CA Montpellier, ch. soc., 26 novembre 2003, n° 03-00864
MONTPELLIER
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Hôtel Centre Bordeaux Meriadeck (SNC)
Défendeur :
Pegaud
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gerbet
Conseillers :
M. Masia, Mme Dezandre
Avocats :
Me Sagard, Selarl Ravassard-Guedj
Faits, procédure et prétentions
Madame Claude Pegaud, en sa qualité d'associée et gérante de la SARL Coblema, créée en avril 1997, a conclu avec la SNC Hôtel Centre Bordeaux Meriadeck (HCBM) un contrat de gérance-mandat, aux fins de gérer et administrer l'hôtel dont celle-ci est propriétaire et qu'elle exploite sous l'enseigne " Etap Hôtel ".
Ce contrat a fait l'objet d'une résiliation à l'initiative de la SNC notifiée par courrier du 29 janvier 2001, moyennant versement de l'indemnité de résiliation contractuellement prévue.
Le 5 avril 2001, Madame Pegaud a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en paiement de diverses sommes à titre de rappel de salaires, heures supplémentaires et indemnités de rupture, et par jugement du 1er mai 2003, le Conseil de prud'hommes de Perpignan :
" Dit qu'il existe entre les parties un contrat à durée indéterminée,
Requalifie en ce sens le statut de gérante de Madame Pegaud,
Dit que les conseillers prud'hommes n'ont pu se départager sur la nature du type de statut cadre et sur les heures supplémentaires,
En conséquence, et en application des articles L. 515-3 et R. 516-40 du Code du travail, l'affaire est renvoyée à une audience ultérieure qui sera tenue sous la présidence du juge départiteur et à laquelle les parties se présenteront sur convocation du secrétariat-greffe ".
La SNC HCBM a régulièrement interjeté appel de cette décision.
Elle remarque d'abord que le conseil, décidant sans aucune motivation que les parties étaient liées par un contrat de travail, ne s'est toutefois pas prononcé sur l'exception d'incompétence soulevée devant lui in limine litis, et elle la reprend donc devant la cour. A cet égard, elle invoque l'article 16 du contrat attribuant compétence exclusive au Tribunal de commerce de Bordeaux, et s'attache à démontrer que Madame Pegaud, en sa qualité de gérante de la SARL Coblema, a agi de façon autonome dans les limites du contrat de gérance-mandat, de sorte qu'il n'y a pas lieu à requalifier les relations entre les parties en contrat de travail.
Elle fait notamment valoir :
- que la SARL Coblema et la SNC HCBM sont complètement indépendantes l'une de l'autre,
- que les parts sociales de la SARL Coblema sont cessibles et transférables librement,
- que Mme Pegaud s'est librement rémunérée en tant que gérante minoritaire de SARL, les bulletins de salaire étant versés par elle aux débats, et qu'elle a pu partager les bénéfices sociaux,
- qu'elle a librement accompli les actes juridiques résultant de son mandat, notamment par l'embauche de salariés, la conclusion ou résiliation de contrats de sous-traitance,
Et elle rappelle que les contraintes évoquées par l'intimés sont en réalité inhérentes au contrat de mandat, qui implique notamment un fort intuitu personnae ainsi qu'une reddition des comptes à la charge du mandataire avec pouvoir de contrôle du mandant, et que leur mise en œuvre ne saurait permettre de conclure à l'inexistence ou à la nullité dudit mandat.
Elle soutient ensuite que Madame Pegaud ne rapporte pas la preuve, à travers les pièces qu'elle verse aux débats et dont au demeurant très peu sont spécifiques à son cas, de l'existence d'un lien de subordination à l'égard de la SNC HCBM. Elle considère en effet que la gérante était libre d'organiser son temps et de déléguer ses fonctions à la personne de son choix, les horaires mentionnés n'étant pas ceux de son travail mais de l'accueil de la clientèle, qu'elle a fixé librement elle-même ses périodes de présence et ses congés.
