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Décisions

CA Paris, 14e ch. B, 1 septembre 2005, n° 2005-01843

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Roumare (SA)

Défendeur :

ByTheWay Publicité (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cuinat

Conseillers :

M. Seltensperger, Maunand

Avoués :

Me Teytaud, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

Avocats :

Mes Maloum, Cussac

T. com. Paris, prés., du 22 sept. 2004

22 septembre 2004

Vu l'appel formé par la SA Roumare, anciennement dénommée - notamment dans la décision entreprise - Rotographic SN, d'une ordonnance de référé du 22 septembre 2004 rendue par le Président du Tribunal de commerce de Paris qui, statuant sur les demandes qu'elle formait contre la SA ByTheWay Publicité, a :

- dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de la société Rotographic ;

- rejeté la demande de dommages-intérêts et d'indemnité de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile formulée par la société ByTheWay Publicité ;

- laissé les dépens à la charge de la société Rotographic ;

Vu les conclusions du 31 mars 2005 de la SA Roumare, anciennement dénommée Rotographic SN, appelante, qui prie la cour de :

- la dire recevable et bien fondée en son appel ;

- déclarer la société ByTheWay Publicité irrecevable et mal fondée en ses entières demandes, et l'en débouter ;

- infirmer l'ordonnance entreprise et, statuant à nouveau, condamner la société ByTheWay Publicité, au visa de l'article 873 alinéa 2 du nouveau Code de procédure civile, à lui payer le montant de la créance lui restant due sur sa facture 0304-0043 du 30 avril 2003, soit la somme TTC de 45 831,85 euro avec intérêts au taux légal à compter de sa lettre de mise en demeure du 23 mars 2004 ;

- condamner la société ByTheWay Publicité à lui payer à titre d'indemnité de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :

* la somme de 1 350 euro au titre de la première instance,

* la somme de 2 200 euro au titre de la procédure d'appel,

ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

Vu les conclusions du 15 avril 2005 de la SA ByTheWay Publicité, intimée, qui prie la cour de :

- confirmer la décision de première instance en ce qu'elle a jugé qu'il résultait de l'article 20 de la loi du 29 janvier 1993 une contestation sérieuse s'opposant aux demandes de Rotographic ;

- y ajoutant, constater qu'il résulte du défaut de conformité des imprimés publicitaires une seconde contestation sérieuse de la demande de Rotographic ;

- infirmer la décision entreprise, en ce qu'elle n'a pas fait droit à la demande de ByTheWay Publicité au titre de la procédure abusive engagée par Rotographic et condamner cette société à lui payer une somme de 3 000 euro à ce titre ;

- y ajoutant, la condamner à lui payer une somme de 2 000 euro à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive en cause d'appel ;

- infirmer encore la décision entreprise et condamner Rotographic devenue la société Roumare à lui verser une somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, tant en première instance qu'en appel, ainsi qu'aux entiers dépens ;

Sur ce, LA COUR,

Considérant qu'il ressort des pièces versées aux débats que suivant bon de commande du 27 mars 2003, la société ByTheWay Publicité a confié à la société Rotographic, dénommée depuis lors société Roumare, l'impression d'une brochure "8 pages - couverture 3 volets - collage en tête" en 2 038 670 exemplaires, dont

* 1 601 950 exemplaires "pré-piqués 2 piques (le tout plié retenu par agrafes)"

* 436 720 exemplaires "non pré-piqués (le tout seulement plié mais non retenu" pour un montant HT de 103 742,83 euro, soit la somme TTC de 124 076,42 euro payable à 90 jours, le 10 du mois ;

Que ces brochures étaient destinées à être insérées dans divers magazines pour jeunes filles et devaient, pour ce faire, être livrées à différents brocheurs en vue de leur encartage dans les magazines concernés, à savoir :

• en France, à la société Avenir Brochage, à raison de 1 436 850 exemplaires pré-piqués, pour les magazines "Star Club", "Fan 2", "Salut" et "Miss",

• en Espagne, à la société Rotographik, à raison de 154 500 exemplaires pré-piqués, pour le magazine "Lolie",

• en Allemagne, à la société VPM (Verwirklichung Professioneller Medien), à raison de 436 220 exemplaires non pré-piqués, pour les magazines "Girls" et "Vanilly" ;

