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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 5 octobre 2005, n° 03-12208

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

FMC Automobiles (SAS)

Défendeur :

Seigle Location (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Riffault-Silk

Conseillers :

M. Roche, M. Byk

Avoués :

SCP Bommart-Forster, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

Avocats :

Mes Cocchiello, Guillin

T. com. Paris, du 19 juin 2003

19 juin 2003

La société Seigle SA a été concessionnaire Ford à Aix-les-Bains de 1951 au 28 novembre 1997, date de résiliation de son contrat par Ford avec préavis de deux ans. Par acte du 2 juillet 2001 elle a assigné pour résiliation abusive devant le Tribunal de commerce de Paris les sociétés Ford France et Ford France Automobiles.

Par jugement du 19 juin 2003, cette juridiction, après avoir mis Ford France hors de cause, recevant partiellement la demande, a condamné pour résiliation abusive Ford France Automobiles à payer à la société Seigle SA 182 933,82 euro dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation et anatocisme, outre 5 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; l'exécution provisoire était prononcée.

Pour solliciter l'infirmation de ce jugement et réclamer un total de 10 000 euro sur l'article 700 du nouveau Code de procédure la société FMC Automobiles SAS, intervenant volontaire venant aux droits de Ford France Automobiles SAS, fait valoir, par conclusions du 5 août 2005, qu'elle n'a pas fait un usage abusif de son droit de résiliation, n'ayant ni contraint la société Seigle à réaliser des investissements, ni compromis la cession de cette société.

La société Seigle Location SA, intimée, sollicite dans ses conclusions du 30 août 2005 la confirmation du jugement dont appel en ce qu'il a condamné la société Ford France Automobiles à lui payer 182 238,82 euro avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation et anatocisme, outre 5 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

L'infirmation est en revanche réclamée pour les demandes dont elle a été déboutée l'amenant à demander la condamnation de l'appelante à lui payer 152 449 euro au titre de la perte du fonds et 222 418,82 euro pour défaut de reprise des pièces de rechange, outre 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Motifs

Sur la demande de mise hors de cause de la société Groupe Ford France

Considérant que Ford France Automobiles fait valoir et justifie venir aux droits de la société Groupe Ford France, que l'intimée n'oppose pas de contestation sur ce point et adresse ses demandes à l'encontre de la société Ford France ;

Considérant qu'il convient en conséquence de mettre hors de cause la société Groupe Ford France ;

Sur l'allégation de rupture abusive du contrat de concession

Considérant que la société Seigle SA déduit le caractère abusif de la résiliation du contrat intervenu le 28 novembre 1997 du fait du renouvellement de ce contrat le 30 septembre 1996 par la société Ford, alors que, selon elle, cette dernière, qui l'incitait parallèlement à divers investissements pour se conformer au cahier des charges du réseau, envisageait, sans l'en avoir informée, une réduction drastique de ses concessionnaires ;

Considérant que pour s'opposer à cette argumentation la société Ford fait valoir que le fait que le concessionnaire ait réalisé des investissements non encore amortis ne saurait rendre abusive la résiliation dès lors qu'elle n'a pas sollicité ces investissements et que ceux-ci continuent à bénéficier à celui qui les a faits ;

Considérant qu'il résulte des pièces aux débats que la société Ford a renouvelé le 30 septembre 1996, avec entrée en vigueur au 1er octobre, le contrat de concession ;

Considérant qu'aux termes des annexes de ce contrat le concessionnaire s'engageaient tant pour les locaux que le personnel à aligner ses capacités sur les normes Ford, " normes qui représentent le minimum requis pour l'activité Ford " ;

Considérant en outre que figure en annexe 3 du contrat un " plan de développement d'activité " qui couvre notamment "un plan prévisionnel et indicatif d'activité pour le secteur de la concession avec les tendances d'orientation pour les 5 années à venir" portant entre autres sur les ventes de main-d'œuvre en atelier carrosserie ;

Considérant que deux mois après ce renouvellement, la société Ford écrivait le 2 décembre à son concessionnaire pour lui notifier qu'elle mettait fin à l'agrément Carrosserie à compter du 1er janvier 1997, "la visite de contrôle du 1er octobre 1996 (ayant conduit à) constater qu'aucune des actions ... que vous vous êtes engagés à réaliser à (cette) échéance" n'ayant été mises en place ;

Considérant qu'à la suite de cette perte d'agrément, suivie de conséquences immédiates tant sur le plan financier que s'agissant de l'utilisation du logo Carrosserie Agréée Ford, le concessionnaire "a décidé de remettre à niveau ... l'atelier de carrosserie peinture" (courrier du 16 décembre 1996 de Seigle SA au directeur régional Ford France), en précisant, sans que cela soit aujourd'hui contesté, qu'il agissait en se conformant aux projets et conseils des "inspecteurs" de Ford (était joint le bon de commande d'une cabine peinture et d'un planning mural à M. Mestrallet, personne ayant opéré la visite de contrôle du 1er octobre 1996) ;

