Conseil Conc., 15 décembre 2005, n° 05-D-69
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Pratiques anticoncurrentielles relevées dans le secteur des travaux routiers en Seine-Maritime
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport oral de MM. Barbier, Komiha, par Mme Aubert, vice-présidente présidant la séance, Mme Behars-Touchais, MM. Gauron, Piot, membres.
Le Conseil de la concurrence (Section IV),
Vu la lettre enregistrée le13 janvier 1998, sous le numéro F 1007, par laquelle le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques anticoncurrentielles relevées dans le secteur des travaux routiers en Seine-Maritime ; Vu la lettre enregistrée le 13 janvier 1999, sous le numéro F 1118, par laquelle le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a de nouveau saisi le Conseil de la concurrence de la situation de la concurrence dans le secteur des enrobés en Seine-Maritime ; Vu l'article 81du traité instituant la Communauté européenne ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié et le décret 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code du commerce ; Vu les observations présentées par les sociétés Appia, Appia Haute Normandie, Eurovia SA, Eurovia Haute Normandie, Eurovia Participations, Viafrance Normandie, Colas Ile de France Normandie, Gagneraud Construction SA, Le Foll Travaux Publics SA, Immobilière le Foll, la société d'exploitation Buquet et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Les rapporteurs, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Le Foll Travaux Publics, Gagneraud construction SA, Eurovia SA, Eurovia participations, Eurovia Haute-Normandie, Viafrance Normandie, Appia SA, Appia Haute Normandie, Colas Ile-de-France Normandie, Buquet, entendus lors de la séance du 11 octobre 2005, Adopte la décision suivante :
I. Constatations
A. LA PROCEDURE
1. Sur le fondement de l'article 48 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 (devenu l'article L. 450-4 du Code de commerce), des visites domiciliaires et des saisies de pièces se sont déroulées le 16 juin 1994 dans les locaux de plusieurs sociétés, dont les sociétés Lalitte TP et Cochery Bourdin Chaussé, sur ordonnances rendues par le président du Tribunal de grande instance de Rouen le 2 juin 1994 et par le président du Tribunal de grande instance de Dieppe le 8 juin 1994.
2. L'ordonnance du président du Tribunal de grande instance de Rouen du 2 juin 1994 visait notamment "la demande d'enquête relative au secteur des travaux routiers en Seine-Maritime et plus particulièrement de fourniture d'enrobés bitumineux et réalisations de voiries du ministre de l'Economie en date du 14 mars 1994 signée par M. C B, Directeur Général de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, en application de l'arrêté du 20 avril 1993 susvisé adressée à M. B, directeur régional, chef de la brigade interrégionale d'enquête Ile de France, Basse et Haute-Normandie".
3. Le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a saisi le Conseil de la concurrence par lettre datée du 12 janvier 1998, enregistrée le 13 janvier 1998, d'un rapport relatif aux "pratiques anti-concurrentielles relevées dans le secteur des travaux routiers en Seine-Maritime", saisine enregistrée sous le numéro F 1007. Puis, le ministre a de nouveau saisi le Conseil, par lettre du 13 janvier 1999, d'un rapport daté du 26 août 1998 relatif à "la situation de la concurrence dans le secteur des enrobés en Seine-Maritime", saisine enregistrée sous le numéro F 1118. Le ministre indique dans cette lettre du 13 janvier 1999 que "les éléments recueillis au cours de cette enquête complètent et actualisent le dossier relatif à des pratiques anti-concurrentielles dans le secteur des travaux routiers en Seine-Maritime, dont j'ai saisi le Conseil de la concurrence le 12 janvier 1998". Les deux dossiers ont été joints le 24 novembre 2004 par décision du rapporteur général.
4. Le 11 juillet 2001, la Commission permanente du Conseil de la concurrence a pris une délibération n° 01-D-43, sous le visa notamment des deux saisines précitées, par laquelle elle a demandé au juge d'instruction près le Tribunal de grande instance de Rouen la communication des procès-verbaux et rapports d'enquête présentant un lien direct avec les faits dont le Conseil était saisi, en application de l'article L. 463-5 du Code de commerce. La Présidente du Conseil a transmis cette demande au juge d'instruction par lettre du 13 juillet 2001. En réponse à cette demande, le juge d'instruction a transmis, le 7 juillet 2002, une série de procès-verbaux et d'annexes extraits de la procédure pénale référencée 1/99/1.
5. Par lettre du 12 janvier 2005, le rapporteur général a sollicité, à la demande du rapporteur, copie d'autres pièces auprès du juge en charge de l'instruction 1/99/1. Ce courrier faisait expressément référence aux demandes des 11 et 13 juillet 2001, ainsi qu'à l'envoi de pièces par soit-transmis du juge d'instruction du 7 juillet 2002. Le juge d'instruction a adressé au rapporteur général, le 21 janvier 2005, une télécopie ainsi rédigée : "En réponse à votre courrier du 12 janvier 2005, je vous invite à consulter, à mon cabinet, les pièces de mon information 1/99/1 ayant un lien direct avec les faits dont est saisi le Conseil de la concurrence, selon les dispositions des articles L. 463-5 et L. 463-6 du Code de commerce. Cette consultation pourrait avoir lieu le 2 février 2005 et être menée par les rapporteurs que vous avez désignés (...)".
6. Le rapporteur et le juge d'instruction ont signé le 2 février 2005 un procès-verbal de communication de pièces dont la première page est ainsi rédigée :
"Procès verbal de déplacement et de réception de pièces
Vu le Code de commerce et notamment ses articles L. 450-1, L. 463-5 et L. 463-6,
Vu la décision du Conseil de la concurrence du 11 juillet 2001 n° 01-D-43,
Vu le soit-transmis du 7 juillet 2002 du juge d'instruction de Rouen,
Vu la lettre du 12 janvier 2005 du rapporteur général du Conseil de la concurrence,
Vu le fax du 21 janvier 2005 du juge d'instruction de Rouen,
Le mercredi 2 février 2005, à 10 h 00, nous, Gildas Barbier, rapporteur auprès du Conseil de la concurrence, désigné par décisions du 7 septembre 2004 du rapporteur général pour rapporter les affaires F 1007 et F 1118 relatives à la situation de la concurrence dans le secteur des enrobés en Seine-Maritime, nous sommes rendus au cabinet de M. JC V, Vice-Président chargé de l'instruction, sis près le Tribunal de Grande Instance, 1, place Foch à Rouen.
Nous y avons rencontré M. V et avons consulté le dossier d'instruction référencé sous le n° 1/99/1. Ce magistrat nous a remis, à notre demande, copies de documents relatifs aux faits dont est saisi le Conseil de la concurrence. Ces copies ont été certifiées conformes aux originaux par le greffier. La liste de ces pièces figure ci-après".
7. Les griefs ont été notifiés aux parties poursuivies le 28 février 2005. Celles-ci ont disposé d'un délai de deux mois pour faire valoir leurs observations. La société Colas IDFN a bénéficié, à sa demande, d'un délai supplémentaire de dix jours. A l'exception de cette société, aucune requérante n'a formulé de demande de délai supplémentaire. Le rapport a été adressé aux parties le 1er juillet 2005. Les parties ont disposé d'un délai de deux mois pour produire leurs observations. Les sociétés Eurovia SA, Appia SA, Appia Haute Normandie, Colas IDFN et Le Foll TP ont sollicité une prolongation de ce délai qui leur a été accordée jusqu'au 15 septembre 2005.
B. LE SECTEUR ET LES CONSULTATIONS ORGANISÉES PAR L'ÉTAT ET LE DÉPARTEMENT DE SEINE-MARITIME
1. LE SECTEUR
8. Les procédures F 1007 et F 1118 sont relatives à l'activité économique d'épandage d'enrobés bitumineux sur les routes de première et de deuxième catégorie dans le département de la Seine-Maritime entre 1988 et 1998. La procédure F 1007 porte plus particulièrement sur les appels d'offres passés par l'État et le département de Seine-Maritime entre 1988 et 1993, ainsi que sur l'exécution de ces marchés jusqu'en 1997. La procédure F 1118 concerne l'appel d'offres passé par le département de Seine-Maritime en 1997 et l'exécution de ce marché jusqu'en 1998.
9. La construction de routes nécessite le plus souvent la fourniture d'enrobés, façonnés dans des centrales, dont le coût représente environ 80 % du montant des travaux. S'agissant de produits pondéreux, l'incidence du coût de transport des enrobés, qui s'élève à 10 % du montant des travaux, réduit l'étendue du marché pertinent à une zone géographique dont le rayon est d'une quarantaine de kilomètres autour de la centrale d'enrobés dont la capacité de production équivaut généralement à la consommation attendue dans cette zone.
10. Pour faire concurrence à une centrale dans sa propre zone géographique, il est difficile d'utiliser des postes extérieurs au département ou non limitrophes, en raison des coûts de transport. Par ailleurs, la création d'une centrale concurrente dans la même zone est coûteuse et nécessite, s'agissant d'une activité polluante, une autorisation administrative.
11. Les installations susceptibles d'intervenir en Seine-Maritime sur les marchés concernés par les saisines, entre 1988 et 1998, sont concentrées autour de Dieppe, Le Havre et Rouen. Ces centrales, avec leurs actionnaires, sont répertoriées au tableau et sur la carte qui suivent.
<emplacement tableau>
2. LES CONSULTATIONS DE L'ÉTAT ET DU DÉPARTEMENT DE SEINE-MARITIME
a) La consultation de l'État de 1987/88 (E1)
12. La consultation de l'Etat de 1988 avait pour objet la fourniture et la mise en œuvre d'enrobés bitumineux. Elle a porté sur un marché de clientèle de 1988 à fin 1990 (Annexe 1642). Il a été procédé par appel d'offres restreint. La date de sélection des candidatures a été fixée au 11 mars 1988. Vingt et un candidats ont été retenus.
13. La date de remise des plis a été fixée au 29 avril 1988. Les résultats ont porté sur six offres seulement, et c'est le groupement moins-disant, constitué des société Viafrance, Dieppedalle, Entreprise Jean Lefebvre et Devaux, qui a été déclaré attributaire pour un montant de 7 459 930,51F, devant SCREG, SCR, SACER, Routière Morin et un groupement TRN/Le Foll et Cochery.
b) La consultation de l'État de 1991 (E2)
14. La consultation de l'État de 1991 avait également pour objet la fourniture et la mise en œuvre d'enrobés bitumineux. Elle a porté sur un marché de clientèle de 1991 à fin 1993 (Annexe 1672) et a pris la forme d'un appel d'offres restreint. La date de sélection des candidatures a été fixée au 21 décembre 1990. Vingt et un candidats ont été retenus.
15. La date de remise des plis a été fixée au 29 avril 1991. Les résultats ont porté sur onze offres. De nouveau c'est le groupement constitué des société Viafrance, Dieppedalle, Entreprise Jean Lefebvre et Devaux qui a été retenu pour un montant de 13 233 461,53F, devançant Siorat, SCR, SCREG, Routière Morin, Cochery, Bernard, Gagneraud, Lalitte, les groupements TRN/Le Foll et Paillogues/CMR.
c) La consultation de l'Etat de 1994 (E3)
16. La consultation de l'État de 1994, quant à elle, a porté sur un marché de clientèle de 1994 à fin 1996 (Annexe 1751). Il a été procédé par appel d'offres ouvert. La date de remise des plis a été fixée au 7 avril 1994. Le règlement de consultation imposait la présentation d'éléments techniques précis, ainsi que des dispositions envisagées par l'entreprise pour atteindre le niveau de qualité requis. Sept entreprises ont été éliminées pour non respect de ces critères. Seules les offres des sociétés et groupements suivants ont été jugées recevables : Gagneraud ; Beugnet et Le Foll ; Lalitte et Cochery Bourdin et Chaussé ; Screg ; Viafrance, Devaux, Jean Lefebvre Normandie et Dieppedalle.
17. Au terme de cette consultation, le groupement constitué des sociétés Viafrance, Dieppedalle, Entreprise Jean Lefebvre Normandie et Devaux a été retenu pour une offre de 10 940 911,67 francs TTC. Il s'agissait du candidat le mieux et le moins-disant, comme l'indique le rapport de présentation du 5 mai 1994.
d) La consultation du département de 1988 (D1)
18. La consultation du département de 1988, puis celle de 1992, ont porté sur une aire géographique découpée en 3 lots correspondant aux arrondissements Sud pour Rouen, Nord pour Dieppe et Ouest pour Le Havre.
19. La consultation du département de 1988 avait pour objet la fourniture et la mise en œuvre d'enrobés bitumineux. Elle a porté sur un marché de clientèle de 1988 à 1992 (Annexe 1555). Il a été procédé par appel d'offres restreint. La date de sélection des candidatures a été fixée au 14 décembre 1987. Vingt-deux candidats ont été retenus. La date de remise des plis a été fixée au 29 février 1988. Les résultats figurent au tableau suivant.
<emplacement tableau>
20. Le groupement constitué des sociétés Lalitte et Entreprise Jean Lefebvre a été retenu pour le lot Nord, avec comme sous-traitants déclarés les sociétés Devaux, Le Foll et Sacer. Le groupement constitué des sociétés Gagneraud et Dieppedalle a été retenu pour le lot Ouest avec comme sous-traitants déclarés les sociétés Cochery Bourdin Chaussé, Devaux et Le Foll. La société Cochery Bourdin Chaussé était sous-traitante déclarée au moment de l'offre, les sociétés Devaux et Le Foll ont été déclarées sous-traitantes en cours de marché.
Le groupement constitué des sociétés Devaux, Le Foll et TRN a été retenu pour le lot Sud avec comme sous-traitant déclaré la société Sacer.
e) La consultation du département de 1992 (D2)
21. La consultation par le département en 1992 a porté sur un marché de clientèle de 1993 à 1997, avec garantie de résultats (Annexe 1569). Il a été procédé par appel d'offres restreint. La date de sélection des candidatures a été fixée au 20 octobre 1992. Vingt-quatre candidats ont été retenus. La date de remise des plis a été fixée au 20 novembre 1992 et le choix des titulaires au 7 décembre 1992. Les offres ont été comparées sur la base d'un chantier théorique de 1 000 tonnes par les services compétents du département de la Seine-Maritime. Les résultats figurent au tableau suivant.
<emplacement tableau>
22. Le groupement retenu pour le lot Nord a été constitué des sociétés Lalitte et Entreprise Jean Lefebvre Normandie, avec comme sous-traitants déclarés les sociétés Devaux, puis Le Foll par demande du 23 août 1993. Le groupement retenu pour le lot Ouest a été constitué des sociétés Gagneraud et Dieppedalle, avec comme sous-traitants déclarés les sociétés Cochery Bourdin Chaussé, Devaux et Le Foll. La société Cochery Bourdin Chaussé était sous-traitante déclarée au moment de l'offre, les sociétés Devaux et Le Foll ont été déclarées sous traitantes en cours de marché, les 27 mai, 1er et 3 juin 1993. Le groupement retenu pour le lot Sud a été constitué des sociétés Devaux, Le Foll et TRN.
f) La consultation du département de 1997 (D3)
23. La consultation par le département en 1997 avait pour objet la fourniture et la mise en œuvre d'enrobés bitumineux. Pour cette consultation, le département a été découpé en six lots. Pour l'essentiel, le lot 6 correspondait à l'ancien lot Ouest, les lots 1 et 5 à l'ancien lot Sud, et les lots 2, 3 et 4 à l'ancien lot Nord. Un appel d'offres ouvert a été lancé par une publication au BOAMP du 08 août 1997 et au JOCE du 13 août 1997 pour un marché à bon de commande triennal avec garantie de résultat (Annexe 1768). Le 28 octobre 1997, la commission d'appel d'offres a retenu les candidatures des groupements suivants (le mandataire est souligné) :
1. Screg/Viafrance pour tous les lots ;
2. Routiere Morin/EBTP Lhotellier pour 3 lots ;
3. Buquet/Sacer pour 5 lots ;
4. Ent Jean Lefebvre/Lalitte/Cochery pour 4 lots ;
5. Beugnet/Le Foll/Dieppedalle/Devaux/Gagneraud pour tous les lots.
24. Les résultats sont retracés dans le tableau suivant :
<emplacement tableau>
25. Pour les lots 2, 3 et 4, le groupement constitué des sociétés Jean Lefebvre, Lalitte TP et Cochery Bourdin Chaussé a été déclaré attributaire, sachant que pour Jean Lefebvre, c'est la société EJL Normandie qui a effectivement concouru à l'appel d'offres, et non la société EJL SA. La société Buquet a été déclarée comme sous-traitante en juin 1996 (Annexe 1595).
26. Pour les lots 1, 5 et 6, le groupement déclaré attributaire était constitué des sociétés Beugnet (qui a racheté la société TRN), Le Foll, Dieppedalle, Devaux et Gagneraud. S'agissant de la société Beugnet, c'est en réalité la société Beugnet Normandie qui a été effectivement choisie (Annexe 1840).
g) Synthèse des résultats des appels d'offres de l'Etat et du département de Seine-Maritime entre 1988 et 1998
27. Il résulte des constatations précédentes que les trois marchés de l'État passés entre 1988 et 1996 ont tous été confiés aux mêmes entreprises rassemblées au sein du même groupement. Ce groupement n'a pas déclaré de sous-traitants et la société Viafrance a progressivement réalisé la totalité des travaux, ainsi qu'il ressort des déclarations du 3 juin 1996 de M. B M, directeur de l'agence Viafrance au Val de Reuil (76), à la DGCCRF, des pièces qu'il a remises à cette occasion (Annexe 1405-1416), ainsi que de la lettre adressée par la direction départementale de l'équipement de Seine-Maritime à la direction de la concurrence et de la consommation datée du 20 juin 1996 (Annexe 1595).
28. Il résulte également des constatations précédentes que les trois marchés passés par le conseil général de Seine-Maritime entre 1988 et 1998 ont tous été confiés aux mêmes entreprises groupées de façon identique nonobstant le redécoupage des lots intervenu à l'occasion de la consultation de 1997.
29. S'agissant des appels d'offres du département, les sociétés qui avaient a priori un intérêt à concourir aux appels d'offres pour chacun des lots, du fait de la proximité géographique des centrales dont elles étaient actionnaires ou dont elles avaient l'accès, entre 1988 et 1998, figurent au tableau suivant.
<emplacement tableau>
30. Il apparaît ainsi que les groupements effectivement constitués n'étaient pas les seuls possibles pour répondre aux consultations, ce qu'ont d'ailleurs confirmé les réponses aux appels d'offres postérieurs à 1997, décrits aux paragraphes suivants.
h) Les appels d'offres lancés par le conseil général de Seine-Maritime entre 1998 et 2000
31. Les faits relatifs à ces appels d'offres ont été constatés dans deux rapports d'enquête établis sur commission rogatoire par la DGCCRF (cote D 432, Annexes 1064-1065 et D 594, Annexes 1263-1269).
32. Concernant la consultation organisée par le conseil général entre août et octobre 1997, le marché était attribué pour une durée d'une année, reconductible deux fois. Le conseil général a cependant limité son exécution à l'année 1998 et a décidé de ne pas le reconduire pour 1999, à la suite du rapport du 6 juin 1998 relatif à la situation de la concurrence sur le marché des enrobés de Seine-Maritime, adressé par la DGCCRF à la préfecture de région.
33. Une nouvelle consultation a été lancée pour l'année 1999. La publicité est parue en novembre 1998. La commission a remis son rapport le 12 janvier 1999. L'examen des offres des candidats a révélé des baisses de prix de 30 % en moyenne par rapport au niveau des offres retenues constatées sur le précédent marché pour les lots 1, 4 et 5, soit 3 lots sur 6. A cette époque, un nouvel entrant, Toffolutti, qui disposait d'une centrale au Grand Quevilly, située près de Rouen, pouvait couvrir les lots 1, 4 et 5 à partir de cette centrale. La société Buquet s'est portée candidate individuellement pour le lot 5, avec succès. S'agissant des lots 2 et 6, la baisse de prix a été limitée à 9,3 % pour le lot 2, et à 16,7 % pour le lot 6. Seul le groupement Buquet/Devaux a remis une offre pour le lot 2. Enfin, la défection du groupement EJL/Lalitte/CBC a entraîné l'absence totale d'offre pour le lot 3.
34. La commission a alors déclaré la consultation pour les lots 2, 3 et 6 infructueuse et l'a relancée pour ces trois lots sous la forme d'un marché négocié, courant février 1999. Les variations des offres moins disantes de février 1999 par rapport à celles de novembre 1998 ont été de -14,2 % pour le lot 6 et - 17,5 % pour le lot 2.
35. Le marché de 1999 est venu à échéance le 31 décembre 1999. Le conseil général a lancé une nouvelle consultation pour la fourniture et la mise en œuvre d'enrobés bitumineux sous forme d'un marché à bon de commande couvrant la période 2000 à 2002 inclus. La date limite de réception a été fixée au 8 septembre 1999 et la commission s'est réunie le 21 septembre 1999. L'examen des offres des candidats a révélé par rapport aux offres de février 1999 des baisses de prix pour les lots 1, 2 et 3 (- 10,9 %, -14,4 %, - 13,8 %), alors que le niveau des prix proposés pour les autres lots est resté stable. Saisi d'une contestation de la régularité de la procédure par un candidat, le président du conseil général a décidé de ne pas donner suite à cette consultation. Une nouvelle procédure a été lancée. Cette contestation a donné lieu à une décision du Tribunal administratif de Rouen du 28 avril 2000.
36. La consultation de septembre 1999 n'ayant pas eu de suite, un appel d'offres a eu lieu en mars 2000. Les plis ont été ouverts le 9 mars. L'exécution de ce marché à bon de commande a été limitée à deux exercices au lieu de trois.
