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CCE, 19 décembre 2003, n° M.3318

COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Décision

ECS/Sibelga

CCE n° M.3318

19 décembre 2003

LA COMMISSION DES COMMUNAUTES EUROPEENNES,

Vu le traité établissant la Communauté européenne, Vu le Règlement du Conseil (CEE) n° 4064-89 du 21 décembre 1989 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, et, en particulier, l'article 9 paragraphe 3, Vu les notifications du 6 novembre 2003, effectuée par l'entreprise Electrabel Customers Solutions SA en vertu de l'article 4 dudit Règlement du Conseil, Vu la communication adressée par la Belgique en date du 1er décembre 2003, Considérant

1. Le 06.11.03, la Commission européenne a reçu notification, conformément à l'article 4 du règlement (CEE) n° 4064-89 du Conseil (ci-après, le règlement concentration) d'une opération de concentration par laquelle l'entreprise Electrabel Customer Solutions SA (" ECS ", Belgique) contrôlée par Electrabel SA, elle-même contrôlée par le Groupe Suez, acquiert, au sens de l'article 3 paragraphe 1 point b du règlement du Conseil, le contrôle d'une partie de l'activité de fourniture d'électricité et de gaz de l'intercommunale mixte Sibelga par achat d'actifs.

2. Les autorités belges de concurrence ont reçu copie des notifications le 10 novembre 2003.

3. Le 1er décembre 2003, la ministre belge de l'Economie, en application de l'article 9 du règlement concentration, notamment ses paragraphes 1, 2 et 3, a adressé une demande de renvoi de la présente affaire. Cette demande porte sur l'analyse des effets de l'opération sur le marché belge de la fourniture d'électricité et de gaz aux clients éligibles (1). La ministre belge de l'Economie considère que l'opération en cause présente le risque de renforcer une position dominante en région bruxelloise au sens de l'article 9, et demande en conséquence que l'analyse des effets de l'opération, la détermination des mesures propres à restaurer une concurrence effective et le suivi de ces mesures soient effectués par les autorités belges de la concurrence, qui ont déjà statué sur plusieurs affaires similaires. La ministre a également confirmé que cette démarche ne porte pas préjudice à une collaboration entre les autorités belges et les Services de la Commission.

4. ECS a reçu une copie intégrale de la demande des autorités belges. La partie notifiante a indiqué par lettre en date du 21 octobre 2003, soumis comme observation écrite à la Commission portant sur le cas ECS/Sibelga, qu'il est dans son intérêt que les diverses procédures ECS/Intercommunales soient menées de manière cohérente, particulièrement en ce qui concerne le contrôle de la mise en œuvre des conditions d'approbation de l'Ensemble des opérations ECS/Intercommunales. La partie notifiante en conséquence souhaite le renvoi.

I. LES PARTIES A L'OPERATION

5. ECS est une entreprise belge active dans le secteur de la fourniture d'électricité et de gaz et de la fourniture de produits et services y afférant. C'est une filiale d'Electrabel SA qui est contrôlée in fine par le groupe franco-belge Suez. En matière de gaz, Distrigaz est l'opérateur historique. Elle a récemment procédé à une scission de ses activités en deux entités juridiques distinctes: la société Fluxys qui gère et commercialise l'infrastructure de transport et Distrigaz qui achète et vend du gaz. Fluxys et Distrigaz sont, comme Electrabel, contrôlées in fine par le groupe Suez.

6. L'intercommunale mixte Sibelga est une structure semi-publique sous le contrôle de groupements de communes belges. Electrabel y détient une participation de l'ordre de 46% (2). Sibelga est active dans les secteurs de la distribution et fourniture d'électricité et de gaz aux clients présents sur le territoire de la région Bruxelles-Capitale.

