CA Nîmes, 1re ch. civ. B, 27 septembre 2005, n° 03-01739
NÎMES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Duchesne (SA)
Défendeur :
Robert
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chalumeau
Conseillers :
M. De Monredon, M. Coursol
Avoués :
SCP Curat-Jarricot, SCP Guizard-Servais
Avocats :
Mes Chas, Pons
Exposé du litige :
Le 16 octobre 2002, M. Albert Robert a reçu un courrier de la "société TV Direct Distribution" le désignant de façon nominative et répétitive comme le gagnant d'une somme de 10 000 euro, avec annonce d'un paiement immédiat, pourvu que fût effectués une commande ainsi que le renvoi de la "carte de confirmation gagnante".
M. Robert a effectué une commande d'un montant de 51,65 euro, dont le chèque fût aussitôt débité, en y joignant la "carte de confirmation gagnant".
N'ayant jamais reçu le chèque de 10 000 euro et la "société TV Direct Distribution" n'ayant jamais daigné répondre à ses courriers de relance, il a fini par la faire assigner en paiement, par acte d'huissier du 28 janvier 2003, devant le Tribunal de grande instance d'Ales.
La "société TV Direct Distribution" n'a pas constitué avocat.
Par jugement du 11 mars 2003 auquel il est référé pour plus ample exposé de ses motifs et de son dispositif, le Tribunal de grande instance d'Ales a :
- condamné la "société TV Direct Distribution" à payer à M. Robert la somme de 10 000 euro avec intérêts au taux légal à compter du 28 janvier 2003,
- débouté M. Robert de sa demande de dommages et intérêts
- a condamné la "société TV Direct Distribution" à lui payer la somme de 800 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux dépens.
Le 7 avril 2003, la société D. Duchesne, société anonyme de droit belge exerçant son activité sous l'enseigne "TV Direct Distribution" a relevé appel de cette décision.
Par conclusions signifiées le 5 juillet 2004 auxquelles il est référé pour plus ample exposé de ses fins, moyens et prétentions, elle demande à la cour de :
- infirmier le jugement du Tribunal de grande instance d'Ales du 11 mars 2003,
- constater qu'elle a bien mis en évidence l'aléa existant dans l'opération promotionnelle,
- constater qu'aucune faute ne peut être mise à sa charge alors qu'elle a par ailleurs "souscrit" (sic) à ses obligations,
- constater qu'il n'existe aucun engagement ferme de versement d'un prix, aucun engagement contractuel, "à la charge de" la SA D. Duchesne,
- débouter M. Robert de l'ensemble de ses demandes, fin et conclusions,
- la recevoir en sa demande reconventionnelle,
- dire que M. Robert a introduit à son encontre une procédure abusive,
- le condamner à lui payer de la somme de UN euro à titre de dommages et intérêts,
- condamner M. Robert à lui payer la somme de 1 525 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux entiers dépens.
Par conclusions signifiées le 19 mai 2004 auxquelles il est référé pour plus ample exposé de ses fins, moyens et prétentions, M. Robert demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la "société TV Direct Distribution" à lui payer la somme de 10 000 euro représentant le gain annoncé.
- y ajoutant, condamner la société D. Duchesne à lui payer la somme de 5 000 euro à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral el résistance abusive à paiement,
- la condamner, en outre, à lui payer la somme de 2 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 mai 2005.
Motifs :
Attendu que l'article 1371 du Code civil énonce que les quasi-contrats sont des faits purement volontaires de l'homme, dont il résulte un engagement quelconque envers un tiers :
Que par un arrêt n° 212 rendu le 6 septembre 2002, la Cour de cassation, statuant en chambre mixte, a jugé, au visa de cet article, que l'organisateur d'une loterie qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence l'existence d'un aléa s'oblige, par ce fait purement volontaire, a le délivrer ;
Attendu qu'en l'espèce, M. Albert Robert a reçu d'une société de vente par correspondance paraissant se dénommer "TV Direct Distribution" une lettre contenant, outre un bon de commande, divers documents l'informant qu'il était le gagnant d'un prix de 10 000 euro payable sous forme d'un chèque ;
Qu'ainsi figurent dans cet envoi, entre autres documents allant dans le même sens, les documents suivants :
- une "confirmation officielle de gain" mentionnant
"C'est officiel ! Les résultats définitifs viennent de tomber : M Albert, vous avez vraiment gagné ; votre numéro personnel a été légalement (sic) choisi ! En Outre en nous renvoyant simplement la carte de confirmation gagnante du chèque nous vous garantissons l'envoi de 10 000 euro (65 595,70 F), à votre ordre exclusif ; ce n'est pas une plaisanterie : Le procès-verbal de l'huissier de justice le certifie et le confirme" ;
sur laquelle figure un fac-simile de chèque de 10 000 euro "à réclamer" par "M Albert" (étant observé que le bénéficiaire aurait dû être en l'occurrence M. Robert (prénom Albert)... ce qui démontre les limites de l'intelligence virtuelle),
- une "attestation d'engagement formel d'envoi de règlement" par laquelle un certain "C. François agissant en qualité de directeur de la société TV Direct Distribution" s'engage formellement "conformément aux conclusions de ladite commission" (sic) à expédier à M. Robert (suit son adresse personnelle à Ales) "le règlement de l'envoi du chèque de 10 000 euro en recommandé sous 15 jours maximum à réception de la commande", une mention spécialement mise en évidence le mettant en garde sur la nécessité de vérifier l'exactitude de son adresse "avant l'expédition de sa commande" car "cela risquerait de retarder la remise du règlement prévu".