37. A l'occasion de ces appels d'offres, les sociétés auparavant groupées de façon stable ont régulièrement concouru seules ou en groupements plus restreints, alors pourtant que le découpage des lots est, quant à lui, demeuré inchangé. A titre d'exemples, à l'occasion de l'appel d'offres de février 1999, la société Dieppedalle a obtenu le lot n° 6 et la société Le Foll a obtenu les lots 1 et 4. A l'occasion du marché de mars 2000, la société Devaux a obtenu seule le lot n° 2.
C. LES FAITS CONSTATÉS
38. Les pratiques relevées ont pu être caractérisées à partir de plusieurs sources : les auditions des responsables des entreprises en cause, les pièces saisies et enfin plusieurs études chiffrées relatives aux appels d'offres en cause (étude sur les tonnages effectivement réalisés par chaque entreprise et étude sur l'évolution des prix pratiqués).
1. LES AUDITIONS
39. M. D, ancien responsable de la société TRN, a déclaré dans une déposition du 7 juin 2000 auprès des services de police: "(...) parce que je veux vous dire toute la vérité, il est vrai que j'ai assisté à des réunions avec des responsables d'entreprises concurrentes, au cours desquelles nous discutions des parts de marchés de chacun de nous dans les enrobés de Seine-Maritime. ( ...) Elles avaient pour but de sauvegarder les positions à l'époque de chacun de nous. En effet nous avions chacun des centrales réparties sur le département et il fallait que les entreprises ne se fassent pas de concurrence pour que chacune d'elles conserve le marché sur son secteur. Ainsi, en ce qui concerne mon groupement, à savoir TRN, Le Foll et Devaux, il était prévu que nous soumissionnions au meilleur prix sur le lot de Rouen et que nous faisions des offres de couverture sur les autres lots. A ces réunions assistaient l'ensemble des intervenants ayant déjà des marchés d'enrobés dans le département. (...) De mémoire, ces réunions ont commencé en 1988. (...)" (D 463, Annexes 1142-1143).
40. M. C, ancien responsable de la société Beugnet (qui a racheté TRN) et successeur de M. D a été entendu par les services de police puis par le magistrat instructeur. Son audition du 6 juillet 1999 par les services de police comporte les passages suivants (D 212, Annexe 828-833) : "Je suis disposé à m'expliquer sur l'affaire qui vous intéresse, j'espère que ma franchise sera récompensée. Concernant le marché des enrobés du département, il y a bien eu entente. Quand j'ai pris la direction de TRN à Saint-Etienne du Rouvray en 1990, cette entente fonctionnait déjà. J'ai pris le train en route. Cette pratique était à l'époque bien huilée toutes les entreprises sur lesquelles vous enquêtez maintenant y participaient déjà. A cette époque c'était ma première responsabilité de chef d'agence, c'était la première fois que je me trouvais confronté à un tel problème. J'ai tout de suite compris que c'était un bon moyen pour assurer une partie du chiffre d'affaires de TRN et j'ai accepté de faire partie du "tour de table". Pendant des années, j'ai rencontré les mêmes personnes dans le cadre de ce tour de table, on se rencontrait régulièrement et plus précisément à chaque fois que les programmes sortaient, j'entends par là à chaque fois que la DDI nous communiquait la liste des chantiers pour l'année à venir. Au vu de cette liste, tous les chefs d'entreprise présents discutaient dans le but de se partager les "lots" suivant une clé de répartition qui existait déjà à mon arrivée dans la région. (...) Depuis 1990, j'ai participé à tous ces tours de table dans le cadre de cette entente, ceci au titre de représentant de TRN puis Beugnet. J'obtenais 11 % du marché global des enrobés du département. Cette répartition est immuable. Au vu de la répartition nous nous entendions sur le niveau de nos offres de sorte que chacun obtienne sa part du marché. Il n'y a pour ainsi dire jamais eu de loupé, nous avions à chaque fois le temps suffisant pour nous organiser au vu du programme établi par la DDI. (...) Tout a bien fonctionné pendant une dizaine d'années (...).
Par souci de discrétion je vous précise que comme toutes les autres, cette réunion [le tour de table de décembre 1998] avait eu lieu au restaurant, (...). Aucune note n'a été prise, nous avions pour habitude de n'en prendre aucune évidemment par souci de confidentialité. (...) on change à chaque fois de lieu par souci de discrétion. (...) En clair, mon offre n'était compétitive que sur un seul lot, celui que je devais obtenir et pour les autres lots, j'avais remis des offres de couverture. Il était prévu que j'obtienne le lot de Rouen. (...) Certains des lots ont été attribués en décembre [1998] et puis il y a eu une nouvelle phase de marché négocié pour les autres. C'est là que l'entente a volé en éclats, c'était la panique, chacun voulait sauver les meubles, on se savait hautement surveillés et nous n'avions pas eu matériellement le temps de nous organiser. Nous étions paniqués car c'était la première fois que le Conseil Général n'attribuait pas directement la totalité des lots du premier coup. Les autres années, tout s'était bien passé, sans heurts.
Certains d'entre nous avaient eu des échos comme quoi on était sur écoute et l'ambiance était tendue, on se méfiait les uns des autres. Tout cela a fait que nous avons tous rendu des offres à la baisse pour essayer de récupérer quelque chose. (...) Le niveau de mes dernières offres était au "taquet" en clair je ne pouvais pas faire mieux (...)
Vous me présentez à nouveau le feuillet manuscrit faisant l'objet du scellé n° C/DEUX, document découvert le 7 avril 1999 en perquisition dans mon bureau [Annexe 806]. Il s'agit de la clé de répartition pour l'année 1990, établie à partir de celle de l'année antérieure. Vous pouvez constater qu'à cette époque la part de TRN (Beugnet) était de 11,25 %, elle n'a pas changé depuis. Cette clé de répartition correspond à celle que j'avais trouvée en entrant à l'époque dans le tour de table. Cette note a dû être rédigée par mon prédécesseur (...).
Question : A quoi vous a servi la pratique des groupements que vous avez utilisée ces dernières années ? Réponse : C'était le meilleur moyen pour équilibrer nos parts, ils permettaient en outre d'offrir un meilleur service et une meilleure sécurité au Conseil Général. Avant les groupements on avait recours à la sous-traitance.
Question : Comment étaient répartis les bons de commande ? Réponse : Ils atterrissaient toujours chez le mandataire, il l'envoyait à celui qui devait faire le chantier en fonction des quotes-parts déterminées conjointement (...). Il suffisait ensuite à chacun d'entre nous de suivre la répartition effective des bons de commandes pour s'assurer qu'il n'était pas lésé.
(...) Nous nous réunissions environ 3 fois par campagne dont une en début d'année lorsque nous connaissions le début de programme de la DDI et vers septembre ou octobre quand nous avions connaissance du programme complémentaire. La liste des chantiers à venir pour tous les lots était détenue par l'ensemble des participants et chacun revendiquait les chantiers qui l'intéressaient indépendamment des lots dont les entreprises étaient titulaires. On dressait un état récapitulatif qui reprenait le cumul des tonnages et se référant aux travaux déjà réalisés on regardait si les parts de marché de chacun étaient ou non maintenues. (...) Je vous précise qu'on reportait toujours le cumul des années précédentes sur la répartition en cours, ceci depuis 1990 date à laquelle j'ai succédé à M. D à la tête de TRN (...).
Question : Les pourcentages de répartition figurant au scellé C/Deux intègrent-ils d'autres marchés ? Et si oui lesquels ? Réponse : Cette répartition tient compte des marchés du Conseil Général et des marchés d'entretien de l'Etat sur les routes nationales. A l'usage on s'était aperçu que la part de marché attribuée à Viafrance correspondait grosso-modo au tonnage mis en œuvre sur les routes nationales. Nous avons donc abandonné un système de conversion des tonnages entre les deux maîtres d'ouvrage pour dire que Viafrance réaliserait les enrobés sur les routes nationales. Cette répartition ne tient compte d'aucun autre donneur d'ordre qu'il soit public ou privé". (D 210, Annexes 822-827).
41. M. C a maintenu et confirmé ses propos lors de l'interrogatoire suivant, du 6 juillet 1999, par le juge d'instruction (D 212, Annexe 828-833). Il a, à cette occasion, apporté les précisions suivantes : "Je confirme en tous points les déclarations que j'ai faites aux services de police. Lorsque je suis arrivé en 1990 dans la région il existait déjà une entente entre les entreprises locales pour se répartir les marchés d'enrobés bitumineux passés par le Conseil Général. A l'époque les entreprises qui participaient à cette entente étaient Devaux, dirigée par M. J, Dieppedalle, dirigée par M. H, Lalitte, dirigée peut-être par M. D mais je n'en suis pas sûr, Le Foll, dirigée par M. G, Gagneraud, dirigée par M. N, Jean Lefebvre, dirigée par M. M, TRN, dirigée par M. D. Cette entente avait pour but de se répartir l'ensemble des travaux d'enrobés concernant les routes de la compétence du département et aussi les routes nationales. Cette entente a fonctionné avec efficacité jusqu'en décembre 1998 (...).
Au départ quand je suis arrivé l'entente fonctionnait sous la forme de groupements momentanés d'entreprises ; il y en avait 3 : le groupement du nord dont la zone géographique était Dieppe, le groupement du sud qui comprenait essentiellement l'agglomération rouennaise et le groupement ouest qui était principalement centré sur Le Havre. Par suite il ne restera plus que deux groupements un pour le nord, un pour le sud. Le groupement du Havre a été fusionné avec le groupement qui s'occupait de l'agglomération rouennaise (...). Lorsque le découpage prévu par le conseil général et la répartition par l'entente ne permettaient pas que l'un des participants atteigne sa quote-part, il y avait rétrocession de travaux sous la forme de sous-traitance. (...) Tout le monde s'auto-contrôlait (...).
Question : que s'est-il passé en février 1999 ? Réponse : (...) L'entente a alors volé en éclats (...)".
42. M. A ancien responsable de la société Beugnet, qui a absorbé la société TRN, et successeur de M. C a déclaré aux services de police dans sa déposition du 12 juillet 1999 (D 235, Annexe 849-852) : "(...) J'ai pris la décision de m'expliquer sur cette affaire. Avant 1995, je n'étais en charge que de l'exploitation de l'agence de Rouen. (...) Je n'avais pas la responsabilité d'intervenir sur des remises de prix. C'est M. C qui s'en chargeait à l'époque. Le premier janvier 1995, je l'ai remplacé à la tête de l'agence de Rouen et j'ai donc repris ce rôle. (...) Quelques temps avant de prendre la direction de l'agence, M. C m'avait "affranchi". Il m'avait indiqué que nous participions à une entente avec nos concurrents afin de nous répartir les lots dans le cadre des marchés passés avec le Conseil Général. Il m'avait notamment indiqué que la part qui nous revenait était de 11,25 % et qu'il fallait conserver cette part. A l'époque il y avait trois marchés en cours d'exécution correspondant aux trois arrondissements administratifs du département. J'étais le mandataire du groupement sur Rouen. Je recevais les bons de commande de l'administration et nous nous réunissions pour nous répartir ces chantiers en fonction des dates d'intervention, de la disponibilité et de la proximité des centrales d'enrobage. (...) Nos réunions avaient lieu environ 3 fois par an suivant la nécessité.
Vous me présentez une feuille manuscrite faisant l'objet du scellé n° C/DEUX, [Annexe 806] les pourcentages indiqués reflètent bien la réalité. (...) De 1995 à 1997, j'ai assisté à des réunions. Nous nous réunissions pour gérer l'affectation des chantiers en fonction des parts de marché prévues dans le document que vous venez de me montrer. Cependant compte tenu des aléas de la programmation et de la charge de travail de chacun, l'équilibre était réalisé sur l'année suivante et ainsi de suite. (...) Ces réunions concernaient tous les intervenants au marché soit les représentants des entreprises : Monsieur G pour Le Foll ; Monsieur N puis Monsieur F pour Gagneraud ; Monsieur H pour Dieppedalle ; Monsieur J puis Monsieur B pour Devaux ; Monsieur D pour Lalitte ; Monsieur T pour Cochery ; Monsieur L puis Monsieur L pour Jean Lefebvre. J'étais le représentant pour Beugnet ainsi que Monsieur C (...).
La sous-traitance était un moyen pour équilibrer les parts de marché de chacun indépendamment des lots pour lesquels les entreprises étaient titulaires. (...) En 1997, le découpage est passé de 3 à 6 lots. Nous avons répondu dans un groupement de cinq entreprises pour les lots de Rouen et du Havre. Le fait de répondre tous ensemble nous simplifiait la tâche en nous évitant de déclarer de la sous-traitance, finalement il nous fallait quand même répartir les chantiers.
Pour 1997, nous nous sommes réunis peu de temps avant de remettre nos offres, je ne me souviens plus du lieu de cette rencontre, ce devait être dans un restaurant. Nous nous réunissions déjà pour la gestion du marché en cours et dans ce cadre nous avons collégialement retenu une date pour évoquer la nouvelle consultation. (...) Il y avait dans le tour de table des personnes plus anciennes que les autres à savoir Messieurs C [société Beugnet], G [société Foll], J [société Devaux] et H [société Dieppedalle]. Ces "anciens" animaient davantage ces réunions. (...) Néanmoins, toutes les décisions étaient prises collégialement. Ce fut le cas de la constitution du groupement élargi. (...) On a évoqué lors de cette réunion les niveaux de prix à la fois pour soumissionner et pour faire des offres de couverture. Je me souviens qu'à cette époque B [société Buquet] venait d'installer sa centrale à Martainville et il devait être approché pour lui faire des propositions. (...) Lors de cette réunion de 1997 les parts de marché n'ont pas été revues et nous avons décidé de reporter les soldes de tonnage des chantiers précédents sur l'année 1998".
43. Monsieur A (société Beugnet) a confirmé ses propos lors de ses interrogatoires ultérieurs, par le juge d'instruction, des 12 juillet 1999 (D 238, Annexe 853-859), 23 mars 2000 (D 423, Annexe 1053-1057) et 27 avril 2000 (D 441, Annexes 1121-1124).
44. M. D, ancien responsable de la société Lalitte TP, a déclaré lors de sa déposition auprès des services de police du 15 juillet 1999 (D 262, Annexe 860) "(...) J'ai commencé à participer à cette entente en 1990 (...)" et a maintenu ses propos lors de son interrogatoire du 15 juillet 1999 par le juge d'instruction (D 265, Annexe 867).
45. M. L, ancien responsable de la société Entreprise Jean Lefebvre, a indiqué dans sa déposition auprès des services de police du 30 novembre 1999 "(...) En fait, après avoir bien réfléchi, lorsque je vous ai dit que je n'étais pas au courant de l'existence d'une entente, je n'ai pas dit toute la vérité. En effet, début 1996, je crois, quelques mois après mon arrivée, monsieur D[société Lalitte TP], que je rencontrais dans le cadre de mon groupement, m'a évoqué la possibilité pour moi de rentrer dans un tour de table regroupant certaines entreprises de la région. Il m'a expliqué que c'était "pour l'avenir". Je ne suis pas rentré dans cette discussion. Il n'a pas non plus insisté. (...)" (D 357, Annexe 1015).
46. M. B, ancien PDG de la société Buquet SA, entendu par les agents de la police judiciaire le 20 mai 1999, a expliqué : "En 1996, M. B, de la société Boutte S.A., qui est un ami, m'a proposé de nous associer pour construire une centrale en Seine-Maritime. (...) Nous avons recherché un site propice. Le choix s'est porté sur Martainville (...). Moi et M. B avons donc recherché d'autres entreprises familiales intéressées par le projet. C'est comme cela qu'est née la société SNMR (...). La centrale a ainsi commencé à fonctionner après quelques petites difficultés. En effet, des associations de protection de la nature ont essayé de s'opposer à l'implantation de la centrale. J'estime avoir perdu 7 à 8 mois de fonctionnement" (D 147, Annexe 817-821).
47. M. L, chef d'exploitation de la centrale détenue par la SNME (société Normande de Matériaux Enrobés), a indiqué le 9 juin 2000, lors de son interrogatoire par le juge d'instruction : "La SNME est organisée sous la forme d'une SARL coiffée par une société en participation.(...) Une fois par an se tient une réunion dite de gérants qui regroupe les cinq gérants déjà nommés (...). Mes patrons sont les 5 gérants actionnaires et propriétaires de la SNME, à savoir :M. A, pour Colas Ile de France Normandie, M. T pour Eurovia Normandie, M. de P pour Screg Ile de France Normandie, M. C pour Beugnet, M. V puis M pour Viafrance (...). Nous connaissions l'intention de B [société Buquet] de construire une unité de production d'enrobés à Martainville. Ce genre d'information circule rapidement dans la profession. Ce genre d'information ne fait pas vraiment plaisir parce qu'il s'agit de la mise en place d'un nouveau concurrent sur un marché aux capacités de production déjà excédentaire. Courant 1998 alors que le poste de B [société Buquet] n'était pas construit, j'ai été contacté par M. G, (...) qui s'est présenté à moi comme membre d'une association de défense de l'environnement hostile à l'implantation de la centrale de Martainville (...).
Il m'a demandé si la SNME pouvait lui accorder une subvention pour financer leur démarche de lutte contre la centrale de Martainville. Je ne pouvais prendre une décision de ce type. J'en ai référé à M. A gérant administratif à charge pour lui demander de diffuser l'information aux quatre autres gérants. J'ai bien expliqué à M. A quels étaient les objectifs de l'ADCVE par rapport à la création de Martainville. (...) Nous avions comme objectif il est vrai de ne pas faciliter l'implantation d'un concurrent tout en sachant qu'on n'empêche pas une implantation de ce type, tout au plus on peut la ralentir (...). Je n'ai pas eu de contacts avec [les] avocats, simplement M. G m'a prévenu que j'allais recevoir des factures correspondant aux honoraires des avocats qu'avait engagés l'association pour porter au contentieux leur litige avec l'entreprise Buquet.
(...) Je constate que les 3 factures Hemo Hebert n° 970902, 971244, 971583 ont été payées par la SNME".(D 447, Annexes 1135-1140 ; les factures sont reproduites aux annexes 1874-1876).
48. M. G, gérant de la SNMR (société Normande de Matériaux Routiers), entendu par la DGCCRF le 25 juin 1999 a précisé : "Le dossier de demande a été déposé en préfecture le 6 juillet 1997 avec un objectif d'ouverture en juillet 1997. L'enquête publique déclenchée par le projet de dossier a constaté "l'hostilité" d'associations de lutte pour l'environnement qui se sont créées pour faire obstacle à l'ouverture de la centrale. La première association, l'ACDVE (...) a intenté une action devant le tribunal administratif. Une seconde association a été créée en regroupant une partie des adhérents de l'ACDVE pour les mêmes fins. (...) Enfin, une troisième association (ADERY) nous a poursuivis pour les mêmes faits à savoir : la contestation du permis de construire et de l'autorisation d'exploiter. En fait, chacune des associations a introduit, pour la demande d'annulation du permis de construire et de l'autorisation d'exploiter, à la fois un recours suspensif, une demande de sursis à exécution ainsi qu'une troisième action. Ceci fait que j'ai dû gérer en même temps 18 procédures qui m'ont coûté 160 KF en frais d'avocat. Toutes les parties adverses ont utilisé le même avocat (...)" (D 281, Annexes 874-877).
49. M. B, président de la société Buquet a exposé lors de son audition du 18 octobre 1999 par les services de police : "J'ai souhaité vous rencontrer afin de vous dire certaines choses que je ne vous avais pas indiquées lors de mes précédentes dépositions. En effet, après réflexion, j'estime ne rien devoir vous cacher et surtout ne pas couvrir les personnes qui ont essayé de me faire rentrer dans leur entente. Vers la fin 1997, alors que la centrale d'enrobés de Martainville, dans laquelle ma société était associée, avait pu être mise en fonction, j'ai reçu un appel téléphonique, à mon bureau, de monsieur G, de l'entreprise Le Foll. Celui-ci m'a indiqué qu'"on" voulait me rencontrer pour la consultation des marchés d'enrobés de Seine-Maritime. Il m'a demandé de me rendre à 8 h 30, quelques jours après à Bihorel au bureau de la fédération nationale des Travaux Publics. C'était quelques jours avant la date de remise des plis pour le marché des enrobés des années 1998 à 2000. Lorsque je suis arrivé au pied de l'immeuble où se trouve la FNTP, plusieurs personnes étaient dehors. L'une d'elle, je ne sais plus qui, m'a dit qu'on allait en fait se réunir à l'hôtel de la Bertelière, situé à proximité (...). Nous nous sommes donc réunis dans une petite salle de réunion de l'hôtel. Donc à cette réunion, il y avait M. J, de l'entreprise Devaux, qui me donnait l'impression d'être le chef de file de cette assemblée, M. D, également de chez Devaux, MM. T et L, de Cochery Bourdin Chaussé, M. D de l'entreprise Lalitte, M. M de Viafrance, MM. C et A, de Beugnet, M. L, de l'entreprise Jean Lefebvre, M. G de Le Foll. Il y avait également quelqu'un de SCREG, mais je ne sais plus qui et quelqu'un de Gagneraud que je ne connaissais pas. Il n'y avait personne de chez Dieppedalle, c'était M. J qui représentait les intérêts de cette société. Dans un premier temps, les responsables des "nationaux" m'ont demandé pourquoi j'avais ouvert une centrale à Martainville (...).
Puis, même s'il apparaissait que c'était M. J [société Devaux] qui animait, ce sont surtout MM. G [société Le Foll] et L [société EJL] qui se sont adressés à moi. Je pense que le premier était chargé par l'assemblée de me convaincre parce que, comme moi il était responsable d'une entreprise "indépendante" et le second parce qu'il était concerné par les mêmes lots que moi. Ils m'ont demandé mes prétentions. Je leur ai répondu que je voulais 50 000 tonnes sur trois ans. Je me rappelle que M. L m'a dans un premier temps proposé 5 000 tonnes par an, sous forme de sous-traitance alors que moi je voulais partir en groupement. Ils n'ont pas voulu, sans me donner la raison exacte. M. L m'a indiqué qu'il demanderait à la DDI si je pouvais partir comme sous-traitant avec son entreprise.
