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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 20 février 2003, n° 01-08159

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Lamy Moto (SARL)

Défendeur :

Yamaha Motor France (SA), MBK Industrie (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Raffejeaud (faisant fonction)

Conseillers :

MM. Dragne, Chapelle

Avoués :

SCP Fievet-Rochette-Lafon, SCP Gas, SCP Debray-Chemin

Avocats :

Mes Fourgoux, Bouvier, Margules

T. com. Pontoise, 2e ch., 2e sect., du 1…

15 novembre 2001

La société Lamy Moto était le concessionnaire des sociétés Yamaha Motor France et MBK Industrie pour une partie du département de la Haute-Marne.

Les deux sociétés concédantes ont cessé leurs relations avec la société Lamy Moto à effet du 31 décembre 1997, dans des circonstances dans lesquelles celle-ci a vu une action concertée des deux concédants destinée à leur nuire.

C'est dans ces conditions que la société Lamy Moto a saisi le Tribunal de commerce de Pontoise, lequel, par jugement en date du 15 novembre 2001, a:

- déclaré que les sociétés Yamaha et MBK n'avaient pas dérogé aux dispositions des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 à l'encontre de la société Lamy Moto;

- déclaré que les sociétés Yamaha et MBK avaient exercé leurs droits de résiliation des contrats de concession avec la société Lamy Moto d'une façon brusque et abusive;

- sursis à statuer sur l'indemnisation du préjudice et renvoyé l'affaire à une date ultérieure.

Pour écarter les pratiques anticoncurrentielles dénoncées par la société Lamy Moto, les premiers juges ont retenu que ni l'identité des sièges sociaux des deux concédants, ni la concomitance des dénonciations par eux des contrats n'étaient la preuve des pratiques illicites alléguées par la société Lamy Moto.

Pour accueillir en revanche le grief tiré de la rupture abusive des relations commerciales, les premiers juges ont retenu, s'agissant de la société Yamaha, qu'eu égard à la durée de quatorze ans des relations, un juste préavis aurait dû être de douze mois et non pas seulement de six, et, s'agissant de la société MBK, qu'un préavis de six mois aurait dû être accordé.

La société Lamy Moto a interjeté appel de ce jugement le 13 décembre 2001.

Elle a soutenu que, dissimulées sous l'apparence de deux marques et de deux réseaux indépendants, les sociétés Yamaha et MBK exerçaient en fait une action concertée et pratiquaient une politique "deux marques", dite aussi "stratégie Yamaha ", destinée à procéder autoritairement au partage du marché et à exercer une action sur les prix.

Elle a prétendu que cette entente défavorisait le réseau MBK dont les ventes étaient plafonnées à 30 % des ventes Yamaha, et que, de cette façon, le consentement des concessionnaires se trouvait vicié et le jeu de la concurrence faussé.

Elle a estimé que cette entente avait été déterminante dans la rupture coordonnée décidée par les deux sociétés.

Elle a reproché au "groupe" Yamaha son comportement déloyal pendant l'exécution du contrat, de même qu'une rupture brusque et abusive des relations commerciales de longue durée, ou, plus généralement, un manquement à la bonne foi et à la loyauté contractuelle.

Concluant donc à l'infirmation partielle du jugement, elle a demandé la condamnation solidaire des deux sociétés Yamaha et MBK à lui payer la somme de 686 020 euro à titre de dommages et intérêts, outre 15 245 euro au titre de l'article 700 du NCPC.

La société Yamaha a contesté l'entente alléguée, de même que les manquements qui lui étaient reprochés dans l'exécution du contrat, et elle a considéré qu'elle avait régulièrement mis fin à celui-ci dès lors qu'elle avait respecté le délai de préavis contractuel et n'avait commis aucun abus de droit.

Elle a donc conclu à l'infirmation partielle du jugement et au débouté de la société Lamy Moto de toutes ses demandes.

Mettant en revanche en cause le comportement procédurier de la société Lamy Moto, elle a demandé sa condamnation à lui payer la somme de un euro pour procédure abusive, outre 1 000 euro au titre de l'article 700 du NCPC.

La société MBK a fait des observations similaires, en rappelant en outre que le contrat de concession n'était pas exclusif et était à durée déterminée et qu'elle avait donc refusé de le renouveler pour l'année 1998 sans commettre de faute en raison des mauvais résultats enregistrés par la société Lamy Moto.

