CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 11 janvier 2001, n° 98-01245
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Colmax (SARL)
Défendeur :
Archange International (SARL), Goloubinoff
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Laporte (faisant fonction)
Conseillers :
MM. Fedou, Coupin
Avoués :
SCP Jullien-Lecharny-Rol, SCP Keime-Guttin
Avocats :
Mes Le Sayagh, Foyard
Faits et procédure :
Madame Simone Goloubinoff est l'auteur depuis 1953, sous le pseudonyme d'Anne Golon, de l'œuvre romanesque intitulée "Angélique Marquise des Anges" ; par ailleurs, elle est propriétaire de la marque "Angélique Marquise des Anges", déposée en France à l'INPI le 24 juin 1994 sous le n° 94 526 170.
La société Archange International est titulaire de l'intégralité des droits d'auteur relatifs à l'œuvre littéraire de Madame Goloubinoff, notamment des ouvrages de la série "Angélique", suivant contrats d'édition et de cession de droits audiovisuels en date du 5 avril 1996.
Ayant appris que la société Colmax offrait à la vente au public des cassettes vidéo pornographiques intitulées "Angélique", la société Archange International et Madame Simone Goloubinoff ont, dûment autorisées par ordonnance du 19 décembre 1996, fait procéder le 27 décembre 1996 à une saisie-contrefaçon de ces cassettes au siège de la société Colmax.
Estimant qu'en reproduisant sans leur autorisation le nom "Angélique" (lequel constitue à la fois le titre d'une œuvre littéraire de Madame Simone Goloubinoff, le nom générique d'une série romanesque et celui de l'héroïne principale), la société Colmax a réalisé une contrefaçon de l'œuvre précitée et s'est en outre rendue coupable d'une contrefaçon, ou à tout le moins d'une imitation illicite de la marque "Angélique Marquise des Anges", la société Archange International et Madame Simone Goloubinoff l'ont, par acte d'huissier en date du 6 janvier 1997, fait assigner devant le Tribunal de grande instance de Nanterre, aux fins de voir constater l'existence d'une contrefaçon de l'œuvre et du titre Angélique par la société Colmax, de voir valider en conséquence la saisie-contrefaçon du 27 novembre 1996, et de voir condamner la défenderesse à réparer les divers préjudices subis par les requérantes.
Par jugement du 17 décembre 1997, le tribunal a :
* validé la saisie-contrefaçon en date du 27 décembre 1996, effectuée par la société Archange International et par Madame Simone Goloubinoff, dite Anne Golon, entre les mains de la société Colmax ;
* interdit à la société Colmax de vendre et diffuser la vidéo cassette intitulée "Angélique" sur le territoire français, sous astreinte provisoire de 1 000 F par infraction constatée à compter de la signification de la décision de première instance ;
- condamné la société Colmax à payer :
* la somme de 200 000 F à la société Archange International, en réparation de l'atteinte portée à ses droits patrimoniaux ;
* la somme de 200 000 F à Madame Simone Goloubinoff, dite Anne Golon, en réparation de l'atteinte portée à son droit moral ;
* la somme de 80 000 F à Madame Simone Goloubinoff, dite Anne Golon, en réparation de l'atteinte portée à sa marque ;
* ordonné l'exécution provisoire ;
* condamné la société Colmax à payer à la société Archange International et à Madame Simone Goloubinoff la somme de 18 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
* condamné la société Colmax aux dépens.
La société Colmax a interjeté appel de ce jugement.
En premier lieu relativement à la prétendue contrefaçon du titre "Angélique", elle fait valoir que l'utilisation du prénom "Angélique", lequel n'est qu'un simple matériel linguistique, dénué d'originalité, et dont tout un chacun peut disposer pour dénommer une œuvre artistique, ne peut être considérée comme une création originale, et, par voie de conséquence, faire l'objet d'un droit privatif.
Elle soutient que c'est donc à tort que, pour retenir la contrefaçon, les premiers juges ont relevé que le terme "Angélique" bénéficie de la protection du droit d'auteur dès lors qu'il est susceptible d'appropriation comme désignant une héroïne précise, parfaitement reconnaissable et sur l'identité de laquelle le public ne peut se tromper.