Elle insiste sur le fait que les " normes " de gestion invoquées par l'intimée émanent du groupe Accor, dans le contexte de l'exploitation de la marque " Etap Hôtel " dont il est propriétaire, et que la garantie du respect des conditions d'exploitation par la SARL Coblema au nom de la SNC HCBM, franchisée du groupe, n'excède nullement le cadre normal d'un mandat de gestion.
Elle précise qu'il n'est pas possible d'assimiler à des directives contraignantes caractéristiques du contrat de travail des circulaires non nominatives adressées à l'ensemble des responsables d'établissement exploitant sous une marque appartenant au groupe Accor, étant relevé que les documents invoqués ne proviennent pas de la SNC dont Madame Pegaud prétend qu'elle est son employeur. En tout état de cause, les dispositions qu'ils contiennent doivent s'interpréter comme des conseils utiles à la bonne gestion de l'établissement et à l'harmonisation nécessaire des prestations sur l'ensemble du réseau des franchisés de la marque.
Enfin elle conteste la validité des exemples de contraintes cités par Madame Pegaud, soit qu'ils concernent d'autres établissements, soit qu'ils ne démontrent nullement l'absence de liberté alléguées (liberté de choix de remplacement pendant ses congés, pas de contrôle démontré sur les dates de congé, liberté d'assister aux réunions programmées...), et fait valoir qu'elle n'avait ni n'exerçait sur la gérante de la SARL Coblema un quelconque pouvoir disciplinaire, caractéristique du contrat de travail.
Elle demande donc à la cour à titre principal de retenir l'exception d'incompétence sur laquelle le conseil de prud'hommes ne s'est pas prononcée, et au rejet de toutes les prétentions de Madame Pegaud, qui ne démontre nullement la réalité du contrat de travail revendiqué. Elle sollicite en outre sa condamnation à lui verser la somme de 4 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
En toute hypothèse, elle conclut à la réformation du jugement entrepris, et au rejet de toutes les prétentions de Madame Pegaud, qui ne démontre nullement la réalité du contrat de travail revendiquée. Elle sollicite en outre sa condamnation à lui verser la somme de 4 00 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
En réplique, Madame Pegaud conclut à la confirmation du jugement entrepris, à la fixation de sa rémunération mensuelle à 3 125,20 euro, et à la condamnation de la SNC HCBM à lui verser sur cette base, pour la période du 1er avril 1997 au 17 février 2001 :
- 145 471 euro à titre de rappel de salaire, subsidiairement sous déduction des salaires perçus au cours de la même période, et 14 547 euro de congés payés,
- 245 796,53 euro au titre des heures supplémentaires outre 24 579,65 euro de congés payés,
- 290 982,50 euro au titre des heures d'astreinte, outre 29 098,25 euro de congés payés,
- 6 250,41 euro d'indemnité compensatrice de préavis, et 625,04 euro de congés payés afférents,
- 9 375,61 euro à titre d'indemnité de licenciement,
- 18 751,23 euro d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 37 502,46 euro de dommages et intérêts pour rupture abusive,
Et à l'affiler à la sécurité sociale et à une caisse de retraite de cadre pour toute la période considérée, sous astreinte de 152,45 euro par jour de retard à compter de la décision à intervenir.
Aux termes de conclusions fort longues qui reproduisent des passages entiers des pièces du dossier se rapportant au demeurant à d'autres espèces (jugements de première instance ou arrêts, contrats de gérance-mandat " Formule 1 ", livret de formation...), elle rappelle d'abord avoir été employée dans l'établissement propriété de la SNC HCBM de 1991 à 1995, puis de 1995 à 1997 en qualité de chef de réception.
Elle expose ensuite le mode d'exploitation développé à travers la France par la SA Accor pour les hôtels économiques aux enseignes Formule 1 et Etap Hôtel, et les décisions rendues dans des contentieux relatifs à des contrats de gérance-mandat comparables à celui qu'elle a conclu avec la SNC HCBM, reconnaissant l'existence d'un lien de subordination caractéristique du contrat de travail. Elle sollicite ainsi l'application de cette jurisprudence à son propre cas, en reprenant les arguments et en versant au dossier les pièces qui s'y rapportent.
