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Décisions

Cass. crim., 15 décembre 1993, n° 92-86.688

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Souppe (faisant fonction)

Rapporteur :

M. Jean Simon

Avocat général :

M. Libouban

Avocats :

SCP Boré, Xavier, Me Parmentier

Chambéry, ch. corr., du 5 nov. 1992

5 novembre 1992

LA COUR : - Cassation sur le pourvoi formé par X Jean-Pierre et X Philippe, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Chambéry, chambre correctionnelle, du 5 novembre 1992, qui, pour falsification de boissons, les a condamnés chacun à une amende de 15 000 francs, a ordonné des mesures d'affichage et de publication et a prononcé sur les réparations civiles. - Vu les mémoires produits en demande et en défense ; - Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 1 et 3 de la loi du 1er août 1905, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jean-Pierre et Philippe X coupables du délit de falsification en dénommant Roussette 10 hl qui n'étaient que du vin de Savoie et en ayant réclamé l'appellation vin de Savoie pour 10 hl qui avaient été déclassés en vin de table par mélange ;

" aux motifs, d'une part, que s'il est exact qu'ils étaient à même de fabriquer de la Roussette avec deux cépages Chardonnay et Altesse, ils auraient dû remplir la colonne un de leur déclaration de récolte en mettant en face de Chardonnay, Roussette ; que sur cette déclaration ils ont mentionné Savoie en face de Chardonnay et Roussette en face du cépage Altesse ; que selon la lettre du 13 octobre 1992 du président du syndicat régional des vins de Savoie : " Pour obtenir un cru de vin de Savoie ou de Roussette de Savoie, il est impératif de le revendiquer dans la première colonne de la déclaration de récolte car c'est le document qui est à la base de toute revendication ultérieure du nom de cru " ; qu'ainsi ils ne pouvaient revendiquer l'appellation Roussette que pour ce qu'ils avaient déclaré soit 30 hl ; que lors du contrôle il y avait 40 hl ; qu'il pouvait s'agir de Roussette puisqu'obtenu avec un mélange de Chardonnay et d'Altesse mais que légalement les 40 hl ne pouvaient s'appeler Roussette puisqu'eux-mêmes n'en avaient revendiqué l'appellation que pour 30 hl ; qu'ainsi 10 hl ont été falsifiés et détenus par eux alors qu'ils auraient dû être distillés ; que c'est pour éviter cette distillation qu'ils ont eux-mêmes reconnu avoir interverti les crus de Savoie, Chardonnay et de Roussette (arrêt attaqué p. 4, al. 4 à 8) ;

1° " alors que l'arrêt attaqué reconnaît, pour les 40 hl de vins litigieux, " qu'il pouvait s'agir réellement de Roussette puisqu'obtenu avec un mélange de Chardonnay et d'Altesse ; qu'en énonçant néanmoins que 10 hl avaient été falsifiés motif pris de ce que la déclaration de récolte ne mentionnait l'appellation de Roussette de Savoie que pour 30 hl de vin, la cour d'appel a fait ressortir l'existence d'une erreur de la déclaration de récolte qui ne saurait établir l'existence d'une falsification des vins qui ont, selon ses propres termes toutes les qualités de la Roussette de Savoie ; qu'en retenant néanmoins l'existence du délit la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

2° " alors que les demandeurs avaient soutenu dans leurs conclusions d'appel que compte tenu de la superficie de leur propriété plantée en cépage Altesse et en cépage Chardonnay il était possible, eu égard au rendement autorisé de produire 40 hl 07 de Roussette de Savoie ; qu'en omettant de répondre à ce moyen, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;

" aux motifs, d'autre part, qu'il est reproché aux prévenus d'avoir mélangé du vin de table, du vin de Savoie et du vin de la récolte précédente ; que ces 10 hl de vin de Savoie mélangés à du vin ordinaire pouvaient toujours être commercialisés par eux sous l'appellation de vin de Savoie, trompeuse puisque fausse, suite au mélange ; que toujours selon leur déclaration ces 10 hl de production de vin de Savoie manquaient à l'appel dans les crus bénéficiant de cette appellation lors du contrôle ; que sachant qu'ils ne pouvaient plus avoir droit à cette appellation, ils l'ont quand même déclaré ainsi alors que, selon eux, le mélange avait été effectué avant la souscription de la déclaration de récolte ; qu'ils ont donc falsifié un vin de Savoie en le déclarant comme tel alors qu'il ne pouvait plus prétendre à cette appellation (arrêt attaqué p. 5, al. 2, 3) ;

3° " alors que le délit de falsification n'est caractérisé que si le juge relève l'intention frauduleuse de son auteur ; que la cour d'appel s'est bornée à énoncer que le mélange de vin de Savoie à du vin ordinaire " pouvait toujours être commercialisé" sous l'appellation vin de Savoie " sans établir que les prévenus étaient animés d'une telle intention ; que l'arrêt attaqué n'est, dès lors, pas légalement justifié ;

4° " alors que Philippe et Jean-Pierre X avaient soutenu dans leurs conclusions d'appel que le contenu de la cuve était destiné à la production de vin mousseux selon la méthode champenoise sans aucune appellation d'origine ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen des conclusions qui démontraient l'absence de l'élément intentionnel du délit, la cour d'appel a violé les textes susvisés " ;

Vu lesdits articles ;