Aussi elle demande à la cour d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a énoncé que la reprise du titre "Angélique" par la société appelante, pour l'édition vidéographique du film litigieux, est constitutive d'une contrefaçon au sens des dispositions de l'article L. 112-4 du Code de la propriété intellectuelle.
En deuxième lieu relativement à la prétendue contrefaçon de la marque "Angélique Marquise des Anges", la société Colmax fait observer qu'un terme ne peut faire l'objet d'un droit de propriété Industrielle que sous réserve d'être considéré comme distinctif, et que tel n'est pas le cas du terme "Angélique", lequel, pris isolément, d'une part est indisponible pour avoir fait l'objet d'utilisations antérieures par Jean Giono et par Jacques Ibert, et d'autre part n'est pas apte à exercer la fonction distinctive de la marque en raison de son caractère purement descriptif par rapport à l'œuvre qu'il serait censé protéger.
Elle ajoute qu'il ne saurait y avoir protection du titre d'une œuvre de l'esprit par le droit des marques, dès lors que, pour qu'un terme puisse être valablement invoqué à titre de marque, encore faut-il qu'il ait vocation à s'appliquer à un produit ou à un service. Aussi conclut-elle à l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il a retenu que la reprise du prénom "Angélique" par la société Colmax pour désigner une œuvre de l'esprit est constitutive d'une contrefaçon de la marque "Angélique Marquise des Anges".
En troisième lieu relativement aux prétendus actes de concurrence déloyale, la société Colmax indique à titre préalable contester la qualité à agir des intimées, dans la mesure où il ne résulte nullement du contrat de cession en date du 5 avril 1996 que celles-ci détiennent quelque droit que ce soit sur les adaptations audiovisuelles d'"Angélique" existant à ce jour, de telle sorte que, n'étant pas le producteur des œuvres audiovisuelles issues desdites adaptations, et encore moins leur éditeur vidéographique, la société Archange International et Anne Golon sont irrecevables en leurs demandes.
Sur le fond, la société appelante conteste l'existence d'éléments objectifs, distincts de l'ensemble de ceux tendant à fonder l'action en contrefaçon, et de nature à justifier une action en responsabilité pour concurrence déloyale ou parasitaire, dès lors que tout risque de confusion au regard d'un consommateur d'attention moyenne doit être écarté entre d'une part une série d'œuvres littéraires françaises datant des années soixante et relevant du genre romantique, et d'autre part une œuvre audiovisuelle italienne à caractère pornographique dont la première exploitation en France remonte à l'année 1996.
Aussi, tout en concluant à la confirmation de la décision de première instance en ce qu'elle a débouté la société Archange International de sa demande de dommages-intérêts fondée sur le trouble d'exploitation que ladite société prétend avoir subi en raison de l'édition et de la diffusion en vidéo du film litigieux, la société Colmax sollicite l'infirmation de ce jugement en ce qu'il a statué sur les autres réclamations indemnitaires des intimées, spécialement en ce qu'il a retenu qu'en dénaturant le personnage d'Angélique en une "esclave sexuelle", la société appelante avait porté atteinte au droit moral dont bénéficie Anne Golon en vertu de l'article L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle. Par voie de conséquence, la société Colmax conclut au débouté de Madame Golon et de la société Archange International de toutes leurs demandes, ainsi qu'à leur condamnation solidaire à lui payer la somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, outre une somme de 80 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, et à prendre en charge les entiers dépens.
La société Archange International SARL et Madame Simone Changeux, veuve de Monsieur Vsévolod Goloubinoff, répliquent, d'abord en ce qui concerne la contrefaçon du prénom et du titre "Angélique", que ceux-ci satisfont à l'exigence d'originalité dès lors que le choix d'un prénom inconnu auparavant ou oublié exprime l'empreinte de la personnalité de son auteur.
Elles font observer que la société appelante oppose vainement l'antériorité du titre d'une œuvre de Jean Giono qui aurait été écrite en 1921 (alors que cette œuvre n'a jamais été achevée, ni publiée, ni portée à la connaissance du public avant sa divulgation en 1980), ainsi que l'antériorité du titre du livret d'opéra de Jacques Ibert (dont la diffusion est restée confidentielle, à supposer même que cet opéra ait fait l'objet d'une édition).