Considérant que sous les signatures de ce conseiller carrosserie, du directeur régional des services clients Ford et du concessionnaire, une demande d'agrément carrosserie Ford était faite le 7 avril 1997 par la société Seigle, après remise à niveau effectuée en février 1997 et visite de contrôle réalisée en mars 1997 ;

Considérant que le 29 septembre 1997 le directeur du développement réseau et le directeur des services au client du Groupe Ford France écrivaient au garage Seigle qu'après avoir examiné la demande d'agrément et au vu des travaux réalisés, ils lui confirmaient que "l'atelier carrosserie répond(ait) maintenant à toutes les normes minimales nécessaires à l'agrément" et il lui était demandé afin d'officialiser cet agrément de bien vouloir compléter et retourner le document établi lors de la visite de contrôle ;

Considérant qu'il était en outre rappelé dans ce courrier par Ford à son interlocuteur que "pour être Carrosserie Agréée Ford, il faut impérativement être concessionnaire Ford" ;

Considérant qu'en résiliant deux mois après l'envoi de ce courrier le contrat de concession, le concédant, qui avait ainsi exigé, des sanctions ayant été appliquées, la mise au niveau des normes du réseau de la cabine de peinture pour un montant de 531 621 F HT correspondant aux indications du conseiller Carrosserie de Ford, a abusé de son droit de résiliation, peu importe en l'espèce que le préavis ait été de 2 ans et que l'investissement litigieux soit ou non amorti dès lors qu'il résulte, comme cela a été montré, des faits de l'espèce que cet investissement n'a été fait que dans le souci de satisfaire le concédant qui avait déjà pris des sanctions sur ce point à l'égard de son concessionnaire ;

Considérant, en conséquence, que le jugement rendu le 19 juin 2003 par le Tribunal de commerce de Paris sera confirmé de ce chef ;

Sur les préjudices invoqués

Considérant que la SA Seigle réclame au titre du préjudice résultant de la résiliation abusive du contrat de concession, outre la confirmation des sommes qui lui ont été accordées par le jugement (182 938,82 euro avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation et anatocisme pour perte de clientèle et 5 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile), 152 449 euro au titre de la perte du fonds de commerce, 222 418,82 euro au titre des différents investissements et 142 775,50 euro au titre de défaut de reprise des pièces de rechange ainsi qu'une somme complémentaire de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Considérant que l'appelante s'oppose à l'ensemble de ces demandes estimant n'avoir causé aucun préjudice à la SA Seigle et sollicite 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Considérant qu'ayant retenu le principe de la résiliation abusive, il convient d'examiner, au vu des différents chefs de préjudice, dont la réparation est sollicitée, si ceux-ci sont la conséquence directe de la faute commise par Ford en abusant de son droit de résilier et d'en évaluer alors le montant ;

a) investissement réalisé pour la création d'une nouvelle cabine de peinture

Considérant qu'au vu des éléments ci-dessus exposés démontrant que cet investissement a été réalisé pour satisfaire aux exigences du concédant et aux dispositions contractuelles (annexe 3), que celui-ci ne saurait arguer l'adhésion spontanée de Seigle à cette demande dès lors que la mise en conformité est intervenue suite à un retrait d'agrément préexistant, ledit retrait ayant entraîné diverses "sanctions" pour le concessionnaire ;

Considérant qu'au vu de ces considérations le préjudice découlant de la résiliation abusive doit être évalué au coût total de la nouvelle cabine soit 81 045,10 euro (531 621 F HT) ;

b) investissement informatique

Considérant que la SA Seigle avance avoir investi de ce chef 99 023,10 euro ;

Considérant que pour s'opposer à cette demande Ford France avance que le matériel informatique était pour l'essentiel amorti à la date d'expiration du contrat ;

Considérant dès lors que le principe du lien entre cet investissement et les obligations contractuelles du concessionnaire n'est pas contesté ;

Considérant que pour permettre d'évaluer le préjudice résultant de cet investissement la SA Seigle fournit des factures à hauteur des sommes ci-dessus rappelées, soutenant que le coût élevé de cet investissement serait dû à la part importante de son activité dans le domaine des pièces détachées équivalente à celle d'une concession de 800 véhicules neufs ;

Mais considérant que faute d'éléments produits démontrant le lien entre cette activité spécifique et les obligations contractuelles imposées au concessionnaire, qui reconnaît par ailleurs que ces investissements conservaient pour partie leur utilité après le 30 novembre 1999 (lettre du 27 août 1999) la demande de réparation de ce chef ne pourra être accueillie qu'à hauteur de 32 014,29 euro (210 000 F), somme qui a fait l'objet d'une information précontractuelle et qui correspond à la taille de la société Seigle au regard de son activité de vente de véhicules neufs ;

c) investissements réalisés pour améliorer l'accueil des clients

Considérant que la SA Seigle réclame à ce titre un total de 74 840,45 euro (490 921 F HT) ;