Attendu que toute falsification d'un produit implique le recours à une manipulation ou à un traitement illicite ou non conforme à la réglementation en vigueur, de nature à en altérer la constitution physique ;

Attendu en outre que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision ; que la contrariété ou l'insuffisance des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et du procès-verbal, base des poursuites, que dans la déclaration de récolte qu'ils ont souscrite le 23 novembre 1990 Jean-Pierre et Philippe X ont porté les renseignements suivants sous l'appellation contrôlée Roussette, pour une superficie de production de 45 ares 55 ca, complantée en cépage Altesse, 30 hectolitres de vin blanc ; sous l'appellation contrôlée Savoie pour une superficie de production de 57 ares 55 ca, complantée en cépage Chardonnay, 40 hectolitres de vin blanc ;

Que le 5 décembre 1990 lors du recencement physique des vins, effectué par les agents de la Concurrence, de la Commercialisation et de la Répression des Fraudes, au siège de leur exploitation, ces viticulteurs ont, au fur et à mesure de l'appel des contenants, indiqué, pour la cuve n° 8 de 40 hectolitres, l'appellation Roussette et, pour la cuve n° 10 de 30 hectolitres, l'appellation vin de Savoie Chardonnay ;

Qu'au cours de la même opération, les agents verbalisateurs ont, en outre, relevé l'existence d'une cuve de 75 hectolitres remplie de vin blanc, désigné comme vin de pays de l'Allobrogie, alors que dans la déclaration de récolte figuraient seulement 50 hectolitres de vin de cette catégorie, la différence de 25 hectolitres correspondant notamment à l'adjonction de 10 hectolitres de vin déclaré comme vin de Savoie ;

Attendu qu'aux termes de la citation qui leur a été délivrée, Jean-Pierre et Philippe X sont poursuivis pour avoir ; 1) d'une part, " falsifié et détenu des produits falsifiés sur 9,9 hectolitres d'excédents de Roussette de Savoie déclarés en vin de Savoie " ; 2) d'autre part, " mélangé des vins de Savoie avec des vins de pays (10 hl mélangés à 65 hl) ;

Attendu que, pour déclarer les prévenus coupables de ces délits et leur faire application des articles 1, 3 et 4 de la loi du 1er août 1905, les juges du second degré relèvent, en ce qui concerne la première infraction, que pour bénéficier de l'appellation Roussette, qu'ils étaient à même de fabriquer avec deux cépages Chardonnay et Altesse, à la condition de ne pas inclure dans leur préparation plus de 50 p. cent de Chardonnay, les frères X auraient dû remplir la colonne 1 de la déclaration de récolte en mettant en face de Chardonnay, Roussette et qu'en mentionnant, comme ils l'ont fait, Savoie en face de Chardonnay et Roussette en face du cépage Altesse, ils ne pouvaient revendiquer l'attribution de l'appellation Roussette que pour ce qu'ils avaient déclaré soit 30 hectolitres " ; que les juges ajoutent " que lors du contrôle les prévenus avaient 40 hectolitres de Roussette, donc 10 hectolitres de trop ; qu'il pouvait s'agir réellement de Roussette puisqu'obtenu avec un mélange de Chardonnay et d'Altesse, mais qu'en tout état de cause les 40 hectolitres ne pouvaient légalement s'appeler Roussette puisqu'ils n'en avaient revendiqué l'appellation que pour 30 hectolitres ; qu'ainsi 10 hectolitres ont été falsifiés et détenus par eux, au lieu d'être distillés " ;

Attendu qu'en ce qui concerne les faits analysés sous la rubrique de l'arrêt " mélange de vin de Savoie et d'Allobrogie ", l'arrêt attaqué retient que " les 10 hectolitres de vin de Savoie mélangés à du vin ordinaire, pouvaient toujours être commercialisés sous l'appellation vin de Savoie, trompeuse puisque fausse suite au mélange, que, toujours selon la déclaration des prévenus, celle-ci fait foi, et que ces 10 hectolitres de production de vin de Savoie manquaient à l'appel dans les vins bénéficiant de cette appellation lors du contrôle ; que, bien que sachant qu'ils ne pouvaient plus avoir droit à cette appellation, ils l'ont quand même déclarée ainsi, alors que, selon eux, le mélange avait été effectué avant la souscription de la déclaration de récolte ; qu'ils ont ainsi falsifié un vin de Savoie en le déclarant comme tel alors qu'il ne pouvait plus prétendre à cette appellation " ;

Mais attendu qu'en se déterminant de la sorte, par des motifs imprécis dont certains apparaissent au demeurant contradictoires sinon incohérents et qui, sans relever aucune manipulation illicite opérée sur les vins incriminés, déduisent la falsification des seules déclarations, considérées comme erronées ou irrégulières, souscrites dans le document administratif prévu par l'article 37 du Code du vin, dont les dispositions sont sanctionnées sur le plan répressif par l'article 47 du même Code, la cour d'appel, à qui l'article 8 de la loi du 1er août 1905 devenu l'article L. 216-4 du Code de la consommation, interdisait au demeurant toute requalification des faits en ce sens, n'a pas donné de base légale à sa décision ; que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs : Casse et annule en toutes ses dispositions l'arrêt susvisé de la Cour d'appel de Chambéry, en date du 5 novembre 1992 et pour qu'il soit jugé à nouveau conformément à la loi : Renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel de Lyon.