Elle soutient donc :
- que la clause d'intuitu personae inscrite dans son contrat avec la SNC HCBM fait naître une obligation personnelle à sa charge et permet d'établir la fictivité de la gérance-mandat au bénéfice du contrat de travail,
- que l'affectio sociétatis relatif à la SARL Coblema est insuffisant, eu égard au mode de rémunération du mandat,
- que l'obligation de respecter les normes d'exploitation précisément définies par le groupe Accor est incompatible avec une autonomie de gestion, qu'elle démontre au contraire l'existence d'un lien de subordination caractéristique du contrat de travail,
- que de nombreuses dispositions du contrat de gérance-mandat placent en réalité le mandant en position de donneur d'ordre : interdiction de prendre des engagements pour le compte du mandant sans son autorisation, acceptation de moyens de paiement agréés par celui-ci, obligation de non-concurrence,
- que le lieu et les horaires de travail étaient imposés par la SNC HCBM,
- que la période de formation antérieure à la conclusion du contrat de gérance-mandat a valeur de période d'essai,
- qu'elle se trouvait à l'égard des salariés qu'elle embauchait dans la situation d'un cadre supérieur d'entreprise,
- qu'elle recevait des directives par rapport aux sous-traitants.
Enfin elle se réfère à deux consultations de professeurs de droit (MM. Rodière et Antonmattéi) sollicités par les franchisés du groupe Accor et validant pour l'essentiel le contrat de gérance-mandat soumis à leur analyse, mais dont elle considère qu'elles n'établissent pas avec certitude, au regard des conditions concrètes d'exercice de l'activité, l'absence de tout lien de subordination.
Attendu qu'il appartient à celui qui se prévaut d'un contrat de travail de rapporter la preuve de son existence, à travers l'exercice d'une activité professionnelle dans une relation de subordination à un employeur et moyennant rémunération.
Attendu en l'espèce que Madame Pegaud soutient que le contrat de gérance-mandat conclu en sa qualité de gérante associée de la SARL Coblema présente un caractère fictif, venant faire écran à la relation de subordination existant entre elle personnellement et la SNC HCBM pour la gestion de l'hôtel à l'enseigne Etap Hôtel, 35 cours du Maréchal Juin à Bordeaux.
Attendu que si, sur un plan formel, les termes du contrat de gérance-mandat entre la SARL Coblema et la SNC HCBM restent compatibles avec l'application des articles 1984 et s. du Code civil relatifs au mandat, il n'en reste pas moins que la qualification de contrat de travail dépend des conditions effectives d'exercice de l'activité.
Attendu à cet égard qu'il doit être d'abord relevé que la plupart des 185 pièces versées par Madame Pegaud à l'appui de ses prétentions ne concernent pas spécifiquement sa relation avec la SNC HCBM, mais se rapportent de façon impersonnelle et générale au système mis en place par le groupe Accor pour l'exploitation d'un parc d'hôtels de catégorie économique, la SNC HCBM étant elle-même sous contrat de franchise avec ce groupe pour l'utilisation de la marque Etap Hôtel,
Que néanmoins le fait que certaines relations de gérance-mandat soumises à l'appréciation des juridictions prud'homales aient pu être recevoir la qualification de contrat de travail n'exonère pas Madame Pegaud de rapporter la preuve que les mêmes analyses peuvent être faites avec pertinence dans son cas personnel, la caractérisation du contrat de travail étant avant tout liée à des éléments de fait,
Attendu que les nombreuses pièces se rapportant aux hôtels à l'enseigne Formule 1, en tout état de cause différente, ne peuvent pas être considérées comme directement transposables à l'enseigne Etap Hôtel ni opposables à la SNC HCBM, qu'il en est de même pour celles qui font état d'une gestion imposée " en couple ", alors que le contrat de gérance-mandat de la SARL Coblema prévoit la seule intervention de Madame Pegaud,
Que cette dernière n'établit pas davantage avoir été sélectionnée pour gérer l'hôtel à la suite d'un des séminaires de formation dont elle cite en abondance la documentation, ni que la SNC HCBM ait imposé des statuts-types particuliers à la constitution de la SARL Coblema, ou ait fait l'avance des fonds nécessaires à la libération du capital de celle-ci, ou lui ait imposé des garanties,