Je vous précise que j'ai eu la réponse de l'acceptation quelques jours après (...). Pour en revenir à la réunion, (...) je me rappelle que M. M [société Viafrance] est intervenu en critiquant le fait que les personnes présentes acceptaient de prendre un indépendant avec eux, alors que lui-même n'avait pas de lot. Quelqu'un lui a répondu, mais je ne sais plus qui, qu'il avait sa part avec les routes nationales. (...) Ce jour là, n'a pas été abordée la question des prix. Finalement, après discussion essentiellement avec MM. L et G et devant les autres personnes, il a été convenu de m'attribuer, par sous-traitance, 25 000 tonnes sur 3 ans. C'étaient surtout MM. L et G qui négociaient avec moi, mais les autres intervenaient ponctuellement. (...) Ainsi, M. J. me disait que j'arrivais et qu'il ne fallait pas que je sois trop gourmand.
Il existait une gestion de répartition en fonction des tonnages. C'était flagrant de ce qui ressortait des discussions entre les intervenants. Le fait que l'on ait répondu à M. M [société Viafrance] qu'il avait les routes nationales confirme que c'est l'ensemble de tous les marchés qui étaient pris en compte. (...) A l'issue de cette réunion, j'ai finalement accepté de partir en sous-traitance avec le groupe EJL-Lalitte. Si je l'ai fait c'est surtout parce que cela me permettait de me faire connaître par la DDI et d'obtenir les références nécessaires. Pour moi il s'agissait d'une "alliance" temporaire.
C'est pour cela que j'ai été très content que le marché ait été dénoncé l'année suivante. Ce qui m'a permis de partir seul sur deux lots. (...) Par la suite M. D [société Lalitte TP] est venu me voir avec M. L [société EJL] pour discuter des modalités de la sous-traitance et notamment des prix. Après la dénonciation du marché, et avant la remise des plis pour le marché 1999, j'ai eu la visite à mon entreprise de MM. J [société Devaux], B [société Devaux] et D [société Lalitte TP] (...). M. J m'a demandé à nouveau mes prétentions sur le marché à venir. J'ai répondu que j'avais suffisamment de matériel et de références pour partir seul. L'entretien a tourné court et était assez tendu. M. J m'a dit que de toute façon les grosses entreprises avaient les moyens de récupérer tous les lots" (D 343, Annexes 993-995).
50. M. A (société Beugnet) a confirmé la tenue de la réunion de l'hôtel de la Bertelière ainsi que sa présence à cette réunion, lors de son interrogatoire par le juge d'instruction du 27 avril 2000. Il a indiqué concernant l'arrivée de M. B (société Buquet) : "Au départ, je pense que la plupart des participants étaient hostiles car cela faisait un nouvel intervenant sur le marché, ce qui se traduit par une diminution des quotes-parts de chacun. Au fil de la discussion, il est apparu qu'il fallait réserver une place à B parce qu'il s'était doté des moyens techniques de production (centrale de Martainville) et c'est je crois la raison qui nous a poussé à l'accepter" (D 441, Annexe 1122).
2. LES PIÈCES SAISIES
51. Ainsi qu'il résulte du procès-verbal du 8 novembre 1999, les services de police ont, le 7 avril 1999, découvert dans la bibliothèque du bureau de M. C (société Beugnet) un feuillet manuscrit qui a fait l'objet du scellé n° C/DEUX (ci-après "C2"). Cette pièce est reproduite à l'Annexe à la cote 806. Un enquêteur de la DGCCRF a également reproduit le scellé "C2" au sein de l'un de ses rapports établis sur commission rogatoire, lequel figure également à l'Annexe (D 594, Annexes 1259-1315, cote 1281 pour la reproduction du scellé "C2"). M. C a indiqué, comme il résulte de ses déclarations retracées au paragraphe 37, qu'il s'agissait d'une clé de répartition pour l'année 1990. Ce document est reproduit ci-après.
<emplacement tableau>
52. Ce document porte les mentions "88/89 90" ainsi que le cumul des tonnages mis en œuvre par le conseil général en 1988 et 1989 (487.000 tonnes) et le tonnage prévu pour 1990 (300 000 tonnes). La société Viafrance se voit affecter, par un calcul en plusieurs étapes, une part prenant en compte l'ensemble des tonnages mis ou à mettre en œuvre sur les routes départementales et nationales de 1988 à 1990. Les opérations du calcul sont les suivantes :
"Tonnage Dép. de 1988 à 1990 + Tonnage État de 1988 à 1990 = R1- (3 × 120) × 1000 = R2× 10 % = R3 - 23 200 = Part de Viafrance.
53. Ce document retranscrit ensuite les noms des entreprises qui interviennent sur le marché départemental des enrobés. En face de chaque nom se trouve un pourcentage soit 28,25 % pour EJL (Entreprise Jean Lefebvre), 19 % pour DX (Devaux), 18 % pour Le Foll, 11,25 % pour TRN (puis Beugnet), 10,20 % pour CBC (Cochery Bourdin Chaussé) et 6,65 % chacune pour GAG (Gagneraud) et DIEPP (Dieppedalle). En bas de ce document, sont mentionnés les trois lots qui correspondent aux consultations du conseil général de Seine-Maritime ainsi que la mention "RN". Les entreprises qui composent les groupements titulaires des différents lots sont reprises à la suite, y compris pour les marchés des routes nationales (Annexe 1281, encadré "4").
54. La société Lalitte TP n'apparaît pas en tant que telle comme titulaire d'un pourcentage sur les tonnages, alors qu'elle est prise en compte pour la constitution des groupements. Réciproquement la société Cochery Bourdin Chaussé n'apparaît pas en tant que membre d'un groupement attributaire d'un lot (mais peut intervenir sur certains lots en qualité de sous-traitante), alors qu'elle figure sur le scellé "C2" parmi les bénéficiaires de la répartition. Or, la société Lalitte TP était une filiale de la société Cochery Bourdin Chaussé. Le document "C2" révèle ainsi que ces deux sociétés ont été considérées comme bénéficiaires communes de la répartition et par suite titulaires d'une part unique.
55. Le document reproduit à la cote 1381, intitulé ci-après document "109", a été saisi le 16 juin 1994 dans les locaux de l'entreprise Lalitte TP à Dieppe (76), sur ordonnances des présidents du Tribunal de grande instance de Rouen, le 2 juin 1994, et de Dieppe, le 8 juin 1994. Il s'agit d'un tableau réalisé à l'aide d'un tableur. Ce document retrace l'ensemble des tonnages mis en œuvre pour les années 1988, 1989, 1990 et 1991 et prévoit l'activité de l'année 1992.
56. Les tonnages à réaliser en 1992 sont calculés comme suit : le tonnage total concernant les années 1988 à 1992 inclus est de 1.507.923 tonnes. La part de Viafrance étant fixée à 90.792 tonnes, les autres entreprises se partagent 1.417.131 tonnes (1.507.923- 90.792). Le tableau mentionne pour les autres entreprises les informations suivantes :
1. la clef de répartition mentionnée au paragraphe 49;
2. le tonnage mis en œuvre de 1988 à 1991 inclus ;
3. le tonnage prévisionnel "à faire en 1992" ;
4. la somme de ces tonnages ;
5. le nom de la ville, Rouen, Dieppe ou Le Havre, qui correspond au lot dont elles sont titulaires en tant que partie à un groupement.
57. Le "document 109" est reproduit ci-après.
<emplacement tableau>
58. Le "document 109" reproduit en les adaptant à l'année 1992, les mentions portées au scellé C/DEUX, lequel constitue ainsi que l'expose M. C, au paragraphe 40, la clé de répartition des marchés de l'État et du département pour l'année 1990. Le document saisi dans les locaux de la société Lalitte TP apparaît ainsi être la clé de répartition des marchés de l'État et du département pour l'année 1992.
59. On retrouve pour la société Viafrance le même mode de calcul que celui décrit au paragraphe 52 : le nombre "3" (3 × 120) qui devient "5" (5 × 120) signifie qu'est désigné le nombre d'années écoulées entre 1988 et l'année au cours de laquelle le document a été rédigé. La méthode de calcul appliquée indique que chaque entreprise dispose d'une part déterminée non par année, mais sur la période globale qui commence en 1988 et s'étend au moins jusqu'à l'année courante.
60. Il est mentionné "CBC" face à "Dieppe" sur le "document 109", alors que c'est la société "Lalitte" qui d'une part est mentionnée au scellé "C2" en face de "D" (Dieppe) et qui d'autre part a été effectivement co-titulaire en groupement du lot Nord (marchés D1 et D2, §19 et 21). La société Cochery n'a été co-titulaire du lot Nord en groupement notamment avec la société Lalitte TP que dans le cadre du marché D3 (lots 2, 3 et 4, § 23 et 24). Cette différence confirme la lecture du document "C2" (§ 54) tendant à considérer les sociétés Lalitte TP et Cochery Bourdin Chaussé comme co-titulaires ensemble d'une part unique au sein de la répartition.
61. D'autres documents "1" (Annexe 1360) ,"3" (Annexe 1361) et "6" (Annexe 1362), ont été saisis dans les locaux de la société Cochery Bourdin Chaussé le 16 juin 1994, à Petit Couronne (76). Le document "1" est un tableau retraçant les positions de plusieurs entreprises. La première ligne du tableau concerne le marché des enrobés du conseil général. Il est indiqué pour les années 1988 à 1993 les parts des entreprises intervenantes. Le document "3" intitulé "Seine-Maritime 1990" se présente comme un tableau reprenant pour les années 1988 à 1992 les parts des mêmes entreprises sur le marché d'enrobés du conseil général et sur le marché des routes nationales. Certains passages, comme les années par exemple, sont raturés, "92" devenant "93" ou "94". Le document "6" se présente comme un tableau reprenant sur sa première ligne le marché d'enrobés du conseil général pour les années 1993 à 1996, avec les entreprises titulaires et les parts de marché correspondantes.
62. Les parts en pourcentage et les noms des entreprises sont identiques sur ces trois tableaux soit : 26,3 % pour EJL (Entreprise Jean Lefebvre), 17,7 % pour Devaux, 16,8 % pour Le Foll, 10,5 % pour TRN, 9,5 % pour CBC (Cochery Bourdin Chaussé), 6,2 % chacune pour Gagneraud et Dieppedalle, 4,5% pour Viafrance et 2,3% pour Sacer.
63. Entendu sur ces documents le 21 septembre 1994 par les enquêteurs de la DGCCRF, M. L..., directeur des agences CBC de Seine-Maritime, a déclaré que le document "1" avait été rédigé en 1991 (Annexes 1387-1392). Concernant le document "3", il a indiqué : "C'est la suite du document précédent coté 2 concernant les enrobés, et rectifié pendant le premier trimestre 1992, la répartition entre les titulaires n'a pas changé". S'agissant du document "6", il a précisé : "Ce document a été rédigé en 1993 (...)".
64. Les documents précédents "C2" de Beugnet et "109" de Lalitte TP, s'ils impliquent la société Viafrance dans la répartition des tonnages concernant les routes départementales, en exposant une méthode de calcul assez complexe, ne font pas état de pourcentages fixes attribués à cette société. Par contre, le tonnage total pris pour référence est mentionné. Les documents émanant de la société Cochery Bourdin Chaussé révèlent, quant à eux, un autre mode de calcul de la part de cette société dans l'entente. Le tonnage total pris pour référence n'est pas précisé, mais la société Viafrance dispose d'un pourcentage fixe de 4,5 %. Ces documents comportent également une ligne affectée à la Sacer. Sa part est de 2,3 %.
65. La différence de méthode de calcul de la part de la société Viafrance s'éclaire au regard des explications apportées par M. C et reprises au paragraphe 40 de la présente décision. Celui-ci a indiqué, commentant le scellé C2, que "Cette répartition tient compte des marchés du conseil général et des marchés d'entretien de l'État sur les routes nationales. A l'usage on s'était aperçu que la part de marché attribuée à Viafrance correspondait grosso modo au tonnage mis en œuvre sur les routes nationales. Nous avons donc abandonné un système de conversion des tonnages entre les deux maîtres d'ouvrage pour dire que Viafrance réaliserait les enrobés sur les routes nationales" (D 210, Annexes 822-827). Cette différence révèle donc une évolution des pratiques de calcul s'agissant de la société Viafrance.
66. Lorsque l'on isole au sein des documents émanant de la société Cochery Bourdin Chaussé les parts réservées aux sociétés Viafrance et Sacer, les séries de pourcentages deviennent identiques à celles citées au paragraphe 53. Ainsi, par exemple, si dans la "série CBC" la part d'EJL est de 26,3 %, en recalculant cette part après avoir enlevé celle de Viafrance et de Sacer, elle ressort à 28,22 %, soit à un niveau équivalant à celui figurant dans les séries "C2" et "109". De même, s'agissant de Devaux, sa part dans la série "CBC" est de 17,7 %, mais ressort à 18,99 % hors Viafrance et Sacer, soit l'équivalent de sa part dans les séries "C2" et "109" (19 %). Les documents saisis et décrits plus haut font donc bien référence à une clé de répartition unique.
67. Il existe une continuité entre les documents précités "1", "3", et "6". Ils portent sur la période 1988/93 et 93/97, ont été rédigés entre 91 et 93 selon M. L... (Annexes 1387 1392). Or, pendant cette période un nouvel appel d'offres a été lancé. Les parts de tonnage prises en compte sont pourtant identiques entre le marché de 1988 (D1) et le marché de 1992 (D2).
68. Il importe de relever que bien que la société Lalitte TP ait été une filiale de la société Cochery Bourdin Chaussé et bien que ces deux sociétés apparaissent sous un compte commun au regard des autres bénéficiaires de la répartition ainsi qu'il a été exposé aux paragraphes 54 et 60, ces deux sociétés expriment la même clé de répartition sous des formes différentes dans leurs archives internes. Cela révèle une certaine autonomie de la société Lalitte TP par rapport à la société Cochery Bourdin Chaussé et contredit l'affirmation de M. D, gérant de la société Lalitte TP, du 10 février 1998, selon laquelle "dans son fonctionnement, la société Lalitte est considérée comme une agence de CBC" (Annexe 1884).
3. LA RÉPARTITION CUMULÉE DES TONNAGES ENTRE 1992 ET 1998 EN CE QUI CONCERNE LES MARCHÉS DU DÉPARTEMENT
69. Sur la base des tonnages mis en œuvre de 1992 à 1998 par les entreprises titulaires des marchés des routes départementales, arrondis par défaut, et en procédant aux calculs selon les mêmes méthodes que les entreprises en cause (c'est-à-dire en regroupant les sociétés Cochery Bourdin Chaussé et Lalitte TP, et en ne prenant pas en compte les sociétés Sacer et Viafrance), les parts de tonnages en pourcentage réalisées par chaque entreprise, cumulées année après année, selon la méthode décrite au scellé "C2" ressortent ainsi :
<emplacement tableau>
70. Plusieurs documents émanant de la société Lalitte TP font état de décomptes rectificatifs de tonnages au bénéfice des sociétés Dieppedalle et Gagneraud : pour 1990, 40.000 tonnes (Cote 107, scellé Lalitte TP) ; pour 1991, 20 000 tonnes, dites "cadeau Montiviliers" (Cotes 66, 79, 85, 89, 86, 102, 109) ; pour 1992, 15 000 tonnes (Cotes 52, 56, 119, 129).
71. Il ressort de ces pièces que ces rectifications ont donné lieu à des répartitions de tonnages entre les sociétés concernées, dont la société Viafrance. Les "neutralisations" reportées dans le tableau suivant sont celles qui figurent littéralement dans les documents émanant de la société Lalitte TP.
<emplacement tableau>
72. Après la prise en compte de ces rectifications, les parts de chaque société recalculées, qui tiennent alors compte de l'activité des années 1988 à 1991, sont très proches de celles décrites par le scellé "C2".
<emplacement tableau>
73. Les données mentionnant les quantités d'enrobés fournies, émanant de la société Lalitte TP et de la DDI, confirment la concordance entre la clé de répartition du scellé "C2" et les parts de tonnages effectivement réalisées par les entreprises.
4. L'ÉVOLUTION DES PRIX PRATIQUÉS ENTRE 1992 ET 2001 EN CE QUI CONCERNE LES MARCHÉS DU DÉPARTEMENT
74. Sur la base des études de prix menées par les enquêteurs de la DGCCRF sur commission rogatoire du juge d'instruction (cote D 432, Annexes 1060-1120 et D 594, Annexes 1259-1315), il est possible de suivre l'évolution des prix pour les marchés du département. Il a été ainsi constaté une baisse significative des prix moyens payés par le conseil général de Seine-Maritime entre 1997 et 2000, d'environ 30 %. Ainsi, alors que le coût moyen par tonne est passé de 448,84 F TTC à 637,38 F entre 1992 et 1997, il était retombé à 448,80 F en 2000 (voire 447,50 F TTC selon l'Annexe 1305).
75. Ce constat est à comparer à l'évolution de l'indice TP 09, qui est l'indicateur officiel des coûts de fourniture et de mise en œuvre des enrobés bitumineux. Il est utilisé pour la révision ou l'actualisation tarifaire des marchés, et notamment des marchés pluriannuels. L'index retenu est celui du mois de septembre de l'année concernée (Annexes 1182, 1306). Entre 1992 (base 100) et 1998, l'indice monte progressivement. Il atteint 105,9 en 1994, 114,18 en 1997 et retombe à 112,29 en 1998. Puis, il est constaté à partir de 1998 et jusqu'en 2000, une inversion très nette de la courbe de l'indice TP 09 et de celle des prix : une baisse globalement très forte des prix est intervenue sur la période 1997-2000, alors que l'indice TP 09 connaissait au contraire une forte hausse : 124,17 en 1999, 142,44 en 2000. Les prix se sont ensuite stabilisés en 2000-2001, comme l'indice TP 09, à 141,84.
76. Cette baisse des prix moyens à compter de 1999 est à rapprocher des constatations effectuées. En premier lieu, M. B (société Buquet), qui est intervenu sur le marché des enrobés de Seine-Maritime à la suite de la réunion du 3 octobre 1997 au restaurant La Bertelière, par le biais d'une première sous-traitance puis qui a, dès l'appel d'offres suivant en février 1999, présenté sa candidature en solitaire pour le lot n° 5, a indiqué : "En étant sous-traitant pendant un an de Jean Lefebvre sur le lot n° 4, nous étions payés directement par le département, je me suis bien rendu compte que les prix de ce marché dégageaient des marges confortables. Pour moi, ils étaient, jusqu'en 1998, de 20 à 30 % trop chers" (D 272, Annexe 873).
77. En deuxième lieu, M. C (société Beugnet) a déclaré, ainsi qu'il est rappelé au paragraphe 40 : "Certains des lots ont été attribués en décembre [1998] et puis il y a eu une nouvelle phase de marché négocié pour les autres. C'est là que l'entente a volé en éclats, on se savait hautement surveillés et nous n'avions pas eu le temps de nous organiser. Nous étions paniqués car c'était la première fois que le conseil général n'attribuait pas directement la totalité des lots du premier coup. On avait senti qu'il se passait quelque chose d'anormal. (...) Certains d'entre nous avaient eu des échos comme quoi on était sur écoute et l'ambiance était tendue, on se méfiait les uns des autres. Tout cela a fait que nous avons rendu des offres à la baisse pour essayer de récupérer quelque chose (...) le niveau de mes dernières offres était en "taquet" en clair je ne pouvais faire mieux (...)" (D 210, Annexes 822-827).
78. Enfin, il convient de rappeler que des décisions de placement en détention provisoire ou sous contrôle judiciaire de salariés de certaines des sociétés impliquées, sont intervenues courant juillet 1999, au terme d'une première série d'investigations menées par le SRPJ de Rouen.
79. Ces éléments permettent de conclure que les pratiques décrites ont pris fin au cours de l'année 1999 et que la consultation de 2000 marques un retour à un fonctionnement normal du marché, comme en témoigne l'évolution des prix constatée.
D. LES GRIEFS
80. Au vu de ces éléments, il a été notifié aux sociétés Le Foll Travaux Publics, Immobilière Le Foll, Gagneraud Construction, Eurovia, Eurovia Haute Normandie, Viafrance Normandie, Eurovia Participations, Colas IDFN, Appia SA, et Appia Haute Normandie, "s'agissant du marché de l'épandage des enrobés bitumineux sur les routes de première et de deuxième catégorie dans le département de la Seine-Maritime, de s'être concertées de façon continue depuis courant 1988 jusqu'à courant 1998, afin de : -limiter l'accès au marché, -se le répartir et, -fixer un niveau artificiellement élevé des prix, (...) cette concertation ayant eu pour objet et pour effet de limiter l'intensité de la concurrence entre les entreprises, de faire obstacle à la libre fixation des prix et de tromper le conseil général de la Seine-Maritime et l'Etat, acheteurs publics, quant à la réalité et à l'étendue de la concurrence s'exerçant entre les entreprises soumissionnaires, faits prévus et réprimés par les articles 7 et 13 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, devenus L. 420-1 et L. 464-2 du Code de commerce dans leur rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001" (grief n° 1).
81. Il a également été notifié aux sociétés Le Foll Travaux Publics, Immobilière Le Foll, Gagneraud Construction, Eurovia, Eurovia Haute Normandie, Viafrance Normandie, Eurovia Participations, Colas IDFN, Appia SA, Appia Haute Normandie et la société d'exploitation Buquet, "s'agissant du marché pertinent que détermine l'appel d'offres du département de Seine-Maritime d'octobre 1997, de s'être concertées afin de limiter l'accès au marché, se le répartir et, fixer un niveau artificiellement élevé des prix, (...), cette concertation ayant eu pour objet et pour effet de limiter l'intensité de la concurrence entre les entreprises, de faire obstacle à la libre fixation des prix et de tromper le conseil général de la Seine-Maritime, acheteur public, quant à la réalité et à l'étendue de la concurrence s'exerçant entre les entreprises soumissionnaires, faits prévus et réprimés par les articles 7 et 13 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, devenus L. 420-1 et L. 464-2 du Code de commerce dans leur rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001" (grief n° 2).
