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Décisions

Cass. crim., 6 février 2001, n° 99-86.401

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cotte

Rapporteur :

Mme Mazars

Avocat général :

Mme Commaret

Avocats :

SCP Parmentier, Didier, Me Bouthors

Bordeaux, ch. corr., du 14 sept. 1999

14 septembre 1999

LA COUR : - Rejet du pourvoi formé par X Pierre, contre l'arrêt n° 619 de la Cour d'appel de Bordeaux, chambre correctionnelle, en date du 14 septembre 1999, qui, pour falsification de boissons, l'a condamné à 50 000 francs d'amende, a ordonné une mesure de publication et a prononcé sur les intérêts civils. - Vu les mémoires produits, en demande et en défense ; - Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 et 7 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, 34, 37 et 66 de la Constitution, 7, 8 et 9 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen de 1789, du règlement CEE n° 822-87 du Conseil du 16 mars 1987 portant organisation commune du marché viti-vinicole en ses articles 15 et 26, des articles 111-1, 111-2, 111-3 et 111-4 du Code pénal, L. 213-3, L. 214-1, L. 214-3 et L. 216-3 du Code de la consommation, du décret n° 72-309 du 21 avril 1972, des articles 2, 10, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :

" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué, statuant sur l'action publique, a condamné le demandeur pour falsification à une amende de 50 000 francs et a ordonné la diffusion par extraits de sa décision dans le journal "Sud-ouest Gironde" et dans "Le Figaro" et, sur l'action civile, a alloué diverses sommes à l'INAO dont la constitution de partie civile a été reçue ;

" aux motifs, sur l'action publique, qu'aux termes de l'article 15, paragraphe 1 du titre II du règlement communautaire n° 822-87 du 16 mars 1987 modifié, relatif à l'organisation du marché du vin, "ne sont autorisés que les pratiques et traitements oenologiques visés au présent titre, à l'annexe VI ou à d'autres dispositions communautaires applicables au secteur viti-vinicole" ; que, par application de ce principe dit des listes positives, le traitement oenologique consistant à incorporer des douelles ou des copeaux de chêne dans des cuves en inox ou en ciment aux fins de donner au vin un goût boisé se rapprochant de celui qui est obtenu par son élevage en fût de chêne, lequel n'est prévu par aucun des textes auxquels l'article 15 précité fait référence, est ainsi interdit et il ne saurait être tiré aucune conséquence du fait que l'élevage en barrique n'est lui-même pas mentionné comme pratique oenologique autorisée dans la mesure où un fût de chêne n'est pas un produit entrant dans la composition de la fabrication du vin mais un contenant utilisé conformément à un usage ancestral et ne faisant pas l'objet du règlement communautaire dont s'agit ; qu'en outre, si le délit de falsification ne peut résulter du seul fait de l'inobservation de formalités réglementaires mais implique le recours à une manipulation ou à un traitement illicite du produit concerné de nature à en altérer sa constitution physique, tel est le cas en l'espèce, le vin litigieux ayant subi lors de sa fabrication un traitement prohibé impliquant nécessairement l'existence d'une altération ; qu'enfin, si le règlement communautaire du 16 mars 1987 prévoit dans son article 26 la possibilité de se livrer à des expérimentations, cette faculté est réservée aux seuls Etats membres selon une procédure qu'il leur appartient de déterminer, aucun traitement oenologique non conforme à la réglementation ne pouvant être effectué à titre expérimental par un particulier sans avoir respecté la procédure définie par l'Etat concerné, laquelle consiste pour la France à solliciter une autorisation auprès de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF), procédure qui n'a pas été respectée par le prévenu ; que Pierre X ne saurait par ailleurs exciper de sa bonne foi alors qu'en tant que professionnel de la viticulture, il avait nécessairement connaissance de l'illicéité du procédé utilisé en l'absence d'autorisation de l'Administration, l'accord conclu avec un salarié de la société Demptos, quels que soient les liens de ce dernier avec la faculté d'oenologie, étant à cet égard inopérant ; que le délit de falsification reproché à Pierre X, gérant de la société civile X d'Evry, est ainsi caractérisé à son encontre en tous ses éléments ; qu'il y a lieu d'infirmer le jugement déféré ; que, compte tenu de la gravité des faits commis, qui ont porté atteinte à la réputation des vins d'appellation d'origine contrôlée (AOC) et qui constituent une pratique déloyale vis-à-vis des professionnels qui supportent les contraintes techniques et financières de l'élevage du vin en fûts de chêne, le délit dont s'est rendu coupable le prévenu sera justement sanctionné par une amende de 50 000 francs et par la peine complémentaire de diffusion de la présente décision prévue par l'article L. 216-3 du Code de la consommation, selon des modalités qui seront précisées au dispositif ; que, sur l'action civile, s'agissant en l'espèce d'une poursuite pour falsification d'un vin d'appellation d'origine, il y a lieu de recevoir la constitution de partie civile de l'INAO habilitée en vertu de l'article 23 du décret du 30 juillet 1935 et de fixer son préjudice à 30 000 francs outre 4 000 francs au titre de ses frais irrépétibles (arrêt p. 7 à 9) ;

