Cass. crim., 12 avril 2005, n° 04-83.118
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cotte
Rapporteur :
M. Valat
Avocat général :
M. Commaret
Avocats :
SCP Gatineau, SCP Bore, Salve de Bruneton, SCP Defrenois, Levis
LA COUR : - Statuant sur les pourvois formés par : X Gilbert, la société Y, civilement responsable, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Versailles, 9e chambre, en date du 9 avril 2004, qui, après relaxe du premier du chef d'homicide involontaire, a prononcé sur les intérêts civils en application de l'article 470-1 du Code de procédure pénale ; - Joignant les pourvois en raison de la connexité ; - Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur la recevabilité du mémoire déposé pour la société Z : - Attendu que la société Z, venant aux droits de la compagnie W, déclarée tenue à garantir les condamnations prononcées contre la société Y, ne s'est pas pourvue ; que, dès lors, n'étant pas partie à l'instance devant la Cour de cassation, son mémoire est irrecevable ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation de la directive 37-98-CE du 22 juin 1998, 1383 et 1384 du Code civil, 2, 470-1, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a condamné Gilbert X, ès qualités de directeur salarié de la société Y, à payer aux ayants droit de la victime diverses sommes au titre de leur préjudice moral et dit la société Y civilement responsable pour l'ensemble des condamnations prononcées à l'encontre de Gilbert X ;
"aux motifs que les règlements visés - directive 98-37-CE et Code du travail - n'imposent pas de normes spécifiques pour les bennes basculantes, comme en l'espèce, mais donnent des prescriptions d'ordre général, énoncées dans le dossier technique descriptif du matériel ; qu'en particulier, il doit être pris en considération les "risques d'accidents résultant de situations anormales prévisibles", le fait que "les risques de rupture en service ne doivent pas occasionner de risque sur les personnes" ; qu'en outre, pour les opérations de maintenance, que n'était pas l'intervention de M. Y... (réglage, réparation, nettoyage, entretien), elles devaient être effectuées, moteur à l'arrêt, après calage de la benne ; que la société de montage, après fabrication, apposait le marquage "CE", celle-ci, dirigée par Gilbert X, n'a pas accompli les diligences normales pour prévenir les risques, en temps d'utilisation avec nécessité d'intervention dans la mesure où chacune des phases aboutissant à l'écrasement de la victime par la brutale descente de la benne est marquée par l'imprévision : un distributeur censé être neuf, défaillant, dès juillet 2000, après une utilisation très limitée, le tracteur IVECO ayant parcouru moins de 7 500 km ; l'imprévision d'une panne dans la montée de la benne interdisant l'utilisation de la béquille, seul élément de "sécurité" incorporé ; l'absence d'autre système, incorporé, pour pallier l'impossibilité d'utiliser la béquille, (clapet anti-retour) conjugué à l'absence de prévision d'une défaillance, alors que la benne n'est pas à vide ; l'absence de prévision d'un tel autre système incorporé pour pallier tout incident pendant la recherche du niveau d'huile dans le réservoir, opération qui incombe à l'utilisateur, selon Gilbert X, et qui n'avait pas lieu à être diligentée en l'espèce avant l'utilisation, de la benne, le matériel étant neuf ; que cet ensemble de faits est qualifiable de négligences dans la recherche de la prévention des risques en général, au regard des prescriptions européennes et réglementaires françaises, en particulier qui imposaient de prendre en considération des "risques d'accidents résultant de situations anormales prévisibles" telles que celles énoncées ci-dessus, et qui ont été valablement retenues par l'analyse de la SOCOTEC et par l'expert judiciaire comme étant, d'une part, la non-conformité aux principes d'intégration de la sécurité, d'autre part, l'absence de dispositif anti-retour ;