Que la société Rotographic a exécuté cette commande et a livré les quantités requises aux différents brocheurs, du 3 au 7 avril 2003, puis a adressé à la société ByTheWay Publicité la facture correspondante, en date du 30 avril 2003, pour le montant convenu, soit la somme TTC de 124 076,42 euro ;

Que la société ByTheWay Publicité n'a réglé sur cette facture, par chèque du 12 août 2003, que la somme de 78 244,57 euro, retenant de ce fait un solde de 45 831,85 euro ;

Que ByTheWay Publicité avait, dès le 14 avril 2003, adressé une lettre recommandée à Rotographic pour lui reprocher la non-conformité des collages des exemplaires parvenus au brocheur allemand, en précisant que, de ce fait, la parution du magazine "Girls" du mois d'avril devait être repoussée en mai, et en évoquant le préjudice conséquent que lui causait cette affaire "pour nous et notre client Nana - Groupe SCA" ;

Que deux semaines plus tard, le 28 avril 2003, le conseil de ByTheWay Publicité dénonçait à Rotographic la non-conformité du collage de tous les exemplaires de la brochure publicitaire livrés aux différents brocheurs et précisait les opérations de rattrapage que ceux-ci se voyaient contraints de mettre en œuvre, en énonçant les surcoûts d'ores et déjà exposés, y compris du fait d'un retirage nécessaire compte tenu de la surconsommation de brochures pour parvenir à les encarter dans le magazine "Miss", faisant toutes réserves des droits de ByTheWay Publicité et de son mandant la société SCA Hygiène Products et avisant Rotographic que l'ensemble des surcoûts et préjudices serait déduit des sommes lui restant dues ;

Que Rotographic répliquait, par lettre recommandée du 2 mai 2003, qu'aucune observation n'avait été faite à la livraison des brochures aux divers façonniers, lesquels avaient validé les maquettes en blanc qui leur avaient été soumises préalablement, que les exemplaires manquants pour le magazine "Miss" provenaient non d'une surconsommation lors de l'encartage mais d'un incendie chez le routeur, et que les brochures non pré-piquées voulues par le brocheur allemand VPM avaient fait l'objet de réserves de Rotographic, en sorte que cette société protestait énergiquement contre tout retard dans le paiement de sa facture dont elle rappelait le caractère exigible ;

Que ByTheWay Publicité répondait le 10 juin 2003 en faisant toute réserve et en annonçant qu'elle attendait de connaître des "supports" (les magazines concernés) le montant de leurs surcoûts et en précisant à nouveau : "A toutes fins utiles, nous vous précisions que notre agence agit en tant que mandataire de l'annonceur et qu'il vous appartient donc de respecter les prescriptions de la loi du 29 janvier 1993" ;

Que le conflit se développait entre les deux sociétés, l'avocat de ByTheWay Publicité faisant parvenir le 30 juillet 2003 le détail des surcoûts enregistrés par les différents brocheurs, en estimant que tous étaient causés par la non-conformité des brochures livrées, tandis que les brochures objet du sinistre incendie étaient déjà encartées, en sorte que ByTheWay Publicité était fondée à les retenir sur le solde restant dû sur la facture de Rotographic, en précisant encore que ByTheWay agissait "en tant que mandataire de la société SCA Hygiène Products, dans le cadre d'un contrat de publicité" ;

Que Rotographic rétorquait par courrier du 8 août 2003 "qu'en tant qu'imprimeur exécutant la simple matérialisation des documents selon votre propre commande, nous ne sommes nullement des vendeurs-diffuseurs professionnels de la publicité au sens de la loi du 29 janvier 1993 et que ce n'est au surplus qu'après coup que vous nous faites part d'un mandat qui ne nous concerne pas et que nous n'avons pas eu à connaître ni ne connaissons" ;

Que ByTheWay Publicité produisait par lettre du 26 août 2003 les critiques émanant des différents "supports", critiques que cette société estimait "pour le moins circonstanciées et établissant de plus fort le défaut de conformité" ;

Qu'estimant ces éléments non probants et la retenue de 45 831,85 euro abusive, Rotographic mettait en demeure ByTheWay Publicité de lui régler ce solde litigieux, par lettre recommandée du 23 mars 2004 ;

Que cette mise en demeure étant restée vaine, Rotographic assignait ByTheWay Publicité par acte du 21 juin 2004 ;

