Livv
Décisions

CA Reims, ch. civ. sect. 1, 4 avril 2005, n° 03-02859

REIMS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Dirland Télécom (SA)

Défendeur :

France Télécom (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Ruffier

Conseillers :

Mme Breton, M. Alesandrini

Avoués :

SCP Genet-Braibant, SCP Delvincourt-Jacquemet

Avocats :

Mes Marah, Verra

T. com. Châlons-en-Champagne, du 6 nov. …

6 novembre 2003

Faits et procédure :

Lors de la 56e foire-exposition de Châlons-en-Champagne, la SA Dirland Télécom a fait distribuer par le personnel se trouvant sur son stand divers prospectus, dont l'un présentait un "Comparatif Forfaits France Télécom/Offre 21 Dirland Télécom", sous formes de deux tableaux, et portait en bas de page la formule "Vous souhaitez continuer à perdre de l'argent, restez chez l'opérateur historique !"

La SA France Télécom a fait dresser le 8 septembre 2002 un procès-verbal de constat de ces faits. Puis, par acte du 15 janvier 2003, elle a fait assigner la société Dirland afin de la voir condamner sous astreinte à publier un communiqué de presse dans un à cinq supports de presse choisis par la demanderesse, pour un coût ne pouvant excéder 20 000 euro HT, ainsi qu'à lui payer une somme de 50 000 euro à titre de dommages et intérêts, sauf à parfaire.

La société Dirland considérait ces prétentions comme mal fondées et concluait à leur rejet, demandant de plus la condamnation de la société France Télécom à lui payer les sommes de 10 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de 50 000 euro en réparation du préjudice résultant d'actes de "déprésélection" sauvage.

Par jugement rendu le 6 novembre 2003, objet du présent appel et auquel il est renvoyé pour plus ample informé sur les moyens initiaux des parties, le Tribunal de commerce de Châlons-en-Champagne a :

- débouté la société Dirland Télécom de l'ensemble de ses demandes,

- condamné la société Dirland Télécom à publier un communiqué de presse dans un à cinq supports de presse écrite choisis par France Télécom dans la limite globale de 10 000 euro HT, libre à France Télécom de consacrer cette somme à une ou plusieurs insertions dans la limite de cinq supports, et ce dans un délai de quinzaine à compter de la signification du jugement, moyennant une astreinte journalière de 250 euro courant à compter de l'expiration du délai de quinzaine,

- fixé à la somme de un euro symbolique l'indemnité compensatrice du préjudice subi par France Télécom et condamné la société Dirland Télécom au paiement de cette somme,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné la société Dirland Télécom au paiement de la somme de 2 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, et aux entiers dépens de l'instance.

La SA Dirland Télécom, appelante au principal et intimée sur l'appel incident de la société France Télécom, soutient avoir procédé, par la diffusion de ses imprimés, à une publicité comparative conforme aux dispositions de l'article L. 121-8 du Code de la consommation, et considère en conséquence qu'aucune faute ne pourrait lui être reprochée. Elle réitère par ailleurs sa demande reconventionnelle en condamnation de la société France Télécom à lui payer la somme de 50 000 euro à titre de dommages et intérêts pour avoir mis en œuvre des pratiques déloyales, telles que la "déprésélection" de certains de ses clients, ainsi que celle de 10 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et une indemnité de 3 000 euro au titre des frais irrépétibles de procédure.

La SA France Télécom, intimée au principal et appelante incidemment, conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a prononcé condamnation contre son adversaire, mais son infirmation en ce qu'il a limité l'indemnisation de son préjudice à 1 euro et demande que cette indemnisation soit portée à 50 000 euro. Elle sollicite de plus une indemnité de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur quoi, LA COUR :

Attendu que la société Dirland énonce en premier lieu que l'article L. 121-8 du Code de la consommation autorise la publicité comparative des biens et services, sous réserve que celle-ci soit objective et porte sur une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens et services ;

Attendu que la société Dirland rappelle ensuite que son adversaire lui reproche d'avoir procédé à une comparaison non objective car faite entre les tarifs proposés par France Télécom dans le cadre de forfaits téléphoniques d'une part, et le tarif de base de Dirland Télécom, tarif non forfaitaire, d'autre part, et prétend que cette critique ne serait pas justifiée dans la mesure où, puisque elle-même ne pratique pas de forfait, les comparaisons de prix auxquelles elle peut se livrer ne peuvent être basées que sur ses seuls et uniques tarifs pratiqués ;

Attendu cependant que la société Dirland ne disconvient pas que la société France Télécom offrait comme elle un tarif de base ; que le fait que, contrairement à elle, la société France Télécom pratique le "crédit-temps" n'empêchait pas de procéder à une comparaison entre les tarifs de base, comme elle le démontre d'ailleurs parfaitement dans ses écritures en fournissant deux exemples dont il ressort qu'en fonction de la durée de la communication et du tarif (heures pleines ou heures creuses) applicable, sa proposition tarifaire est souvent plus, mais parfois moins, avantageuse que celle de son adversaire ; que, contrairement à ce que semble penser la société Dirland, le public visé par sa publicité n'est pas nécessairement incapable de comprendre une telle explication, et qu'en tout cas la loi lui reconnaît cette aptitude en imposant de lui fournir une information objective ;