"1°) alors que, si les fabricants doivent mettre sur le marché des machines répondant aux exigences essentielles de sécurité, sauf dispositions particulières, cette obligation ne peut s'entendre comme une obligation de prévenir tous les risques que les précautions de la victime auraient permis d'éviter ; qu'en l'espèce, il est établi que la benne litigieuse est équipée d'un système de calage s'effectuant au moyen d'une béquille qui se met en place manuellement lorsque la benne est relevée, de façon à interdire sa descente accidentelle ; que les livrets d'instruction remis à l'utilisateur par le fabriquant rappellent que le calage au moyen d'un madrier permet d'assurer la même sécurité ; qu'ils prescrivent en outre que seul un spécialiste peut intervenir sur les problèmes hydrauliques ou électriques et que toutes ces opérations doivent être effectuées système de calage positionné et actif ; qu'ainsi, la prévision d'un système de sécurité alternatif et l'établissement de règles impératives de sécurité suffisent à satisfaire à l'obligation de sécurité susmentionnée, sans qu'il soit nécessaire pour le fabriquant d'incorporer un autre système pour pallier l'impossibilité d'utiliser la béquille ou de prévoir un tel autre système incorporé pour pallier tout incident pendant la recherche du niveau d'huile dans le réservoir ; qu'en considérant, néanmoins, que la société Y avait commis une faute, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
"2°) alors que la faute de la victime, qui a été la cause directe et exclusive de l'accident ayant entraîné son décès, exonère l'auteur présumé de sa responsabilité ; qu'en l'espèce, contrairement aux instructions impératives du fabricant et aux pictogrammes collés sur le châssis du véhicule, la victime a effectué des vérifications sur le système hydraulique de la benne du camion alors que celle-ci se trouvait sous tension, en position relevée, sans avoir été préalablement bloquée par la béquille métallique prévue à cet effet ou au moyen d'un madrier, et que le moteur du véhicule était en marche ; que, si les prescriptions du fabriquant avaient été respectées, l'opération se serait effectuée sans risque et l'accident aurait été évité ; qu'ainsi, la cause exclusive de l'accident relève de l'accumulation des fautes de la victime qui, délibérément, n'a pas respecté les consignes de sécurité prescrites par le fabriquant ; qu'en retenant néanmoins la responsabilité civile de Gilbert X et, par voie de conséquence, celle de la société Y, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles et du principe précités ;
"3°) alors que la faute d'une particulière gravité de la victime ayant contribué à la réalisation de son dommage, peu important que cette faute ait été ou exclusive de l'accident, est de nature à exclure toute indemnisation des ayants droit ; qu'en l'espèce, André Y... a procédé à des vérifications sur le système hydraulique entre le châssis et la benne du camion alors que cette dernière se trouvait sous tension, en position relevée, sans avoir été sécurisée, et que le moteur du véhicule était en marche ; qu'en ne respectant pas, délibérément, les prescriptions impératives établies par la société Y, la victime a pris un risque conscient d'intervenir sur le système hydraulique de la benne en violation manifeste de toutes les règles de sécurité les plus élémentaires ; que ce comportement est d'autant plus grave que la victime était un professionnel d'expérience dans son domaine d'activité ; qu'en retenant, néanmoins, la responsabilité civile de Gilbert X et, par voie de conséquence, celle de la société Y, la cour d'appel a de nouveau exposé sa décision à la censure" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure qu'au cours du déchargement d'une benne dont la société Y avait équipé un camion, le conducteur, constatant une anomalie dans la montée, s'est, pour vérifier l'état du circuit hydraulique, engagé entre le châssis et la benne et a desserré la capsule du limiteur entraînant une brusque descente de la benne par laquelle il a été écrasé ;
Attendu qu'à la suite de cet accident, Gilbert X, directeur de la société Y, a été cité, par le Procureur de la République, devant le tribunal correctionnel du chef d'homicide involontaire ; qu'après l'avoir relaxé, le tribunal, en application de l'article 470-1 du Code de procédure pénale, l'a déclaré partiellement responsable des fautes à l'origine du décès du conducteur et a déclaré son employeur civilement responsable ;
Attendu que, pour confirmer le jugement entrepris, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en l'état de ces constatations et énonciations relevant de son appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause et des éléments de preuve contradictoirement débattus, d'où il résulte que les manquements relevés constituaient des négligences méconnaissant les principes d'intégration de la sécurité et que la faute de la victime n'était pas la cause exclusive de l'accident, la cour d'appel a justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen ne peut qu'être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Rejette les pourvois.