaté que la société Mélisana ne lui avait pas fourni la documentation technique afférente à ses produits, en violation de l'article 5-6 du contrat de distribution ; qu'en se bornant à relever que la société Coty ne pouvait prétendre ignorer l'existence de dates de péremption, ce qui ne pouvait exonérer la société fabricante de la violation de ses propres obligations contractuelles destinées à permettre la gestion correcte de ses produits, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ; 3°) qu'en toute hypothèse, en s'abstenant de rechercher comme l'avaient fait les premiers juges, si la société Mélisana était fondée à demander que la société Coty réponde seule d'une gestion des stocks que la société Mélisana avait elle-même laissée délibérément se poursuivre au cours du contrat, sans émettre la moindre observation, en dépit de son information mensuelle des ventes que le contrat avait instituée à cet effet, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134, alinéa 3, et 1147 du Code civil ;

Mais attendu que l'arrêt constate que les bordereaux de livraisons, les caisses et les emballages comportaient tous des codes correspondant aux numéros de lots ainsi qu'aux dates de péremption et de conditionnement ; que l'arrêt relève que professionnelle de la distribution de cosmétiques, la société Coty n'ignorait pas les dispositions de la réglementation applicable qui distingue entre les produits dont la conservation est inférieure à 30 mois pour lesquels il est prescrit d'indiquer la date de péremption sur le récipient ou l'emballage et ceux dont la durée est supérieure pour lesquels il n'y a pas d'obligation particulière ; que l'arrêt relève encore que le contrat de distribution lui faisait obligation de retirer les produits périmés de la vente et qu'en tant que professionnelle elle ne peut reprocher à sa cocontractante de ne pas l'avoir informée de la façon dont il fallait gérer les stocks ; qu'en l'état de ces constatations, par lesquelles elle a retenu à la fois que le fabricant n'avait pas manqué à son obligation d'information et que la société distributrice était elle-même informée et que sa qualité de professionnelle excluait l'immixtion du fabricant dans sa gestion, la cour d'appel a pu statuer comme elle a fait et a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le quatrième moyen, pris en ses trois branches : - Attendu que la société Coty fait encore le même reproche à l'arrêt, alors, selon le moyen : 1°) qu'en se bornant à affirmer qu'une "défaillance de l'entreprise de distribution n'a pas à être supportée par le fabricant qui ne peut plus commercialiser des cosmétiques dont la date de péremption est acquise", sans relever en quoi, en l'espèce, la société Mélisana n'aurait pas eu la possibilité de commercialiser les produits qu'elle refusait de reprendre mais dont la date de péremption expirait le 30 juin 1996, soit 6 mois après l'échéance du contrat de distribution, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ; 2°) que la société Coty faisait valoir que le Tribunal avait justement constaté qu'à l'expiration du contrat de distribution, le 31 décembre 1995, la société Mélisana avait eu la possibilité de distribuer les stocks litigieux dont la date de péremption expirait le 30 juin 1996 ; que la demande de produits solaires dans les stations de sports d'hiver était en effet très forte ; qu'il en était de même pour les pays du Sud à forte affluence touristique ; que de surcroît, les stocks que la société Mélisana refusait de reprendre et qui lui avaient été restitués entre le 28 décembre 1995 et le 2 janvier 1996, comprenaient des produits non solaires ; que la société fabricante ne pouvait prétendre être dans l'incapacité de distribuer après le 31 décembre 1995 ; qu'en omettant d'énoncer en quoi la société Mélisana n'aurait pas pu ainsi commercialiser le stocks litigieux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ; 3°) qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel n'a pas répondu aux conclusions d'appel de la société Coty du 16 décembre 1997 qui l'invitaient à procéder à la recherche susvisée, en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que l'arrêt constate que la société Mélisana a fait dresser par huissier de justice le 30 janvier 1996 un inventaire des produits restitués et qu'elle a opéré une distinction entre ceux dont la date de péremption n'était pas acquise en juin 1996 pour lesquels elle a consenti un avoir et ceux périmés ou considérés comme tels ; qu'en l'état de ces constatations dont il ressort que la société Mélisana n'a exclu que le remboursement des produits dont la date de péremption était postérieure au mois de juin 1996, le moyen manque par le fait qui lui sert de base et ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;

Mais sur le cinquième moyen : - Vu l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; - Attendu que pour infirmer le jugement en ce qu'il avait prononcé la condamnation de la société Mélisana à payer à la société Coty une certaine somme correspondant aux intérêts sur la valeur des stocks que la société Mélisana avait repris à compter du 1er juillet 1996 et non à compter de la date d'expiration du contrat, l'arrêt retient que la société Coty ne peut exiger le remboursement des produits restitués et qu'elle n'a pas subi de préjudice imputable à la société Mélisana ;

Attendu, qu'en statuant ainsi, sans s'expliquer sur le rejet de la demande en paiement d'intérêts moratoires au titre des produits repris et remboursés avec retard, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;

Par ces motifs : Casse et annule, mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande de la société Coty en paiement d'intérêts moratoires sur les produits repris, l'arrêt rendu le 15 janvier 1999, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Versailles.