II. L.OPÉRATION

7. La libéralisation du marché de l'énergie en Belgique, telle qu'elle résulte de la transposition de la directive communautaire par la loi fédérale du 29 avril 1999 concernant l'organisation les marchés de l'électricité et du gaz, et l'ordonnance du 19 juillet 2001 (3), s'appuie sur trois principes : (i) l'apparition d'une clientèle dite éligible qui, en fonction des seuils de consommation, est libre de choisir son fournisseur, (ii) la mise en place d'un gestionnaire indépendant du réseau de transport, et (iii) la séparation des fonctions de gestionnaire de réseau de distribution de celles de fournisseur à la clientèle éligible. Outre la libéralisation du marché, la loi vise aussi à garantir la continuité de la fourniture d'électricité et de gaz. C'est pourquoi, les intercommunales, gestionnaires du réseau de distribution, doivent désigner un fournisseur par défaut à tout client éligible qui n'aura pas fait de choix deux mois après son éligibilité. En pratique, les clients qui deviennent éligibles devront soit signer un contrat de fourniture d'électricité et/ou de gaz avec le fournisseur de leur choix, soit continuer d'être fournis par le fournisseur par défaut.

8. En conséquence de cette évolution législative et réglementaire, Sibelga, comme les autres intercommunales, doit se dessaisir de son activité de fournisseur d'énergie de la clientèle éligible et se limiter à l'activité de gestion des réseaux de distribution. Par une convention en date du 29 septembre 2003, Sibelga et Electrabel ont convenu qu'ECS se substituerait à Sibelga dans son rôle de fournisseur d'électricité et de gaz aux clients éligibles en étant désigné fournisseur par défaut. En contrepartie, Electrabel payera pour l'acquisition des activités de fourniture de gaz et électricité un prix déterminé (4). De plus, jusqu'à la libéralisation du marché domestique, l'intercommunale de financement Interfin aura droit à [...] du chiffre d'affaires réalisé en matière de vente de gaz et d'électricité d'ECS. Enfin, Electrabel cédera progressivement sa participation dans Sibelga et au 31 décembre 2012, Electrabel n'aura plus aucune participation dans Sibelga.

9. Par ailleurs, il est expressément prévu que soient mis en place des services dotés de personnel propre à Sibelga pour exécuter les tâches de gestion de réseau. Ces services existent déjà en pratique.

10. La transaction considérée implique donc l'acquisition d'un transfert de clientèle accompagnée d'une participation au bénéfice de ECS et d'une baisse de la participation d'Electrabel dans le capital de Sibelga. Il en résulte que ce transfert de clientèle doit être assimilé à une cession d'actifs. Cette opération constitue donc une concentration en application de l'article 3(1)(b) du règlement concentration.

III. DIMENSION COMMUNAUTAIRE

11. Les entreprises concernées réalisent un chiffre d'affaires total sur le plan mondial de plus de 5 000 millions d'euro (5) en 2002 (Suez: 46 090 millions d'euro; Sibelga 746 millions d'euro). Chacune d'entre elles réalise un chiffre d'affaires dans la Communauté de plus de 250 millions d'euro (Suez: [...] d'euro, Sibelga [...] d'euro). Sibelga réalise son chiffre d'affaire uniquement en Belgique mais Suez n'y réalise pas plus des deux tiers de son chiffre d'affaires. L'opération a donc une dimension communautaire.

IV. DEFINITION DES MARCHES EN CAUSE

Les marchés de produit

A. Electricité

12. La Commission distingue selon sa pratique décisionnelle quatre marchés de produits distincts dans le domaine de l'électricité. Ces marchés sont, de l'amont à l'aval, la production (6), le transport, la distribution et la fourniture d'électricité. En parallèle, le marché du négoce d'électricité doit également être pris en considération. De plus, l'ouverture à la concurrence des marchés européens de l'électricité a conduit la Commission à diviser le marché de la fourniture d'électricité en deux marchés distincts, celui des clients éligibles, libres de choisir leurs fournisseurs, et celui des clients non-éligibles, qui ne disposent pas de cette liberté de choix et sont en général fournis par un monopole national ou local (7).

13. La fourniture d'électricité aux clients non-éligibles étant toujours assurée par les intercommunales qui détiennent un monopole sur leur territoire, il convient bien de séparer clients éligibles et clients non-éligibles dans le marché de la fourniture d'électricité. En revanche, au sein du marché de la fourniture aux clients éligibles, l'enquête de la Commission a permis de démontrer qu'il n'existait pas actuellement de distinction significative entre les différents types de clients, que ce soit en fonction de leur consommation totale, de leur profil de consommation ou bien encore de leur taille. En conclusion, le marché de produits qui doit être pris en considération est celui de la fourniture d'électricité aux clients éligibles. Les Autorités belges partagent cette définition des marchés.

