CA Montpellier, 1re ch. B, 18 octobre 2005, n° 04-05208
MONTPELLIER
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Chautemps
Défendeur :
Biotonic (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Deltel
Conseillers :
M. Blanc-Sylvestre, Mme Bresdin
Avoués :
SCP Argellies-Travier-Watremet, SCP Capdevila-Vedel-Salles
Avocats :
Mes De Cabissole, Massei
Faits, procédure et prétentions des parties :
Le 19 avril 2002, Jean Chautemps a reçu de la SA Biotonic une "proclamation officielle" de gain lui garantissant la remise de la somme de 16 000 euro.
Jean Chautemps a retourné son acceptation du gain par lettre recommandée déposée le 24 avril 2004 et accusé de réception daté du 29 avril 2002.
Le 22 avril 2002, Jean Chautemps a reçu de la Biotonic, une nouvelle "attestation officielle de gain" lui annonçant le "résultat irrévocable" de l'attribution de la somme de 10 000 euro.
Jean Chautemps a retourné le document de participation, puis a sollicité la délivrance de ce gain, ainsi du précédent, par lettre recommandée avec accusé de réception, en date du 18 juin 2002 qui n'a pas été suivie d'effet,
Par acte d'huissier en date du 29 août 2002, Jean Chautemps a fait citer la SA Biotonic aux fins de lui payer la somme de 26 000 euro à titre de dommages-intérêts outre 2 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par le jugement entrepris en date du 13 septembre 2004, le Tribunal de grande instance de Montpellier a débouté Monsieur Chautemps de ses demandes, la société Biotonic de sa demande de dommages-intérêts et a condamné Jean Chautemps à payer à la SA Biotonic la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Jean Chautemps, appelant, dans les dernières conclusions en date du 7 avril 2005, demande à la cour de :
" Repoussant toutes conclusions contraires,
Déclarant irrecevable l'exception d'incompétence territoriale soulevée par la SA Biotonic comme n'ayant pas été in limine litis,
Subsidiairement,
La rejeter,
Vu l'article 1371 du Code civil,
Réformant le jugement dont appel,
Condamner la SA Biotonic à payer à Jean Chautemps la somme de 26 000 euro (16 000 + 10 000),
Dire et juger que les intérêts au taux légal seront ajoutés à la condamnation principale et décomptés à partir de l'assignation valant mise en demeure du 29 août 2002 avec capitalisation selon les ternies de l'article 1154 du Code civil à compter du 29 août 2003,
Condamner la SA Biotonic à payer à Monsieur Jean Chautemps la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
La condamner aux dépens de première instance et d'appel... ".
La SA Biotonic, intimée, dans ses dernières conclusions en date du 29 mars 2005, demande à la cour de :
" A titre principal et sur l'appel formé par Monsieur Chautemps s'agissant de la décision rendue sur le fond,
Confirmer le jugement rendu le 13 septembre 2004 par le TGI de Montpellier,
Constater que les jeux publicitaires diffusés par la société Biotonic sont parfaitement licites,
Constater qu'aucune faute ne peut être mise à la charge de la société Biotonic, qui a par ailleurs souscrit aux seules obligations auxquelles elle s'était engagée,
Constater que la SA Biotonic a été soucieuse, par les envois des différents documents, de mettre en exergue l'existence d'un aléa,
Débouter Monsieur Chautemps de l'ensemble de ses demandes, fin et conclusions,
A titre subsidiaire et in limine litis sur l'appel incident formé par la société Biotonic s'agissant de la décision rendue sur la compétence,
Vu les articles 42 et 46 du nouveau Code de procédure civile,
Réformer la décision rendue le 13 septembre 2004 par le TGI de Montpellier en ce qu'il s'est déclaré territorialement compétent,
Déclarer le TGI de Montpellier territorialement incompétent au profit du TGI de Grasse,
En tout état de cause,
Condamner Monsieur Chautemps au paiement de la somme de 1 524,49 euro au titre de l'article 700 du NCPC, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel... ".
L'ordonnance de clôture est en date du 15 septembre 2005.