82. Les rapporteurs ont établi un tableau synoptique répertoriant précisément les sociétés qui se sont vu notifier ces griefs, ainsi que l'évolution juridique de ces sociétés depuis la commission des faits (Annexes 76-79). Il s'agit pour le premier grief des sociétés mentionnées sous les numéros 1 à 10 de la colonne "société notifiée" du tableau suivant et, pour le second grief, des sociétés mentionnées sous les numéros 1 à 12.
<emplacement tableau>
II. Discussion
A. SUR LA PROCÉDURE
1. SUR LA PRESCRIPTION
a) Sur les faits antérieurs au 14 mars 1991
83. L'article L. 462-7 du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance nº 2004-1173 du 4 novembre 2004, dispose : "Le Conseil ne peut être saisi de faits remontant à plus de trois ans, s'il n'a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction".
84. Le premier acte tendant à la recherche, la constatation ou la sanction des faits dont le Conseil a été saisi est constitué par "la demande d'enquête relative au secteur des travaux routiers en Seine-Maritime et plus particulièrement de fourniture d'enrobés bitumineux et réalisations de voiries du ministre de l'Economie en date du 14 mars 1994 signée par M. C B..., Directeur Général de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (...)", visée dans l'ordonnance du président du Tribunal de grande instance de Rouen du 2 juin 1994.
85. Le point de départ des pratiques exposées au grief n° 1 de la notification, fixé à "courant 1988", doit donc être reporté au 14 mars 1991.
b) Sur le point de départ de la prescription des pratiques relevées
86. Les pratiques visées dans le grief n° 1 ayant revêtu un caractère continu, ainsi qu'il sera démontré ci-dessous (paragraphes 172 à 177), la prescription n'a recommencé à courir qu'à compter de la cessation de ces pratiques, à savoir la fin de l'année 1998. Il ressort en effet de l'enquête que le dernier marché faisant partie de l'accord général de répartition des tonnages a été passé le 28 octobre 1997 (§ 23 à 25), a été exécuté en 1998 (§ 32) et que la rupture de l'entente s'est manifestée en 1999, lors de la conclusion de nouveaux appels d'offres (§ 33), ainsi qu'il ressort des déclarations figurant au paragraphe 41. Le point de départ de la prescription des pratiques dont le Conseil a été saisi doit donc être fixé au plus tôt au 1er janvier 1999.
87. Le Conseil étant saisi in rem et les pratiques visées au grief n° 1 étant des pratiques continues, le Conseil est valablement saisi de la continuation des pratiques continues d'entente durant la période postérieure au 13 janvier 1998, date de sa saisine (F 1007). La Cour d'appel de Paris a en effet déjà jugé, dans un arrêt du 22 février 2005 (société JC Decaux) que "(...) le Conseil, qui est saisi in rem de l'ensemble des faits et pratiques affectant le fonctionnement d'un marché et n'est pas lié par les demandes et qualifications de la partie saisissante, peut, sans avoir à se saisir d'office, retenir les pratiques révélées par les investigations auxquelles il a procédé à la suite de sa saisine, qui, quoique non visées expressément dans celle-ci, ont le même objet ou le même effet ; (...) il peut également retenir, parmi ces pratiques, celles qui se sont poursuivies après sa saisine".
c) Sur l'interruption de la prescription
88. Les requérantes soutiennent que les pratiques qui ont fait l'objet de la notification de griefs sont prescrites. Elles considèrent que la délibération du 11 juillet 2001 par laquelle la Commission permanente du Conseil a demandé communication de pièces au juge pénal, affectée de nullité, n'a pu interrompre la prescription (premier point) et que les autres actes réalisés après la saisine du Conseil et cités dans la notification de griefs comme interruptifs de prescription, ne pourraient être considérés comme tels. Les sociétés Eurovia, Colas IDFN et Appia considèrent ainsi que la deuxième saisine du Conseil de la concurrence du 13 janvier 1999 enregistrée sous le numéro F 1118, émanant du ministre de l'Economie, ne constitue pas un acte "effectué dans le cadre de la procédure par le rapporteur en charge de l'affaire ou par les enquêteurs mandatés par ce dernier", en évoquant l'étude thématique du rapport annuel du Conseil pour l'année 2002 portant sur la prescription (page 93) (deuxième point), et porte par ailleurs sur un marché public distinct de celui visé dans la première saisine du Conseil (troisième point) ; elle n'aurait donc pas interrompu la prescription. De même, la transmission, le 7 juillet 2002, par le juge d'instruction de certaines pièces de son dossier et l'acte de "perception de pièces" du 12 juillet 2002 effectué par le rapporteur, n'auraient pas interrompu la prescription, car il ne s'agirait pas d'actes tendant à la recherche, la constatation ou la sanction des faits visés par les saisines F 1007 et F 1118 (quatrième point). La société Appia affirme en outre que les actes d'instruction réalisés dans le cadre de la procédure pénale ne peuvent interrompre la prescription de la procédure de concurrence, compte tenu du caractère distinct des deux procédures et de la circonstance que les actes menés par le juge d'instruction n'ont pas été "effectués dans le cadre de la procédure (concurrentielle) par le rapporteur en charge de l'affaire ou par les enquêteurs mandatés par ce dernier" (cinquième point).
89. Mais sur le premier point, comme il sera démontré aux paragraphes 120 à 129, la délibération 01-D-43 du 11 juillet 2001 est conforme à l'article L. 463-5 du Code de commerce et n'a entraîné la violation d'aucune des exigences inhérentes au droit à un procès équitable. Cette délibération, ainsi que la lettre de transmission de la Présidente du Conseil du 13 juillet 2001, sont des actes tendant à la recherche, la constatation ou la sanction des faits dont est saisi le Conseil. Ces actes, réguliers, ont interrompu la prescription.
90. Sur le deuxième point, les parties citent l'étude thématique du rapport annuel du Conseil de l'année 2002 qui comporte un passage ainsi rédigé : "Après la saisine du Conseil , un nouveau délai de prescription de trois ans prend son cours et pourra, à son tour, être interrompu par des actes d'enquête, d'instruction et de poursuite effectués dans le cadre de la procédure par le rapporteur en charge de l'affaire ou par les enquêteurs mandatés par ce dernier".
91. Mais l'article L. 462-7 du Code de commerce définit les actes interruptifs de prescription en fonction de leur objet ou de leur finalité, sans préciser quels en sont les auteurs.
92. Contrairement à l'interprétation des requérantes, l'étude thématique évoquée n'indique pas que seuls le rapporteur ou les enquêteurs qu'il mandate pourraient procéder à des actes interruptifs de prescription après la saisine du Conseil. Il ressort d'ailleurs de la jurisprudence de la Cour d'appel de Paris que d'autres autorités peuvent interrompre la prescription d'une procédure devant le Conseil. Il en est notamment ainsi du Président du Conseil, lorsqu'il rend une décision sur le secret des affaires (Cour d'appel de Paris, 13 décembre 2001, GammVert) ou demande l'avis du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel (Cour d'appel de Paris, 15 novembre 2005, TPS Canal Plus), ou encore du ministre de l'Economie, lorsqu'il adresse au Conseil ses observations sur le rapport du rapporteur (Cour d'appel de Paris, 14 janvier 2003, Pont de Normandie).
93. Sur le troisième point, la deuxième saisine du Conseil du 13 janvier 1999 n° F 1118 porte sur les mêmes pratiques que la première saisine du 13 janvier 1998 n° F 1007, tout en présentant des éléments de preuve complémentaires, ainsi qu'il ressort des constatations opérées au paragraphe 3 de la décision. Elle constitue donc un acte tendant à la recherche, la constatation ou la sanction des pratiques.
94. Il est, à cet égard, sans incidence, s'agissant de la portée interruptive de prescription de la saisine F 1118, que la jonction des procédures n° F 1007 et F 1118 ait eu lieu postérieurement. Le caractère interruptif d'un acte ne saurait en effet dépendre des mesures d'administration de la procédure, ainsi qu'il a déjà été jugé en matière de procédure pénale par la Cour de cassation (Cass. Crim., 1er décembre 2004, Ville de Paris, n° 03-87.883) : "(...) en cas d'infraction connexe faisant l'objet de procédures distinctes, un acte interruptif de la prescription concernant l'une d'elle a nécessairement le même effet à l'égard de l'autre, indépendamment de la jonction de ces procédures".
95. Sur le quatrième point, la transmission des pièces du 7 juillet 2002 est un acte pris par un juge d'instruction en application de l'article L. 463-5 du Code de commerce et à la demande du Conseil. Inutile à la procédure pénale, cet acte ne peut être rattaché qu'à la procédure de concurrence. Impliquant l'exercice, par le juge, d'un choix quant aux pièces transmises au Conseil, cet acte tend à la recherche, à la constatation et à la sanction des faits dont est saisi le Conseil. De même, s'agissant de l'effet interruptif du procès verbal de réception de pièces du 12 juillet 2002, le rapporteur a rédigé un document intitulé "Réception des pièces du Tribunal de Grande Instance de Rouen" daté du 12 juillet 2002, contenant la mention suivante : "Je soussigné Monsieur Philippe Komiha, Rapporteur au Conseil de la concurrence, certifie avoir pris ce jour, les pièces originales du Tribunal de Grande Instance de Rouen (2 cartons)". Par ce procès-verbal de réception de pièces, le rapporteur s'est approprié les pièces transmises par le juge d'instruction ainsi que leur contenu, dont il a pu faire état dans la procédure qu'il instruisait et retenir à l'appui des griefs. Il s'agit donc d'un acte tendant à la recherche, à la constatation et à la sanction des faits dont est saisi le Conseil, au sens de l'article L. 462-7 du Code de commerce.
96. La prescription des faits visés par les saisines F 1007 et F 1118 ayant été successivement interrompue par chacun des actes précités et les griefs ayant été notifiés le 28 février 2005, les pratiques relevées ne sont donc pas prescrites.
97. Sur le cinquième point, la société Appia estime que la procédure pénale étant distincte et indépendante de la procédure concurrentielle, les actes interruptifs de prescription dans l'une des procédures seraient sans effet dans l'autre procédure, en l'absence de texte législatif prévoyant expressément un tel effet. La preuve en serait donnée par l'insertion récente, à l'article L. 420-6 du Code de commerce, d'un alinéa 3 prévoyant : "les actes interruptifs de la prescription devant le Conseil de la concurrence, en application de l'article L. 462-7, sont également interruptifs de la prescription de l'action publique" ; l'absence de texte prévoyant explicitement la réciprocité impliquerait qu'aucun acte interruptif d'une procédure pénale ne puisse interrompre la prescription d'une procédure concurrentielle.
98. Mais s'il était nécessaire qu'intervienne une disposition législative pour préciser qu'un acte interruptif en droit de la concurrence interrompe également la procédure pénale, les règles de procédure pénale relevant du domaine législatif, la réciproque n'est pas vraie et beaucoup des règles de procédure suivie devant le Conseil, sont, dans le silence des textes, déterminées par la jurisprudence de la Cour d'appel de Paris et de la Cour de cassation. Ces juridictions recherchent, au cas par cas, si les actes menés durant la procédure du Conseil constituent des actes tendant à la recherche à la constatation ou à la sanction des pratiques anticoncurrentielles.
99. Les juridictions pénales sont compétentes en matière de pratiques anticoncurrentielles, sur le fondement de L. 420-6 du Code de commerce pour sanctionner les personnes physiques qui ont pris une part personnelle et déterminante dans la commission des pratiques anticoncurrentielles : "est puni d'un emprisonnement de quatre ans et d'une amende de 75 000 euro le fait, pour toute personne physique, de prendre frauduleusement une part personnelle et déterminante dans la conception, l'organisation ou la mise en œuvre de pratiques visées aux articles L. 420-1 et L. 420-2 (...)". Il en résulte des liens étroits entre les faits à la source du délit pénal de l'article L. 420-6 et les infractions au droit de la concurrence des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce. Compte tenu de ces liens, les actes afférents à l'instruction pénale, en ce qu'ils portent sur des faits dont la matérialité a une incidence directe sur la constitution des infractions de concurrence des articles L. 420-1 et L 420-2 du Code de commerce, tendent à la recherche, à la constatation ou à la sanction des pratiques anticoncurrentielles.
100. Le caractère interruptif d'actes relatifs à l'action pénale dans d'autres actions a déjà été admis par la Cour de cassation. La Chambre criminelle a en effet jugé par un arrêt du 30 mai 1994 (Cass., Crim., 30 mai 1994, n° 93-81.943, Bull. n° 210) que "(...) les liens étroits de connexité entre in rem les faits à la source des délits de droit commun et les infractions à la législation des contributions indirectes (...) permettent à l'action fiscale, malgré son indépendance, de bénéficier des actes interruptifs de la prescription de l'action publique, en matière économique, notamment des actes d'information et de poursuite jusqu'au jugement rendu sur l'action publique (...)".
101. Il en résulte que les actes d'instruction tendant a établir la matérialité du délit de l'article L. 420-6 sont interruptifs de la prescription suivie devant le Conseil de la concurrence au sens de l'article L. 462-7 du Code de commerce.
102. Par suite, les pièces suivantes, notamment, ont interrompu la prescription des pratiques relevées :
1. le procès-verbal d'interrogatoire de M. L T du 12 mai 2000 ;
2. le procès-verbal d'audition de M. M B du 24 octobre 2001 ;
3. le rapport d'enquête du SRPJ de Rouen du 30 novembre 2002 ;
4. le procès-verbal d'interrogatoire de M. H du 4 février 2004 ;
5. le procès-verbal d'interrogatoire de M. JP L du 6 mai 2004.
2. SUR LES DÉLAIS
103. La société Eurovia notamment, rappelant que s'est écoulé un délai de dix ans et huit mois entre les opérations de visites et saisies réalisées le 16 juin 1994 et l'envoi de la notification de griefs, considère que la "longueur de la procédure est totalement anormale au regard des prescriptions de l'article 6-1 de la Convention européenne des Droits de l'Homme" relatives au droit de toute personne d'être jugée dans un délai raisonnable.
104. Dès 1994, les services de la DGCCRF ont enquêté sur la situation de la concurrence dans le secteur des enrobés en Seine-Maritime dont la société Eurovia alors dénommée Cochery, Bourdin Chaussé connaissait l'existence puisqu'elle avait fait l'objet d'une visite domiciliaire et d'une saisie de pièces. La poursuite des pratiques détectées a entraîné le prolongement de l'enquête, de sorte que le Conseil a été saisi une première fois en janvier 1998 puis une seconde fois en janvier 1999, à la suite d'un complément d'enquête actualisant les pratiques anticoncurrentielles dénoncées.
105. Les demandes de communication des pièces adressées le 11 juillet 2001 et le 12 janvier 2005 au juge d'instruction saisi d'une information pénale concernant les mêmes pratiques, les réponses favorables données à cette demande ont permis au rapporteur d'instruire grâce aux pièces transmises par le juge d'instruction, dont certaines, relatives aux rapports d'enquête établis sur commission rogatoire par les agents de la DGCCRF, l'ont été entre 2000 et 2004.
106. Le délai dénoncé par les requérantes n'est, dès lors, pas en soi excessif eu égard à la complexité des faits dont le Conseil de la concurrence était saisi et des investigations approfondies auxquelles a donné lieu l'information pénale. La notification des griefs est d'ailleurs intervenue en février 2005, soit antérieurement au jugement de l'affaire pénale par le Tribunal correctionnel de Rouen.
107. De plus, en l'absence de démonstration établissant que la durée de l'instruction a compromis l'exercice des droits de la défense, la procédure ne saurait être déclarée irrégulière du seul fait de sa durée. Enfin, la Cour de cassation a retenu, dans un arrêt du 28 janvier 2003, "qu'à supposer les délais de la procédure excessifs au regard de la complexité de l'affaire (...) la sanction qui s'attache à la violation de l'obligation pour le Conseil de se prononcer dans un délai raisonnable résultant éventuellement du délai subi n'est pas l'annulation ou la réformation de la décision mais la réparation du préjudice".
108. Il convient donc d'écarter ce moyen.
3. SUR LA DEMANDE DE SURSIS À STATUER
109. La société d'exploitation Buquet a formé une demande de sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale en cours près le Tribunal de grande instance de Rouen.
110. Mais le Conseil de la concurrence n'a pas à attendre que le tribunal correctionnel ait statué pour qualifier au regard des règles de concurrence les comportements dénoncés devant lui, le litige porté devant le tribunal correctionnel n'ayant pas le même objet, et la règle non bis in idem ne pouvant trouver application en la matière (Cour de cassation, 10 décembre 1996, Ciments Lafarge ; Cour d'appel de Paris, 17 mars 1998, SMIP).
111. En outre, le Conseil, ayant reçu les pièces de l'instruction pénale nécessaires à son information, dispose de tous les éléments pour statuer. Il en résulte qu'il est d'une bonne administration de la justice que l'affaire instruite au Conseil soit jugée sans délai supplémentaire.
112. La demande de sursis à statuer présentée par la société d'exploitation Buquet est donc rejetée.
4. SUR L'ABSENCE AU DOSSIER DES ORDONNANCES AUTORISANT LES OPÉRATIONS DE VISITE ET SAISIE MENÉES EN 1994
113. La société Le Foll Travaux Publics fait valoir que plusieurs documents cités par le rapporteur dans la notification de griefs ont été saisis "dans les locaux de l'entreprise Lalitte à Dieppe" en vertu de deux ordonnances rendues respectivement par les présidents des tribunaux de grande instance de Rouen le 2 juin 1994 (ordonnance principale) et de Dieppe le 8 juin 1994 (ordonnance secondaire), et que ces ordonnances ne figuraient pas au dossier du Conseil de la concurrence qui peut être consulté par les parties. Dès lors, cette société aurait été privée de la possibilité de formuler auprès du juge ayant autorisé les opérations de visite et saisie le recours prévu, depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001, par le dernier alinéa de l'article L. 450-4 du Code de commerce. La société Le Foll TP conclut en conséquence à la nullité de la procédure engagée à son encontre devant le Conseil de la concurrence.
114. Mais le dernier alinéa de l'article L. 450-4, dans sa rédaction postérieure à la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001, invoqué par la société Le Foll TP, ne donne pas compétence au Conseil pour apprécier la régularité des opérations effectuées en exécution des ordonnances du président du tribunal de grande instance autorisant les visites et saisies, ni ne commande au Conseil de mettre ces ordonnances à la disposition des parties dans le dossier d'instruction.
115. Il y a lieu de relever par ailleurs qu'en l'espèce, l'ordonnance principale rendue par le président du Tribunal de grande instance de Rouen le 2 juin 1994 a été notifiée à la société Le Foll TP à l'occasion de la visite qui s'est déroulée dans ses locaux dès le 16 juin 1994, et qu'une copie certifiée conforme de l'ordonnance lui a été remise à cette occasion. Cette remise a été constatée par procès-verbal joint à la procédure. Cette ordonnance dresse la liste de toutes les entreprises concernées par les opérations de visite et saisie.
116. S'agissant de l'ordonnance secondaire du 8 juin 1994 à laquelle la société Le Foll TP n'a pas eu accès dans le dossier du Conseil au stade de la notification de griefs, elle se bornait à désigner les enquêteurs et les OPJ compétents pour procéder aux opérations de visite et saisie dans les locaux situés hors du ressort du président du Tribunal de grande instance de Rouen ayant autorisé initialement les opérations et ayant rendu l'ordonnance principale du 2 juin 1994. Compte tenu de la jurisprudence de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, les ordonnances secondaires ne peuvent donner lieu à un nouveau contrôle du bien fondé de la demande initiale d'autorisation de visite et saisie (Cass. Com, 30 mai 2000, pourvoi 98-30289). Dès lors, la société Le Foll TP ne démontre pas en quoi l'absence de cette pièce au dossier a porté atteinte à la préservation de ses droits.
117. Par ailleurs, la société Le Foll TP a eu accès à l'intégralité du dossier du Conseil de la concurrence et donc à la copie du procès-verbal de notification de l'ordonnance secondaire à la société Lalitte TP, prise en la personne de M. D, ainsi qu'au procès-verbal de visite et saisie. Ces documents se sont trouvés à sa disposition dès que les griefs lui ont été notifiés, soit le 28 février 2005. Les procès-verbaux de notification et de visite et saisie concernant la société Cochery Bourdin Chaussé figurent également au dossier. Constatant que l'ordonnance secondaire du 8 juin 1994 ne figurait pas au dossier du Conseil, il était loisible à la société Le Foll TP de demander copie de cette ordonnance manquante à l'autorité judiciaire qui l'a rendue et qui détient l'original, à supposer même que cette société n'ait pris connaissance du dossier du Conseil que le 1er avril 2005, comme elle le soutient, soit environ un mois avant l'expiration du délai qui lui était imparti pour formuler ses observations. Aucune diligence n'a été accomplie en ce sens.
118. La preuve n'est pas rapportée qu'un recours exercé devant le juge compétent aurait été vain du fait de l'absence au dossier du Conseil des ordonnances en question. Il convient donc d'écarter ce moyen de procédure.
119. Au surplus, pour la parfaite information des parties, les rapporteurs ont demandé et obtenu copies des ordonnances en cause ainsi que des décisions de la Cour de cassation rendues à leur sujet et ont versé le tout au dossier du Conseil.