B. Gaz

14. Conformément à sa pratique décisionnelle (8), la Commission distingue, de l'amont à l'aval, les activités d'exploration, de production (9), de transport, de distribution, de stockage, de négoce et de vente/fourniture comme des marchés de produits distincts dans le domaine du gaz naturel. La partie notifiante considère que les marchés affectés sont ceux de la distribution, du transport et de la fourniture aux clients éligibles.

15. Il pourrait cependant être avancé qu'il existe des marchés pertinents distincts selon le pouvoir calorifique du gaz. Deux types de gaz sont transportés et distribués en Belgique. Le gaz "L" à faible pouvoir calorifique en provenance des Pays-Bas et le gaz "H", à haut pouvoir calorifique, en provenance essentiellement d'Algérie, de la Norvège et du Royaume-Uni. La consommation de gaz en Belgique (49% gaz L et 51% gaz H) est géographiquement distincte et fournie par des réseaux, tant de transport que de distribution, spécifiques au gaz L et gaz H. Dans la région Bruxelles-Capitale, seul le gaz L est disponible.

16. La partie notifiante estime que cette distinction ne devrait pas amener la Commission à délimiter des marchés séparés. En effet, en dépit des investissements initiaux à effectuer sur les réseaux, les prix de ces deux types de gaz ne connaîtraient pas d'écarts importants.

17. L'Enquête de la Commission n'a pas confirmé cette argumentation pour ce qui concerne l'offre de gaz. La quasi-totalité des réponses indique l'existence de marchés séparés, les conditions de marchés étant significativement différentes. Ainsi, aucune liquidité n'existe sur le marché du gaz L contrairement au gaz H où il existe un marché spot. Les possibilités de convertir le gaz L en gaz H sont très limitées et les hubs existants ne concernent que le gaz H. L'enquête de la Commission a démontré qu'investir dans un réseau parallèle ou la construction des équipements de conversion n'est pas une option économiquement viable pour les concurrents de Distrigaz. Ainsi, il est exclu qu'en Belgique un réseau de gaz H pourrait se substituer rapidement au réseau de gaz L en cas d'augmentation des prix (10).

18. En tout état de cause, la définition du marché de produits peut être laissée ouverte dans la mesure où l'opération menace de renforcer une position dominante quelle que soit la définition de marché retenue.

19. Comme pour l'électricité, l'ouverture à la concurrence des marchés européens du gaz conduit à distinguer, en ce qui concerne les activités de fourniture, entre des clients éligibles et non-éligibles. Il pourrait être avancé que pour le marché des clients éligibles de gaz, une distinction devrait être faite entre les clients éligibles connectés au réseau de transport (fournis par Distrigaz) et les clients éligibles connectés au réseau de distribution (fournis par ECS). Même s'il existait un marché des clients éligibles connectés au réseau de transport, qui vise les producteurs d'électricité, les fournisseurs et consommateurs importants, la position de Distrigaz sur ce marché serait comparable serait du même ordre de grandeur que celle détenue sur le marché de la fourniture de gaz aux clients éligibles connectés au réseau de distribution. Ainsi, la définition du marché peut être laissée ouverte dans la mesure où l'opération menace en tout état de cause de renforcer une position dominante.

20. En conclusion, le marché de produits qui doit être pris en considération est celui de la fourniture de gaz aux clients éligibles. Les Autorités belges partagent cette définition des marchés.

Les marchés géographiques

A. Electricité

21. Du point de vue géographique, les Autorités belges estiment que les marchés de l'électricité ont une dimension au plus nationale. En effet, les clients éligibles établis sur le territoire de l'intercommunale en question peuvent s'approvisionner à des conditions équivalentes auprès des fournisseurs établis partout en Belgique. En revanche, s'approvisionner auprès de fournisseurs établis dans d'autres Etats membres soulève des problèmes liés aux capacités limitées des interconnexions qui restreignent toutefois les importations dans une mesure significative.

22. Bien que l'opération notifiée ne concerne que la clientèle éligible du territoire de l'intercommunale Sibelga, la partie notifiante estime de manière analogue que le marché géographique à prendre en compte est celui de la Belgique.

23. L'enquête menée par la Commission a confirmé pour l'essentiel la position des Autorités belges. En effet, il existe une forte homogénéité des conditions de marché en Belgique du fait notamment de la prééminence de sources d'approvisionnement en électricité que sont Electrabel et SPE.