Motifs :
Sur l'exception d'incompétence :
Attendu que devant la cour, la SA Biotonic ne reprend pas l'exception d'incompétence in limine 1itis, mais à titre subsidiaire après avoir conclu au fond en défense à l'appel de Monsieur Chautemps ;
Que cette exception d'incompétence sera déclarée irrecevable et rejetée par application des dispositions de l'article 74 du nouveau Code de procédure civile ;
Que le jugement est maintenu sur la compétence de la juridiction saisie au titre du lieu de la livraison conformément aux dispositions de l'article 46 du Code de procédure civile et de l'article 1371 du Code civil qui est le fondement de l'action dont la cour est saisie ;
Sur l'obligation de délivrance :
Attendu que devant la cour, Monsieur Chautemps se place exclusivement sur le terrain de l'obligation de délivrance, ce qui rend inopérant en droit les conclusions de Biotonic relatives au respect de la loi et à l'absence de faute ;
Attendu que Monsieur Chautemps verse à son dossier des pièces originales qui ne sont pas contestées dans leur matérialité :
1) S'agissant du gain de 16 000 euro (N° gagnant : 216 998 080) :
- une enveloppe timbrée du 19 avril 2002, avec mention en objet en gros caractères et en gras au recto "Attribution du chèque de 16 000 euro effectuée sous le contrôle d'un Officier Ministériel Assermenté" "Destinataire exclusif" ; encadré intitulé "Service des jeux" avec en majuscules et en rouge : "Identification confirmée" ; En petits caractères au verso la mention suivante : "Le tirage au sort de ce jeu gratuit a déjà eu lieu et votre gain, quel qu'il soit, est soumis à cet aléa ; Vous avez réellement la possibilité d'être gagnant, c'est certain, car le jeu est sous contrôle d'un huissier et le gain est toujours attribué. Vous devez avant tout prendre part dans les délais pour réclamer ce qui vous revient de droit en conformité avec le rég1ement et le procès-verbal de l'huissier." ;
- une "Proclamation officielle" "dossier officiel d'identification du Numéro Gagnant" 216 998 080, adressée à Jean Chautemps 27 avenue de Montpellier à Perlos et le "message exclusif" suivant : " M. Chautemps vous êtes titulaire exclusif et unique du N° 216 998 080 Retournez immédiatement la Réclamation Officielle de Gain attendue et recevez sous 48H00**" le Chèque de 16 000 euro, avec en petits caractères sur le coté de la feuille** "Délai d'envoi du chèque prévu à l'article 8 du règlement, sauf cas de force majeure"
Attendu qu'un "bordereau d'attribution" porte :
2) S'agissant du gain de 10 000 euro (N° gagnant 218 733 375) :
- une "Attestation officielle de gain", avec plusieurs mentions certifiant du gain attribué à Monsieur Chautemps telles que "Postulat : déclare définitivement gagnant sans la moindre réserve par l'huissier de Justice et confirmé à Monsieur Alain Castillon Directeur de Biotonic" ; "Le résultat est aujourd'hui irrévocable et publié nationalement" " M. Chautemps vous avez officiellement gagné les 10 000 euro sont définitivement à vous", avec un spécimen du chèque libellé à son ordre "Gagnant garanti oui ... 10 000 euro est la somme à vous remettre obligatoirement par Chèque Bancaire authentifié à votre seul ordre ! Il va vous être envoyé à votre domicile par lettre recommandée AR" avec un tampon mentionnant "documents officiels" ; Et sur la tranche dans un encadre rouge "Voici le Document pour preuve pour vous ! " ;
Au verso de ce document "Voici comment faire pour demander à recevoir le chèque de
10 000 euro" en 4 points :
" 1. Vérifier et compléter votre " Bulletin Nominatif d'Acceptation du Chèque Bancaire de 10 000 euro
" 2. Profitez du traitement prioritaire de votre dossier que nous vous offrons gratuitement si vous le souhaitez. Il vous suffit pour cela de passer une simple commande dans notre nouveau catalogue ci-joint "
" 3. N'oubliez pas de dater et de signer avant de prendre part dans les délais "
" Renvoyez le tout Tout de suite à : Biotonic - Vepex 5000 - 06821 Nice Cedex 9 en utilisant l'enveloppe réponse jointe.