5. SUR LES DEMANDES DE COMMUNICATION DE PIÈCES EFFECTUÉES PAR LE CONSEIL AUPRES DU JUGE PÉNAL SUR LE FONDEMENT DE L'ARTICLE L. 463-5 DU CODE DE COMMERCE
a) Sur la demande du 11 juillet 2001
120. Les sociétés Eurovia, Appia et Colas IDFN soutiennent que la délibération de la Commission permanente du Conseil portant "demande de communication de pièces à une juridiction d'instruction ou de jugement n° 01-D-43 du 11 juillet 2001" est nulle et que l'ensemble des pièces transmises au Conseil à la suite de cette demande doivent être retirées du dossier. Elles allèguent que l'article L. 463-5 du Code de commerce serait incompatible avec l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme en ce qu'il confond les fonctions dévolues aux autorités d'instruction et de jugement (premier point). Les parties s'appuient sur la décision du Conseil de la concurrence n° 01-D-22 du 2 mai 2001 (SACD) pour soutenir qu'il résulterait de l'audition par le Conseil, lors de la délibération 01-D-43, du premier rapporteur désigné, M. Komiha, un doute quant à son indépendance (deuxième point).
121. Enfin, elles se prévalent de la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. Com, 5 octobre 1999, BOCCRF n° 2 du 18 février 2000) et de la Cour d'appel (Paris, 15 juin 1999, BOCCRF n° 14 du 25 août 1999) relatives à l'incompatibilité de la présence du rapporteur au délibéré du Conseil avec l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme pour soutenir que la décision n° 01-D-43 du 11 juillet 2001 serait irrégulière et devrait être annulée (troisième point).
122. Sur le premier point, l'article L. 463-5 du Code de commerce est ainsi rédigé : "Les juridictions d'instruction et de jugement peuvent communiquer au Conseil de la concurrence, sur sa demande, les procès-verbaux ou rapports d'enquête ayant un lien direct avec les faits dont le Conseil est saisi".
123. La Cour d'appel de Paris a jugé, dans un arrêt du 27 novembre 2001 (SA Caisse Nationale du Crédit Agricole), confirmé par la Cour de cassation, dans un arrêt du 23 juin 2004, que "le cumul au sein du Conseil de la concurrence des fonctions de poursuite, d'instruction et de jugement n'est pas, en soi, contraire aux exigences inhérentes au droit à un procès équitable ; qu'il y a lieu de rechercher si, compte tenu des modalités concrètes de mise en œuvre de ces attributions, ce droit a été ou non méconnu". Cet arrêt est conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme, qui dans un arrêt Padovani c. Italie du 26 février 1993 (Rec., 1993, série A, n° 257/B) a rappelé, qu'"il ne lui incombe pas d'examiner in abstracto la législation et la pratique pertinentes, mais de rechercher si la manière dont elles ont été appliquées au requérant ou l'ont touché a enfreint l'article 6-1" (par. 24) et a jugé conforme à l'article 6 le fait qu'un juge ait procédé, au cours de la phase préalable au procès, à des actes d'instruction sommaires, telles que des auditions, avant de statuer sur la culpabilité du prévenu (par. 28).
124. Dans la présente affaire, la demande de communication de pièces ne constitue pas une décision par laquelle les membres du Conseil, siégeant en commission permanente, auraient été conduits à formuler une accusation ou, encore, à préjuger de l'affaire au fond. Par cette décision, le Conseil s'est borné à transmettre une demande émanant du rapporteur, qui sollicitait, au regard du déroulement de son instruction, des pièces du dossier d'instruction. En outre, aucun des membres ayant siégé le 11 juillet 2001 ne fait partie de la composition de la formation statuant sur la présente affaire. Cette demande ne peut donc être considérée comme ayant influencé le présent délibéré.
125. L'article L. 463-5 du Code de commerce n'a donc pas été mis en œuvre, le 11 juillet 2001, dans des conditions incompatibles avec le respect des exigences inhérentes au droit à un procès équitable.
126. Sur le deuxième point, le pouvoir de demander à un juge d'instruction la communication de pièces appartient, selon les dispositions de l'article L. 463-5 du Code de commerce, au Conseil. Il ne résulte dès lors pas de la délibération 01-D-43, prise sur le fondement de l'article L. 463-5 du Code de commerce, que la Commission permanente aurait excédé ses pouvoirs en empêchant le rapporteur d'exercer "en pleine indépendance et sous sa seule responsabilité" les pouvoirs propres qu'il tient par ailleurs des articles L. 450-1 et L. 450-6 du Code de commerce.
127. Il est loisible au Conseil d'entendre le rapporteur, avant de décider la mise en œuvre de l'article L. 463-5 du Code de commerce. Dès lors, l'audition de M. Komiha par la Commission permanente, seul élément établi à la lecture de la délibération 01-D-43, n'est pas de nature à justifier un doute légitime quant à l'indépendance de ce rapporteur, car contrairement au cas "SACD" invoqué, dans lequel le rapporteur avait transmis à un membre du collège sa notification de griefs pendant l'instruction, les contacts qu'a eus M. Komiha avec la Commission permanente étaient strictement commandés par la mise en œuvre de l'article L. 463-5 du Code de commerce.
128. Sur le troisième point, la délibération 01-D-43 mentionne "Délibéré sur le rapport oral de M. Komiha, par Mme Hagelsteen, Présidente, Mme Pasturel, Vice-Présidente, et M. Jenny, Vice-Président". La mention précitée, "Délibéré sur le rapport oral de (...)", portée sur toutes les décisions du Conseil, indique seulement que le rapporteur a fait un exposé oral devant le Conseil. Cette formule finale se réfère sans ambiguïté au déroulement de la séance, aucun élément ne permettant de supposer que le rapporteur aurait également participé au délibéré du Conseil (cour d'appel, 30 mars 2004, Semiacs). Les rapporteurs ne participent d'ailleurs plus au délibéré du Conseil au moins depuis l'entrée en vigueur de la loi "NRE" n° 2001-420 du 15 mai 2001, qui est antérieure à la présente délibération.
129. Il convient, dès lors, d'écarter les trois branches du moyen.
b) Sur la demande de communication de pièces du rapporteur général en date du 12 janvier 2005
130. La société Eurovia soutient que la deuxième demande de communication de pièces au juge pénal, effectuée par le rapporteur général le 12 janvier 2005, ne peut constituer le fondement de la remise de pièces pénales effectuée en février 2005, car cette demande a été effectuée sans respecter la lettre de l'article L. 463-5 du Code de commerce. Le représentant de la société Eurovia SA a demandé durant la séance du Conseil que soient mentionnés au procès-verbal de séance les termes de l'intervention orale de la rapporteure générale adjointe selon lesquels la lettre du 12 janvier 2005 adressée par le rapporteur général au juge d'instruction pouvait apparaître inutile dans le processus de communication des pièces, compte tenu de la première demande de communication de pièces effectuée le 11 juillet 2001 qui vaudrait pour toute la durée de l'instruction devant le Conseil.
131. Mais, la loi "NRE" n° 2001-420 du 15 mai 2001 a modifié plusieurs articles du Code de commerce et a transféré au rapporteur général, plusieurs des attributions précédemment dévolues au Conseil, ainsi qu'en témoigne notamment l'évolution de la rédaction de l'article L. 450-4 de ce Code. L'évolution du statut du rapporteur général a encore été accentuée par l'ordonnance n° 2004-1173 du 4 novembre 2004. La mise en œuvre de ces textes, qui ont plus clairement distingué les attributions respectives des services d'instruction et des formations de décisions au sein du Conseil, a créé un contexte juridique nouveau qui justifie, à la lumière de ces évolutions, que le rapporteur général ait pu valablement exercer, au nom du Conseil, le pouvoir de mettre en œuvre l'article L. 463-5 du Code de commerce.
132. La demande de communication de pièces du rapporteur général du 12 janvier 2005, faite sur proposition du rapporteur, constitue, dès lors, un fondement suffisant à la remise effectuée en février 2005. La question de l'utilité de cette demande dans le processus de communication des pièces est par suite sans objet.
6. SUR LA COMMUNICATION DES PIÈCES ÉMANANT DE LA PROCÉDURE PÉNALE N° 1/99/1
133. Les sociétés Eurovia, Appia, Gagneraud et Colas IDFN soutiennent que le rapporteur aurait consulté le dossier d'instruction n° 1/99/1 dans son intégralité, ce qui caractériserait une violation du secret de l'instruction protégé par l'article 11 du Code de procédure pénale (premier point). Le rapporteur aurait en outre outrepassé la lettre de l'article L. 463-5 du Code de commerce en sélectionnant lui même les pièces qui ont été jointes au dossier du Conseil, alors qu'elles auraient dû l'être par le juge d'instruction (deuxième point), selon les sociétés Eurovia, Appia et Colas. La consultation du dossier aurait nécessité, selon elles, une habilitation spéciale du Conseil, la délibération n° 01-D-43 ne pouvant constituer le fondement de la remise effectuée en février 2005, non plus que la demande du rapporteur général du 12 janvier 2005 et le rapporteur ne pouvant prendre seul l'initiative de consulter l'intégralité du dossier. La société Colas IDFN et la société Eurovia soutiennent également que certaines pièces transmises par les juges d'instruction en 2002 et 2005 ne constitueraient ni un "procès-verbal" ni un "rapport d'enquête", seules pièces dont la transmission serait autorisée par l'article L. 463-5 du Code de commerce. Elles demandent le retrait de ces pièces intitulées "C2", transmise en 2002 et D 594, transmise en 2005 (quatrième point).
134. Enfin, les sociétés Eurovia, Appia, Gagneraud et Colas IDFN avancent que la consultation du dossier du juge d'instruction par le rapporteur constituerait une violation du principe de l'égalité des armes garanti par l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, à deux points de vue (cinquième point). En premier lieu, la société Eurovia n'aurait pas eu la possibilité de s'assurer que la sélection des pièces aurait été objective et notamment que d'éventuelles pièces à décharge auraient bien été copiées. Se référant à la décision du Conseil n° 01-D-22 du 22 mai 2001 (affaire SACD), la requérante estime qu'il convient d'écarter l'acte de remise du 2 février 2005 au motif qu'il serait impossible d'établir qu'il a été accompli par le rapporteur en toute impartialité.
135. En second lieu, le rapporteur ayant eu seul connaissance de l'intégralité du dossier pénal, la société Eurovia se trouverait dans une situation de "net désavantage" au sens de l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme en ce qu'elle ne serait pas en mesure de produire ou commenter d'éventuelles pièces à décharge qui pourraient figurer au dossier pénal. Ces sociétés demandent en conséquence le retrait des pièces remises le 2 février 2005, ainsi que l'annulation de la notification de griefs établie grâce à ces pièces.
136. Mais, sur le premier point, s'agissant de la violation alléguée du secret de l'instruction, délit prévu et réprimé par les articles 11 du Code de procédure pénale, 226-13 et 226-14 du Code pénal, il n'entre pas en premier lieu dans les attributions du Conseil de la concurrence d'apprécier les conditions d'application de ces dispositions, sauf à usurper les prérogatives de l'autorité judiciaire et à violer le principe de la séparation des pouvoirs. Le contrôle du Conseil de la concurrence ne peut porter que sur le respect de l'article L. 463-5 du Code de commerce et celui de l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme.
137. En deuxième lieu, rien ne permet d'établir que le rapporteur aurait procédé à une consultation intégrale du dossier 1/99/1, les sociétés n'apportant aucun élément de nature à étayer leur allégation. Il convient de noter, au contraire, que le procès-verbal du 2 février 2005 vise, comme indiqué au paragraphe 6, "le fax du 21 janvier 2005 du juge d'instruction de Rouen", lequel précise que les documents offerts à la consultation sont "les pièces de mon information 1/99/1 ayant un lien direct avec les faits dont est saisi le Conseil de la concurrence, selon les dispositions des articles L. 463-5 et L. 463-6 du Code de commerce" (paragraphe 5). La mention dans le procès-verbal du 2 février 2005 selon laquelle nous "avons consulté le dossier d'instruction référencé sous le n° 1/99/1" indique bien que le rapporteur a consulté des pièces du dossier 1/99/1 qui avaient un lien direct, selon l'appréciation du juge d'instruction, avec les faits dont était saisi le Conseil de la concurrence.
138. La liste des pièces demandées le 12 janvier 2005 porte :
- 1°) sur des pièces déjà identifiées ou identifiables avec certitude. Il s'agit "de la ou des éventuelles auditions de M. D", de la cote D 427, du "soit-transmis par lequel la DDI a transmis à la DGCCRF les chiffres" qui ont permis l'élaboration des tableaux annexés à la cote D 432, des "rapports de synthèse récents émanant de la DGCCRF, s'il en a été établis" "postérieurement à la cote D 540" ;
- 2°) sur des "pièces établies postérieurement à la cote D 540 et susceptibles de permettre la poursuite et la clôture (des) investigations" (du rapporteur) et dont l'identification est par là même abandonnée à l'appréciation du juge.
139. Les pièces remises le 2 février entrent toutes dans l'une des deux catégories de cette liste.
140. Ainsi, il ne ressort ni de la rédaction du procès-verbal du 2 février 2005 ni de l'examen des pièces reçues au regard de celles demandées, que le rapporteur aurait consulté le dossier d'instruction dans son intégralité et, éventuellement, outrepassé en cela les conditions d'application de l'article L. 463-5 du Code de commerce.
141. Sur le deuxième point, s'agissant de l'allégation des requérantes selon laquelle le juge d'instruction aurait été privé de tout contrôle sur le choix des pièces prises en copie, le procès-verbal du 2 février 2005 indiquant : "Ce magistrat nous a remis, à notre demande, copies de documents (...)", il convient de relever que la demande du rapporteur se réfère, en l'espèce, à la demande qui a été transmise par le rapporteur général le 12 janvier 2005, expressément visée par le procès-verbal du 2 février. La mention de la "remise" des pièces "à notre demande" indique dès lors que le juge a choisi d'accéder à la demande du rapporteur. Il ne résulte pas des énonciations du procès-verbal ou d'autres éléments de preuve extrinsèques que le juge n'a pas sélectionné lui même les pièces remises en copie, ni examiné le lien direct existant entre les documents transmis et les faits dont était saisi le Conseil.
142. Sur le troisième point, une habilitation spéciale du rapporteur par le Conseil pour consulter les pièces d'un dossier détenu par une juridiction n'est exigée par aucun texte. La demande du rapporteur général du 12 janvier 2005 constituait un fondement suffisant à la communication des pièces. La juridiction compétente ayant fait connaître son accord, la procédure suivie est régulière.
143. De façon générale, la lettre et la finalité de l'article L. 463-5 du Code de commerce sont de permettre aux juridictions de décider souverainement, notamment, de l'opportunité, de la forme et de la périodicité de la communication des pièces sollicitées, cette communication permettant au rapporteur d'exploiter des pièces extraites d'une procédure judiciaire. L'article L. 463-5 n'impose aucune forme particulière à la "communication" des pièces "ayant un lien direct avec les faits dont le Conseil est saisi" et autorise donc tant leur consultation sur place que la transmission de copies. Il autorise donc :
- le Conseil de la concurrence à adresser au juge d'instruction plusieurs demandes successives de communication de pièces ;
- le juge à communiquer des pièces de son dossier au fur et à mesure de l'évolution de son instruction sur la base de la demande initiale du Conseil ;
- le juge à transmettre en une seule communication la copie de pièces extraites de son dossier en réponse à plusieurs demandes du Conseil.
144. Sur le quatrième point, s'agissant de la nature des documents et pièces transmises au Conseil, les parties demandent que soient retirés du dossier les éléments ne constituant ni un procès-verbal, ni un rapport d'enquête.
145. Mais les documents extraits de la procédure pénale 1/99/1 sont soit des procès-verbaux, soit des rapports d'enquêtes, soit des pièces nécessaires à l'exploitation des documents entrant dans ces deux premières catégories. Les dispositions de l'article L. 463-5 du Code de commerce ont été respectées, car il n'est pas concevable que des procès verbaux et rapports d'enquête soient communiqués au Conseil sans les pièces qui les accompagnent.
146. Le document intitulé "C2" est cité et commenté à de multiples reprises dans les procès-verbaux d'audition transmis par la juridiction d'instruction, et notamment à la cote D 210 (Annexes 822 et suivantes) où l'on peut lire : "Vous me présentez le scellé C2, Il s'agit de la clef de répartition pour l'année 1990, établie à partir de celle de l'année antérieure. Elle n'a pas changé depuis, (...)". La pièce C2 est donc le soutien nécessaire de cette audition et ne peut en être dissociée. Cette pièce est également reproduite dans le corps du rapport d'enquête coté D 594 (Annexe 1281) établi sur commission rogatoire par un agent de la DGCCRF. Le rapporteur a donc pu régulièrement utiliser ce document au soutien des griefs qu'il a établis.
147. Le rapport "de synthèse", coté D 594, a été établi à la suite d'une commission rogatoire de la juge d'instruction en charge du dossier ainsi rédigée : "En complément de la commission rogatoire délivrée le 22 août 2003, je vous prie de bien vouloir établir une synthèse de vos investigations et commissions rogatoires précédentes sur les modalités de l'entente, les arguments soulevés par les mis en examen (...). Vous résumerez aussi les conséquences de cette entente sur les prix (...)" (Annexe 1258). Ce rapport, dont l'objet est de caractériser l'entente et son ampleur effective, constitue un rapport d'enquête. Au surplus, il constitue la suite indissociable d'un procès-verbal du 23 mars 2004, qui est ainsi rédigé : "(...) Conformément aux prescriptions de Mme le juge d'instruction, procédons à la rédaction d'un rapport de synthèse lequel est joint au présent acte".
148. Enfin, sur le cinquième point, à savoir la communication des pièces émanant de la procédure pénale faite en violation du principe de l'égalité des armes, il convient de rappeler que le principe de l'égalité des armes "doit permettre à chaque partie d'avoir la possibilité raisonnable d'exposer sa cause dans des conditions qui ne la désavantagent pas d'une manière appréciable par rapport à la partie adverse, ce qui suppose que la procédure permette un débat contradictoire effectif" (Cour d'appel de Paris, 15 juin 1999 et 12 décembre 2000).
149. En premier lieu, les griefs retenus par le rapporteur sont fondés sur des pièces dont il été dressé un inventaire, qui ont été citées, versées au dossier, proposées à la consultation et soumises à la contradiction des requérantes. Ces dernières ont eu toute latitude pour produire tous éléments à décharge, ainsi que les sociétés Eurovia, Appia SA et Colas IDFN le reconnaissent elles-mêmes, puisqu'elles ont motivé leurs demandes respectives de délais supplémentaires des 19 juillet et 11 août 2005 par la commande d'études chiffrées et la nécessité de faire procéder à des recherches dans leurs archives.
150. En deuxième lieu, le rapporteur n'a pas à rendre accessible des documents qu'il n'a pas l'intention d'utiliser à charge.
151. En troisième lieu, le fait, prétendu en l'espèce et nullement démontré, que le rapporteur aurait lu des pièces auxquelles les requérantes n'ont pas eu accès, n'est pas en soi de nature à démontrer que le rapporteur aurait sciemment écarté des pièces à décharge.
152. D'une part, le fait pour une autorité d'instruction au sens de l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, tel que le rapporteur du Conseil de la concurrence ou le juge d'instruction de l'autorité judiciaire, de lire des pièces et de ne pas les saisir si elles ne présentent pas d'intérêt, avec cette conséquence que les parties ultérieurement à la cause ne pourront les lire, est une pratique normale, qui se présente par exemple en cas de perquisition ou de visite domiciliaire.
153. D'autre part, en l'espèce, les pièces remises au rapporteur sont, pour nombre d'entre elles, des procès-verbaux d'interrogatoires menés à charge et à décharge par le juge d'instruction en présence de l'avocat de la personne entendue. Tel est par exemple le cas de la cote D 599 (Annexes 1326 s.). Par ailleurs, le procès-verbal de communication des pièces du 2 février 2005 a été établi par le juge d'instruction et le rapporteur sous leur double signature. Ce procès-verbal est donc à la fois un acte du juge d'instruction par lequel celui-ci remet des copies de pièces et un acte du rapporteur par lequel ce dernier réceptionne et dresse l'inventaire des pièces reçues. Cette façon de procéder écarte le doute invoqué par les requérantes quant à l'objectivité du choix des documents et pièces transmis le 2 février 2005.
154. Enfin, la Cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 27 novembre 2001 (Paris, 1re chambre, section H, § I-9 ; BOCCRF n° 2 du jeudi 31 janvier 2002, page 101) a jugé, en réponse à une argumentation similaire à celle des requérantes, que "cette argumentation est au demeurant inopérante dès lors que (les requérantes) ayant acquis la qualité de partie en cause à compter de la notification de griefs, il leur [est] loisible de soumettre à l'examen du Conseil de la concurrence les moyens et les pièces qu'elles estiment utiles à la défense de leurs intérêts (...)".
155. En conclusion, la consultation du dossier d'instruction et les conditions de communication des pièces n'ont pas fait grief aux requérantes dont les demandes d'annulation du procès-verbal du 2 février 2005 ou de rejet des pièces remises à cette occasion, doivent être écartées.
156. Il convient enfin de rappeler que la Chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé, s'agissant d'une procédure pénale, que "la violation du secret de l'instruction concomitante à l'accomplissement d'un acte de procédure ne peut conduire à son annulation s'il n'en est résulté une atteinte aux droits de la défense" (Cass. Crim., 25 janvier 1996, pourvoi n° 95-85560).
7. SUR LA NOTIFICATION DE GRIEFS
157. La société Eurovia a exposé en séance que la notification de griefs était nulle car le rapporteur n'avait pas correctement imputé les griefs, en les notifiant à plusieurs sociétés. Ce procédé aurait contraint les entreprises à s'auto-incriminer, alors qu'il incombait au rapporteur de rapporter la preuve de l'implication des sociétés dans les pratiques. La société Eurovia a également soutenu en séance que le Conseil ne pouvait se prononcer sur les griefs que les rapporteurs avaient abandonnés au stade du rapport, et éventuellement les sanctionner, sur le fondement de l'article 36 alinéa 2 du décret du 30 avril 2002.
