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Décisions

Cass. crim., 7 octobre 2003, n° 02-86.291

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cotte

Rapporteur :

Mme Gailly

Avocat général :

M. Di Guardia

Avocat :

SCP Tiffreau

Angers, ch. corr., du 3 sept. 2002

3 septembre 2002

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par : X Claudine, épouse Y, contre l'arrêt de la Cour d'appel d'Angers, chambre correctionnelle, en date du 3 septembre 2002, qui, pour infractions au Code de la consommation, au Code de la santé publique, ainsi que pour faux et usage de faux, a confirmé le jugement l'ayant condamnée à 3 mois d'emprisonnement avec sursis et 30 000 francs d'amende ; - Vu le mémoire produit ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que l'EURL X achète, fabrique et conditionne divers produits d'herboristerie et de cosmétologie ainsi que des compléments alimentaires, d'origine animale, végétale ou minérale ; que des contrôles effectués par des agents de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) ont révélé, d'une part, la détention, la mise en vente et la vente de substances interdites, d'autre part, la mise en vente de plantes médicinales et de médicaments par fonction d'origine minérale, relevant du monopole pharmaceutique ;

Attendu que Claudine X a été poursuivie pour exercice illégal de la pharmacie, détention de produits propres à effectuer la falsification de denrées alimentaires, falsification et vente de produits falsifiés, dont certains sont nuisibles pour la santé de l'homme et pour faux et usage de faux ;

En cet état : - Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 213-3, alinéa 1, 2 , du Code de la consommation, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que Claudine X a été déclarée coupable d'exposition, mise en vente, vente de produits toxiques s'agissant du konjac, du psyllium, de l'argile blanche, de la rauwolfia, de la noix vomique, de l'adonis vernalis et de la racine de bryonne ;

"aux motifs adoptés que "la toxicité d'un produit s'apprécie au regard de sa nocivité pour les organismes vivants et les troubles divers qu'il peut engendrer ; en l'espèce, parmi les substances nuisibles expressément visées à la prévention, l'on trouve : le konjac : dont la réhydratation lors de l'ingestion a révélé les risques d'obstruction de l'oesophage, le psyllium, à l'origine d'allergies, l'argile blanche avec laquelle existe un risque d'occlusion intestinale, la rauwolfia : substance vénéneuse toxique, la noix vomique : substance vénéneuse toxique, l'adonis vernalis : substance vénéneuse toxique, la racine de bryonne : substance toxique constituant un purgatif drastique ; l'ensemble des troubles ainsi répertoriés caractérise une intolérance potentielle au produit liée à ses qualités intrinsèques ou à son processus d'ingestion et le classe ainsi au rang des produits toxiques" ;

"alors que 1°), le juge ne pouvait formuler des appréciations sur la nocivité des produits konjac, psyllium, argile blanche, racine de bryonne, sans préciser les éléments scientifiques sur lesquels reposaient ces appréciations ;

"alors que 2°), le juge ne pouvait déclarer la prévenue coupable d'exposition, mise en vente, vente de produits toxiques s'agissant de la rauwolfia, la noix vomique et l'adonis vernalis, sans répondre au moyen pris de ce que ces trois produits n'avaient jamais été vendus à des consommateurs, mais répondaient à des demandes spécifiques, notamment de vétérinaires et de laboratoires (ccl. X, p. 13 in fine)" ;

Attendu que, pour déclarer la prévenue coupable de mise en vente de produits toxiques, l'arrêt, par motifs adoptés, énonce que la toxicité d'un produit s'apprécie au regard de sa nocivité pour les organismes vivants ; que, selon les avis du Conseil supérieur de l'hygiène publique (CSHP), le konjac, le psyllium, l'argile blanche, la rauwolfia, la noix vomique, l'adonis vernalis et la racine de bryonne, sont des produits toxiques en raison des troubles, que les juges décrivent, causés par leur ingestion, caractérisant une intolérance potentielle au produit liée à ses qualités intrinsèques ou son processus d'ingestion ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, procédant de son appréciation souveraine, la cour d'appel a justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Mais, sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 213-3, alinéa 1, 1°, 2 , et alinéa 2, 213-4, alinéa 1, 4 , et alinéa 2 du Code de la consommation, 1er et 15-2 du décret du 15 avril 1912, 591 et 593 du Code de procédure pénale, 7 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Claudine X coupable de détention sans motif légitime de produits propres à effectuer la falsification de denrées et de produits nuisibles propres à effectuer la falsification de denrées, de falsification de denrées servant à l'alimentation de l'homme en y introduisant des substances non autorisées, d'exposition, mise en vente, vente de denrées falsifiées autres que le konjac, le psyllium, l'argile blanche, le rauwolfia, la noix vomique et la racine de bryonne ;