Elles relèvent également qu'aucun ayant-droit de Jean Giono ou de Jacques Ibert n'a jamais estimé qu'il y avait eu atteinte à l'œuvre de leur auteur, et elles ajoutent que la partie adverse ne saurait se prévaloir de l'existence de droits antérieurs à ceux qui sont allégués à l'effet d'échapper à ses propres manquements.
Dans ces conditions, elles concluent à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a considéré que l'utilisation par la société Colmax du titre "Angélique" comme titre de sa cassette vidéographique est constitutive d'une contrefaçon par application des dispositions de l'article L. 112-4 du Code de la propriété intellectuelle.
Ensuite en ce qui concerne la contrefaçon de la marque "Angélique Marquise des Anges", tout en reprenant à cet égard l'argumentation développée par elle relativement à l'originalité et à l'absence d'antériorité du prénom "Angélique", les intimées soutiennent que c'est à tort que la société appelante conclut au caractère descriptif du terme " Angélique ", dans la mesure où, loin de désigner une œuvre, ce terme constitue d'abord et avant tout le nom du principal personnage qui, selon la formulation du tribunal, "évoque immédiatement dans l'esprit du public la célèbre héroïne d'Anne Golon".
Elles font valoir que c'est également à tort que la société Colmax prétend que la marque "Angélique" ne pourrait bénéficier d'une protection sur le fondement de l'article L. 711-1 du Code de la propriété intellectuelle, motif pris de ce que le terme "Angélique" s'appliquerait non à un produit ou à un service, mais à une œuvre elle-même, alors que le terme "Angélique" et/ou celui de "la Marquise des Anges" désignent la collection des ouvrages relatant les aventures de cette héroïne de Madame Goloubinoff, de telle sorte qu'il existe bien un conflit entre la marque déposée protégeant une série littéraire célèbre et le titre d'un film qui, s'il est une œuvre, est aussi un produit identifié par ce titre, lequel est contrefaisant.
De plus en ce qui concerne le grief de concurrence déloyale et parasitaire, tout en faisant observer que la demande présentée de ce chef par les intimées est parfaitement recevable dès lors que les actes de contrefaçon réalisés par la partie appelante l'ont été au détriment de la société Archange International, légitime titulaire des droits d'exploitation audiovisuels, les intimées relèvent que la quasi-identité du graphisme entre l'édition des vidéocassettes litigieuses et les pages de couverture de l'édition papier de l'œuvre originale, le contenu d'une attestation révélatrice de l'opinion du consommateur d'attention moyenne et les critiques émanant d'articles de presse démontrent suffisamment l'existence d'une confusion réelle entre les cassettes Colmax et toute autre cassette portant a l'écran l'œuvre de Madame Goloubinoff.
Les intimées précisent qu'en l'occurrence la preuve de la réalité des actes parasitaires résulte du fait que la partie adverse a profité de la diffusion et de la connaissance dans le public de l'héroïne Angélique à travers les treize romans d'Anne Golon, pour faire vendre des cassettes audiovisuelles qui reprennent les caractéristiques de cette œuvre romanesque dont elles présentent une image dégradée.
Par voie de conséquence, la société Archange International et Madame Simone Goloubinoff sollicitent la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Colmax à payer :
* à la société Archange International la somme de 200 000 F, en réparation de l'atteinte portée à ses droits patrimoniaux ;
* à Madame Goloubinoff la somme de 200 000 F, en réparation de l'atteinte portée à son droit moral ;
* à Madame Goloubinoff la somme de 80 000 F, en réparation de l'atteinte portée à sa marque ;
et en ce qu'il a condamné la partie adverse à cesser la vente et la diffusion en tout lieu, en France et à l'étranger, des cassettes vidéo "Angélique", ce sous astreinte de 1 000 F par infraction constatée.
Se portant incidemment appelante de ce jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour atteinte à l'image de marque de l'œuvre "Angélique" et de sa principale héroïne, la société Archange International demande à la cour de condamner la société Colmax à lui payer de ce chef la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts.