158. Sur le premier point, le rapporteur a été amené à notifier les mêmes griefs à plusieurs sociétés aux noms voisins, afin de parvenir à une imputation précise des pratiques grâce à une clarification réalisée de façon contradictoire de la situation juridique des entreprises sujettes à de nombreuses modifications et mesures de restructuration.
159. Cette façon de procéder, au demeurant très courante, n'a évidemment pas pour effet de contraindre les entreprises à s'auto-incriminer dès lors qu'il ne s'agit pas pour elles de se reconnaître coupables de pratiques, mais seulement de déterminer quelle entité juridique doit répondre de l'accusation formée contre elles, accusation qu'elles pourront ensuite contester sur le fond.
160. Sur le second point, ainsi que le Conseil l'a énoncé dans sa décision n° 03-D-44 du 17 septembre 2003 relative à des pratiques relevées dans le secteur du chauffage collectif, "L'article 36, alinéa 2, du décret du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce prévoit que : "Le rapport soumet à la décision du Conseil de la concurrence une analyse des faits et de l'ensemble des griefs notifiés". Il appartient, en conséquence, au Conseil d'examiner le bien-fondé des deux griefs notifiés, nonobstant la proposition d'abandon de ces griefs ultérieurement formulée".
161. Avant l'entrée en vigueur du décret du 30 avril 2002, l'article 18 du décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 prévoyait que le "rapport contient l'exposé des faits et griefs finalement retenus par le rapporteur à la charge des intéressés". La modification du texte, dont la lettre peut être confirmée par l'examen des travaux préparatoires, montre bien qu'elle a eu pour objet de permettre au Conseil de se prononcer sur tous les griefs notifiés, y compris ceux que le rapporteur proposait éventuellement d'abandonner dans son rapport, et ce, sans avoir à surseoir à sa décision en renvoyant le dossier à l'instruction, faculté qui est ouverte au Conseil lorsque l'instruction lui paraît incomplète.
162. Il y a donc lieu d'écarter ces deux moyens.
B. SUR LE FOND
1. SUR LE MARCHÉ PERTINENT
163. S'agissant de marchés publics, chaque appel d'offres constitue, selon une jurisprudence constante, un marché pertinent. Le Conseil a, par exemple, énoncé le 20 septembre 2000 dans sa décision n° 00-D-38 que "un marché est constitué par la rencontre de l'offre et de la demande ; qu'au demandeur unique, représenté par le maître d'ouvrage, dont la demande précise était exprimée dans les documents contractuels, répondaient des offres des entreprises, que dès lors chaque appel d'offres constitue un marché en soi".
164. Dès lors, en ce qui concerne le second grief, il y a lieu de retenir le marché pertinent que détermine l'appel d'offres du département de Seine-Maritime d'octobre 1997.
165. S'agissant du premier grief, il résulte de la jurisprudence que "peuvent être sanctionnées les pratiques anticoncurrentielles affectant chacun des marchés publics en cause, ainsi que l'entente organisée à un échelon plus vaste que chacun des marchés considérés et produisant des effets sur ces marchés, en ce qu'elle conduit les entreprises qui y sont présentes à s'en répartir illicitement les parts" (Cour d'appel de Paris, 14 janvier 2003, SA Bouygues ; confirmé par Cour de cassation, 13 juillet 2004, société DTP Terrassement et autres).
166. En l'espèce, la répartition concertée, entre les entreprises, des marchés publics de l'État et du conseil général, en Seine-Maritime, du 14 mars 1991 au 31 décembre 1998, selon une clé de partage des tonnages déterminée à l'avance, qui s'est manifestée par la conclusion des marchés, mais aussi par des systèmes de compensations, des accords de sous-traitance et aussi des actions visant à empêcher des concurrents de perturber l'entente en Seine-maritime, s'inscrit dans un dessein plus vaste que chacun des marchés visés, dessein qui s'est manifesté sur le marché global de l'épandage des enrobés bitumineux sur les routes de première et de deuxième catégorie dans le département de la Seine-Maritime (Annexes 64-65).
167. La délimitation de ce marché est corroborée par l'objet de certains appels d'offres des deux acheteurs publics, qui portent sur l'épandage des enrobés bitumineux sur les routes de première et de deuxième catégories dans le département de la Seine-Maritime, ainsi que par le calcul des tonnages à répartir entre les entreprises sur tous les appels d'offres quels que soient les acheteurs publics en cause (§ 52, 53, 58).
168. La délimitation géographique de ce marché résulte à la fois de la demande et de l'offre. La demande ne porte que sur des routes se trouvant dans le département de la Seine-Maritime, que les appels d'offres émanent de l'État ou du conseil général. L'offre est limitée par la charge du coût de transport de ces produits pondéreux et la localisation des centrales de fabrication ainsi qu'il a été indiqué aux paragraphes 9 à 11 et n'émane que des sociétés disposant d'un accès à une centrale se trouvant en Seine-Maritime ou à proximité immédiate.
169. Il convient, enfin, de signaler la particularité du département de Seine-Maritime, qui était, en 1999 le premier département français en matière d'investissements routiers. Avec un programme de 754 millions de francs, il devançait le Pas de Calais (684 MF) et les Bouches du Rhône (627 MF), selon le magazine du conseil général de Seine-Maritime, "Reflets 76", n° 52, du 8 octobre 1999 (Annexe 1094).
170. Il apparaît en conséquence que l'ensemble des appels d'offres de l'État et du département dont le Conseil a été saisi s'inscrit, en dépit de l'unicité de chaque appel d'offres, dans un marché global de l'épandage des enrobés bitumineux sur les routes de première et de deuxième catégories dans le département de la Seine-Maritime (Annexes 64-65).
2. SUR LES PRATIQUES
171. L'article L. 420-1 du Code de commerce, dans sa version antérieure à la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001, applicable en l'espèce, dispose que :
"Sont prohibées lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu'elles tendent à :
1º) Limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises ;
2) Faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ;
3º)Limiter ou contrôler la production, les débouchés, les investissements ou le progrès technique ;
4º) Répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement".
a) Existence d'une pratique continue
172. Il résulte des constatations opérées aux paragraphes 12 à 79, qu'entre 1988 et 1998, les sociétés Le Foll Travaux Publics, SEE Gagneraud Père et Fils puis SA Gagneraud Construction, Cochery Bourdin Chaussé et Lalitte et Cie, Lalitte TP, Entreprise Jean Lefebvre, Entreprise Jean Lefebvre Normandie, Viafrance, Dieppedalle, Devaux, TRN puis Beugnet et Beugnet Normandie, se sont entendues afin de répartir entre elles les travaux d'épandage d'enrobés bitumineux, appréhendés en tonnage, sur les routes de 1re et 2e catégorie de la Seine-Maritime. Elles ont, à cette fin, élaboré une clef de répartition des tonnages, mise en œuvre pour l'exécution de l'ensemble des marchés de l'État et du conseil général. Plusieurs transcriptions de cette clef de répartition ont été saisies. Son fonctionnement a été décrit en détail au juge d'instruction par les cadres de certaines des sociétés en cause. Ces entreprises ont systématiquement concouru en groupements aux appels d'offres émanant tant de l'Etat que du conseil général. L'organisation de ces groupements, entre 1988 et 1998, puis leur dislocation ultérieure permettent de constater que leur finalité a été de permettre une répartition souple des tonnages d'enrobés entre toutes les entreprises parties à l'entente. Les "majors", parties à l'entente, ont fait financer par une société qu'elles cogéraient les actions contentieuses de plusieurs associations prétendues de défense de l'environnement à l'encontre de la société Buquet, afin de l'empêcher de construire une centrale d'enrobés lui permettant de concourir aux appels d'offres en Seine-Maritime. En raison de l'échec de ces actions, les entreprises membres de l'entente ont organisé une réunion en septembre 1997 afin d'intégrer la société Buquet. Celle-ci a pris part au système de répartition du marché à l'occasion de l'appel d'offres du conseil général d'octobre 1997, par le biais de son association à l'un des groupements en qualité de sous-traitant. Les données chiffrées transmises par le conseil général montrent que la clef de répartition a été rigoureusement appliquée jusqu'en 1998.
173. Le système a pris fin au cours de l'année 1999 en raison de la pression exercée par les placements en détention provisoire alors en cours, et la "trahison" de la société Buquet, un an seulement après son intégration à l'entente. Le coût moyen de la tonne d'enrobé facturée au conseil général a chuté de 30 % entre 1997 et 2000, alors qu'entre ces deux dates, l'indice de référence TP 09 montait de près de 25 % (cf. paragraphe 75).
174. L'existence de ces faits est révélée par l'instauration de quotas de répartition des tonnages d'enrobés, par le contrôle mutuel et régulier de l'application de ces quotas, par des échanges réguliers d'informations relatives aux prix antérieurement au dépôt des offres, par la répartition des lots attribués par les collectivités publiques, État et conseil général de la Seine-Maritime, de manière concertée et occulte par le biais de la constitution de groupements aux justifications économiques ou financières fallacieuses, enfin par la mise en œuvre d'une concertation sans rapport avec l'objet social des entreprises ou l'intérêt collectif de la profession, en l'espèce le financement de procédures contentieuses menées par des associations de défense de l'environnement, dans le dessein d'empêcher ou, au moins, retarder l'installation en Seine-Maritime de la centrale d'enrobés de la société Buquet, concurrent potentiel.
175. Ces faits sont constitutifs d'une pratique continue de répartition de marchés, qui s'est manifestée par l'application de la clé de répartition des tonnages à l'occasion des appels d'offres de l'Etat de 1987-1988, 1991 et 1994 et du conseil général de 1988, 1992 et 1997, par l'exécution de ces marchés, des systèmes de compensation auxquels ces répartitions ont donné lieu, ainsi que par des actions tendant à empêcher l'intrusion de francs-tireurs. Le comportement des entreprises, au cours de la période d'exécution des marchés de l'État soit en 1987-1988 et du conseil général en 1988, qui est couvert par la prescription et, comme tel, insusceptible de donner lieu à l'application de sanctions, traduit néanmoins le souci, dès cette époque, de tenir entre elles, une comptabilité de leurs dettes et créances par rapport à la clé de répartition décidée en commun. Les constatations effectuées à cet égard permettent d'éclairer et de mettre en perspective les pratiques similaires, non prescrites, relatives aux marchés de l'Etat de 1991 et 1994 et du conseil général de 1992 et 1997 (décision n° 2001-D-14 du 4 mai 2001).
176. Ce comportement continu des entreprises peut aussi, au regard du droit communautaire, être qualifié d'"accord complexe", notion que la Commission européenne a définie comme suit : "Le terme "accord" peut être appliqué tant à un projet global ou aux conditions expressément convenues, qu'à l'exécution de ce qui a été convenu sur la base des mêmes mécanismes et dans la poursuite du même objectif commun. Le fait que, en droit, une infraction à l'article 81, § 1, du traité est réalisée dès la conclusion de l'accord illicite ne signifie pas que l'"accord" ne peut être continu ; aussi longtemps qu'il est exécuté, il continue à exister jusqu'à sa résiliation. Un tel accord, qualifié de complexe, peut donc être considéré comme une seule infraction continue pendant la durée de son existence. L'éventualité qu'un ou plusieurs éléments d'une série d'actions ou d'une ligne de conduite continue puissent, individuellement et en eux-mêmes, constituer une violation de l'article 81, paragraphe 1, du traité, ne s'oppose pas à la conclusion que ces éléments puissent constituer un accord complexe. En effet comme la Cour de Justice l'a déclaré, confirmant ainsi l'arrêt du tribunal de première instance, il ressort des termes formels de l'article 81, du traité qu'un accord peut consister non seulement en un comportement isolé mais aussi en une série de comportements ou en une ligne de conduite" (Décision du 27 novembre 2002, plaques de plâtre, COMP/E-1/37.152 ; voir aussi CJCE, Commission contre Anic Participazioni Apa, C-49/92, point 81).
177. En l'espèce, la notification de griefs du 25 février 2005 a précisé que les pratiques relevées "trouvent leur cohérence l'une par rapport à l'autre et sont la manifestation d'une volonté continue et partagée des entreprises de mettre en œuvre une pratique anticoncurrentielle sur le marché global des enrobés de Seine-Maritime (...)" (Annexe 65).
b) Preuve des pratiques
178. Les preuves et indices se répartissent comme suit :
a. Les indices apportés par les pièces saisies
179. La présence, au siège des sociétés Beugnet et Lalitte TP, qui se sont présentées comme concurrentes aux différentes consultations, des pièces reproduites aux paragraphes 51 et 57 (scellé "C2" et "cote 109"), ne peut relever du fruit du hasard en raison de la similitude du contenu de ces pièces et du caractère particulièrement détaillé et complexe des mentions qui y figurent, notamment se rapportant à la société Viafrance.
180. Ces pièces contiennent une clé de répartition du marché global décrit au paragraphe 170 et prouvent l'existence, dès 1988, d'un accord entre toutes les sociétés qu'elles mentionnent, qui avait pour objet la répartition des travaux d'épandage des enrobés, appréciés en volume, par l'instauration de quotas.
181. La présence, dans les locaux de la société Cochery Bourdin Chaussé, des pièces décrites aux paragraphes 61 à 63, dont l'analyse révèle qu'elles mentionnent, sauf en ce qui concerne la société Viafrance, les mêmes quotas que ceux qui figurent sur les pièces émanant des sociétés Beugnet et Lalitte TP, confirme l'existence de cette entente.
182. La comparaison de ces pièces prouve l'évolution du mode de calcul de la part réservée à la société Viafrance adopté par les parties prenantes.
b. Les indices apportés par les études chiffrées
183. Il ressort des constatations retracées aux paragraphes 69 à 73, que les quantités d'enrobés effectivement épandues par les sociétés mentionnées sur les pièces précitées, entre 1992 et 1998, s'agissant des seuls appels d'offres du conseil général, sont conformes au partage des parts mentionné sur le scellé "C2" et le "document 109", ce qui prouve que cette clé de répartition a effectivement été mise en œuvre de façon continue jusqu'en 1998.
184. L'évolution de la courbe des prix comparée à celle de l'indice TP 09, décrite aux paragraphes 74 à 76, prouve que la fin de l'entente est survenue au cours de l'année 1999. Elle prouve également, étant donné la chute significative des prix constatée entre 1998 et 2000, que l'entente a eu également pour objet et pour effet la fixation d'un niveau artificiellement élevé des prix.
c. Les indices apportés par les auditions effectuées pendant la procédure pénale
185. Plusieurs des nombreuses auditions transmises au Conseil par les juges d'instruction apportent des explications circonstanciées et cohérentes aux faits mis en évidence par les documents saisis et les études chiffrées. Le contenu de certaines des auditions les plus circonstanciées a été présenté aux paragraphes 39 à 50. Ces auditions décrivent en détail les modalités de la coopération continue déployée par les entreprises parties à l'entente afin de mettre en œuvre la clé de répartition. Cette coopération a pris les formes suivantes :
Les échanges d'informations sur les offres préalablement à leur soumission, les reports annuels et les neutralisations
186. Il a régulièrement été procédé à des réunions appelées "tours de table" ayant pour objet de déterminer les soumissions des différents participants préalablement aux consultations (§ 39 et 40).
187. Ces réunions permettaient également aux entreprises de déterminer leurs quotes-parts respectives pour la période à venir en fonction de la clé de répartition et de leur éventuel avance ou retard au regard de leur activité passée.
188. Elles visaient à "sauvegarder les positions" acquises par chaque entreprise (§ 39). Les entreprises intéressées par un lot soumissionnaient au meilleur prix, tandis qu'elles déposaient des offres de couverture pour les autres lots (§ 39 et 40).
189. Ces réunions avaient ainsi pour objet un contrôle mutuel et régulier de l'application de ces quotas : en raison des aléas de la programmation et de la charge de travail momentanée de chaque entreprise, l'équilibre devait chaque année être réalisé en fonction de l'année suivante. L'objectif était ainsi d'ajuster la quantité d'enrobés épandus par chaque entreprise année après année. Les soldes qui apparaissaient étaient calculés entreprise par entreprise. M. C (société Beugnet) a ainsi déclaré "On dressait un état récapitulatif qui reprenait le cumul des tonnages et se référant aux travaux déjà réalisés on regardait si les parts de marché de chacun étaient ou non maintenues. (...) On reportait toujours le cumul des années précédentes" (§ 40 et 42). La tenue de ces comptes, année après année prouve la continuité de la pratique.
190. Enfin, dans ce même souci d'équilibrer les parts à plusieurs reprises, les sociétés Dieppedalle et Gagneraud ont bénéficié de compensations spéciales dans le décompte des tonnages venant modifier les comptes précédents. Ces aspects ont été pris en compte lors de l'élaboration des études chiffrées décrites aux paragraphes 70 et 71. Ces opérations correspondent manifestement à la prise en compte de tonnages exceptionnels mis en œuvre par ces entreprises (déviation de Montivilliers, port autonome du Havre).
191. La réunion qui s'est tenue à Bihorel à l'hôtel "La Bertelière" en septembre 1997 en vue de la consultation du conseil général du 3 octobre 1997, a permis l'un de ces "tours de table". Il y a lieu de noter la présence à cette réunion de la société Viafrance (§ 49), qui aux termes de l'entente, n'intervenait que sur les routes nationales. Ce point confirme que l'entente englobait tous les marchés publics de l'État et du conseil général. Dans le contexte de cette réunion, les offres faites par cette société (avec la société Screg) sur tous les lots du marché D3, doivent en outre être interprétées comme des offres de couverture.
192. D'une façon générale, toutes les décisions étaient prises collégialement (§ 42) et pendant la dizaine d'années qu'a duré l'entente, les mêmes responsables des entreprises se sont régulièrement réunis (§ 40).
La constitution de groupements en commun, les réunions de suivi et les accords de sous-traitance.
193. Les auditions rapportées ci-dessus révèlent que les entreprises ont systématiquement présenté leurs offres en groupements afin de faciliter la répartition des lots et des travaux entre elles dans le cadre de la mise en œuvre de la clé de répartition. Ces groupements constitués dans ce seul but (§ 40) n'ont d'ailleurs pas été limités aux seules entreprises qui en étaient membres, mais élargis parfois à l'ensemble des entreprises parties à l'entente dans le cadre d'un accord global. Il y a lieu de relever que la société Viafrance a participé à la réunion de l'hôtel La Bertelière en septembre 1997 et est intervenue dans la constitution de groupements dont elle ne faisait pas partie, ce qui confirme à nouveau que l'entente englobait tous les marchés publics de l'État et du conseil général.
194. Des réunions "de suivi" avaient ensuite lieu trois fois par campagne, au cours desquelles "chacun revendiquait les chantiers qui l'intéressaient indépendamment des lots dont les entreprises étaient titulaires" (§ 40).
195. La technique des groupements a été utilisée uniquement dans le but de répartir les lots et les travaux et d'exercer un contrôle mutuel et régulier de l'application des quotas fixés.
196. La sous-traitance a également été un moyen d'équilibrer les parts de marché de chacun. Il y était alors recouru indépendamment des lots dont les entreprises étaient titulaires sous la forme de groupements. "Lorsque le découpage prévu par le conseil général et la répartition par l'entente ne permettaient pas que l'un des participants atteigne sa quote-part, il y avait rétrocession de travaux sous la forme de sous-traitance"(§ 41).
Les pratiques tendant à limiter l'accès au marché
197. Les auditions portant sur le financement par la SNME, entre 1996 et 1997, des actions contentieuses engagées par plusieurs associations de défense des consommateurs, afin d'interdire l'installation de la centrale de la société Buquet, nouvel entrant alors non partie à l'entente, ont été rapportées aux paragraphes 46 à 50 de la décision. Les factures ont été retrouvées et figurent en copie à l'annexe du rapport.
198. La SNME était une société d'exploitation d'une centrale commune - à l'époque - aux sociétés Colas IDFN, dont les sociétés Devaux et Dieppedalle étaient des filiales, depuis lors absorbées, Cochery Bourdin Chaussé et Lalitte TP, Beugnet, Viafrance et Screg.
199. Ce financement ne peut être considéré comme en rapport avec l'objet social de cette société, dont la finalité était l'exploitation d'une centrale, et il a manifestement concouru à servir les intérêts des sociétés Devaux et Dieppedalle (filiales de Colas), CBC et Lalitte (devenues Eurovia et Eurovia Haute Normandie), Beugnet et Viafrance. En outre, les personnels de la SNME étaient tous détachés de leurs entreprises d'origine (D 583, Annexe 1236). Les autres sociétés non actionnaires de la SNME à l'époque entre 1988 et 1998 (EJL, Le Foll, Gagneraud) ont également bénéficié indirectement de ces pratiques.
200. Il ressort des déclarations des MM. A (société Beugnet) et B (société Buquet) relatives à la réunion qui s'est tenue à Bihorel à l'hôtel "La Bertelière" en septembre 1997 en vue de la consultation du conseil général du 3 octobre 1997, que les membres de l'entente, face à l'échec des actions entreprises pour nuire à la société Buquet, ont résolu d'intégrer cette dernière à l'entente.
201. Il résulte de l'ensemble de ces circonstances que la décision de procéder au financement des associations de défense de l'environnement n'a pas pu être prise sans l'aval des sociétés actionnaires de la SNME et en accord avec les autres participantes à l'entente, toutes les décisions étant prises collégialement, et qu'elle a eu pour objet et pour effet de retarder l'entrée sur le marché de la société Buquet.
Le niveau élevé des prix
202. Ainsi qu'il a été indiqué au § 76 , M. B (société Buquet) a indiqué que les prix étaient selon lui "jusqu'en 1998, de 20 à 30 % trop cher", ce qui est un indice que l'entente a eu pour objet et effet la fixation d'un niveau artificiellement élevé des prix. Cet indice conforte les éléments de preuve apportés par les études chiffrées.