Que c'est dans ces conditions que le premier juge a rendu l'ordonnance de référé du 22 septembre 2004 dont appel, disant n'y avoir lieu à référé sur la demande de provision de Rotographic mais rejetant les demandes de dommages-intérêts pour procédure abusive et d'indemnité de procédure formulées par ByTheWay Publicité ;

Considérant que la loi du 29 janvier 1993, dite loi Sapin, relative notamment à la transparence de la vie économique, stipule en son article 20, 1er alinéa, que :

"Tout achat d'espace publicitaire ou de prestation avant pour objet l'édition ou la distribution d'imprimés publicitaires ne peut être réalisé par un intermédiaire que pour le compte d'un annonceur et dans le cadre d'un contrat écrit de mandat " :

Que la société ByTheWay Publicité prétend qu'elle est intervenue dans le cadre des dispositions de cette loi, qui sont d'ordre public, et qu'elle n'a fait réaliser les brochures publicitaires litigieuses que pour le compte de l'un de ses clients, la société SCA Hygiène Products, en sorte que la société Rotographic serait irrecevable à agir à son encontre et devrait nécessairement diriger son action contre ce mandataire, la SCA Hygiène Products ;

Mais considérant que la société ByTheWay Publicité ne produit nullement le mandat écrit requis par la loi du 29 janvier 1993 ; qu'elle produit seulement, en ses seules pages 1, 3 et 9, un extrait du contrat intitulé "contrat de publicité" que la société SCA Hygiène Products - dénommée "l'Annonceur" dans ce contrat - a conclu avec elle le 1er janvier 2003, pour l'année 2003, avec pour objet de confier à ByTheWay Publicité - dénommée "l'Agence" dans ce contrat - "une mission de conception, de création, et de suivi de ses campagnes publicitaires Nana et de ses opérations de marketing direct Nana ainsi que la gestion de son site internet Nana.fr" ;

Que l'article 4 de ce contrat, intitulé "article 4. Affiches, imprimés, brochures et publicités sur lieux de vente", est ainsi libellé :

"L'Agence, si l'Annonceur le lui demande, agissant en tant que mandataire de l'Annonceur, pour son compte et en son nom, pourra commander l'édition et l'impression des imprimés publicitaires" ;

Que cette disposition générale ne saurait, à l'évidence, constituer le mandat écrit prévu par l'article 20 de la loi du 29 janvier 1993 précitée, alors qu'elle est conditionnelle ("si l'Annonceur le lui demande") et qu'au surplus, elle ne fixe pas - comme l'exige le second alinéa de cet article 20 - les conditions de rémunération du mandataire en détaillant les diverses prestations effectuées ainsi que les autres prestations réalisées par l'intermédiaire en dehors du contrat de mandat et le montant global de leur rémunération ;

Qu'ainsi, le "contrat de publicité" versé aux débats par la société ByTheWay Publicité ne peut suppléer l'absence du mandat écrit prévu par la loi du 29 janvier 1993 et qui conditionne son application ;

Que dès lors, la société Rotographic, désormais dénommée la société Roumare, apparaît fondée à soutenir que ByTheWay Publicité lui a commandé en son nom personnel les prestations litigieuses, sans se prévaloir du mandat écrit requis par la loi de 1993 précitée, et qu'elle est donc recevable à poursuivre contre ByTheWay Publicité le recouvrement du solde de 45 831,85 euro restant dû sur sa facture du 30 avril 2003 ;

Que la société ByTheWay Publicité allègue vainement le contraire, alors qu'elle a elle-même passé commande à la société Rotographic pour les travaux d'impression dont s'agit sans mentionner le mandat dont elle veut maintenant se prévaloir, qu'elle a ensuite reçu la facture libellée à son nom sans impartir à Rotographic de la communiquer directement à l'annonceur prétendu, à savoir SCA Hygiène Products, comme le requiert le 3e alinéa de l'article 20 de la loi de 1993 précité, et qu'enfin, elle a réglé elle-même plus de la moitié de la facture correspondante, en sorte qu'elle ne saurait prétendre valablement soulever une contestation sérieuse en excipant du mandat prétendu au moment de régler le solde de 45 831,85 euro restant dû :

Qu'il s'ensuit que la fin de non-recevoir opposée par la société ByTheWay Publicité doit être rejetée ;