24. Il existe de plus des barrières à l'entrée importantes qui cloisonnent les conditions de concurrence à l'intérieur de la Belgique. Le volume des importations est extrêmement restreint et ne paraît pas pouvoir exercer une contrainte sur les producteurs nationaux. Cette situation risque de perdurer tant que les capacités des interconnecteurs, en particulier à la frontière franco-belge, n'auront pas été accrues. On observe d'ailleurs que le prix de gros de l'électricité est plus élevé en Belgique qu'en France et inférieur à celui qui prévaut aux Pays Bas. L'opérateur historique réalise encore une part prédominante des ventes d'électricité sur l'Ensemble de la Belgique et on observe, a contrario, que des acteurs puissants pourtant présents sur des territoires directement voisins n'ont qu'une pénétration réduite en Belgique. Cette absence d'homogénéité des parts de marché et la prédominance de l'opérateur historique est l'une des manifestations des barrières à l'entrée du territoire belge.

25. Par ailleurs, les opérateurs alternatifs doivent être agréés en tant que fournisseur sur le territoire belge tant par les autorités fédérales que régionales (Access responsible Party). S'ensuit alors des négociations de contrat d'accès avec le gestionnaire du réseau de transport unique sur l'ensemble du territoire, Elia. Les opérateurs alternatifs considèrent alors l'intérêt de pénétrer le territoire belge en fonction des contraintes administratives et commerciales propres à ce pays. Enfin, il n'existe pas à la connaissance de la Commission de contrats transfrontaliers d'un opérateur au bénéfice de clients présents en Belgique ayant aussi des besoins sur les états voisins de la Belgique. Les contraintes techniques de fonctionnement du réseau rendent à l'heure actuelle de tels contrats guère envisageables.

26. La question se pose aussi de savoir s'il existe des différences régionales dans le fonctionnement du marché suffisantes pour définir des marchés régionaux. Les régimes de régulation pour les régions Flandre, Wallonie et Bruxelles Capitale diffèrent pour certains aspects tels que le rythme d'ouverture à la concurrence et le contexte législatif. Ainsi il n'est pas prévu en région bruxelloise que le fournisseur par défaut informe la clientèle devenant éligible de son droit à faire choix d'un fournisseur ni à l'autoriser à mettre fin à sa relation avec le fournisseur par défaut moyennant un préavis d'un mois. Cette différence a été mentionnée par l'autorité belge de la concurrence dans sa demande de renvoi et celle-ci mentionne explicitement que cette transaction " est de nature à renforcer la position déjà dominante de l'opérateur Electrabel en Région bruxelloise ".

27. Cependant l'enquête de marché a montré que les structures de l'offre et de la demande sont similaires dans ces trois régions. Notamment, il convient d'insister sur le fait que les structures de production et les capacités d'importation grâce à l'interconnexion aux frontières sont planifiées et gérées pour l'ensemble de la Belgique.

28. En conclusion, le marché géographique pertinent est soit celui de la Belgique soit celui de la région de Bruxelles Capitale. Il n'est pas nécessaire de se prononcer sur une définition exacte puisque dans les deux cas il existe des menaces de renforcement de position dominante.

B. Gaz

29. Les parties estiment que les trois marchés affectés sont de dimension nationale. En effet, le réseau de transport est géré de manière nationale et est approvisionné à hauteur des besoins de l'ensemble de la population belge notamment par l'exécution des contrats d'approvisionnement à long terme. Les compléments négociés sur le marché spot (Zeebrugge) sont aussi destinés à couvrir les besoins nationaux. Les réseaux sont, dans une grande mesure, régulés à un niveau national, notamment en ce qui concerne les édictions et la publication des conditions d'accès censées mettre l'ensemble des opérateurs sur un pieds d'égalité. Les prix se forment en conséquence à un niveau national du fait de cette homogénéité des conditions d'approvisionnement, de transport et de distribution. Bien que le calendrier de libéralisation soit moins ambitieux pour la région de Bruxelles Capitale qu'en Flandre, ceci est seulement d'une nature temporaire. Les fournisseurs de gaz autres qu'ECS/Distrigaz visent à être actifs sur toute la Belgique.

