Livv
Décisions

CA Rennes, 1re ch. B, 19 décembre 2003, n° 02-06763

RENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Fédération du Logement, de la Consommation et de l'Environnement d'Ille et Vilaine

Défendeur :

FCE Bank PLC (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Piperaud

Conseillers :

Mme Sillard, M. Bohuon

Avoués :

SCP Castres Colleu & Perot, Me Gautier

Avocats :

Mes Desaunay, Gauclere

Rennes, du 8 oct. 2002

8 octobre 2002

Faits et procédure

Par acte du 22 avril 2002, la Fédération du Logement, de la Consommation et de l'Environnement d'Ille e et Vilaine (FLCEIV) a saisi le Tribunal d'instance de Rennes exposant que du 11 au 24 mars 2002 au moins et incontestablement le 22 mars 2002, la FCE Bank PLC a fait diffuser sur des panneaux routiers à Rennes une publicité pour un crédit affecté à la vente pour un véhicule de marque Volvo et qu'une publicité quasi-identique était prévue dans le quotidien Ouest France des 14 et 15 mars 2002.

Par jugement du 5 octobre 2002, le tribunal :

- a déclaré les demandes de la FLCEIV recevables mais mal fondées,

- l'a déboutée de toutes ses demandes,

- l'a condamnée à payer à la FCE Bank PLC la somme de 457,35 euro au titre des frais irrépétibles.

La Fédération du Logement, de la Consommation et de l'Environnement d'Ille et Vilaine a relevé appel. Elle demande à la Cour de :

Vu les articles L. 421-1 et suivants, L. 311-1 et suivants du Code de la consommation et l'article 46 du nouveau Code de procédure civile,

- de réformer le jugement déféré,

- de dire illicite la publicité pour violation de l'article L. 311-4 du Code de la consommation faute de lisibilité, donc de présence des mentions imposées par cet article,

- de dire de nature à induire en erreur la publicité en ce que sont seuls lisibles les mots " garantie 5 ans, 280 euro par mois et Volvo Rennes Autopôle Cesson " et que sont notamment illisibles les mentions relatives au TEG, à l'identité du préteur, à l'apport nécessaire, aux conditions de la garantie de cinq ans, au coût total du crédit, car est interdite toute publicité comportant sous quelque forme que ce soit, des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur, lorsque celles-ci portent sur les propriétés, le prix, les conditions de vente des biens ou services qui font l'objet de la publicité, les motifs ou procédés de la vente ou de la prestation de service ou la portée des engagements pris par l'annonceur,

- de dire en nature à induire en erreur la publicité faute de lisibilité donc de présence des mentions de l'article L. 311-4 du Code de la consommation,

- d'ordonner l'insertion du dispositif de l'arrêt en caractères apparents et de couleur rouge aux frais de la FCE Bank PLC dans toutes les éditions du journal Ouest France un samedi, dans l'hebdomadaire Libération, dans le mensuel L'Automobile Magazine et dans le bimensuel Auto Journal et ce dans un délai maximum de deux mois à compter de la signification de l'arrêt, et passé ce délai sous astreinte définitive de 7 000 euro par jour de retard,

- de condamner la FCE Bank PLC à lui verser la somme de 7 000 euro à titre de dommages et intérêts,

- de la condamner également à lui verser une indemnité de procédure de 2 000 euro outre les dépens comprenant le coût du constat d'huissier.

La FCE Bank PLC demande à la Cour :

Vu l'article 6 de la loi du 1er juillet 1901,

> de constater que la présente action relève de la défense d'intérêts généraux,

> infirmant le jugement entrepris de juger irrecevable ladite action,

> si l'exception d'irrecevabilité n'était pas accueillie, de constater que la présente action ne concerne en réalité qu'une partie des annonces citées en l'occurrence celles relevant de l'affichage,

> de constater en effet la parfaite lisibilité des annonces effectuées par voie de presse,

> de dire que la lisibilité doit s'apprécier en fonction du support considéré,

> de dire que la lisibilité de l'ensemble d'une publicité pour une opération de crédit est matériellement impossible par voie d'affichage pour un automobiliste circulant,