La durée de l'entente
203. L'entente est antérieure à 1990. M. C (société Beugnet) a indiqué aux agents de la police judiciaire : "Concernant le marché des enrobés, il y bien eu entente. Quand j'ai pris la direction de TRN [rachetée ensuite par Beugnet] à Saint Etienne du Rouvray en 1990, cette entente fonctionnait déjà sur le département. J'ai pris le train en route. Cette pratique était à l'époque bien huilée (...)" (§ 40). Il a ajouté : "Tout a bien fonctionné pendant une dizaine d'années (...)" (§ 40). C'est à partir de décembre 1998 que des dissensions sont apparues : "Certains des lots ont été attribués en décembre et puis il y a eu une nouvelle phase de marché négocié pour les autres. C'est là que l'entente a volé en éclats, on se savait hautement surveillés et nous n'avions pas eu le temps de nous organiser. Nous étions paniqués car c'était la première fois que le conseil général n'attribuait pas directement la totalité des lots du premier coup. On avait senti qu'il se passait quelque chose d'anormal. (...) Certains d'entre nous avaient eu des échos comme quoi on était sur écoute et l'ambiance était tendue, on se méfiait les une des autres. Tout cela a fait que nous avons rendu des offres à la baisse pour essayer de récupérer quelque chose" (§ 40). Il a indiqué devant le juge d'instruction : "Question : que s'est-il passé en février 1999 ? Réponse : (...) L'entente a alors volé en éclats, (...)" (§ 41).
d. Les indices apportés par l'étude des groupements
La reconduction des mêmes groupements entre 1988 et 1998
204. Comme cela a été indiqué aux paragraphes 27 à 30, les mêmes groupements ont été reconduits sans interruption, tant en ce qui concerne les trois marchés de l'État (E1, E2, E3), qu'en ce qui concerne, de 1988 à 1998, ceux du conseil général (D1, D2, D3).
205. S'agissant des appels d'offres de l'État, il a été indiqué au paragraphe 27 que la société Viafrance a progressivement réalisé la totalité des travaux, ce qui, d'une part prouve que le groupement dont elle faisait partie n'avait pas pour justification des causes techniques, économiques ou financières et, d'autre part, confirme que les routes nationales étaient réservées à la seule société Viafrance, ce qui est un indice supplémentaire de la réalité de l'entente.
206. S'agissant des appels d'offres du conseil général, la recomposition des lots à l'occasion de l'appel d'offres d'octobre 1997 n'a eu aucun effet réel sur la constitution des groupements puisque les entreprises candidates, sous couvert de deux grands groupements, ont en réalité reconstitué de façon transparente les groupements des marchés précédents. En revanche, à partir de 1999, année au cours de laquelle de nouveaux entrants ont commencé à présenter des candidatures isolées, ainsi que cela résulte des développements précédents, les deux groupements ont éclaté et leurs anciens membres ont également concouru seuls ou en groupements plus restreints, alors pourtant que le découpage des lots est, quant à lui, demeuré inchangé (§§ 31 à 37).
207. Ces faits prouvent que les groupements établis entre 1988 et 1998 dans le cadre des appels d'offres du conseil général n'avaient pas non plus pour justification des causes techniques, économiques ou financières. Le maintien de facto des mêmes groupements lors de l'appel d'offres d'octobre 1997, en dépit de la recomposition des lots, est un indice supplémentaire de la réalité de l'entente et de sa continuité.
L'impact des groupements constitués à l'occasion des appels d'offres du département et de l'État.
208. L'étude détaillée de chaque groupement à partir des cartes et tableaux synthétiques qui figurent à la notification de griefs fait ressortir les points suivants (voir § 29).
209. S'agissant du Lot Nord (Dieppe/lots 2, 3 et 4), la société EJL, le groupe Lalitte TP/CBC, puis les sociétés Devaux, Dieppedalle (centrale SCME) étaient susceptibles de répondre seuls aux appels d'offres, compte tenu de leur présence dans les centrales d'enrobés. Un groupement a cependant été constitué par les sociétés Lalitte TP/EJL, associant en outre comme sous-traitantes les sociétés Devaux, Le Foll. Ce groupement a ainsi nécessairement asséché l'ensemble de la concurrence potentielle sur l'arrondissement de Dieppe.
210. Ce constat rejoint la position adoptée par le Tribunal administratif de Rouen le 28 avril 2000. Cette juridiction a porté sur le groupement plus restreint composé des seules sociétés EJL et Lalitte TP l'appréciation suivante (TA Rouen, 28 avril 2000, Aff. Entreprise Jean Lefebvre Normandie, Req n° 000697, AJDA, 20 octobre 2000, p. 842). A la suite d'une demande présentée par la société EJL Normandie tendant à la suspension de "la passation du marché que le département de la Seine-Maritime envisageait de conclure pour les lots 2, 3 et 4 d'un marché à bons de commande de réalisation d'enrobés bitumineux des routes départementales pour les années 2000 et 2001", ce tribunal a jugé : "(...) ; Considérant que si le groupement formé entre l'Entreprise Jean Lefebvre et la SNC Lalitte a déposé une offre conjointe pour l'exécution des lots 2, 3 et 4 du marché litigieux en faisant état de motifs techniques liés à la disponibilité des centrales de production d'enrobés bitumineux, aucun élément du dossier ne permet d'établir la nécessité d'une concentration de leurs capacités techniques dès lors qu'il est constant que chacune de ces sociétés était en mesure, compte tenu de ses capacités financières et techniques propres d'assumer seule les travaux faisant l'objet des lots litigieux ; qu'en outre il n'est pas contesté que l'une des spécificités des marchés d'enrobés réside dans l'importance qui s'attache à disposer, près du lieu du marché, d'une centrale de production d'enrobés ; que dans ces conditions, le groupement entre ces deux sociétés qui disposent l'une et l'autre de centrales d'enrobés bitumineux dans la zone d'intervention est de nature à limiter sensiblement le jeu de la concurrence (...)".
211. S'agissant du lot Ouest (Le Havre/lot 6), les sociétés Dieppedalle, Devaux, Gagneraud, Beugnet, Viafrance et Le Foll (centrale dans l'Eure, située à 15 km du pont de Tancarville) étaient susceptibles de répondre isolément aux appels d'offres. Il a cependant été constitué un groupement par les sociétés Gagneraud et Dieppedalle, associant en outre, comme sous traitantes les sociétés Devaux, Le Foll, Beugnet, CBC et Sacer (de 1988 à 1992). Ce groupement a substantiellement restreint les possibilités de concurrence, d'autant plus qu'il ne demeurait plus à titre de concurrent potentiel que la société Viafrance (et éventuellement Screg, qui n'a jamais été titulaire de l'un des marchés étudiés).
212. S'agissant du lot Sud (Rouen/lots 1et 5), les sociétés Devaux/Dieppedalle (groupe Colas), Le Foll, Viafrance, Beugnet, CBC, et Lalitte TP disposaient des moyens techniques pour réaliser isolément les travaux demandés par le maître d'ouvrage. Tel n'était pas le cas de la société EJL, dont le poste de Saint-Wandrille (centrale "SEVS") n'était pas adapté (Annexe 1400). Un groupement a été constitué entre les sociétés Beugnet, Devaux, Le Foll, associant la société Sacer comme sous-traitante. En 1997, ont en outre été associées les sociétés Dieppedalle et Gagneraud.
213. Ce groupement rassemblait les sociétés disposant des trois centrales les mieux situées, à savoir les centrales SCME (Motteville), Le Foll (Petit Quevilly) et SNME (Tourville la Rivière). Les seules centrales d'enrobés non concernées étaient le poste de Saint Wandrille, de la société EJL, insuffisant en l'occurrence, et la SNMR, qui n'a été mise en place qu'en 1997, par la société Buquet. Dès lors, ce groupement ne peut qu'avoir eu pour effet de restreindre les possibilités de concurrence, en raison des coûts de transport. Les zones de chalandise des centrales de la société Le Foll (à Petit Quevilly) et de la société Beugnet (SNME à Tourville la Rivière) ne sont pas complémentaires car elles se recoupent très largement. Le groupement ne peut donc être justifié par la volonté de recourir à la centrale la plus proche. S'il peut y avoir une certaine complémentarité entre les centrales de Le Foll et de Devaux (ici la SCME), la présence de la société Beugnet (SNME à Tourville la Rivière) apparaît sans aucune justification.
214. S'agissant du lot des routes nationales (marchés E1, E2 et E3), il apparaît que la constitution du groupement qui en a toujours été titulaire (sociétés Viafrance/EJL puis Viafrance/EJLN/Dieppedalle/Devaux) était de nature à limiter la concurrence extérieure au département, aucune autre société n'étant en mesure d'être vraiment compétitive dès lors que la société EJL, puis EJLN, a rejoint ce groupement avec la société Viafrance.
c) Les pratiques retenues
215. Il convient d'observer à titre liminaire que le Conseil n'est pas saisi des pratiques anti-concurrentielles antérieures au 14 mars 1991. Le premier grief ne peut donc être fondé que pour la période du 14 mars 1991 au 31 décembre 1998, les pratiques antérieures n'étant évoquées que pour éclairer le contexte général dans lequel se situent les faits examinés.
216. En considération des indices graves, précis, concordants, réunis au dossier et décrits ci-avant, les pratiques suivantes sont établies sur le marché global de l'épandage des enrobés bitumineux sur les routes de première et deuxième catégories dans le département de la Seine-Maritime :
1. l'instauration de quotas de répartition des tonnages d'enrobés,
2. le contrôle mutuel et régulier de l'application de ces quotas,
3. le versement de "compensations",
4. des échanges réguliers d'informations relatives aux prix des offres antérieurement au dépôt de ces offres,
5. des offres de couverture,
6. la répartition des lots attribués par les collectivités publiques, État et conseil général de la Seine-Maritime, de manière concertée et occulte par le biais de la constitution de groupements sans justification technique, économique ou financière ;
7. la mise en œuvre de pratiques concertées sans rapport avec l'objet social des entreprises ou l'intérêt collectif de la profession, en l'espèce le financement de procédures contentieuses menées par des associations de défense de l'environnement dans le dessein d'empêcher ou au moins retarder l'installation en Seine-Maritime de la centrale d'enrobés de la société Buquet, concurrent potentiel.
217. Ces pratiques caractérisent une entente complexe et continue du 14 mars 1991 au 31 décembre 1998, afin de limiter l'accès au marché, se le répartir et fixer un niveau artificiellement élevé des prix. Cette entente a eu pour objet et pour effet de limiter l'intensité de la concurrence entre les entreprises qui y ont été parties, de faire obstacle à la libre fixation des prix et de tromper le conseil général de la Seine-Maritime et l'État, acheteurs publics, quant à la réalité et à l'étendue de la concurrence s'exerçant entre les entreprises soumissionnaires (1er grief).
218. Les sociétés qui y ont été parties apparaissent de façon générique sous les appellations "Le Foll", "Gagneraud", "CBC", "Lalitte", "EJL", "Viafrance", "Dieppedalle", "Devaux", "TRN" et "Beugnet".
219. Il s'agit respectivement des sociétés Le Foll Travaux Publics, SEE Gagneraud Père et Fils puis SA Gagneraud Construction, Cochery Bourdin Chaussé et Lalitte et Cie, Lalitte TP, Entreprise Jean Lefebvre, Entreprise Jean Lefebvre Normandie, Viafrance, Dieppedalle, Devaux, TRN puis Beugnet et Beugnet Normandie, ainsi que l'ont relevé les rapporteurs dans la notification de griefs (Annexes 14-17).
220. S'agissant de l'appel d'offres du conseil général d'octobre 1997, les pratiques suivantes sont établies à l'encontre des sociétés Le Foll Travaux Publics, SA Gagneraud Construction, Cochery Bourdin Chaussé, Lalitte TP, Entreprise Jean Lefebvre, Entreprise Jean Lefebvre Normandie, Viafrance, Dieppedalle, Devaux, Beugnet et Beugnet Normandie, Buquet :
1. des échanges d'informations relatives au prix de leurs soumissions concernant les lots 1 à 6 antérieurement au dépôt des offres et,
2. la répartition des lots attribués par le département de la Seine-Maritime de manière concertée et occulte par le biais de la constitution de groupements n'ayant aucune justification technique, économique ou financière.
221. S'agissant de la société Buquet, sa participation à cette entente particulière est établie par le dépôt d'une offre qui, dans le contexte de la réunion à l'hôtel La Bertelière de septembre 1997 et de sa présentation en qualité de sous-traitante de l'un des groupements, ne peut être qu'une offre de couverture. En outre, et contrairement à ce qu'allègue cette société, il n'est pas établi qu'ayant accepté de participer à l'entente lors de l'appel d'offres pour le marché de 1998 à 2000 puis ayant décidé après la dénonciation de ce marché en 1999 d'agir seule, elle se soit trouvée placée dans un état de nécessité, lequel n'est admis par la jurisprudence que de façon très restrictive.
222. Ces pratiques caractérisent une entente afin de limiter l'accès au marché, le répartir et, fixer un niveau artificiellement élevé des prix, cette concertation ayant eu pour objet et pour effet de limiter l'intensité de la concurrence entre les entreprises, de faire obstacle à la libre fixation des prix et, de tromper le conseil général de la Seine-Maritime, acheteur public, quant à la réalité et à l'étendue de la concurrence s'exerçant entre les entreprises soumissionnaires (2e grief).
223. Il convient enfin d'observer que le caractère complexe et continu de l'entente visée par le premier grief étant avéré, ainsi que les effets de cette entente sur chacun des marchés D1, D2, D3, E1, E2 et E3, les pratiques relevées à l'appui du second grief (relatives au marché E3) s'intègrent à celles qui ont été relevées à l'appui du premier grief. Il y a lieu en conséquence de ne retenir, à l'encontre des sociétés auxquelles les deux griefs ont été notifiés, que le premier d'entre eux. Le second grief n'est par suite maintenu qu'à l'encontre de la société Buquet.
C. SUR L'IMPUTABILITÉ ET LES SUITES À DONNER
224. En premier lieu, les griefs ont été notifiés aux entreprises auxquelles les pratiques ci-dessus établies sont imputables et qui n'ont pas subi de changement dans leur situation juridique. Ce sont :
- les sociétés Le Foll Travaux publics, Gagneraud Construction et la société d'exploitation Buquet, qui n'ont pas contesté cette imputation ;
- la société Eurovia Participations qui vient aux droits de la SNC Viafrance en conservant le même numéro d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés (RCS), qui n'a pas contesté cette imputation ;
- la société Eurovia SA qui vient aux droits de la SNC Cochery Bourdin et Chaussé, en conservant le même numéro d'immatriculation au RCS que la SNC : cette imputation n'a pas non plus été contestée.
225. En deuxième lieu, les griefs ont été notifiés aux entreprises auxquelles les pratiques ci-dessus établies sont imputables à la suite de changements survenus dans la situation juridique des entreprises auteurs des pratiques. La société Colas Ile de France Normandie, qui a absorbé ses deux filiales, Dieppedalle et Devaux au 1er janvier 2002, répond ainsi des pratiques reprochées à ces dernières, ce qu'elle n'a pas contesté.
226. La société Eurovia Haute Normandie qui a conservé le même numéro d'immatriculation au RCS que la société Lalitte TP (n° RCS 349 054 510) continue la personnalité juridique de cette société. Les rapporteurs ayant abandonné le grief formulé à l'encontre de la société Eurovia Haute Normandie, il a été demandé au cours de la séance à l'avocat de la société Eurovia Haute Normandie de préciser la situation de cette société au regard de l'imputation de la pratique.
227. Par une note en délibéré dont le principe a été admis au cours de la séance du 11 octobre 2005, l'avocat des société Eurovia SA et Eurovia Haute Normandie, a indiqué que "(...) la société Eurovia Haute Normandie a bien le même numéro de RCS que la société en nom collectif Lalitte TP (...)" et que "la société Lalitte TP [est] devenue Eurovia Haute Normandie". Il a ensuite indiqué, comme dans ses écritures précédentes, que "(...) la société Lalitte TP était, à l'époque des faits, une filiale à 100 % de la société en nom collectif CBC, elle même devenue Eurovia SA (...). Dès lors, en application de la jurisprudence Stora Kopparbergs Bergslags AB de la Cour de Justice des Communautés Européennes, il existe une présomption d'absence d'autonomie de cette filiale à l'égard de la société en nom collectif CBC, qui n'est contredite, bien au contraire, par aucune pièce du dossier. Cela a logiquement conduit M. le rapporteur Barbier à imputer "à titre principal" les pratiques de Lalitte TP à CBC/Eurovia SA".
228. Mais il est de jurisprudence constante que "les pratiques mises en œuvre par une société filiale lui sont imputables si celle-ci est en mesure de définir sa propre stratégie commerciale, financière et technique, et de s'affranchir du contrôle hiérarchique du siège de la société dont elle dépend" (rapport du Conseil pour l'année 2003, page 225). Le Conseil a en outre reconnu l'autonomie d'une filiale par rapport à sa maison mère même lorsque la filiale demeure partiellement tributaire de sa maison mère pour l'exercice de son activité (ainsi, décision n° 04-D-44 du 15 septembre 2004, §§ 76 et 77).
229. En l'espèce, les éléments de fait tirés du dossier ne suffisent pas à conclure, comme le soutient la société Eurovia Haute Normandie, à l'absence d'indépendance de la société Lalitte TP à l'égard de sa maison mère, la société Cochery Bourdin Chaussé. Il ressort en effet des pièces saisies (§§ 51, 54, 57, 60, 61, 68) et de la reconstitution des tonnages effectivement épandus entre 1990 et 1998 (§ 69), que les sociétés Lalitte TP et Cochery Bourdin Chaussé ont l'une et l'autre participé à l'entente et que, si elles étaient manifestement considérées par les autres parties à l'entente comme agissant de concert, elles n'en ont pas moins conservé dans leurs rapports réciproques une autonomie de comportement dans la limite compatible avec les contraintes suscitées par la mise en œuvre de l'entente, contraintes que toutes les parties à l'entente ont également subies. C'est donc à la société Lalitte TP, et non à sa société mère, que les pratiques mises en œuvre par la société Lalitte TP doivent être imputées. La restructuration du groupe Eurovia témoigne également de l'autonomie de la filiale qui a conservé son immatriculation au RCS et dont seul le siège social a été transféré de Dieppe à Rouen. La société Eurovia Haute Normandie, qui succède juridiquement à la société Lalitte TP, doit donc répondre des pratiques retenues.
230. S'agissant des faits reprochés aux sociétés Entreprise Jean Lefebvre et/ou Entreprise Jean Lefebvre Normandie (n° RCS 380 230 490), les rapporteurs ont imputé les pratiques reprochées à la société Entreprise Jean Lefebvre, à la société Eurovia SA, et les pratiques reprochées à la société Entreprise Jean Lefebvre Normandie, aux sociétés Eurovia Haute Normandie et Viafrance Normandie.
231. Or, en premier lieu, les éléments du dossier ne permettent pas d'affirmer que la société Eurovia SA vient aux droits de la société Entreprise Jean Lefebvre. Même si la société Eurovia SA, qui n'a pas réalisé de chiffres d'affaires en 2004, n'a pas contesté ce point, il n'en demeure pas moins que cette imputation ne peut être considérée comme établie (cf. décision 05-D-19 du 12 mai 2005, § 196).
232. La société Eurovia SA a, en second lieu, transmis au cours de la procédure écrite des pièces de nature, selon elle, à exonérer les sociétés Eurovia Haute Normandie et Viafrance Normandie de toute imputation des pratiques mises en œuvre par la société EJL Normandie. Il ressort en effet de ces pièces que le patrimoine de la société EJL Haute Normandie a été transmis par acte du 25 novembre 2002, et à la suite de sa dissolution, à la société Eurovia (Annexes 494-496). Ces pièces n'indiquent cependant pas l'identité de la société dont la dénomination sociale a été modifiée "(...) pour adopter celle de EJL Haute Normandie" (Annexe 494). La société Eurovia a indiqué dans ses écritures du 27 avril 2005 (Annexe 468), en renvoyant aux pièces précitées, que "EJL Normandie [est] devenue EJL Haute Normandie par une décision de son assemblée générale extraordinaire en date du 29 janvier 2001, puis [a] été dissoute sans liquidation par son actionnaire unique Eurovia SA par une décision de l'assemblée générale extraordinaire du 3 janvier 2003 (Annexe 1). En tout état de cause, c'est donc également à Eurovia SA que doivent être imputées les pratiques de EJLN". Il est également établi que le numéro d'immatriculation au RCS de ces sociétés EJL Normandie et EJL Haute Normandie est identique (Annexes 1442 et 495 : n° 380 230 490).
233. Si, dans sa note en délibéré du 25 octobre 2005, le conseil de la société Eurovia SA, a indiqué que "(...) la société Lalitte TP a fait l'objet, le 17 janvier 2001, d'un premier changement de dénomination sociale pour devenir Entreprise Jean Lefebvre Normandie (...)" (soulignés ajoutés), il importe de noter qu'il s'agit là d'une seconde société EJL Normandie dont le numéro de RCS est celui de la société Lalitte TP (n° RCS 349 054 510). Dès lors, les pratiques mises en œuvre par les sociétés EJL (maison mère) et sa filiale EJLN (n° 380 230 490) ne peuvent être imputées à aucune des sociétés auxquelles les griefs ont été notifiés.