- une lettre présentée de manière à évoquer une lettre manuscrite personnalisée comportant les phrases suivantes (majuscules respectées) :
"... Je comprendre qu'en lisant ce courrier vous puissiez avoir des doutes et pourtant c'est incontestable et je tiens à vous le confirmez à nouveau et personnellement
- le courrier que vous avez entre les mains n'est pas un jeu mais bien un courrier administratif important.
- Nous n'attendons plus qu'une simple commande de votre part.
Quelque soit son montant, dès réception par nos services administratifs et uniquement en ce cas, j'aurais le plaisir de procéder officiellement et immédiatement à l'envoi à votre domicile d'un nouveau règlement, soit "envoi du chèque de 10 000 euro en recommandé" et sous contrôle d'un huissier de justice...Sans réponse de votre part je serais dans l'obligation de suspendre définitivement l'envoi de ce règlement... j'attends donc avec impatience votre commande dans les tous prochains jours... "
- un document intitulé "Notification d'envoi confirmé de règlement" dans lequel figurent les phrases suivantes : "Ceci est un document administratif - pas un jeu" "M. Robert, c'est un engagement ferme et définitif ! Dès réception de votre Avis d'Acceptation, nous procéderons à l'envoi immédiat de votre Règlement..." "Envoi garanti sous contrôle d'un huissier de justice " à coté de la mention " l'envol du chèque de 10 000 euro en recommandé"
Que ces documents, qui ne font apparaître la subsistance du moindre aléa, présentent M. Robert comme ayant définitivement gagné un prix de 10 000 euro ;
Que, pour tenter de mettre en évidence l'existence d'un aléa, la SA Duchesne développe une argumentation dont le seul mérite est de mettre en évidence des manœuvres destinées à tromper le destinataire de l'envoi, en l'occurrence M. Robert, consistant à soutenir qu'en réalité le "règlement" dont l'envoi était promis n'était, en fait, jamais que le règlement d'un jeu dénommé "L'envoi du chèque de 10 000 euro en recommandé" et qu'il ne pouvait se méprendre, en lisant avec attention, d'autres documents dont il a été destinataire, sur le fait qu'il avait participé à une loterie avec pré-tirage, sa qualité de gagnant définitif n'étant pas dès lors avérée ;
Mais attendu que certains des autres documents dont M. Robert a également été destinataire ont été établis uniquement dans le dessein de permettre à la SA Duchesne, autant que possible une fois la commande effectuée et son montant encaissé, d'éluder, en s'en prévalant, son engagement de paiement pris par ailleurs ;
Que ces documente bénéficient, en effet, d'une présentation toute différente de celle des documents mis en exergue, faite d'usage de caractères minuscules, difficilement lisibles, propres à dissuader un consommateur moyen de les lire et, s'il le fait néanmoins, destinées, par le manière peu claire dont ils sont rédigés, à l'empêcher de prendre conscience de leur finalité, à savoir revenir sur l'engagement de paiement, sans le dissuader de passer aussitôt commande et ce avec des invitations répétées à le faire dans les plus brefs délais, peu propices à la réflexion ;
Attendu, en conséquence, que ces documents ne sont pas propres à aller à l'encontre des documents cités plus haut qui constituent, par leur nombre, leur présentation (forme évoquant des documents émanant d'une autorité administrative bénéficiant à ce titre d'une valeur particulière avec, par exemple, mention "ceci n'est pas un jeu mais un document administratif", usage répétitif de majuscules et de caractères gras destinés à focaliser l'attention du lecteur) et les affirmations qui y sont faites de manière répétée, un engagement unilatéral et irrévocable de leur expéditeur de payer à M. Robert qui, en renvoyant les documents exigés, l'a accepté, la somme de 10 000 euro payable au moyen d'un chèque de ce montant :
Que la cour relève au passage que la SA Duchesne est particulièrement mal venue de faire plaider, en se référant à quelques mentions disséminées ici et là dans son envoi, qu'il n'y avait aucune obligation d'achat, les documents cités plus haut prouvant amplement que tout était fait pour persuader le lecteur, futur client escompté, du contraire ;
Qu'il convient de relever que cette manière de procéder est formellement interdite par l'article L. 121-36 du Code de la consommation :
Que le jugement sera confirmé sur le principe de la condamnation à payer cette somme avec intérêts à compter de la date de l'assignation :
Qu'il convient toutefois de relever que la "société TV Direct Distribution" visée par la condamnation n'est, en réalité, que l'enseigne de la SA D. Duchesne, comme elle le revendique pour établir sa capacité à ester en justice, en produisant l'extrait de registre du commerce belge le prouvant ;