> de constater au vu des pièces produites, que l'ensemble des constructeurs automobiles fait figurer en petits caractères les mentions légales exigées par l'article L. 311-2 et suivants du Code de la consommation lorsqu'ils communiquent sur le crédit,

> de dire qu'il existe en la matière une tolérance des pouvoirs publics à l'égard de comportements constitutifs d'un usage,

> de constater en outre l'absence de tromperie ou de volonté d'induire le consommateur en erreur dans le texte même de l'annonce,

> de constater enfin l'absence de préjudice effectif et établi,

> confirmant à ce titre le jugement entrepris, de débouter la FLCEIV de l'ensemble de ses demandes,

à titre subsidiaire :

> de limiter, en tout état de cause, toute publication au Quotidien Ouest France,

> de condamner la FLCEIV à lui payer la somme de 2 500 euro au titre des frais irrépétibles.

La Cour renvoie aux dernières conclusions des parties en date du 27 février 2003 pour la FLCEIV et du 18 juillet 2003 pour la FCE Bank PLC s'agissant des moyens et arguments développés à l'appui de leurs prétentions.

SUR CE,

Considérant que la FCE Bank PLC conclut tout d'abord à l'irrecevabilité de l'action de la FLCEIV aux motifs que celle-ci agirait pour la défense d'intérêts généraux; qu'elle fait valoir que la fédération se présente elle-même comme visant à défendre de tels intérêts; que ses statuts font référence à la défense d'intérêts généraux et qu'enfin elle ne justifie d'aucun préjudice spécifique subi par un de ses membres;

Que la FLCEIV n'a pas cru utile de s'expliquer de ce chef;

Mais considérant qu'elle fonde son action sur les dispositions de l'article L 421-1 du Code de la consommation se prévalant à juste titre d'être une association de consommateurs agréée, disposant comme telle des droits reconnus à la partie civile relativement aux faits portant préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des consommateurs qui ne peuvent être que ceux dont elle assure la défense, ainsi que le rappelle l'article 4 de ses statuts ; qu'il importe peu qu'elle poursuive des objectifs plus vastes que la défense des consommateurs au sens strict, puisqu'elle a également statutairement vocation à défendre ses adhérents dans les domaines du logement, d'usage du service public et du cadre de vie; que pour autant sa mission ne se confond pas avec l'intérêt général;

Et considérant que la fédération peut agir sans qu'elle ait besoin de justifier d'une quelconque réclamation de l'un de ses membres;

Que l'exception d'irrecevabilité sera, pour ces motifs et ceux du premier juge que la Cour fait siens, rejetée;

Considérant sur le fond que la FCE Bank PLC a organisé une campagne publicitaire déclinée par voie d'affichage et de presse locaux portant sur une opération de crédit assortie d'une extension de garantie au modèle V40 de la marque Volvo ;

Que la campagne incriminée montre une accroche Volvo V40, 280 euro par mois, garantie cinq ans, une photo de la Volvo V40, le logo de la marque Volvo et les mentions légales afférentes aux opérations de crédit en petits caractères sur la droite de l'affiche;

Considérant que la FLCEIV n'incrimine que la campagne d'affichage sur les panneaux routiers demandant qu'elle soit jugée illicite et de nature à induire le consommateur en erreur ;

Que l'huissier a constaté le 22 mars 2002 alors que le temps était sec et dégagé :

- d'une part qu'étant à bord d'un véhicule, il est parfaitement impossible de lire les petites lignes inscrites verticalement en bordure droite de l'affiche;

- d'autre part que descendant du véhicule et se rendant à pied sous le panneau à environ 2,50 mètres sous celui-ci, il est impossible de lire le texte vertical en extrémité droite de l'affiche sauf à se tenir à gauche au dessous du panneau en penchant la tête vers la gauche ;

Que force est de conclure que seules sont lisibles les mentions suivantes:

Volvo, Garantie cinq ans, 280 euro par mois, Volvo Rennes Autopôle Cesson;