"aux motifs que "toute substance, destinée à être ingérée qui ne présente pas une fonction curative, ou qui n 'est pas présentée comme ayant une telle propriété, est soumise à la réglementation applicable aux denrées alimentaires à l'exclusion de celles destinées à une alimentation particulière ; les compléments alimentaires ont été définis par le décret du 14 octobre 1997, modifiant le décret du 15 avril 1912 (article 15-2), comme tout produit destiné à être ingéré en complément de l'alimentation humaine afin de pallier l'insuffisance réelle ou supposée des apports journaliers ; l'article premier du décret de 1912 interdit de vendre des denrées alimentaires additionnées de produits chimiques autres que ceux dont l'emploi est autorisé par arrêté ministériel ; les plantes ou extraits de plantes, et plus généralement, les aliments qui ne sont pas consommés significativement en Europe, sont considérés comme aliments ou ingrédients nouveaux au sens du règlement CE 258-97 du 24 janvier 1997, ils ne peuvent être utilisés en alimentation humaine avant que la preuve de leur innocuité n'ait été faite ; le dispositif implique une évaluation nationale et une validation communautaire ; les substances ou produits d'origine minérale qui n'entrent pas dans le champ d'application du règlement communautaire précité, considérés comme aliments non traditionnels ne peuvent être utilisés que s'ils ont fait l'objet d'un avis défavorable de l'Agence française pour la sécurité sanitaire en alimentation ; certaines plantes ont reçu un avis favorable, d'autres un avis défavorable ; il en résulte, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal et ce que soutient la prévenue, que la seule addition de produit chimique autorisé pourrait constituer une infraction au décret de 1912 modifié ; les dispositions communautaires postérieures aux faits de la prévention ne peuvent avoir aucune incidence sur le droit applicable, même dans le sens de la méthode de raisonnement ; cette réglementation était connue de la prévenue qui a admis avoir reçu la circulaire émise par l'administration en 1996, et qui en avait été informée en 1995 ; les agents de la Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes ont constaté que la prévenue fabriquait des compléments alimentaires ayant pour racine nominale "ortho" pour le compte de son oncle Joseph X ; le produit nommé Ortho-Fe 150 mg soumis à un contrôle s'est avéré non conforme à la composition annoncée, fait reconnu par la prévenue qui ne possède aucun document de fabrication et de procède à aucun contrôle ; l'examen des documents détenus par l'entreprise a permis de constater la commercialisation de substances non autorisées : dolomite, levure de chrome ; les enquêteurs ont également découvert la vente de compléments alimentaires non identifiés en tant qu'aliments ou relevant de la pharmacopée, présentés sous une forme de gélule ou d'extraits hydro-alcooliques : vigne rouge, gingko biloba, marron d'inde, harpagophytum, vergerette, complexe argi(nine) et orni(thine) ; les enquêteurs ont également procédé à l'inventaire des substances et compléments alimentaires détenus dans les locaux de stockage de préparation et d'expédition, destinés à l'alimentation humaine : en fûts en gélules ; l'analyse des documents commerciaux, les inventaires et mouvements de stock a révélé la vente non seulement de substances non autorisées en alimentation humaine, mais aussi et surtout la détention en vue de la vente et la vente, en quantités importantes, de substances et compléments alimentaires techniques présentant un risque majeur pour la santé ; ont été saisis : substances vénéneuses toxiques substances dangereuses toxiques compléments alimentaires impropres à la consommation humaine falsifiés ayant fait l'objet d'un avis défavorable du Comité scientifique pour l'alimentation humaine la prévenue a reconnu avoir été informée en 1996 que ces produits ne pouvaient être destinés à l'alimentation humaine ; elle a poursuivi ses ventes en adoptant la mention "destiné export" ; selon elle, cela permettait de rappeler la réglementation française ; les investigations menées par la Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes ont permis de vérifier que tous les clients de la prévenue étaient des nationaux ; un seul d'entre eux (la société royale) a une clientèle partielle à l'étranger qui représente 50% de son chiffre d'affaires ; les clients n'ont eu aucun contact avec l'EURL Claudine X à ce sujet ; cette dernière n'a jamais demandé de justifications d'exportation ; cette mention n'avait donc aucune justification réelle et démontrait la connaissance de la réglementation par la prévenue ; elles ont aussi permis de constater que les factures originales et les doubles détenus par la prévenue comportaient des dénominations différentes ; la cour infirmera le jugement en ce qu'il a relaxé la prévenue des chefs de détention sans motif légitime de produits propres à effectuer la falsification de denrées et de produits nuisibles propres à effectuer la falsification de denrées, falsification de denrées servant à l'alimentation de l'homme en y introduisant des substances non autorisées, d'exposition, mise en vente, vente de denrées falsifiées et nuisibles concernant les produits autres que le konjac, le psyllium, l'argile blanche, le rauwolfia, la noix vomique et la racine de bryonne ; l'en déclarera coupable ; en effet, l'ajout de toute substance non autorisée dans l'alimentation humaine constitue une falsification de la denrée alimentaire concernée" ;

