CA Paris, 1re ch. G, 8 octobre 2003, n° 2002-17692
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Cornette de Saint-Cyr (ès qual.)
Défendeur :
Brossard
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Albertini
Conseillers :
MM. Le Dauphin, Savatier, Dussard, Mme Penichon
Avoués :
SCP Gaultier-Kistner-Gaultier, SCP Lagourgue
Avocats :
Mes Lakits Josse, Cornut Gentille
LA COUR, saisie par déclaration en date du 8 octobre 2002, statue sur renvoi après cassation de son arrêt en date du 18 octobre 1999, sur l'appel relevé par M. Cornette de Saint-Cyr d'un jugement, rendu le 11 mars 1998 par le Tribunal de grande instance de Paris, qui prononce la nullité de l'adjudication du tableau-piège figurant au n° 52 du catalogue sous le nom de Daniel Spoerri intervenue le 29 septembre 1993, condamne M. Pierre Cornette de Saint-Cyr à restituer la somme de 38 325 F à Michel Brossard en contrepartie de la remise dudit tableau et à lui payer la somme de 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Vu les dernières conclusions déposées au greffe le 16 juin 2003 pour M. Cornette de Saint-Cyr qui prie la cour de réformer le jugement et de débouter M. Brossard de toutes ses prétentions et de le condamner à lui payer la somme de 3 000 euro par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Vu les dernières conclusions déposées au greffe le 26 juin 2003 pour M. Michel Brossard qui prie la cour de confirmer le jugement, sauf en ce qu'il l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts et de condamner à ce titre M. Cornette de Saint-Cyr au paiement de la somme de 5 000 euro, à titre subsidiaire, de juger que M. Cornette de Saint-Cyr a manqué à ses obligations professionnelles et de le condamner en conséquence à verser à M. Brossard la somme de 5 842 euro à titre de dommages et intérêts, en toute hypothèse de condamner M. Cornette de Saint-Cyr à lui payer la somme de 5 000 euro par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Sur ce, LA COUR,
Considérant que lors de la vente publique du 29 septembre 1993 dirigée par M. Cornette de Saint-Cyr, commissaire-priseur, M. Brossard a été déclaré adjudicataire pour le prix total de 38 325 F du tableau-piège intitulé, "Mon petit déjeuner, 1972", présenté sous le n° 52 au catalogue de la vente, comme étant l'œuvre de Daniel Spoerri;
Considérant que M. Brossard, faisant valoir qu'il ne s'agissait pas d'une œuvre exécutée par celui-ci, mais d'une œuvre "fabriquée sous licence" par un enfant alors âgé de onze ans, dénommé Guy Mazarguil, a assigné M. Cornette de Saint-Cyr en vue d'obtenir l'annulation de la vente pour erreur sur les qualités substantielles et la condamnation de ce dernier à lui payer la somme de 15 000 F pour résistance abusive, outre celle de 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Considérant que le Tribunal de grande instance de Paris a rendu le jugement déféré qui, pour prononcer l'annulation de la vente, retient que le consentement de l'adjudicataire avait été vicié ;
Considérant que la cour de ce siège, a, par arrêt réformatif en date du 18 octobre 1999, débouté M. Brossard de ses demandes au motif que Daniel Spoerri, ayant souhaité faire exécuter des "tableaux-pièges" par des tiers, avait authentifié, parmi d'autres, le tableau litigieux de sorte que celui-ci constituait bien une œuvre originale de Daniel Spoerri, qu'il importait peu que M. Cornette de Saint-Cyr n'ait pas précisé que l'œuvre avait été exécutée "en brevet", et qu'ainsi M. Brossard, ayant voulu acquérir une œuvre de cet artiste et ayant effectivement acquis un tableau de celui-ci, ne démontrait pas que son consentement avait été vicié ;
Considérant que par arrêt en date du 5 février 2002 la Cour de cassation a cassé cette décision dans toutes ses dispositions au motif que, en statuant comme elle l'avait fait, sans rechercher si, compte tenu des mentions du catalogue, le consentement de l'acheteur n'avait pas été vicié par une conviction erronée et excusable que l'œuvre avait été exécutée par Daniel Spoerri lui même, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision;