234. Enfin, il convient d'examiner l'imputabilité des pratiques qui, étant continues, ont été mises en œuvre successivement par la société Beugnet SA et la SNC Beugnet France puis par la SNC Beugnet Normandie qui a acquis le fonds de commerce des deux premières sociétés, les griefs ayant été notifiés à la société Appia ainsi qu'à la société Appia Haute Normandie, nouvelle dénomination de Beugnet Normandie. Cette acquisition a eu lieu en vertu d'un plan de cession des actifs de l'ensemble des sociétés du groupe Beugnet à la société Eiffage qui a réparti les actifs entre différentes filiales. Les sociétés Beugnet SA et SNC Beugnet France, dont les actifs ont été dévolus à la SNC Beugnet Normandie, sont en liquidation amiable et leurs immatriculations au RCS n'ont pas été radiées. Elles continuent à être responsables des pratiques reprochées afférentes à la période allant du 14 mars 1991 au 26 décembre 1995 mais aucun grief ne leur a été notifié. A compter de la date d'acquisition du fonds de commerce, la SNC Beugnet Normandie est devenue elle-même responsable des pratiques reprochées pour la période allant du 26 décembre 1995 à courant 1998. La société Appia Haute Normandie, qui assure la continuité juridique de la SNC Beugnet Normandie, ce qui n'est pas contesté (même numéro de RCS 402 038 384), répond ainsi des pratiques reprochées pour cette dernière période, mais non la société Appia SA, qui doit être mise hors de cause.
235. Les pratiques ne sont en outre pas imputables aux sociétés Immobilière Le Foll et Viafrance Normandie, qui doivent également être mises hors de cause.
D. SUR LES SANCTIONS
236. Les pratiques retenues ci-dessus ont été commises antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques. En vertu de la non rétroactivité des lois à caractère punitif, les dispositions introduites par cette loi à l'article L. 464-2 du Code de commerce, en ce qu'elles sont plus sévères que celles qui étaient en vigueur antérieurement, ne leur sont pas applicables.
237. Aux termes de l'article L. 464-2 du Code commerce dans sa rédaction applicable avant l'entrée en vigueur de la loi du 15 mai 2001 : "Le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement soit en cas de non exécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 % du chiffre d'affaires hors taxe réalisé en France au cours du dernier exercice clos. Si le contrevenant n'est pas une entreprise, le maximum est de 1 524 490 euro (10 000 000 francs)".
1. SUR LA GRAVITÉ DES FAITS
238. Ainsi que la Cour de cassation l'a rappelé dans un arrêt du 24 mars 1998 (Sade), "la tromperie de l'acheteur public érigé en système perturbe le secteur où elle est pratiquée et porte une atteinte grave à l'ordre public économique".
239. Les pratiques concertées entre les sociétés Le Foll Travaux publics, Gagneraud Construction, Eurovia SA, Eurovia Participations, Eurovia Haute Normandie, Colas Ile de France Normandie, Appia Haute Normandie et Buquet sont d'autant plus graves qu'elles visaient non seulement à répartir entre ces sociétés l'ensemble des lots des marchés du département et de l'État dans le secteur de la construction des routes de première et deuxième catégorie en Seine-Maritime, mais également à leur assurer des prix supérieurs à ceux qui auraient résulté du libre jeu de la concurrence.
240. De tels agissements sont, en outre, de nature à tromper les organismes publics quant à l'existence ou l'intensité de la concurrence à l'occasion d'appels d'offres.
241. Il résulte au surplus de l'enquête et de l'instruction que cette entente reposait sur un système particulièrement élaboré, fonctionnait par répartition et compensation des tonnages, donnait lieu à des réunions régulières des sociétés qui échangeaient des informations sur leurs offres, pratiquaient des offres de couverture et l'exclusion des concurrents potentiels. Des entreprises d'envergure nationale ont pris part à cette entente.
242. Par ailleurs, l'entente s'est poursuivie jusque courant 1999, en dépit de l'enquête de la DGCCRF qui a débuté en juin 1994, ce que n'ignoraient pas les sociétés impliquées puisqu'elles ont toutes (à l'exception de la société Buquet) fait l'objet en juin 1994 de l'opération de visite et saisie déclenchée par la DGCCRF à cette occasion.
2. SUR LE DOMMAGE À L'ÉCONOMIE
243. Le dommage à l'économie découle, notamment, de ce que la pratique a duré au moins huit années et à des prix nettement supérieurs à ceux résultant du libre jeu de la concurrence. Le fait, pour des entreprises, d'être désignées titulaires de ces marchés induit en leur faveur un avantage concurrentiel pour l'obtention d'autres marchés, publics ou privés, dans le département. Si l'entreprise Buquet est de taille modeste, les autres sociétés en cause sont des entreprises d'importance nationale ou filiales de grands groupes nationaux. Le dommage à l'économie dépasse ainsi le simple enjeu des marchés en cause ; en effet, la mise en œuvre par de telles entreprises sur les marchés d'un département de pratiques prohibées peut donner à penser aux entreprises appartenant aux mêmes groupes et aux entreprises indépendantes que ce type de comportement est général et inciter les unes à l'adopter pour d'autres marchés et les autres à renoncer à faire des offres sur les marchés d'une certaine importance, qu'elles seraient aptes à réaliser, mais qui seraient convoités par les filiales de grands groupes.
244. Bien que le dommage à l'économie résultant des pratiques soit distinct du dommage directement souffert par le maître d'ouvrage et s'apprécie en fonction de l'entrave directe portée au libre jeu de la concurrence, le dossier permet de réunir des éléments utiles pour mesurer le surcoût supporté, du fait de l'entente, par l'acheteur public.
245. Contrairement à ce qui est soutenu notamment par la société Colas IDFN, le fait que des offres aient pu être inférieures aux estimations de l'un des maîtres d'ouvrage, en l'occurrence le conseil général de Seine-Maritime, ne saurait aucunement prouver l'absence d'un tel dommage (Cour d'appel de Paris, 26 janvier 1999, Bianco et Arbex ; Cour d'appel de Paris, 12 décembre 2000, Sogea Sud Est). En effet, dans la mesure où ces estimations avaient pour référence les offres retenues lors des appels d'offres précédents, qui étaient déjà le résultat d'une coordination des offres de la part des sociétés en cause ayant abouti à des prix fixés artificiellement, ces estimations étaient elles-mêmes faussées. Par ailleurs, l'entente a précisément eu pour effet d'empêcher l'établissement d'un prix réellement concurrentiel et librement débattu qui aurait pu être plus bas en son absence.
246. Il y a lieu de rappeler sur ce point les déclarations de M. C..., directeur adjoint de la direction départementale des infrastructures, mentionnées au rapport F 1117 de la DGCCRF (Annexe 131) et qui concernent le marché D1 : "Concernant l'estimation administrative du marché d'enrobés de 1988, ce genre de marché de campagne était déjà en vigueur sur l'arrondissement de Rouen les années précédentes. Pour réaliser l'estimation, le service s'est basé sur les coûts de l'année précédente en les réactualisant".
247. La notification de griefs (Annexes 58 et 69-70), a fait état des études menées par les enquêteurs de la DGCCRF concernant le préjudice subi par le conseil général de la Seine-Maritime (Annexes 1060-1120 et 1259-1315).
248. Ces études concernent l'évolution du prix moyen des enrobés payés par le conseil général au regard de l'évolution de l'indice de référence TP 09. Il a été procédé à une indexation à rebours (rétropolation) à partir de l'année 2000, en se référant aux variations annuelles de l'indice TP 09 pendant la durée de l'entente. Cette étude repose sur les postulats suivants :
1. Les prix constatés en 2000 sont des prix qui traduisent le retour à une certaine concurrence, car l'année 2000 suit l'année de rupture de l'entente et marque une stabilisation des prix après la baisse amorcée fin 1998 ; le point de départ de la rétropolation doit donc être l'année 2000 ;
2. L'indice TP 09 reflète fidèlement le coût moyen des travaux d'épandage des enrobés ; par conséquent la comparaison de l'évolution de l'indice TP 09 avec celle de l'évolution du prix moyen payé par le département est pertinente (cf, §§ 74, 75).
249. En rétropolant les prix moyens constatés chaque année en fonction de l'évolution annuelle de l'indice TP 09, on obtient les prix moyens théoriques qui auraient été fixés en l'absence de l'entente. Ces calculs reproduits ci-après, permettent de conclure que le conseil général de Seine-Maritime a payé un surcoût d'environ 41 millions d'euro (269 MF) de 1992 à 1998, soit en moyenne un surcoût annuel de 5,86 millions d'euro (Annexe 70).
<emplacement tableau>
250. Les sociétés Colas IDFN, Eurovia SA et Appia produisent des études dans lesquelles est contestée la quantification du dommage à l'économie menée par les enquêteurs de la DGCCRF et reprise à leur compte par les rapporteurs lors de la notification des griefs.
251. Ces études tentent de réfuter les deux postulats rappelés au paragraphe 248 :
- en premier lieu, les prix observés au cours de l'année 2000 ne pourraient constituer une référence pertinente au calcul du dommage à l'économie. L'application à rebours de l'indice TP 09 à partir de l'année 2000 conduirait en effet à des prix théoriques qui n'auraient pas permis aux entreprises de réaliser une marge économiquement viable (premier point).
- en second lieu, la référence à l'indice TP 09 ne serait pas pertinente : selon les parties, cet indice ne prendrait pas en compte des facteurs structurels qui différencieraient les marchés en cause (second point).
252. Mais sur le premier point, l'étude produite par la société Appia confirme cependant que "dans son principe la méthode de rétropolation peut en effet être retenue" (Consultation de Glais CE, page 2) et que "la période 1998-2000 s'est caractérisée par une instabilité tarifaire consécutive à la rupture de l'équilibre collusif" (Consultation de Glais CE, page 3, soulignement ajouté).
253. Surtout, ces critiques ne sont pas fondées. Le fait que les prix théoriques (calculés par rétropolation) n'auraient pas permis à certaines entreprises en cause de couvrir leurs coûts ou de réaliser des marges, ne fait pas obstacle à ce que les prix moyens constatés en 2000 servent de référence au calcul de ces prix théoriques. L'analyse proposée démontre simplement que les entreprises qui avancent ces arguments n'étaient plus compétitives sur le marché en 2000 ; cette perte de compétitivité apparaît comme l'une des conséquences de l'entente. De même, la référence au taux de marge n'est pas pertinente, car en l'absence de l'entente, la pression concurrentielle aurait incité les entreprises à accroître leur efficacité économique. Les coûts auraient donc été moins élevés et les marges auraient alors atteint un niveau économiquement viable. On peut aussi noter que les processus concurrentiels ont un rôle de sélection des opérateurs actifs sur un marché, les moins efficaces d'entre eux étant éliminés par le jeu de la concurrence. Une entente, qui met les participants à l'abri de la concurrence, peut contribuer à maintenir sur le marché des entreprises inefficaces. Enfin, la stabilité des prix de référence entre 2000 et 2001 est un indice du rétablissement de la libre concurrence sur ce marché à partir de 2000. Il apparaît que le prix 2000 est le bon prix parce qu'il est le seul à résulter d'un mécanisme concurrentiel.
254. Sur le second point, l'indice TP 09, "est l'indicateur officiel des coûts de fourniture et de mise en œuvre des enrobés bitumeux et sert de référence aux professionnels et acheteurs publics, en particulier pour actualiser les prix de marchés pluriannuels" (Sorgem Evaluation, p.3). L'évolution des prix moyen/tonne dans le département du Calvados, comparable à celle de l'indice TP 09 (pour les années 96 à 99), montre que cet indice est un indice pertinent dans le calcul des prix de référence. Les écarts des prix moyens constatés en Seine-Maritime par rapport aux prix théoriques qui auraient été pratiqués en l'absence d'entente (calcul figurant au tableau ci-dessus) suivent la même évolution que les écarts des prix moyens constatés en Seine-maritime par rapport aux prix moyens constatés dans le Calvados. Les calculs basés sur l'indice TP 09 constituent une simple évaluation en ordre de grandeur.
<emplacement tableau>
255. Les tableaux ainsi obtenus montrent que l'évolution de l'indice TP 09 reflète celle du prix moyen du Calvados, ce qui prouve bien la corrélation existant entre l'indice TP 09 et les prix moyens des enrobés bitumeux.
256. Si l'on choisit pour référence l'année 1999 et non plus l'année 2000 comme point de départ de la rétropolation, et ce afin d'écarter la critique développée par la société Colas IDFN relative à la mise en œuvre en 2000 de centrales d'enrobés mobiles de nature, selon elle, à avoir une incidence importante sur les prix des enrobés, il apparaît que le conseil général de Seine-Maritime a néanmoins et, au minimum, payé un surcoût d'environ 24,5 millions d'euro de 1992 à 1998 (160,6 MF), soit en moyenne un surcoût annuel de 3,5 millions d'euro, ce qui constitue l'hypothèse basse du dommage à l'économie.
<emplacement tableau>
257. Bien que la mesure exacte du préjudice subi par le conseil général de Seine-Maritime soit distincte de l'évaluation du dommage à l'économie, les chiffres précités, calculés par rétropolation à partir des années 1999 et 2000, fournissent un ordre de grandeur sur sa dimension minimale, comprise entre 24,5 millions d'euro et 41 millions d'euro. Le surcoût payé par l'Etat, qui est certain, n'a pu en effet être évalué. Enfin, le préjudice mesuré ci-dessus n'a par été réévalué en le pondérant d'un taux d'intérêt.
3. SUR LE MONTANT DES SANCTIONS
a) En ce qui concerne la société Viafrance Normandie
258. Aucun grief n'a été imputé à la société Viafrance Normandie qui ne vient pas aux droits des sociétés Entreprise Jean Lefebvre Normandie et Entreprise Jean Lefebvre Haute Normandie. Cette société doit être mise hors de cause.
b) En ce qui concerne la société Immobilière Le Foll
259. La société Immobilière Le Foll, qui n'a pas d'activité directe dans le domaine des travaux publics, n'a pas participé à l'entente en sus de la société Le Foll TP et les pratiques mises en œuvre par celle-ci ne lui sont pas imputées. Cette société doit être mise hors de cause.
c) En ce qui concerne la société Appia SA
260. La société Appia SA ne répond ni des pratiques mises en œuvre par les sociétés Beugnet SA ou Beugnet France, afférentes à la période allant du 14 mars 1991 au 26 décembre 1995, ni de celles afférentes à la période postérieure allant du 26 décembre 1995 à courant 1998 imputées à la SNC Beugnet Normandie devenue Appia Haute Normandie. Cette société doit être mise hors de cause.
d) En ce qui concerne la société Eurovia SA
261. La société Eurovia SA, anciennement Cochery Bourdin Chaussé, a été depuis le 14 mars 1991, point de départ de la période des faits dont le Conseil est saisi, l'une des parties à l'entente continue qui a porté sur le marché de l'épandage des enrobés bitumineux sur les routes de première et de deuxième catégories dans le département de la Seine-Maritime, laquelle englobe les faits relatifs à l'appel d'offres du conseil général de Seine-Maritime d'octobre 1997.
262. Il ressort toutefois des liasses fiscales DGI 2050 à 2053 adressées par cette société que celle-ci n'a pas réalisé de chiffres d'affaires au titre de l'année 2004. Compte tenu de ces éléments, il n'y a donc pas lieu de prononcer de sanction à son égard (cf. décision n° 05-D-19 du 12 mai 2005, § 192).
e) En ce qui concerne la société Eurovia Participations
263. La société Eurovia Participations, anciennement Viafrance, a été depuis le 14 mars 1991 l'une des parties à l'entente continue qui a porté sur le marché de l'épandage des enrobés bitumineux sur les routes de première et de deuxième catégories dans le département de la Seine-Maritime, laquelle englobe les faits relatifs à l'appel d'offres du conseil général de Seine-Maritime d'octobre 1997.
264. Il ressort toutefois des liasses fiscales DGI 2050 à 2053 adressées par cette société que celle-ci n'a pas réalisé de chiffres d'affaires au titre de l'année 2004. Il n'y a donc pas lieu de prononcer de sanction à son égard.
f) En ce qui concerne la société Eurovia Haute Normandie
265. La société Eurovia Haute Normandie, anciennement Lalitte TP, a été depuis le 14 mars 1991 l'une des parties à l'entente continue qui a porté sur le marché de l'épandage des enrobés bitumineux sur les routes de première et de deuxième catégories dans le département de la Seine-Maritime, laquelle englobe les faits relatifs à l'appel d'offres du conseil général de Seine-Maritime d'octobre 1997.
266. Le chiffre d'affaires de la société Eurovia Haute Normandie s'est élevé pour la France et au titre de l'année 2004, à 57 000 886 euro. Compte tenu des éléments généraux et particuliers précédemment exposés, la sanction doit être fixée à 2 800 000 euro.
g) En ce qui concerne la société Colas Ile de France Normandie
267. La société Colas IDFN, qui vient aux droits des sociétés Dieppedalle et Devaux, a été depuis le 14 mars 1991 l'une des parties à l'entente continue qui a porté sur le marché de l'épandage des enrobés bitumineux sur les routes de première et de deuxième catégories dans le département de la Seine-Maritime, laquelle englobe les faits relatifs à l'appel d'offres du conseil général de Seine-Maritime d'octobre 1997.
268. Le chiffre d'affaires de la société Colas IDFN s'est élevé pour la France et au titre de l'année 2004, à 424 711 416 euro. Compte tenu des éléments généraux et particuliers précédemment exposés, la sanction doit être fixée à 21 000 000 euro.
h) En ce qui concerne la société Le Foll Travaux publics
269. La société le Foll TP a été depuis le 14 mars 1991 l'une des parties à l'entente continue qui a porté sur le marché de l'épandage des enrobés bitumineux sur les routes de première et de deuxième catégories dans le département de la Seine-Maritime, laquelle englobe les faits relatifs à l'appel d'offres du conseil général de Seine-Maritime d'octobre 1997.
270. Le chiffre d'affaires de cette société s'est élevé pour la France et au titre de l'année 2004, à 58 442 069 euro. Compte tenu des éléments généraux et particuliers précédemment exposés, la sanction doit être fixée à 2 900 000 euro.
i) En ce qui concerne la société Gagneraud Construction
271. La société Gagneraud Construction qui succède à la société d'exploitation Gagneraud Père et Fils a, depuis le 14 mars 1991, été partie à l'entente continue qui a porté sur le marché de l'épandage des enrobés bitumineux sur les routes de première et de deuxième catégorie dans le département de la Seine-Maritime, laquelle englobe les faits relatifs à l'appel d'offres du conseil général de Seine-Maritime d'octobre 1997.
272. Le chiffre d'affaires de cette société s'est élevé pour la France et au titre de l'année 2004, à 131 859 634 euro. Compte tenu des éléments généraux et particuliers précédemment exposés, la sanction doit être fixée à 6 500 000 euro.
j) En ce qui concerne la société Appia Haute Normandie
273. La SNC Beugnet Normandie dont la nouvelle dénomination est Appia Haute Normandie a acquis le 26 décembre 1995 le fonds de commerce des sociétés Beugnet SA et Beugnet France. Elle n'a donc été qu'à compter du 26 décembre 1995 partie à l'entente complexe et continue qui a porté sur le marché de l'épandage des enrobés bitumineux sur les routes de première et de deuxième catégorie dans le département de la Seine-Maritime, laquelle englobe les faits relatifs à l'appel d'offres du conseil général de Seine-Maritime d'octobre 1997.
274. Le chiffre d'affaires de la société Appia Haute Normandie s'est élevé pour la France et au titre de l'année 2004, à 19 534 170 euro. Compte tenu des éléments généraux et particuliers précédemment exposés, la sanction doit être fixée à 400 000 euro.
k) En ce qui concerne la société d'exploitation Buquet
275. La société d'exploitation Buquet a soumis une offre de couverture lors de l'appel d'offres du conseil général de Seine-Maritime d'octobre 1997 (§ 221), mais a ensuite contribué à la rupture de l'entente courant 1999, qui a entraîné la baisse du prix des enrobés (§§ 31, 34, 37, 74, 75).
276. Le chiffre d'affaires de cette société pour l'année 2004 n'était pas arrêté au jour de la séance, le 11 octobre 2005. Il s'est élevé pour la France et pour l'exercice de 12 mois arrêté au 31 août 2003, à 11 702 609 euro. Les responsables de la société Buquet ont indiqué estimer que son chiffre d'affaires devrait s'élever à 18 300 000 euro pour la période des 18 mois suivants. Compte tenu des éléments généraux et particuliers précédemment exposés, la sanction doit être fixée à 60 000 euro.
Décision
Article 1er : Les sociétés Appia SA, Immobilière Le Foll et Viafrance Normandie, sont mises hors de cause.
Article 2 : Il est établi que les sociétés Eurovia Haute Normandie, Colas Ile de France Normandie, Le Foll Travaux publics, Gagneraud Construction, Eurovia SA, Eurovia Participations, , ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce en participant du 14 mars 1991 à courant 1998 à une entente complexe et continue portant sur le marché de l'épandage des enrobés bitumineux sur les routes de première et de deuxième catégories dans le département de la Seine-Maritime.
Article 3 : Il est établi que la société Appia Haute Normandie a enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce en participant du 26 décembre 1995 à courant 1998 à une entente complexe et continue portant sur le marché de l'épandage des enrobés bitumineux sur les routes de première et de deuxième catégories dans le département de la Seine-Maritime.
Article 4 : Il est établi que la société d'exploitation Buquet a enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce à l'occasion de l'appel d'offres du conseil général de Seine-Maritime d'octobre 1997.
Article 5 : Il n'y a pas lieu d'infliger de sanction pécuniaire aux sociétés Eurovia SA et Eurovia Participations, qui n'ont pas réalisé de chiffre d'affaires au titre du dernier exercice clos.
Article 6 : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :
à la société Eurovia Haute Normandie une sanction de 2 800 000 euro ;
à la société Colas Ile de France Normandie une sanction de 21 000 000 euro ;
à la société Le Foll Travaux publics une sanction de 2 900 000 euro :
à la société Gagneraud Construction une sanction de 6 500 000 euro ;
à la société Appia Haute Normandie une sanction de 400 000 euro ;
à la société d'exploitation Buquet une sanction de 60 000 euro.