Elle a donc conclu à l'infirmation partielle du jugement et au débouté de la société Lamy Moto de toutes ses demandes.

Elle a sollicité une somme de 3 811,23 euro au titre de l'article 700 du NCPC.

Sur ce,

Sur la prétendue entente

Considérant que s'il est exact que les sociétés intimées sont les filiales d'un même groupe, elles disposent en revanche d'un siège social distinct et d'un réseau de distribution propre;

Que la stratégie dite "deux marques" développée par les deux sociétés ne constitue pas une entente illicite au sens de l'article L. 420-1 du Code de commerce, mais répond à un besoin de mieux organiser la distribution de leurs produits;

Que, de toute manière, la société Lamy ne se trouve pas en situation de concurrence à l'égard de l'une ou l'autre des sociétés Yamaha et MBK et étant à la fois le concessionnaire de l'une et de l'autre, elle n'est pas susceptible d'avoir subi un quelconque préjudice.

Qu'à ce propos, c'est par pure fantaisie que la société Lamy allègue un vice du consentement ou entend lier la rupture de ses contrats de concession avec l'entente qu'elle dénonce.

Sur le prétendu comportement déloyal pendant l'exécution du contrat

Considérant que choisissant de faire l'amalgame entre les deux sociétés intimées, alors qu'elle était liée à chacune d'elles par deux contrats distincts, la société Lamy articule un certain nombre de griefs qui n'apparaissent pas fondés;

Considérant qu'en premier lieu, elle leur reproche d'avoir mis des obstacles à ses paiements au comptant;

Mais considérant que c'est à la suite d'incidents que la société Yamaha s'est vu contrainte de rappeler à la société Lamy (lettres des 24 mai 1996, 3 juin 1996 et 23 juin 1997) qu'elle était priée de s'en tenir au mode de règlement choisi au moment de la commande;

Qu'en effet, des courriers qui lui ont été adressés sans être contestés par elle, il ressort que la société Lamy réglait par anticipation des livraisons stipulées payables à terme ou appliquait un escompte qui n'était pas prévu par les parties;

Considérant que la société Lamy se plaint en deuxième lieu d'une modification des conditions financières et d'une réduction des primes et remises qui lui étaient accordées;

Mais que la société Lamy a accepté ces nouvelles conditions par la signature d'un avenant en date du 28 février 1995 et qu'elle ne démontre pas, ainsi qu'elle le sous-entend, avoir été contrainte de signer;

Considérant que la société Lamy allègue, en troisième lieu, des faits sans importance et sans conséquence : la coupe du minitel le 16 juin 1997 et la mise en œuvre d'une caution bancaire prétendument indue;

Considérant qu'en quatrième lieu, la société Lamy reproche à ses concédants l'ouverture de concessions concurrentes;

Qu'aux termes de l'article 3-2 du contrat, le concédant s'obligeait à ne pas nommer d'autre concessionnaire sur la "zone d'influence" de la société Lamy pour la durée du contrat;

Qu'est mise en cause l'existence d'une concession à Saint-Dizier;

Mais qu'il n'apparaît pas que cette concession ait été créée après le 1er janvier 1992, date d'effet du contrat de la société Lamy, même si son titulaire a changé en 1996 par suite de la mise en liquidation judiciaire de son prédécesseur;

Qu'il n'est même pas établi que le concessionnaire en cause, la société Fun Moto, ait empiété sur la zone de la société Lamy pendant la période d'exécution du contrat;

Que ce n'est que le 6 janvier 1998, soit postérieurement à la date de prise d'effet de la résiliation du contrat de la société Lamy que la société Yamaha a accordé à la société Fun Moto l'exclusivité sur l'ancienne zone concédée à la société Lamy;

Que, de son côté, la société MBK n'avait consenti aucune exclusivité territoriale à la société Lamy; Qu'elle explique, sans être démentie, que la création d'un second point de vente à proximité de la société Lamy a été la conséquence de l'abandon par cette dernière de l'exclusivité de marque à laquelle elle était tenue à son égard;

Qu'il s'agit là d'un motif légitime qui exclut tout abus de la part de la société MBK dans son droit d'implanter un second concessionnaire dans le même secteur géographique;

Considérant que la société Lamy reproche, en cinquième lieu, à la société MBK la fixation d'objectifs déraisonnables dans le but de la mettre en difficulté