Considérant que Ford France rejette cette demande, la SA Seigle ne rapportant pas la preuve que ces investissements auraient été exigés par le concédant, certains travaux ayant été, selon elle, réalisés postérieurement à la notification de la résiliation ;

Considérant, d'une part, qu'il résulte des annexes au contrat de concession que la SA Seigle s'est engagée à créer divers espaces au profit des clients et à employer à mi-temps une personne comme chargé de service clientèle et ce pour satisfaire aux normes de qualité client définies à l'annexe 2 et au plan de développement d'activité prévu à l'annexe 3 ;

Considérant, d'autre part, que la SA Seigle verse aux débats les bulletins de salaire de juillet 1997 à mars 1998 de M. D. Jacoberger et diverses factures pour des travaux d'aménagement des locaux ainsi que des factures de stage pour divers ouvriers ;

Mais considérant, d'une part, que l'embauche de M. Jacoberger, qui s'est poursuivie au delà du 28 novembre 1997, date à laquelle Ford a informé la SA Seigle de ce qu'elle mettait fin au contrat, s'est faite pour un temps plein et une qualification d'ouvrier-mécanicien qui ne correspond pas à la qualité de réceptionnaire invoquée par la SA Seigle et au mi-temps prévu au contrat de concession, que les factures de stage ne présentent pas une relation directe avec les engagements complémentaires en matière d'accueil du public ;

Considérant, d'autre part, que les factures et l'autorisation de travaux sont postérieures à la date du 28 novembre 1997, que la SA Seigle n'établit pas, au demeurant, le lien entre ces travaux et les exigences contractuelles ;

Considérant dès lors qu'il y a lieu de rejeter les demandes de ce chef ;

d) sur le défaut de reprise des pièces de rechange

Considérant que la SA Seigle réclame de ce chef 142 775,51 euro ;

Considérant que pour s'opposer à cette demande la société Ford fait valoir avoir racheté les pièces non utilisées à l'expiration du contrat pour un montant de 262 419 F ;

Considérant toutefois qu'il est établi par le cabinet d'expertise comptable Sudrex que la SA Seigle détenait encore au 31 décembre 2000 un stock de pièces détachées Ford pour une valeur au bilan de 147 020,67 euro, que la société Ford ne saurait démentir cette attestation et les pièces comptables qui lui sont jointes par la seule assertion contenue dans un de ses courriers en date du 20 janvier 2000 que "la somme totale qui vous a été remboursée s'élève bien à 262 419 F HT" pour solde de tout compte;

Considérant qu'il convient donc de la condamner à payer les sommes réclamées par la société Seigle au titre des pièces détachées ;

e) sur la perte invoquée de la valeur incorporelle du fonds de commerce

Considérant que la SA Seigle réclame de ce chef 304 898,03 euro ;

Considérant que pour s'opposer à cette demande la société Ford fait valoir que commerçant indépendant, le concessionnaire ne peut prétendre à une indemnité de clientèle et qu'au surplus la SA Seigle a conservé sa clientèle au profit des autres activités développées ;

Considérant toutefois que la résiliation abusive du contrat par Ford faisait supporter le risque financier de la rupture sur la société Seigle, concessionnaire Ford depuis 1951, alors que cette rupture n'affectait que de façon positive la société Ford, qui avait fait choix, pour faire des économies d'échelle, de réduire le nombre de ses concessionnaires ;

Considérant dans ces conditions que le concessionnaire doit pouvoir solliciter une indemnisation pour la perte de la clientèle qui lui est propre et qui représente le fruit des efforts consentis au cours de la période de concession ;

Considérant qu'au vu des pièces justifiant de l'activité réalisée jusqu'en 1999 par la SA Seigle et de la baisse de son chiffre d'affaires les années suivantes, le préjudice subi par la SA Seigle peut légitimement être fixé à 112 500 euro (450 euro par véhicule sur la base de 250 véhicules) ;

Considérant que l'équité commande de condamner en outre la société Ford à payer 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile à la SA Seigle ;

Par ces motifs, statuant publiquement et contradictoirement ; Met hors de cause le société Groupe Ford France ; Confirme le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 19 juin 2003 en ce qu'il a condamné la société Ford France Automobiles pour résiliation abusive du contrat de concession ; Et infirmant partiellement cette décision ; Condamne la société Ford France Automobiles à payer à la SA Seigle, outre 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, - 81 045,1 euro au titre de la cabine de peinture, - 32 014,29 euro au titre de l'informatique, - 142 775,5 euro au titre des pièces de rechange non reprises, - 112 500 euro au titre de la dépréciation de fonds de commerce, Rejette les demandes de la SA Seigle portant sur l'accueil des clients ; En conséquence, déboute la société Ford France Automobiles de ses demandes et la condamne au dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Fisselier Chiloux Boulay, avoués.