Enfin, les intimées concluent à la condamnation de la société appelante au paiement de la somme de 40 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Motifs de la décision :
Sur la contrefaçon du titre "Angélique" :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 112-4 du Code de la propriété intellectuelle, le titre d'une œuvre de l'esprit, dès lors qu'il présente un caractère original, est protégé comme l'œuvre elle-même ;
Considérant que la société Colmax conteste que l'utilisation par elle du titre "Angélique" pour sa cassette vidéographique soit constitutive d'une contrefaçon au sens de la disposition légale susvisée, en faisant valoir que le prénom "Angélique" sous l'angle du droit d'auteur n'appartient à personne et ne peut faire l'objet d'aucun droit privatif, dans la mesure où ce titre n'a pas été le fruit de la création de Madame Goloubinoff, faute par celle-ci d'avoir été la première utilisatrice de ce prénom pour identifier une œuvre littéraire ou artistique ;
Mais considérant qu'indépendamment de la notion d'antériorité, laquelle est inopérante dans le cadre de l'application du droit de la propriété littéraire et artistique, le titre d'une œuvre peut bénéficier d'une protection légale, dés lors qu'il satisfait au critère de l'originalité en tant qu'il traduit l'empreinte de la personnalité de son auteur ;
Considérant qu'au surplus, il est constant que c'est à la date de sa création que doit s'apprécier l'originalité du titre ;
Considérant qu'en l'occurrence, il doit être observé que le prénom "Angélique" constitue non seulement le titre des romans de Madame Goloubinoff, mais également le nom générique des treize ouvrages de la même série régulièrement édités et diffusés dans le grand public, et le nom de la principale héroïne ;
Considérant que les premiers juges ont exactement analysé que ce titre correspond à celui d'une "héroïne précise, parfaitement reconnaissable et sur l'identité de laquelle le public ne peut se tromper", qui la distingue, à la date de la création de l'œuvre en 1953, d'autres jeunes femmes antérieurement représentées par le personnage d'"Angélique" du "Georges Dandin" de Molière ou encore par celui du livret d'opéra de Jacques Ibert, alors même que les œuvres de Giono et de Robbe-Grillet ont, pour leur part, fait l'objet d'une divulgation dans le grand public postérieurement à la diffusion des romans de Madame Goloubinoff ;
Considérant qu'il s'ensuit que, contrairement à ce qui est allégué par la société appelante, le prénom "Angélique" dont Madame Anne Golon a fait usage pour identifier son œuvre romanesque n'a pas constitué l'emprunt d'un simple matériel linguistique préalablement utilisé par d'autres auteurs pour identifier des œuvres de l'esprit, mais correspond à un personnage distinctif et original, connu et reconnu par ses lecteurs, et donc susceptible d'appropriation au sens de l'article L. 112-4 du Code de la propriété intellectuelle;
Considérant que le jugement déféré doit en conséquence être confirmé en ce qu'il a énoncé qu'en utilisant le terme "Angélique", la société Colmax a porté atteinte au titre des romans d'Anne Golon, et que cette utilisation illicite est constitutive d'une contrefaçon prohibée par l'article L. 335-2 dudit code.