Mais que, bien loin d'une telle intention, la société MBK a cherché à adapter ses objectifs à la situation de la société Lamy pour les fixer en 1996 et 1997 à la vente de vingt scooters, ce qui ne pouvait pas apparaître comme un objectif démesuré;

Considérant enfin, que la société Lamy reproche contre toute vraisemblance aux sociétés intimées de lui avoir dissimulé leur entente et ses modalités, de même qu'une prétendue collusion frauduleuse dont il a déjà été dit qu'elle n'existait pas

Sur la résiliation ou le non-renouvellement des contrats

Considérant que malgré l'amalgame opéré par la société Lamy entre ses deux concédants, il convient de distinguer entre la résiliation d'un contrat à durée indéterminée à laquelle a procédé la société Yamaha et le non-renouvellement d'un contrat à durée déterminée qu'a décidé la société MBK;

Considérant que le contrat de la société Yamaha étant à durée indéterminée, celle-ci pouvait le résilier à tout moment, sans donner de motifs, sous les seules réserves de respecter un délai de préavis raisonnable et de ne pas abuser de son droit ;

Que le contrat faisant la loi des parties, le délai contractuellement prévu par elles est suffisant, sauf le cas où, manifestement dérisoire, il laisserait présumer un vice du consentement du concessionnaire ;

Qu'en l'espère, l'article 2-3 du contrat prévoit un délai de préavis de six mois et ce délai est raisonnable ;

Qu'il a été respecté par la société Yamaha;

Que les premiers juges ne pouvaient donc pas, par des motifs inopérants et sous prétexte qu'il leur paraissait insuffisant, refuser d'appliquer le délai de préavis contractuel;

Qu'au demeurant, la société Lamy étant le concessionnaire de plusieurs marques et ne se trouvant pas dans la situation difficile du concessionnaire d'une seule marque dont la concession est résiliée, elle disposait en six mois d'un délai suffisant pour pallier les inconvénients de la perte de la concession Yamaha;

Que, pour le surplus, il n'apparaît pas que la société Yamaha ait abusé de son droit;

Qu'il convient donc de débouter la société Lamy de sa demande à l'encontre de la société Yamaha;

Considérant que la société Lamy était liée à la société MBK par un contrat à durée d'une année que les parties pouvaient ou non renouveler;

Que, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, la société MBK n'était pas débitrice d'un délai de préavis;

Que seule l'existence d'une faute, non démontrée en l'espèce, dans l'exercice de sa prérogative serait susceptible d'ouvrir droit à la société Lamy à des dommages et intérêts;

Qu'il apparaît, au contraire, que les mauvais résultats de la société Lamy (pas plus de cinq ou six ventes de scooters MBK chaque année) justifiaient amplement le refus de la société MBK de conserver un tel concessionnaire

Qu'au demeurant, dès le 22 octobre 1997, alors qu'elle ignorait encore si la société MBK renouvellerait ou non son contrat le 1er janvier 1998, la société Lamy manifestait auprès de son concédant Suzuki son intention de remplacer "les marques qui l'avaient quittée" par la marque Kawasaki;

Qu'il y a donc lieu de débouter également la société Lamy de sa demande à l'encontre de la société MBK.

Sur les demandes reconventionnelles

Considérant que la société Yamaha ne justifie d'aucun préjudice qui ne soit pas compensé par la satisfaction de voir, en tant que simple intimée, l'appel imprudemment interjeté par la société Lamy tourner à sa confusion;

Qu'il n'y a donc pas lieu de sanctionner la procédure abusive de la société Lamy par l'octroi de l'euro symbolique;

Considérant que la société Lamy paiera en revanche une somme de 3 000 euro à chacune des intimées sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris seulement en ce qu'il a dit que les sociétés Yamaha Motor France et MBK Industrie n'avaient pas dérogé aux dispositions des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 à l'encontre de la société Lamy Moto, L'infirme pour le surplus et, y ajoutant, Déboute la société Lamy Moto de l'ensemble de ses demandes, Déboute la société Yamaha Motor France de sa demande d'euro symbolique, Condamne la société Lamy Moto à payer à chacune des sociétés Yamaha Motor France et MBK Industrie une somme de 3 000 euro (trois mille euro) au titre de l'article 700 du NCPC. La condamne aux dépens de première instance et d'appel, et accorde pour ceux d'appel aux SCP Gas et Debray-Chemin, avoués, le bénéfice de l'article 699 du NCPC.