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Décisions

CA Nîmes, ch. réunies, 20 septembre 2005, n° 03-03617

NÎMES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Vilanova

Défendeur :

Maison Française de Distribution (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chalumeau

Conseillers :

Mme Filhouse, M. De Monredon, Mme Jean, M. Coursol

Avoués :

SCP M. Tardieu, SCP Curat-Jarricot

Avocats :

Mes Floutier, Perrin

TI Cagnes-sur-Mer, du 27 janv. 1998

27 janvier 1998

Exposé du litige :

Dans le cadre d'une offre publicitaire émanant de la SA Maison Française de Distribution tendant, in fine, à obtenir le renvoi d'un bulletin de commande joint, M. Roger Vilanova a reçu à son domicile, le 23 juin 1994, un document lui indiquant la marche à suivre pour toucher le "grand prix de 15 735 F" prétendument gagné au titre de sa participation à un jeu gratuit et sans obligation d'achat.

M. Vilanova a renvoyé le document censé lui permettre de percevoir ce prix.

La société Maison Française de Distribution ne s'étant pas exécutée, il a obtenu, le 1er août 1996, la délivrance d'une injonction de payer à laquelle elle a fait opposition par lettre recommandée reçue le 19 novembre 1996 au greffe de Creil du Tribunal d'instance de Senlis.

Par jugement du 23 avril 1997, cette juridiction s'est déclarée incompétente territorialement et a renvoyé l'affaire devant le Tribunal d'instance de Cagnes-sur-Mer.

Par jugement du 27 janvier 1998 auquel il est référé pour plus ample exposé des moyens et des prétentions des parties, de ses motifs et de son dispositif, le Tribunal d'instance de Cagnes-sur-Mer a considéré, en substance, que, nonobstant une présentation tenant à faire croire à un engagement de versement de la somme de 15 735 F, M. Vilanova ne pouvait se méprendre sur le fait qu'il ne faisait que participer à une loterie accompagnant un message publicitaire destiné à promouvoir la vente de leurs produits en "suscitant l'enthousiasme" par évocation d'un gain possible, pratique courante des sociétés de vente par correspondance non susceptible d'engager la responsabilité de la Maison Française de Distribution sur le fondement de l'article 1382 du Code civil.

Le tribunal a, en conséquence, fait droit à l'opposition de la Maison Française de Distribution et déboutant pour le surplus de leurs demandes les parties, a condamné M. Vilanova aux dépens.

Statuant sur appel de M. Vilanova, la Cour d'appel d'Aix-en-Provence a, par arrêt du 28 juin 2000 auquel il est référé pour plus ample exposé des moyens et des prétentions des parties, de ses motifs et de son dispositif, confirmé le jugement entrepris.

Par arrêt du 18 mars 2003, la Cour de cassation a, au visa de l'article 1371 du Code civil, cassé en toutes ses dispositions l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence et renvoyé la cause et les parties devant la cour d'appel de céans.

Par conclusions signifiées le 16 juin 2004 auxquelles il est référé pour plus ample exposé de ses fins, moyens et prétentions, la Maison Française de Distribution, représentée par son liquidateur amiable, M. Jean-Michel Monnet, demande à la cour de :

- débouter M. Vilanova de son appel injuste et mal fondé, ainsi que de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

- confirmer le jugement rendu le 27 janvier 1998 "en ce qu'il a débouté M. Vilanova de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions".

- réformer la décision déférée en ce qu'elle a débouté la société Maison Française de Distribution SA de sa demande sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- condamner M. Vilanova à lui payer la somme de 1 000 euro sur ce fondement,

- le condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel, dépens qui comprendront également ceux de l'arrêt cassé.

Par conclusions signifiées le 10 février 2005 auxquelles il est référé pour plus ample exposé de ses fins, moyens et prétentions, M. Vilanova demande à la cour, au visa des articles 1371 et 1154 du Code civil, de :

- condamner la société Maison Française de Distribution à lui payer la somme de 2 398,79 euro telle que promise dans le cadre de la loterie publicitaire organisée par ladite société, avec intérêts de droit à compter du 23 juin 1994 et subsidiairement du 1er août 1996,

- prononcer la capitalisation des intérêts à compter du 23 juin 1994, et subsidiairement du 1er août 1996, date de l'ordonnance portant injonction de payer rendue par le Tribunal d'instance de "Creil" à son profit,

- débouter la société Maison Française de Distribution de son appel incident et la condamner à lui payer à la somme de 3 000 euro à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et celle de 3 000 euro également sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 22 avril 2005.