* Sur la contrefaçon de la marque "Angélique Marquise des Anges" :
Considérant qu'il est constant que la marque "Angélique Marquise des Anges" a été déposée le 24 juin 1984 à l'INPI sous le n° 94 524 170 dans de très nombreuses classes de produits et services, et notamment dans la production de films ;
Considérant que, pour qu'une reproduction partielle soit sanctionnée comme contrefaçon, il convient préalablement de déterminer si le mot détaché (en l'occurrence "Angélique"), est protégeable en lui-même et "propre à exercer isolément au moins une partie de la fonction distinctive de la marque" ;
Considérant qu'au soutien de sa prétention suivant laquelle la reprise du prénom "Angélique" n'est pas constitutive d'une contrefaçon de la marque "Angélique Marquise des Anges ", la société Colmax fait valoir que le terme "Angélique" n'est ni disponible ni distinctif, et qu'il s'applique à une œuvre et non à un produit ou à un service ;
Mais considérant que, d'une part, la société appelante se trouve sans droit à invoquer un défaut de disponibilité de la marque à la date du dépôt, dès lors que seul le titulaire d'un droit privatif antérieur sur le même signe ou sur la même dénomination peut s'en prévaloir pour l'opposer au titulaire du dépôt de la marque ;
Considérant que, d'autre part, loin de revêtir un caractère purement descriptif par rapport à l'œuvre qu'il est censé protéger, le terme "Angélique" s'en distingue suffisamment par le fait qu'il évoque avant tout dans l'esprit du public le nom du principal personnage de la série de romans d'Anne Golon ;
Considérant qu'au surplus, si en application de l'article L. 711-1 du Code de la propriété intellectuelle, le terme "Angélique" ou l'expression "Angélique Marquise des Anges" ne peut être valablement invoqué à titre de marque qu'à la condition d'avoir vocation à s'appliquer à un produit, tel est le cas en l'occurrence dans la mesure où ces termes désignent également la collection des ouvrages relatant les aventures de l'héroïne de Madame Goloubinoff ;
Considérant que, dès lors que le titre "Angélique" utilisé par la société Colmax pour la diffusion de sa cassette vidéographique n'identifie pas seulement une œuvre de l'esprit, mais qu'il désigne en outre un produit "objet du négoce", il s'ensuit que la reproduction de ce titre par la société appelante constitue une atteinte aux droits que détiennent Madame Goloubinoff et la société Archange International sur la marque déposée, laquelle a vocation à protéger un produit ou un service, à savoir une série littéraire célèbre ;
Considérant que le jugement déféré doit donc être confirmé également en ce qu'il a retenu que la reprise du nom "Angélique" par la société Colmax est constitutive d'une contrefaçon partielle de la marque "Angélique Marquise des Anges".
Sur l'existence d'actes de concurrence déloyale et parasitaire :
* Sur la qualité des intimées à agir sur ce fondement :
Considérant que, pour conclure que la société Archange International et Madame Anne Golon n'ont pas qualité à agir du chef de concurrence déloyale et parasitaire, la société Colmax fait valoir que les intimées ne sont ni le producteur des œuvres audiovisuelles issues des adaptations d' "Angélique" existant à ce jour, ni leur éditeur vidéographique;
Mais considérant qu'il résulte des éléments de la cause que Madame Goloubinoff, seule propriétaire des droits de reproduction et de représentation de l'ensemble des ouvrages littéraires écrits par elle-même et par son mari lequel est décédé en 1972, a, suivant deux actes sous seing privé en date du 5 avril 1996, cédé à la société Archange International ses droits exclusifs d'exploitation de ses droits patrimoniaux sur ses œuvres, ainsi que ses droits exclusifs d'adaptation audiovisuelle sur ceux-ci ;
Considérant également qu'il résulte des stipulations de ces deux contrats d'édition et de cession des droits audiovisuels que l'auteur a expressément donné mandat au cessionnaire de défendre et de faire défendre les œuvres et chaque ouvrage des œuvres de Madame Anne Golon contre toute atteinte (et notamment contrefaçon aux droits cédés), par voie de justice ou autrement, l'auteur conservant la liberté de s'associer à l'action du cessionnaire sans pouvoir s'y opposer ;
Considérant qu'il s'ensuit que tant Madame Goloubinoff que la société Archange International sont recevables à agir à l'encontre de la société Colmax, sur le fondement des régies relatives à la concurrence déloyale et parasitaire, à l'effet de demander réparation du préjudice consécutif à la diffusion dans le public, postérieurement à la signature des actes susvisés, des cassettes vidéo éditées par la société appelante sous le nom d' "Angélique", et comportant une adaptation et/ou une reproduction de tout ou partie de l'œuvre dont les intimées sont respectivement l'auteur et le cessionnaire des droits exclusifs d'édition et d'adaptation audiovisuelle.