" 1° alors que, d'une part, aucun texte de droit interne n'a spécialement inclus l'article 15 du règlement CEE n° 822-87 du 16 mars 1987 dans des dispositions d'application requises par l'article L. 214-1 du Code de la consommation pour définir le délit de falsification tel qu'entendu par la loi pénale française ; que ne permet pas de situer avec précision le champ d'une incrimination claire et accessible la seule référence faite par le décret n° 72-309 du 21 avril 1972 à un ancien règlement communautaire abrogé et remplacé depuis lors par plusieurs règlements, dont le nombre, la complexité et la dispersion avait privé la réglementation correspondante de sa "clarté nécessaire", comme il ressort expressément de l'exposé des motifs de règlement n° 822-87 du 16 mars 1987 tendant à justifier la nécessité d'une "nouvelle codification" ;

" 2° alors que, d'autre part, toute prohibition doit être clairement spécifiée en ses éléments matériels constitutifs ; que le système dit de la "liste positive" résultant de l'annexe au règlement CEE n° 822-87 du 16 mars 1987, d'où il ressortirait, selon la cour, que tout ce qui n'est pas expressément prévu doit être considéré comme interdit, ne saurait derechef définir une prohibition spécifiée sujette à incrimination ;

" 3° alors que, de troisième part, l'institution d'expérimentations au sens de l'article 26 du règlement CEE n° 822-87 du 16 mars 1987 appartient en tout état de cause au champ d'application de l'article 15 dudit règlement ; qu'en l'absence d'adaptation du droit interne sur ce terrain, les poursuites articulées contre le demandeur à raison d'une expérimentation pratiquée sous le contrôle d'un institut universitaire d'oenologie en application de l'article 26 précité, manquaient en tout état de cause de fondement légal ;

" 4° alors que, de quatrième part, le délit de falsification est un délit matériel et non un délit formel ; qu'en refusant de reconnaître à l'expérimentation invoquée par le demandeur un effet utile pour de simples raisons administratives, et en l'absence de position claire des services au moment desdites expérimentations, la cour a encore violé les textes cités au moyen ;

" 5° alors que, de cinquième part, la cour n'a pas relevé de manipulation intentionnelle susceptible d'altérer la substance du vin dont s'agit et n'a pas précisé si, et en quoi, les vins avaient pu être altérés en l'état notamment de leur descente régulière en barrique après soutirage une fois l'expérimentation terminée ;

" 6° alors, enfin, qu'eu égard à la confusion opérée par la cour entre les vins produits par le demandeur, la mesure de publication ordonnée est illégale et de nature à porter atteinte à la présomption d'innocence sur la production étrangère aux poursuites " ;

Attendu que Pierre X, gérant d'une société exploitant un domaine viticole, est poursuivi du chef du délit de falsification de boissons prévu par l'article L. 213-3, alinéa 1er, du Code de la consommation, pour avoir incorporé des douelles de chêne dans les cuves contenant des vins destinés à être commercialisés sous l'appellation d'origine contrôlée Haut-Médoc ; qu'il a soutenu qu'il n'avait fait qu'expérimenter, sous le contrôle d'un institut spécialisé, un procédé de vinification ;

Attendu que, pour le déclarer coupable du délit reproché, la juridiction du second degré retient que le traitement consistant à introduire des douelles ou copeaux de chêne dans les cuves en inox ou en ciment, afin de donner au vin un goût boisé se rapprochant de celui du vin élevé en fûts de chêne, est interdit par l'article 15.1 du règlement 822-87-CEE du 16 mars 1987 modifié, portant organisation commune du marché viti-vinicole, comme n'entrant pas dans les pratiques oenologiques autorisées par les dispositions de l'annexe VI dudit règlement ; qu'elle ajoute que le prévenu ne s'est pas soumis à la procédure administrative relative aux expérimentations de traitements oenologiques non conformes à la réglementation, alors que cette faculté est prévue par l'article 26 du règlement CEE précité ;

Attendu qu'en l'état de ces motifs, et dès lors que le règlement communautaire 822-87 du 16 mars 1987, qui remplace le règlement 816-70 du 28 avril 1970 abrogé, constitue l'une des mesures d'exécution prévues par les articles L. 214-1 et L. 214-3 du Code de la consommation, la cour d'appel a justifié sa décision ; qu'en effet, la falsification d'un produit est caractérisée par le recours à un traitement illicite et non conforme à la réglementation en vigueur, de nature à en altérer la substance ;

Attendu, par ailleurs, qu'en ordonnant la publication de sa décision par extraits, la cour d'appel a usé de la faculté prévue par l'article L. 216-3 du Code de la consommation ; d'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

Rejette le pourvoi.