Considérant que pour conclure à la réformation du jugement, M. Cornette de Saint-Cyr soutient que M. Brossard n'établit pas qu'il avait fait de l'exécution de l'œuvre par l'artiste une condition déterminante de son consentement, ajoutant qu'en matière d'œuvre d'art "c'est l'authenticité qui constitue une qualité substantielle" et que, l'œuvre litigieuse est bien authentique puisqu'elle a-été signée par Daniel Spoerri et qu'elle a été exécutée sous son contrôle et avec son accord ;
Considérant qu'au catalogue de la vente établi par M. Cornette de Saint-Cyr l'œuvre litigieuse était désignée comme suit : "Daniel Spoerri, Mon petit déjeuner 1972, Tableau piège: vaisselle et objets divers collés sur bois. Porte au dos un texte de l'artiste et la mention "pris en février-mars 1972 à Paris 17ème". Signé et daté au dos, 8O X 45 cm ";
Considérant qu'il est établi, tant par les attestations non discutées de MM. Roger et Guy Mazarguil que par le texte manuscrit figurant au dos du tableau, daté du 6 mars 1972 et signé par Daniel Spoerri qui y expose sa conception de l'Art et celle du "tableau piège", que celui-ci a été exécuté par Guy Mazarguil qui s'est vu remettre un "brevet de garantie vierge" destiné à être collé au dos du "futur tableau" ;
Mais considérant que l'auteur d'une œuvre originale peut être celui qui a fait exécuter l'œuvre en donnant des instructions et en la faisant réaliser sous son contrôle et que tel est le cas de l'œuvre litigieuse de sorte que M. Cornette de Saint-Cyr a, valablement, mentionné le nom de Daniel Spoerri comme auteur du tableau et garanti ainsi son authenticité, au regard des dispositions de l'article 3 du décret du 3 mars 1981 ;
Considérant cependant que la simple référence dans le catalogue à la présence au dos du tableau "d'un texte de l'artiste" n'était pas de nature à informer l'acquéreur sur le fait que l'œuvre n'avait pas été exécutée de la main même de Daniel Spoerri;
Mais considérant que l'exécution personnelle n'est ni la condition nécessaire ni la condition suffisante de la reconnaissance de la qualité d'auteur et que M. Brossard ne démontre pas que la certitude de l'exécution de l'œuvre par Daniel Spoerri constituait une qualité substantielle et qu'il avait contracté dans la croyance erronée et excusable que l'œuvre avait été exécutée de la main de ce dernier ; qu'il doit donc être débouté de sa demande d'annulation de la vente, l'authenticité de l'œuvre, unique condition déterminante de son consentement, ayant été satisfaite;
Considérant que M. Brossard soutient à titre subsidiaire qu'en portant dans le catalogue des mentions incomplètes et non conformes à la réalité, M. Cornette de Saint-Cyr a engagé sa responsabilité au regard des dispositions des articles 1382 et 1383 du Code civil, de l'article 23 du décret du 21 novembre 1956 et des articles 3 et suivants du décret du 3 mars 1981 ;
Mais considérant que les dispositions du décret du 21 novembre 1956 ont été abrogées ; qu'en toute hypothèse il résulte des constatations qui précèdent que les mentions du catalogue sont exactes et suffisantes ; qu'il était précisé que l'œuvre comportait au dos un texte de l'artiste auquel il était loisible à tout acquéreur éventuel de se reporter ; qu'aucune faute ne saurait être utilement reprochée au commissaire-priseur et que M. Brossard doit être débouté de sa demande subsidiaire;
Considérant qu'il y a lieu de condamner M. Brossard à verser à M. Cornette de Saint-Cyr la somme de 3 000 euro au titre de ses frais non-taxables;
Par ces motifs, Réforme le jugement déféré, Déboute M. Brossard de toutes ses demandes, Condamne M. Brossard à verser à M. Cornette de Saint-Cyr la somme de 3 000 euro au titre de ses frais non taxables ; Condamne M. Brossard aux dépens de première instance et d'appel, ceux-ci comprenant ceux de l'arrêt cassé, Admet la SCP Gaultier & Kistner au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.