* Sur le grief de concurrence déloyale et parasitaire :
Considérant que, pour pouvoir être accueillie concurremment à l'action en contrefaçon, l'action en concurrence déloyale ou parasitaire doit reposer sur des faits distincts de ceux ayant porté atteinte à des droits privatifs, et de nature à faire naître une confusion ou un risque de confusion avec la création originale, ou à laisser croire au public que les deux produits ont une origine identique ;
Considérant que la société Colmax fait certes justement observer qu'il ne saurait y avoir un quelconque risque de confusion entre d'une part une série d'œuvres littéraires françaises, datant des années soixante, relevant du genre romantique, et d'autre part une œuvre audiovisuelle italienne, à caractère pornographique, dont la première exploitation en France remonte à l'année 1996 ;
Mais considérant que, si les deux œuvres litigieuses ne relèvent pas du même genre, force est de constater qu'il existe une grande similitude entre le graphisme représenté sur la jaquette des cassettes vidéo diffusées par la société appelante et celui imprimé sur les pages de couverture de certains des romans d'Anne Golon, dès lors que, dans les deux cas, sont notamment illustrées les aventures maritimes d'une jeune femme portant le même prénom, "Angélique", dont l'initiale se trouve reproduite de manière quasi-identique ;
Considérant qu'au demeurant ces éléments de comparaison n'ont pas échappé à la presse spécialisée, dans la mesure où les critiques des cassettes vidéo diffusées par la société appelante présentent la réalisation "Angélique" de celle-ci comme la transposition dans "l'univers impitoyable du hard à l'italienne" de l'œuvre littéraire d'Anne Golon ;
Considérant que le procédé ainsi mis en œuvre, ayant consisté, à partir du nom et du personnage principal de l'œuvre romanesque d'Anne Golon, à emprunter des éléments caractéristiques de cette œuvre, a permis au produit contrefaisant de s'inscrire dans le sillage de la création originale de madame Goloubinoff, pour pouvoir profiter de sa réputation et de sa notoriété, tout en induisant en erreur le public, spontanément conduit à rattacher les deux œuvres à la même origine ;
Considérant que les premiers juges ont donc à bon droit énoncé que les agissements dont s'agit, aggravés par la représentation dégradée de l'œuvre originale et de son héroïne principale, sont constitutifs de concurrence déloyale par parasitisme, engageant la responsabilité quasi-délictuelle de la société appelante sur le fondement des dispositions des articles 1382 et suivants du Code civil.
- Sur l'examen des différentes demandes des intimées :
* Relativement aux demandes résultant de la contrefaçon :
Considérant qu'eu égard aux atteintes portées aux droits privatifs des intimées sur le titre "Angélique" et sur la marque "Angélique Marquise des Anges", il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a validé la saisie-contrefaçon en date du 27 décembre 1996, et en ce qu'il a fait interdiction à la société Colmax de vendre et de diffuser la vidéo cassette intitulée "Angélique" sur le territoire français, sous astreinte provisoire de 1 000 F par infraction constatée à compter de la signification dudit jugement ;
* relativement aux demandes de la société Archange International :
Considérant qu'en sa qualité de titulaire des droits d'édition et des droits d'adaptation audiovisuelle de l'œuvre romanesque d'Anne Golon, la société Archange International a subi un préjudice d'exploitation découlant des agissements parasitaires dont elle a été victime, dès lors qu'elle n'a pu sérieusement envisager, durant la période ayant immédiatement suivi la mise sur le marché du produit contrefaisant, de diffuser un produit comportant un même titre mais respectant l'œuvre originale ;
Considérant qu'il y a donc lieu, en infirmant de ce chef le jugement entrepris, d'allouer à la société Archange International une indemnité de 100 000 F pour préjudice commercial et pour atteinte à ses droits patrimoniaux ;
Considérant que, par ailleurs, la société intimée a subi un préjudice spécifique lié à l'atteinte portée à l'image de marque de l'œuvre d'Anne Golon, laquelle se trouve dépréciée dans l'esprit de la clientèle habituelle des romans de la série "Angélique", par suite de la transformation de son personnage principal en vedette pornographique ;
Considérant que le dommage résultant de cette atteinte à l'image de marque doit être réparé par l'allocation à la société Archange International d'une indemnité de 100 000 F ;
* relativement aux demandes de Madame Goloubinoff :
Considérant qu'en dénaturant le personnage d'Angélique, héroïne romantique, transformée dans la cassette litigieuse en une "esclave sexuelle" selon les termes utilisés sur la jaquette de son vidéo film, la société Colmax a porté atteinte au droit moral d'auteur reconnu à Anne Golon par l'article L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle ;
Considérant qu'à cet égard, s'il est constant que la violation du droit de l'auteur au respect de son œuvre implique une altération de celle-ci, cette condition est toutefois remplie lorsque, comme c'est le cas en l'occurrence, le produit contrefaisant est présenté dans un contexte qui déprécie et dégrade l'œuvre originale ;
Considérant que le jugement déféré doit donc être confirmé en ce qu'il a condamné la société Colmax à payer à Madame Goloubinoff une indemnité égale à 200 000 F en réparation de l'atteinte portée à son droit moral;
Considérant que, par ailleurs, Madame Goloubinoff a, du fait de l'atteinte portée à la marque "Angélique Marquise des Anges", subi un préjudice dont le tribunal a à juste titre évalué le montant à la somme de 80 000 F.