30. L'enquête de la Commission a démontré que les opérateurs frontaliers, occupant pourtant des positions dominante ou prééminente sur des territoires immédiatement voisins, n'ont pas pénétré le territoire belge de manière significative. Les capacités transfrontalières sur les frontières Nord et Sud sont réservées aux opérateurs historiques par des contrats à long terme. Bien que l'interconnecteur Royaume Uni/Belgique soit théoriquement disponible pour les importations, celui-ci connaît de nombreux dysfonctionnements et ne peut représenter une source fiable d'approvisionnement. Ainsi, et malgré une relative ouverture du réseau belge de transport, la pression concurrentielle des opérateurs établis dans les pays voisins de la Belgique reste limitée.

31. En ce qui concerne le stockage de gaz, la partie notifiante estime que ce marché est plus large que national en raison de la disponibilité du stockage de gaz dans les pays voisins de la Belgique. Ceci n'a pas été confirmé par l'enquête de la Commission. Les prix du stockage et du transport de gaz dans ces pays sont élevés, et ne présentent pas une alternative économiquement viable pour le stockage en Belgique.

32. Il pourrait être avancé que l'existence des réseaux distincts pour le gaz L et le gaz H, couvrant différentes régions géographiques, détermine la définition du marché géographique de l'approvisionnement de gaz en Belgique. Le gaz L et le gaz H représentent tous les deux environ 50% de la consommation de gaz en Belgique, mais, par exemple, la région de Bruxelles capitale ne consomme que du gaz L. Comme indiqué précédemment, le gaz H ne peut pas être transporté dans le réseau de gaz L (et vice-versa) et la construction des réseaux parallèles alternatifs est économiquement non viable.

33. De plus, les spécificités de la régulation bruxelloise comme indiquées au considérant 26 pour le marché de l'électricité s'appliquent également pour le gaz.

34. Néanmoins, dans le cas d'espèce, il n'est pas nécessaire de conclure si le marché géographique couvre la totalité de la Belgique ou seulement la région de Bruxelles Capitale puisque dans les deux cas il existe des menaces de renforcement de position dominante.

V. APPRECIATION

La demande des autorités belges

35. Le Conseil de la Concurrence belge s'est prononcé sur 7 opérations similaires à la présente opération renvoyées par la Commission (ECS/IEH par décision du 23.12.2002, et ECS/ Intercommunales IVEKA, IGAO, INTERGEM, GASELWEST, IMEWO et IVERLEK par décision du 13.02.2003). Il s'est également prononcé sur des opérations similaires de dimension nationale concernant 7 autres intercommunales (11). Pour toutes ces opérations, le Conseil de la Concurrence belge a considéré qu'elles contribueraient à renforcer la position dominante d'Electrabel sur le marché de la fourniture d'électricité et de gaz aux clients éligibles.

36. Par décisions en date du 4 juillet 2003, le Conseil de la Concurrence a autorisé les opérations examinées au regard d'engagements soumis par Electrabel. Les charges et conditions imposées visent à modifier la structure de concurrence sur l'ensemble des marchés belges de l'électricité et du gaz. D'une part, près de 20 % de la production d'électricité totale échappera au contrôle d'Electrabel/ECS à travers deux moyens : la terminaison des accords entre Electrabel et SPE, opérateur verticalement intégré sur le marché de l'électricité, et la mise en œuvre d'enchères de capacité virtuelle (dites VPP -- virtual power plant). D'autre part, certains engagements, de nature comportementale, gouvernent les relations d'Electrabel/ECS avec l'ensemble des intercommunales mixtes de distribution et garantissent aux clients éligibles un libre choix de leur fournisseur d'électricité et de gaz. Au nombre de ces engagements, il convient de signaler celui par lequel Distrigaz s'engage à vendre du gaz L à ses concurrents à des conditions non-discriminatoires jusqu'au 30.11.2006.

37. L'autorité belge de la Concurrence estime que, bien que ces engagements " aient permis de répondre aux problèmes de concurrence rencontrés en la circonstance, il n'est pas établi que la nouvelle structure concurrentielle des marchés de l'électricité et du gaz en Belgique qui en a résulté ne soit pas de nouveau menacée - par l'apport d'une clientèle significative. "

38. Par ailleurs, l'autorité belge de la Concurrence note que cette nouvelle opération diffère des précédentes en ce que la législation bruxelloise ne prévoit ni le droit d'information de la clientèle devenant éligible, ni la possibilité de mettre fin à court terme à la relation avec le fournisseur par défaut, alors que ces deux éléments ont été explicitement identifiés comme constituant des barrières à la concurrence.