Considérant que l'article L. 311-4 du Code de la consommation exige que toute publicité, quel que soit son support, portant sur des opérations de crédit consenties habituellement précise notamment l'identité du prêteur, la nature, l'objet et la durée de l'opération proposée le coût total du crédit et s'il y a lieu le taux effectif global ainsi que le montant des remboursements par échéances;

Que ces dispositions sont donc applicables à l'affichage sur des panneaux routiers;

Que la publicité litigieuse contient certes toutes les mentions prévues par la loi, que pour autant la régularité formelle ne suffit pas;

Qu'il convient de s'assurer, ainsi que le rappelle le bureau de vérification de la publicité que les messages sont reçus dans des conditions normales de lecture, d'audition ou de visualisation ; que l'appréciation doit se faire in concreto en fonction du support utilisé;

Que l'annonceur en déduit que les mentions obligatoires ne pouvant, et ce d'ailleurs quelle que soit la taille des caractères, être matériellement lues par un automobiliste en circulation ne sauraient dès lors conférer à la publicité visée un caractère mensonger ou trompeur, faute de quoi la publicité du crédit par voie d'affichage serait interdite par le législateur;

Que les agissements reprochés relèvent d'un usage et bénéficieraient de la tolérance des pouvoirs publics et qu'un impératif d'équité justifie qu'elle ne fasse pas l'objet d'une condamnation discriminatoire ;

Mais considérant que la FCE Bank PLC n'est pas un constructeur automobile mais un organisme financier dont le métier est de dispenser du crédit;

Que la lisibilité d'une publicité doit être appréciée en fonction de la cible visée ; qu'en l'occurrence, elle s'adresse aux automobilistes;

Qu'il importe donc que ces derniers puissent prendre immédiatement connaissance de l'ensemble des conditions proposées ;

Qu'un usage contraire même généralisé ne saurait permettre d'écarter l'application de la loi;

Que la FLCEIV démontre d'ailleurs qu'il n'existe pas d'impossibilité pratique à réaliser une information conforme même sur des panneaux routiers;

Qu'il importe peu que la campagne d'affichage ait été doublée d'une campagne par voie de presse répondant aux prescriptions du code de la consommation dans la mesure où les automobilistes ne sont pas nécessairement des lecteurs du journal Ouest France;

Que l'absence d'intervention de la Direction Générale de la Concurrence Consommation et Répression des fraudes n'a pas davantage le pouvoir de valider la campagne d'affichage incriminée, les associations de consommateurs ayant justement pour but de compléter l'action des pouvoirs publics en la matière;

Que le juge civil ne pouvant vérifier la conformité des pratiques aux règles de droit que s'il est saisi ne peut dès lors retenir à ce stade l'argument tiré de l'équité;

Qu'il lui appartient donc de relever qu'en l'espèce la publicité incriminée est illicite;

Qu'il lui appartient également de déterminer si la publicité litigieuse était, au visa de l'article L. 121-1 du Code de la consommation qui interdit toute publicité comportant sous quelque forme que ce soit, des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur, lorsque celles-ci portent sur les propriétés, le prix, les conditions de vente des biens ou services qui font l'objet de la publicité, les motifs ou procédés de la vente ou de la prestation de service ou la portée des engagements pris par l'annonceur, en raison de l'absence de lisibilité des mentions relatives au TEG, à l'identité du prêteur, à l'apport nécessaire, aux conditions de la garantie de cinq ans, au coût total du crédit, de nature à induire en erreur le consommateur, l'infraction pouvant être constituée même si l'annonceur n'a pas eu l'intention de tromper et sans qu'il soit non plus nécessaire de démontrer que ladite publicité ait effectivement induit en erreur; Qu'à cet égard, la FCE Bank PLC fait valoir que seuls sont condamnés les annonceurs qui tentent de dissimuler par des caractères trop petits une information commercialement péjorative ou restrictive;