Motifs :

Attendu que la Cour de cassation, première Chambre civile, a, dans son arrêt du 18 mars 2003, fait grief à la Cour d'appel d'Aix-en-Provence d'avoir violé l'article 1371 du Code civil en jugeant, après avoir énoncé que l'opération s'analysait comme une loterie publicitaire non contraire aux dispositions des articles L. 121-1 et suivants du Code de la consommation, que le tribunal avait exactement considéré que l'engagement unilatéral de la société n'était pas établi et avait justement écarté toute tromperie fautive de la part de la société Maison Française de Distribution ;

Qu'elle a, ce faisant, repris le principe posé par l'arrêt n° 212 rendu le 6 septembre 2002 par la même juridiction, statuant en Chambre mixte, selon lequel l'organisateur d'une loterie qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence l'existence d'un aléa s'oblige, par ce fait purement volontaire, à le délivrer ;

Attendu qu'en l'espèce, M. Vilanova a reçu de la société Maison Française de Distribution, qui sera dénommée par commodité société MFD, une lettre l'informant qu'il était l'un des gagnants d'un grand prix de 15 735 F et a donc a retourné son bon de participation pour obtenir, en vain, le paiement de cette somme;

Que la mention invitant à lire le règlement du jeu, dans lequel se trouve un article 4 faisant apparaître qu'il existe un aléa à ce gain, figure, de manière qui ne doit rien au hasard, tout en bas, et à l'extrême droite, du verso de ce courrier qui, sur cette face, fait opportunément office de bon de commande, et est, de plus, rédigée, de manière tout aussi délibérée, en caractères microscopiques, manifestement dans le but de la faire échapper à un lecteur même particulièrement attentif et de susciter, en contrepartie de la satisfaction résultant de l'obtention assurée d'un gain de jeu, un réflexe d'achat :

Que la cour relève que cette mention, dont il faut avoir ouvert l'enveloppe contenant le document sur lequel elle figure pour en avoir connaissance, fait seulement référence à l'existence d'un règlement lequel se trouve, malicieusement, au dos de ladite enveloppe, laquelle présente tous les risques d'être déchirée lors de son ouverture ou, à tout le moins, d'être rapidement jetée ou égarée, empêchant ainsi la personne intéressée d'en prendre connaissance ;

Que, de plus, elle ne permet pas de savoir, par elle-même, qu'il existe un aléa à la perception du prix ;

Que cette mention est donc inopérante pour faire obstacle à ce qui constitue, sur le fondement de l'article 1371 du Code civil, un engagement de paiement de la somme de 15 735 F fait, par lettre du 23 juin 1994 où Monsieur Vilanova est nommément désigné comme en étant le bénéficiaire, qui l'a accepté, par la société MFD, lettre dans laquelle sont employés les termes, non équivoques, suivants :

- "Félicitations, Monsieur Vilanova, vous êtes notre nouveau gagnant d'un grand prix de 15 735 F" (en majuscules et en caractère gras),

- "Si vous retournez le bon de participation, vous êtes assuré de recevoir 15 735 F en espèces",

- "Vous devez absolument renvoyer votre bon de participation avant la date de clôture pour avoir accès au grand prix de 15 735 F. Sinon ces 15 735 F tenus en attente devront automatiquement être versés à une autre personne" :

Que ce document est appuyé par une pseudo-attestation sur laquelle figure, en majuscules et en caractères gras, la phrase "Monsieur Vilanova est l'un des 4 gagnants d'un grand prix... " qui renforce, si besoin était, le caractère irrévocable de l'engagement de paiement pris ;

Que le jugement entrepris sera donc infirmé en toutes ses dispositions et la société MFD déboutée de son opposition à injonction de payer et condamnée à lui payer la somme de 2 398,79 euro (15 735 F) avec intérêts au taux légal à compter du 1er août 1996, date de l'injonction de payer ;

Qu'il y a lieu, faisant droit à la demande en ce sens de M. Vilanova, de juger que ces intérêts porteront eux-mêmes intérêts au taux légal en application de l'article 1154 du Code civil ;

Que le caractère abusif de la résistance de la société MFD qui a obtenu gain de cause à deux reprises dans le présent litige avant de succomber, n'est pas avéré de sorte que M. Vilanova sera débouté de sa demande de dommages et intérêts à ce titre ;

Que l'équité commande de condamner la société MFD à payer à M. Vilanova la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Que la société MFD, dont l'ensemble des demandes est rejeté, sera tenue des entiers dépens de première instance et d'appel (Aix-en-Provence et Nîmes), étant observé que ceux de cassation ont déjà été mis à sa charge par l'arrêt du 18 mars 2003 ;

Par ces motifs, LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi ; Statuant publiquement, contradictoirement, chambres réunies, sur renvoi de la Cour de cassation et en dernier ressort ; Déclare l'appel recevable en la forme ; Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ; Statuant à nouveau ; Déboute la société Maison Française de Distribution de son opposition à l'injonction de payer du 1er août 1996 ; La condamne à payer à M. Roger Vilanova la somme de 2 398,79 euro avec intérêts au taux légal à compter du 1er août 1996 ; Dit que ces intérêts porteront eux-mêmes intérêts au taux légal en application de l'article 1154 du Code civil ; Condamne la société Maison Française de Distribution à payer à M. Roger Vilanova la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; déboute les parties pour le surplus ; Condamne la société Maison Française de Distribution aux entiers dépens de première instance et d'appel (Aix-en-Provence et Nîmes), dont distraction pour ceux dont elle aura fait l'avance au profit de la SCP Tardieu, avoué.