" Nous procéderons ainsi au plus vite à l'enregistrement de votre dossier. "
Et dans un encadre rouge en grands caractères blancs : "Avertissement : réponse du gagnant obligatoire "
Puis en plus petit caractère et en caractères non gras à la différence du reste de la page " Le tirage au sort de ce jeu gratuit a déjà eu lieu et votre gain, quel qu'il soit, est soumis à cet aléa " ;
Vous avez réellement la possibilité d'être gagnant, c'est certain, car le jeu est sous contrôle d'un huissier de justice et le gain est toujours attribué. Vous devez avant tout prendre part dans les délais pour réclamer ce qui vous revient de droit en conformité avec le règlement et le procès-verbal de l'huissier. ",
- un document de taille réduite contenant un extrait de la délibération et de l'approbation de la commission des jeux de Biotonic avec mention notamment de ce que :
"1. Vous êtes la seule personne dans tout le pays, M. Chautemps, à bénéficier du n° d'attribution : 218 733 375
" 2. L'attribution du dossier personnel vous garantit le paiement de : 10 000 euro sous respect des conditions d'attributions réglementaires et notamment du retour dans les délais du dossier valable dûment complété. Le chèque sera adressé par recommandée avec AR ;
" 3. Ce gain d'argent cash, unique, officiel et définitif est seul destiné au grand gagnant M. Chautemps ",
ainsi que l'avis de mise à disposition d'argent au gagnant de la somme de 10 000 euro, avec mention du nom de M. Chautemps du n° du tirage et de l'adresse du gagnant, ces deux documents portant le cachet " Documents officiels " et la signature de Alain Castillon Directeur
Et au verso de la deuxième et dernière page, le règlement du jeu " un prix de 10 000 euro à gagner " en couleur pâle et en tous petits caractères par comparaison avec les autres pages du document ;
Attendu que c'est à tort que le tribunal a estimé que " la présentation de l'ensemble de ces documents pouvait faire naître tout au plus l'illusion momentanée du gain et que les mentions du règlement intérieur permettaient à Monsieur Chautemps, en sa qualité de consommateur moyen normalement intelligent, de comprendre que le gain annoncé par lettre simple avant la date de clôture était en réalité aléatoire ainsi que rappelé, en outre, au dos de l'enveloppe d'envoi " ;
Attendu au contraire qu'il ressort des éléments d' appréciation soumis à la cour, que Monsieur Chautemps a pu parfaitement croire à la lecture des documents qu'il a reçus, qu'il avait gagné à la suite des deux tirages au sort organisés successivement par la SA Biotonic avec le concours d'un huissier de justice ; que le but de cette opération pour la société Biotonic était de faire croire à Monsieur Chautemps qu'il avait bien gagné 16 000 euro la première fois et 10 000 euro la seconde fois, de manière qu'il soit incité en raison de son gain, à commander sur le catalogue adressé en même temps, les documents faisant expressément mention d'un traitement facilité du règlement des gains en cas de commande d'un produit ;
Attendu que les affirmations répétées du gain au bénéfice de Monsieur Chautemps,et de l'engagement de le délivrer ne sont pas sérieusement contredites par la mention isolée d'un aléa dans le règlement intérieur figurant en tout petits caractères et en termes ambigus laissant penser qu'il était déjà le gagnant tiré au sort, puisque l'ensemble des documents déclaraient de façon affirmative et univoque que le gain d'argent cash, unique, officiel et définitif était seul destiné au grand gagnant M. Chautemps ;
Attendu que la société Biotonic qui a annoncé par deux fois un gain à Jean Chautemps sans mettre en évidence l'existence d'un aléa s'est obligée, par ce fait purement volontaire, à les délivrer par application des dispositions de l'article 1371 du Code civil ;
Attendu que ces promesses fermes de gain doivent recevoir application dès lors que les demandes de chèque ont été faites dans les délais ; que Monsieur Chautemps produit la lettre de demande du chèque correspondant au gain de 16 000 euro et l'avis de réception par SA Biotonic, qu'il déclare avoir adressé sa demande dans les délais pour le gain de 10 000 euro, ce qui n'est pas contesté par la SA Biotonic ;
Attendu dans ces conditions qu'il y a lieu de réformer la décision entreprise et de faire droit à la demande en paiement de Jean Chautemps des deux gains soit la somme de (16 000 + 10 000) 26 000 euro ; que la société Biotonic est donc condamnée à lui payer la somme de 26 000 euro, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation en date du 29 août 2002 ; que les intérêts seront eux-mêmes capitalisés à compter de la demande en date du 23 novembre 2004 dans les conditions de l'article 1154 du Code civil ;
Attendu que la SA Biotonic est condamnée aux dépens ; qu'en outre, il sera fait application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au bénéfice de l'appelant dans les termes du dispositif ci-après ;
Par ces motifs, LA COUR, déclare recevable et bien fondé Jean Chautemps en son appel ; Rejette l'exception d'incompétence par application des dispositions de l'article 74 du nouveau Code de procédure civile ; Réforme le jugement entrepris ; Statuant à nouveau ; Condamne la SA Biotonic à payer à Jean Chautemps la somme de 26 000 euro, avec intérêts au taux légal à compter du 23 juillet 2002 ; Dit que les intérêts seront eux-mêmes capitalisés selon demande en date du 23 novembre 2003 dans les conditions de l'article 1154 du Code civil ; Déboute la SA Biotonic de sa demande de dommages-intérêts ; Condamne la SA Biotonic à payer à Jean Chautemps la somme de 1 200 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la SA Biotonic aux dépens avec droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.