39. Aussi, dans un souci de cohérence et de logique, l'autorité belge de la concurrence souhaite que la Commission procède au renvoi de cette nouvelle opération en application de l'article 9 du Règlement Concentration. En outre, elle souligne la nécessité d'éviter des situations d'incompatibilité entre des décisions nationale et européenne et de confier à une seule autorité le contrôle de la mise en œuvre des décisions couvrant l'ensemble de ces opérations de concentration.

L'analyse de la Commission

A. Electricité

40. Les éléments recueillis par la Commission au cours de son enquête confirment l'avis des Autorités belges. En effet, l'opération menace de renforcer la position dominante d'Electrabel sur les marchés distincts que sont le marché belge ou le marché de la région Bruxelles Capitale. Elle apparaît enlever aux concurrents d'Electrabel une opportunité de développement de leur activité sur le marché de la fourniture aux clients éligibles et augmente ainsi les barrières à l'entrée. De plus, cette opération crée un lien économique entre les distributeurs et Electrabel de nature à inciter les distributeurs à favoriser Electrabel, qui se trouve en position dominante sur le marché de la fourniture aux clients éligibles. Electrabel détient une position dominante sur les marchés de la fourniture d'électricité aux clients éligibles en Belgique et en région Bruxelles Capitale

41. Electrabel est présent de façon prédominante à tous les échelons du secteur de l'électricité en Belgique :

• Elle détient plus de [80% - 90%] des moyens de production d'électricité en Belgique. Les enchères VPP telles que prévues aux engagements pris par Electrabel envers l'autorité belge de la concurrence devraient réduire aux environs de [75% - 85%] la part totale d'Electrabel des capacités de production d'électricité en Belgique;

• Par ailleurs, Electrabel détient 70 % d'ELIA, le gestionnaire du réseau de transport haute tension en Belgique, sans pour autant contrôler cette dernière ;

• De plus, Electrabel assure pour le compte des intercommunales, qui se chargent de la distribution, de nombreuses prestations liées à la distribution d'électricité et, pour ce qui concerne les clients non-éligibles, à la fourniture d'électricité ;

• Enfin, Electrabel estime qu'elle détiendra en 2003 environ [75% - 85%] du marché de la fourniture d'électricité aux clients éligibles en Belgique, alors que SPE en détiendra environ [5% - 15%]. La partie restante est partagée entre Luminus, qui détient entre [5% - 15%] de la clientèle éligible, et Nuon, Essent, EDF et RWE qui détiennent des parts de marché de l'ordre de 1%. Il convient de noter qu'en région de Bruxelles Capitale, selon Electrabel, sa part de marché est aujourd.hui de l'ordre de [80% - 90%]. Les enchères de capacité ne devraient pas éliminer la position dominante d'Electrabel. D'une part, par construction, un concurrent ne pourra obtenir plus de 4 % des capacités de production compte tenu des règles d'adjudication. D'autre part, certains tiers ont indiqué à la Commission qu'il existe un risque que les bénéficiaires de ces capacités ne profitent de la différence du prix de l'électricité entre les Pays-Bas avec la Belgique en vendant une partie significative de cette énergie aux Pays-Bas vu.

Plusieurs barrières à l'Entrée concourent au maintien des positions d'Electrabel.

42. L'activité de fourniture d'électricité à la clientèle éligible consiste à acheter en gros de l'électricité pour la revendre au détail. Pour entrer sur ce marché, il est essentiel de disposer d'équipes de trading, de gestion et de vente, et d'un accès aux moyens de transport et de distribution. En outre, il importe de pouvoir sécuriser des sources d'approvisionnement à court et moyen terme. En l'absence de l'un de ces facteurs un nouvel entrant ne dispose pas de la crédibilité suffisante pour convaincre la clientèle de se tourner vers lui. Or, en Belgique, plusieurs types de barrières concourent à rendre difficile l'établissement de nouveaux fournisseurs et donc au maintien des positions d'Electrabel.