Considérant, en revanche, que le défaut de conformité du "collage en tête" des brochures publicitaires imprimées par Rotographic est suffisamment établi par les pièces versées aux débats par ByTheWay Publicité, notamment par les doléances exprimées par les "supports", c'est-à-dire les sociétés éditant les magazines dans lesquels les brochures publicitaires devaient être encartées (cf. pièce n° 19 : courrier de la centrale d'achat Carat Expansion par l'entremise de laquelle ByTheWay Publicité a fait exécuter les brochages, avec, en annexe, les réponses faites par les "supports") qui invoquent respectivement le caractère non-conforme de la marchandises au regard de la maquette en blanc qui avait été soumise, un "défaut de collage sur la partie arrière de la brochure", ou le fait que le produit "n'est pas suffisamment maintenu en tête";

Que les surcoûts techniques, par support, récapitulés dans la lettre de l'avocat de ByTheWay Publicité du 30 juillet 2003 comme étant :

• Lolie : 0 euro

• Star Club : 1 250,40 euro

• Miss : 494,40 euro

• Salut : 849,75 euro

• Fan 2 : 1 899 euro

• Girls : 19 347 euro

• Vanilly : 8 380,40 euro

soit un total de 32 220,95 euro HT

sont, eux, dûment justifiés par la comparaison, à partir des pièces fournies par la centrale d'achat Carat Expansion, entre les devis du 4 avril 2003 établis avant les incidents techniques et ceux établis le 12 juin 2003 après ces incidents, auxquels correspondent la facture d'impression également présentée et qui comprend ces frais techniques réellement facturés (cf. pièces 21, 22 et 26 à 29) ;

Qu'il n'y a toutefois pas lieu d'ajouter à ce total la facture de 6 100 euro correspondant aux frais de réimpression de 36 050 exemplaires supplémentaires du magazine "Girls", dès lors que ByTheWay Publicité expose que ce tirage supplémentaire est dû au fait que, compte tenu des difficultés, les brochures imprimées mais mal encollées par la société Rotographic n'ont pu être insérées dans la parution d'avril, mais seulement dans celle de juin qui faisait l'objet d'une plus large édition, en sorte que ces exemplaires supplémentaires ont permis d'assurer une publicité plus étendue que celle initialement prévue et n'ont dès lors pas de raison d'être mis à la charge de Rotographic ;

Que, dans ces conditions, ByTheWay Publicité apparaît bien fondée à invoquer, du fait des surcoûts entraînés par la non-conformité de l'encollage opéré par Rotographic, une contestation sérieuse de son obligation de payer à cette société le solde litigieux, mais ce, seulement à hauteur des 32 220,95 euro des frais techniques supplémentaires et non pas des 45 831,85 euro qu'elle a cru pouvoir retenir, en sorte qu'il en résulte un solde de 13 610,90 euro devant revenir à Rotographic ;

Qu'il s'ensuit que l'ordonnance entreprise doit être infirmée en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de la société Rotographic, désormais dénommée Roumare et qu'il convient, statuant à nouveau, de condamner ByTheWay Publicité à payer par provision à la société Roumare la somme de 13 610,90 euro avec intérêts au taux légal à compter du 23 mars 2004, date de la mise en demeure ;

Considérant que la société Rotographic, désormais dénommée société Roumare, qui obtient un succès partiel devant la cour, ne saurait être condamnée à verser des dommages-intérêts à son adversaire au motif prétendu d'une procédure abusive, tant en première instance qu'en appel ;

Considérant que chacune des parties l'emportant pour une part de ses prétentions, il convient de juger que chacune d'elles conservera la charge de ses propres dépens de première instance et d'appel ;

Que l'équité conduit à n'accorder à aucune des parties l'indemnité qu'elles sollicitent au titre de leurs frais de procédure non compris dans les dépens, et ce, tant en première instance qu'en cause d'appel ;

Par ces motifs, Rejette la fin de non-recevoir opposée par la SA ByTheWay Publicité ; Déclare la SA Roumare, anciennement dénommée Rotographic, recevable et partiellement fondée en son appel ; Y faisant droit en partie : - Infirme en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise, hormis en ce qu'elle a rejeté la demande de dommages-intérêts et d'indemnité de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile formulée par la SA ByTheWay Publicité ; Statuant à nouveau des chefs infirmés : - Condamne la SA ByTheWay Publicité à payer, par provision, à la SA Roumare anciennement dénommée Rotographic, la somme de 13 610,90 euro avec intérêts au taux légal à compter du 23 mars 2004 ; Dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, en première instance aussi bien qu'en cause d'appel ; Dit que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens de première instance et d'appel.