"alors que 1°), l'incrimination de l'addition à une denrée alimentaire de "produits chimiques" non autorisés ne satisfait pas aux exigences de prévisibilité et d'accessibilité de la loi pénale, en l'absence d'une définition claire, précise et constante de la notion de "produit chimique", et ne saurait donc fonder la condamnation de la prévenue ;

"alors que 2°), subsidiairement, la falsification d'une denrée suppose une manipulation de nature à altérer la substance de la denrée falsifiée ; que la cour d'appel ne pouvait déclarer la prévenue coupable d'infractions relatives à la falsification de denrées destinées à l'alimentation humaine, sans constater, précisément, l'altération de la substance d'une quelconque denrée, par suite d'une manipulation ;

"alors que 3°), la cour d'appel ne pouvait reprocher à la prévenue d'avoir disposé de substances prétendument nuisibles à la santé humaine, autres que le konjac, le psyllium, l'argile blanche, le rauwolfia, la noix vomique et la racine de bryonne, sans préciser les éléments scientifiques ayant expressément reconnu ce caractère nuisible ni s'expliquer, à cet égard, sur la motivation d'avis émis par le CSHP" ;

Vu l'article 593 du Code de procédure pénale, ensemble les articles L. 213-3 du Code de la consommation ;

Attendu que le juge répressif ne peut prononcer une peine sans avoir relevé tous les éléments constitutifs de l'infraction qu'il réprime ;

Attendu que, pour déclarer Claudine X coupable de falsifications de denrées alimentaires et d'exposition et mise en vente de produits falsifiés, et de ces mêmes délits aggravés par la circonstance du caractère nuisible à la santé de l'homme de la denrée falsifiée, l'arrêt énonce que la prévenue a vendu des substances non autorisées en alimentation humaine ainsi que des substances et compléments alimentaires techniques présentant un risque majeur pour la santé ; que les juges dressent la liste de certains compléments alimentaires impropres à la consommation humaine falsifiés, ayant fait l'objet d'un avis défavorable du Comité scientifique pour l'alimentation humaine ;

Mais attendu qu'en l'état de ces seules énonciations, qui ne caractérisent pas en quoi les produits cités avaient été falsifiés, soit par l'addition d'un produit chimique non autorisée au sens de l'article 1er de la loi de 1912, soit par tout autre procédé ou substance non autorisée par la réglementation en vigueur, et sans rechercher si certains produits, visés à la prévention et mis en vente par la prévenue, n'étaient pas des produits propres à effectuer la falsification des denrées alimentaires, au sens de l'article L. 213-3 alinéa 1er, 4 du Code de la consommation, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ; d'où il suit que la cassation est encourue ;

Et sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 511 (devenu L. 5111-1), L. 512 (devenu L. 4211-1) du Code de la santé publique, 591 et 593 du Code de procédure pénale, 7 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, 28 et 30 du traité de Rome ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Claudine X coupable d'exercice illégal de la pharmacie ;