Attendu qu'il en ressort qu'en choisissant de ne comparer son tarif de base qu'avec les seuls tarifs forfaitaires de France Télécom, la société Dirland pouvait afficher dans tous les cas, même pour des durées cumulées de communication très importantes, une offre unique plus intéressante que celles de son concurrent, alors que si elle avait effectué la comparaison entre les tarifs de base, elle aurait dû reconnaître que, sous certaines conditions de tarif et de durée, son offre n'était pas la meilleure ; qu'elle n'a donc pas procédé à la comparaison objective exigée par l'article L. 121-8 du Code de la consommation ;

Attendu de plus que l'article L. 121-9 du Code de la consommation interdit que la publicité comparative entraîne le discrédit ou le dénigrement des marques, noms commerciaux, autres signes distinctifs, biens, services, activité ou situation d'un concurrent ; qu'en dernière ligne du prospectus diffusé par la société Dirland qui portait les tableaux comparatifs des tarifs et désignait donc précisément le concurrent mis en cause, il était imprimé : "Vous souhaitez continuer à perdre de l'argent, restez chez l'opérateur historique" ; que par cette seule phrase, la société Dirland laissait entendre en premier lieu que la société France Télécom était toujours plus chère que ses concurrents, ou au moins qu'elle-même, assertion dont la fausseté a déjà été démontrée, et ensuite qu'il s'agit d'une société passéiste profitant d'une situation favorable héritée du passé ; que les premiers juges ont justement considéré que cette phrase constituait un dénigrement contraire aux stipulations légales ;

Attendu qu'il y a lieu en conséquence de confirmer le jugement en ce qu'il a retenu que la société Dirland avait commis une faute ;

Attendu que la société France Télécom prétend avoir subi un préjudice et demande qu'il soit réparé d'une part par la publication d'un communiqué de presse, d'autre part par l'allocation d'une somme de 50 000 euro à titre de dommages et intérêts ;

Attendu que le dénigrement et la comparaison faussée des tarifs contenus dans les prospectus litigieux ont nui à la réputation de la société France Télécom ; que la réparation la mieux adaptée à ce préjudice, dont l'importance économique est difficilement quantifiable, est bien la diffusion d'une information allant en sens contraire ; qu'il y a donc lieu de confirmer également le jugement en ce qu'il a ordonné à la société Dirland, comme le lui demandait la société France Télécom, de procéder à la publication de communiqués de presse ;

Attendu que la cour constate cependant que ni la société France Télécom, ni les premiers juges, n'ont indiqué le contenu de ces communiqués ; qu'il apparaît nécessaire, afin d'éviter des difficultés d'exécution et de nouveaux litiges, que ce point soit précisé ; que les débats seront rouverts à cette fin ;

Attendu que la réparation ainsi ordonnée est suffisante au regard de la faute et de ses conséquences sur la réputation de la société France Télécom ; que celle-ci ne présente aucun élément faisant apparaître qu'elle aurait subi un préjudice économique ou financier pouvant justifier l'allocation de dommages et intérêts ; que le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu'il lui a accordé une réparation de cette nature, même si celle-ci était qualifiée de symbolique ;

Attendu que la société Dirland réitère sa demande reconventionnelle en indemnisation du préjudice né de pratiques déloyales de son adversaire ;

Qu'elle invoque en premier lieu l'intervention, à son stand de la foire de Chalons, d'un représentant de la société France Télécom qui aurait tenu des propos agressifs à son encontre ; qu'elle ne produit cependant aucune pièce établissant ce fait dont son adversaire, en faisant mention d'un prétendu comportement de l'un de ses représentants, met en doute la réalité ;

Qu'elle invoque ensuite des actes de "déprésélection" au préjudice de plusieurs de ses clients, c'est-à-dire de facturation par la société France Télécom de communications téléphoniques qui, par l'effet de la présélection d'opérateur effectué par le client en composant le zéro avant le numéro d'appel de son correspondant, n'étaient dues qu'à la société Dirland ; qu'elle produit plusieurs attestations établissant la réalité de ces faits ; que ceux-ci n'ont cependant pas porté atteinte à sa notoriété ou sa réputation, les clients en imputant clairement la responsabilité à la société France Télécom, et qu'elle ne produit aucun élément faisant apparaître qu'elle aurait subi de ce fait un préjudice financier ou économique ; que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté la société Dirland de sa demande de dommages et intérêts de ces chefs ;

Attendu que ce qui a été précédemment retenu suffit à établir que la demande d'une indemnité de 10 000 euro pour procédure abusive et injustifiée, présentée par la société Dirland, est manifestement mal fondée ; que le jugement sera encore confirmé sur ce point ;

Attendu qu'en raison de la réouverture des débats, les demandes des parties portant sur les dépens et les frais irrépétibles seront réservées ;

Par ces motifs, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ; infirme le jugement rendu le 6 novembre 2003 par le Tribunal de commerce de Châlons-en-Champagne en ce qu'il a fixé à la somme de 1 euro symbolique l'indemnité compensatrice du préjudice subi par France Télécom et condamné la société Dirland Télécom au paiement de cette somme ; et, statuant de nouveau de ce chef ; déboute la SA France Télécom de sa demande de dommages et intérêts ; confirme le jugement entrepris en toutes ses autres dispositions ; ordonne la réouverture des débats afin que les parties précisent le contenu que devraient avoir les communiqués de presse que la SA Dirland Télécom est condamnée à publier ; réserve les demandes des parties relatives aux dépens et aux frais irrépétibles de procédure.