Qu'il ne saurait être fait grief ni à M. Robert, tous les documents dont il a été destinataire étant présentés fallacieusement de manière à lui faire croire que son interlocuteur était une société "TV Direct Distribution" et l'absence de réponse de la SA D. Duchesne ne lui ayant pas permis de se persuader que tel n'était pas le cas, ni au premier juge en l'état de la non comparution de l'appelante, de l'avoir, le premier, assignée et, le second, condamnée sous cette appellation qui n'aurait pas permis l'exécution du jugement ;
Qu'il convient donc de réformer sur ce point le jugement entrepris et de condamner la SA D. Duchesne, exerçant son activité sous l'enseigne "TV Direct Distribution" à payer à M. Albert Robert la somme de 10 000 euro avec intérêts au taux légal à compter du 28 janvier 2003 ;
Attendu que le jugement sera également réformé en ce qu'il a débouté M. Robert de sa demande de dommages et intérêts ;
Qu'en effet, l'argumentation développée par la SA Duchesne pour tenter d'obtenir l'infirmation du jugement et la condamnation de M. Robert à lui payer des dommages et intérêts, fussent-ils symboliques, outre à une somme sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux entiers dépens, rapportée aux documents dont il a été question plus haut, démontre sa particulière duplicité et une mauvaise foi peu commune :
Qu'outre la déception occasionnée par le fait de ne pas avoir vu venir le chèque de 10 000 euro promis et par le traitement par le mépris réservé à ses réclamations par la société Duchesne, qui sont la cause d'un préjudice moral non réparé par la simple condamnation au paiement de la somme promise, M. Robert a pu apprendre devant la cour qu'il a été délibérément trompé tant sur l'identité de son adversaire que sur le fait qu'il n'était pas obligé de passer une commande pour un article dont il n'avait nul besoin, ce qui est un motif de déception supplémentaire ;
Que, de plus, l'argumentation de son adversaire tend, in fine et non sans contradiction, à le présenter, à la fois, comme un demeuré et comme une personne de mauvaise foi ;
Que, la SA Duchesne n'hésite pas, en effet, à soutenir, au prix d'une tentative de démonstration aussi laborieuse que peu convaincante (cf. les documents décrits supra), que son "matériel publicitaire indique sans ambiguïté et d'une manière extrêmement lisible qu'il s'agit d'un pré-tirage", ce qui revient à dire que Robert, destinataire d'un "simple envoi publicitaire" et taxé de "naïveté hors du commun", a été incapable de comprendre ce qu'il a lu avant de, bêtement, renvoyer les documents exigé dont le bon de commande ;
Qu'elle lui fait, paradoxalement, simultanément le grief, également au prix d'une tentative de démonstration tout aussi laborieuse que peu convaincante, d'avoir fait "semblant d'ignorer qu'il s'agissait d'un jeu promotionnel" et d'avoir fait montre d'une "mauvaise foi certaine", lui reconnaissant par la même des capacités intellectuelles supérieures à la moyenne puisque cela supposerait qu'il a été capable de prendre la mesure exacte des documents dont il a été destinataire, certains complexes et d'autres fallacieux, les uns étant à interpréter par rapport aux autres :
Qu'en l'état de la propre turpitude de l'appelante, cette mise en cause injustifié de l'intimé est également la cause d'un préjudice moral dont M. Robert est en droit d'obtenir réparation ;
Qu'enfin, l'obligation dans laquelle il s'est trouvé d'assigner la SA Duchesne en justice pour obtenir son dû, suivie de l'appel, particulièrement mal non fondé en l'état des arguties soulevées, de celle-ci qui, après avoir ignoré ses sollicitations amiables, n'a pas cru devoir comparaître devant le tribunal, a été la cause de tracas tout au long de la procédure, source d'un préjudice moral qu'il convient aussi de réparer ;
Qu'il convient donc de condamner la SA Duchesne à lui payer la somme de 2 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral toutes causes confondues ;
Que l'équité commande de la condamner, en outre, à lui payer la somme complémentaire de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en remboursement de ses frais irrépétibles d'appel :
Que la SA Duchesne, dont toutes les demandes sont rejetées, sera tenue des dépens d'appel :
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort ; Déclare l'appel recevable en la forme ; Confirme le jugement déféré à l'exception de la partie de sa disposition condamnant la "société TV Direct Distribution" et de celle déboutant M. Robert de sa demande de dommages et intérêts ; Statuant à nouveau sur ces points ; Condamne la SA D. Duchesne, exerçant son activité sous l'enseigne "TV Direct Distribution" à payer à M. Albert Robert la somme de 10 000 euro avec intérêts au taux légal à compter du 28 janvier 2003 ; Condamne la SA D. Duchesne, exerçant son activité sous l'enseigne "TV Direct Distribution" à lui payer la somme de 2 000 euro à titre de dommages et intérêts ; La condamne à lui payer la somme complémentaire de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; La condamne aux dépens d'appel dont distraction pour ceux dont elle aura fait l'avance au profit de la SCP Guizard-Servais, avoués.