Qu'aucune présence n'est imposée aux réunions organisées par le franchiseur,
Que le passage de Madame Pegaud du statut de salariée à celui de gérante s'est accompagné d'un changement de fonctions et de responsabilités, avec un niveau de rémunération plus élevé, s'inscrivant donc dans une progression de carrière en cours depuis 1991, et qu'ainsi, occupant auparavant en tant que salariée un poste de réceptionniste, Mme Pegaud a pu ensuite en tant que gérante embaucher des réceptionnistes,
Que les conditions de rémunération du mandat sont conformes aux dispositions légales applicables, y compris en ce qu'elles stipulent l'obligation pour le mandant de couvrir les charges du mandat, au besoin par versement d'un complément de commission et sauf mauvaise gestion,
Attendu qu'il ressort par ailleurs du dossier que la SARL Coblema a connu des exercices bénéficiaires après rémunération avec les fonctions exercées, que de plus Madame Pegaud a pu fixer et faire varier elle-même le montant de sa rémunération, qu'elle a procédé à l'embauche de salariés et la résiliation comme à la conclusion de contrats de sous-traitance (ménage) sans autorisation préalable de la SNC HCBM, qu'il n'est produit aucune pièce laissant apparaître que ses départs en congés étaient contrôlés ou que des heures de travail lui étaient personnellement imposées, seules les heures d'ouverture de l'accueil aux clients étant pré-déterminées comme communes à tous les établissements de l'enseigne, et qu'elle n'était pas seule à assurer cette fonction,
Attendu encore que les éléments produits relativement aux directives reçues sont des circulaires, " mémos ", check groupe Accor à ses franchisés (" Planet Action "), se présentant sous forme de propositions, recommandations ou règles ni nominatives ni impératives, suggérées plus qu'imposées et destinées à maximiser l'efficacité de la gestion des hôtels, et qu'il ne résulte pas du dossier que leur application ait fait l'objet, dans le cas de Madame Pegaud, de vérifications régulières et personnelles, la réalisation d'enquêtes de qualité, sous-traitées à une société d'études spécialisée, et dont il n'est pas établi que les résultats sont sanctionnées, ne pouvant pas être assimilée à l'exercice d'un pouvoir de surveillance et de contrôle par un employeur,
Que les données dont il est fait état ressortent à la poursuite d'un objectif de standardisation propre au fonctionnement en réseau, tant en ce qui concerne d'une part les prestations, de façon à maintenir une image commune dans l'enseigne, que d'autre les moyens de gestion, dans un but manifeste de rationalisation, d'économie d'échelles et donc de productivité de l'enseigne dans son ensemble, et qu'au cas d'espèce, ces impératifs ont été contenus dans des limites compatibles avec le respect d'une indépendance suffisante, juridique et économique, dans l'exercice de la gérance-mandat de la SARL Coblema,
Attendu que les relations contractuelles ont pris fin sans contestation par application de l'article 11.2 du contrat entre les parties et versement par la SNC HCBM à la SARL Coblema de l'indemnité prévue d'un mois et demi de commission, soit environ 133 000 F,
Attendu qu'au regard des données utilement rattachables au cas soumis à examen, et à leur analyse ci-dessus, force est de constater que Madame Pegaud ne rapporte pas la preuve que dans son activité de gestion de l'hôtel Etap Hôtel sis cours du Maréchal Juin à Bordeaux, elle était placée vis-à-vis de la SNC HCBM dans un rapport de subordination tel qu'il caractérise l'existence d'un contrat de travail, à travers notamment les ordres et directives reçus, le contrôle de leur exécution et la sanction de manquements éventuels,
Attendu en conséquence que le jugement déféré sera infirmé et Madame Pegaud déboutée de ses demandes,
Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement entrepris, et, statuant à nouveau, Dit que Madame Pegaud n'était pas liée à la SNC HCBM par un contrat de travail, La déboute de ses demandes, Déboute la SNC HCBM de sa demande au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, laisse à chacune des parties la charge de ses dépens d'appel.