"aux motifs adoptés, d'une part, que "sur la vente de plantes médicinales pulvérisées et conditionnées en gélules : sur les 39 plantes visées à la prévention, certaines ne sont plus inscrites à la pharmacopée (le gui), d'autres étant contenues dans la liste des produits végétaux aromatiques susceptibles d'être utilisés dans l'alimentation sans inconvénient pour la santé par contre, les autres plantes visées à la prévention y compris la bourrache libéralisée mais uniquement pour être vendue en l'état, ne sauraient échapper aux dispositions de l'article L. 4211-1 du Code de la santé publique, ce d'autant que leur commercialisation sous une forme galénique les rapproche également du statut de médicament par présentation" ;

"alors que 1°), l'incrimination de la vente de plantes médicinales par d'autres personnes que des pharmaciens ne satisfait pas aux exigences de prévisibilité et d'accessibilité de la loi pénale, en l'absence d'une définition claire, précise et constante de la notion de "plante médicinale", et ne saurait donc fonder la condamnation de la prévenue ;

"alors que 2°), en omettant de répondre au moyen tiré de l'incompatibilité avec les articles 28 et 30 du traité de Rome de l'interdiction générale et absolue faite aux personnes qui ne sont pas pharmaciens de vendre des plantes "médicinales", édictée à l'article L. 512 (devenu L. 4211-1) du Code de la santé publique, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

"alors que 3°), subsidiairement, l'insuffisance des motifs équivaut à leur absence ; que la cour d'appel ne pouvait affirmer que la prévenue avait vendu des plantes "médicinales", sans préciser les critères de cette qualification ni les "éléments scientifiques ayant permis de fonder son appréciation" ;

"et aux motifs, d'autre part, que sur la vente de substances médicamenteuses par composition ou fonction : l'article L. 511 du Code de la santé publique définit également comme médicament "tout produit pouvant être administré à l'homme ou à l'animal, en vue d'établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier leurs fonctions organiques" ; la loi n'exige pas que les effets du produit sur l'organisme soient scientifiquement démontrés mais se réfère à l'usage auquel il est destiné en vue notamment de restaurer ou corriger les fonctions organiques ; il y a lieu dans ces conditions de retenir que les produits à base d'oligo-éléments et les complexes visés par la citation sont des médicaments puisqu'ils sont habituellement prescrits à cette fin ;

"alors que 4°), le juge ne peut qualifier un produit "médicament par fonction" sans vérifier qu'il peut être administré en vue de restaurer, corriger ou modifier une fonction organique, compte tenu de ses propriétés pharmacologiques réelles ou supposées, lesquelles doivent être appréciées au regard de l'état actuel de la connaissance scientifique, des modalités d'emploi du produit, de l'ampleur de sa diffusion, de la connaissance qu'en ont les consommateurs et des risques que peut entraîner son utilisation ; qu'en affirmant que les produits à base d'oligo-éléments et les complexes visés à la citation étaient prescrits en vue de restaurer ou corriger les fonctions organiques, sans s'en expliquer davantage, et sans préciser, en particulier, les éléments ayant permis d'apprécier leurs propriétés pharmacologiques réelles ou supposées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale" ;

Vu les articles 593 du Code de procédure pénale et L. 5111-1 du Code de la santé publique ;

Attendu que le juge répressif ne peut prononcer une peine sans avoir relevé tous les éléments constitutifs de l'infraction qu'il réprime ;

Attendu que, pour déclarer la prévenue coupable d'exercice illégal de la pharmacie pour avoir mis en vente des produits à base d'oligoéléments et des complexes visés à la prévention, l'arrêt retient, par motifs adoptés, qu'étant habituellement prescrits pour être administrés à l'homme en vue d'établir un diagnostic ou de restaurer ou corriger des fonctions organiques, ces produits sont des médicaments par fonction ou par composition ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, sans préciser les propriétés pharmacologiques réelles ou supposées attribuées à ces produits et pour lesquelles ils sont habituellement prescrits, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ; d'où il suit que la cassation est également encourue ;

Par ces motifs, Casse et annule, en toutes ses dispositions, l'arrêt précité de la Cour d'appel d'Angers, en date du 3 septembre 2002, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ; Renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel de Rennes, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ; Ordonne l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la Cour d'appel d'Angers, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.