Qu'il est constant que le seul constat d'une différence de caractères typographiques en faveur du caractère attractif du message n'est pas suffisant pour qualifier la publicité de trompeuse; qu'il importe donc peu que les conditions de crédit soient rédigées en caractères plus petits, il importe que les mentions soient exactes et complètes, ce qu'elles sont et qu'elles soient toutes lisibles, ce qu'elles ne sont pas;

Qu'ainsi, l'accroche focalise sur un versement mensuel de 280 euro pouvant laisser croire au consommateur qu'il n'a pas d'autre versement à effectuer alors que l'entier message révèle qu'en réalité un apport initial de 9 508 euro est nécessaire et de surcroît que l'offre est subordonnée à l'acceptation du dossier par Volvo Car Finance;

Que dés lors, il y a lieu de conclure que la publicité était de nature à induire en erreur le consommateur ;

Considérant que l'article L. 121-4 du Code de la consommation rend obligatoire la publication du jugement en cas de condamnation; que l'insertion du dispositif de l'arrêt ne sera pas cependant, eu égard au fait que la campagne publicitaire par panneaux routiers a connu une durée très limitée (du 11 au 24 mars 2002) et qu'elle est achevée depuis plus d'un an, ordonnée en caractères rouges mais simplement en caractères apparents et sera limitée au journal Ouest France, toutes les éditions, un samedi, ladite publication mise à la charge de la FCE Bank PLC étant suffisamment dissuasive pour l'intéressée sauf, à lui donner un caractère manifestement disproportionné et à lui faire supporter seule les errements de tous les annonceurs automobiles dans le but, comme le suggère la fédération, d'éviter la reproduction de dérives similaires et de rendre ainsi un grand service à la société dans son ensemble;

Que l'insertion devra être réalisée dans un délai maximum de deux mois à compter de la signification de l'arrêt, et passé ce délai sous astreinte définitive de 7 000 euro par jour de retard;

Considérant qu'il apparaît également qu'une telle campagne d'affichage incitant à la souscription d'emprunts occasionne un préjudice à la collectivité des consommateurs qui n'a pas eu accès à l'information loyale à laquelle elle était en droit de prétendre ;

Que ce préjudice existe indépendamment du préjudice éventuel dont pourrait se plaindre individuellement un de ses membres de sorte qu'aucun argument ne peut, ainsi qu'il a été dit, être tiré de l'absence de réclamation

Qu'il n'est pas abstrait mais concret dans la mesure où pour répondre à sa mission d'information et de protection, la FLCEIV a dû engager des moyens techniques et humains ;

Qu'eu égard cependant à la durée de la campagne, le préjudice sera suffisamment réparé par l'allocation d'une somme de 750 euro ;

Que la FLCEIV étant accueillie en son appel. la FCE Bank PLC sera condamnée aux entiers dépens de la procédure et à lui verser la somme de 1 200 euro au titre des frais non compris dans les dépens, incluant le coût du constat d'huissier;

Par ces motifs : LA COUR ; Confirme le jugement déféré en ce qu'il a rejeté l'exception d'irrecevabilité; Constate la parfaite lisibilité des annonces effectuées par la FCE Bank PLC par voie de presse; Constate que la publicité également diffusée par elle sur des panneaux d'affichage routier est illicite et de nature à. induire en erreur le consommateur; Réformant en conséquence le jugement déféré; Ordonne la publication du dispositif de l'arrêt en caractères apparents aux frais de la FCE Bank PLC dans toutes les éditions du journal Ouest France un samedi et ce dans un délai maximum de deux mois à compter de la signification de l'arrêt, et passé ce délai sous astreinte définitive de 7 000 euro par jour de retard ; Condamne la FCE Bank PLC à payer à la Fédération du Logement, de la Consommation et de l'Environnement d'Ille et Vilaine (FLCEIV): - la somme de 750 euro à titre de dommages et intérêts, - la somme de 1 200 euro au titre des frais irrépétibles, Déboute la Fédération du Logement, de la Consommation et de l'Environnement d'llle et Vilaine (FLCEIV) du surplus de ses demandes; Condamne la FCE Bank PLC aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.