Sur les demandes annexes :
Considérant que l'examen des prétentions de chacune des parties a mis en évidence que les intimées n'avaient pas commis de faute dans l'exercice de la saisie-contrefaçon des vidéogrammes "Angélique" diligentée le 27 décembre 1996 au siège de la société Colmax ;
Considérant qu'il y a donc lieu de débouter la société appelante de sa demande de dommages-intérêts en réparation de son préjudice commercial et financier lié au trouble d'exploitation occasionné par cette saisie ;
Considérant que l'équité commande d'allouer aux intimées, sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, une indemnité globale de 30 000 F, en remboursement des frais non compris dans les dépens exposés par elles tant en première instance qu'en appel ;
Considérant qu'il n'est cependant pas inéquitable que l'appelante conserve la charge des frais non compris dans les dépens engagés par elle dans le cadre de la présente procédure ;
Considérant que la société Colmax, qui succombe dans l'exercice de son recours, doit être condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Déclare recevable l'appel interjeté par la SARL Colmax, le dit mal fondé ; Confirme le jugement déféré en ce qu'il a : * validé la saisie-contrefaçon en date du 27 décembre 1996, diligentée par la SARL Archange International et par Madame Simone Goloubinoff, dite Anne Golon, dans les locaux de la SARL Colmax ; * - fait interdiction à la SARL Colmax de vendre et de diffuser la vidéo cassette intitulée "Angélique" sur le territoire français, sous astreinte provisoire de 1 000 F par infraction constatée à compter de la signification du jugement de première instance ; Confirme ce jugement également en ce qu'il a énoncé que les agissements incriminés sont constitutifs d'actes de concurrence déloyale et parasitaire ; Le reforme partiellement du chef de l'indemnisation des divers préjudices subis par les intimées, et statuant à nouveau à ce titre ; Condamne la SARL Colmax à payer à la SARL Archange International les sommes de : * 100 000 F, à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice subi par elle pour trouble d'exploitation : * 100 000 F, à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice subi par elle du fait de l'atteinte portée à l'image de marque de l'œuvre d'Anne Golon ; Condamne la SARL Colmax à payer à Madame Simone Goloubinoff, dite Anne Golon, les sommes de : * 200 000 F, à titre de dommages-intérêts, en réparation de l'atteinte portée à son droit moral ; * 80 000 F, à titre de dommages-intérêts, en réparation de l'atteinte portée à sa marque ; Condamne également la SARL Colmax à payer à la SARL Archange International et à Madame Simone Goloubinoff, sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, une indemnité globale de 30 000 F, en remboursement des frais non compris dans les dépens exposés par elles tant en première instance qu'en appel ; Déboute l'une et l'autre parties de leurs autres et plus amples demandes ; Condamne la SARL Colmax aux entiers dépens de première instance et d'appel, et Autorise la SCP Keime & Guttin, société d'avoués, à recouvrer directement la part la concernant, conformément à ce qui est prescrit par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.