43. Tout d'abord, il existe peu de capacités disponibles. Premièrement, il n'y a pas de marché de gros existant actuellement en Belgique. Ensuite, la construction de nouvelles unités de production d'électricité n'est pas économiquement viable, en particulier tant qu'Electrabel détiendra une position dominante sur le marché du gaz qui sert à alimenter les centrales thermiques, qui sont les moyens de production requérant le moins d'investissements. L'accès à des sources de production autres que celles d'Electrabel ne pourrait venir que de producteurs étrangers. Les principales ressources de capacité sont situées en France, seul pays interconnecté à la Belgique où l'électricité y est moins chère. Or, les interconnecteurs entre les deux pays sont de capacité limitée, ce qui les amène à être souvent congestionnés, et sont largement réservés pour le transit de la France vers les Pays-Bas. De plus, l'accès aux capacités de production françaises est très incertain: les capacités sont allouées sur une base mensuelle par un système .premier arrivé- premier servi.. Les concurrents ne peuvent donc sécuriser une telle source d'approvisionnement. Les prix moyens de l'électricité de gros en France sont actuellement en augmentation, ce qui réduit l'attractivité du marché belge pour les fournisseurs français.

44. De plus, par sa large base de clientèle ; Electrabel bénéficie de l'effet de foisonnement, dont ses concurrents sont privés pour l'essentiel, ce qui contribue à augmenter leurs coûts de façon non négligeable.

45. Les engagements pris auprès de l'autorité belge de la concurrence dans le cadre des opérations précédentes concernant la clientèle éligible d'autres intercommunales n'ont pas éliminé la position dominante d'Electrabel. Tout d'abord, ces engagements visaient à empêcher les effets des concentrations en question de se matérialiser, soit le renforcement de la position dominante d' Electrabel. Par ailleurs, les règles d'adjudication des enchères VPP font qu'un concurrent ne peut se porter preneur qu'au plus de 40 % des quantités mises en ventes, soit moins de 4 % de la capacité totale. A ce titre, il convient de noter qu'un rapport indépendant estimait que des enchères de capacité devaient atteindre au minimum 2 000 MW, au lieu des 1 200 MW retenus, afin de remédier aux effets anti-concurrentiels des opérations antérieures (12). On ne peut par ailleurs exclure qu'une partie non négligeable de ces capacités servent in fine à alimenter le marché néerlandais où les prix sont actuellement plus attractifs. De plus, malgré sa séparation, SPE dépendra fortement d'Electrabel puisque ses centrales thermiques, qui fonctionnent au gaz naturel, représentent au total [.] de ses moyens de production. De plus, SPE sera de facto en situation de duopole avec Electrabel. Son incitation à baisser les prix de vente à ses concurrents sera donc probablement limitée.

46. Il ressort des informations apportées par les tiers, qu'à l'heure actuelle de nombreux obstacles se présentent à tout nouvel entrant qui retardent ou rendent plus difficile sa présence effective sur les marchés tels que l'exigence de plusieurs licences (une par région et une au niveau fédéral), le coût administratif et financier pour l'accès au réseau de distribution, la faible visibilité sur l'évolution des tarifs de transport et de distribution. Cette absence accroît la précarité des conditions d'exploitation des opérateurs alternatifs. Ainsi, ils ne peuvent pas proposer une offre qui intègre le coût réel global de l'énergie consommée par le client final (incluant le transport et la distribution). Electrabel du fait de sa connaissance d'informations relatives à la gestion des réseaux dispose de la connaissance de leurs coûts d'utilisation et peut dès lors soumettre une offre globale à ses clients potentiels.

47. En conclusion, Electrabel est en position dominante sur le marché belge ou bruxellois de la fourniture d'électricité aux clients éligibles.

Les effets de la concentration

48. En désignant Electrabel comme fournisseur par défaut pour la clientèle éligible qui n'a pas déjà choisi un fournisseur, la concentration notifiée constitue une entrave au développement de la clientèle pour les fournisseurs alternatifs.

49. Elle contribue ainsi à accroître les difficultés (soulignées ci-dessus) rencontrées par les fournisseurs concurrents d'Electrabel à s'établir sur le marché. Tout d'abord, elle renforce l'intégration verticale d'Electrabel et rend moins liquides les marchés de gros. Ensuite, l'obligation légale de désignation d'un fournisseur par défaut aurait pu profiter à d'autres opérateurs et notamment à un nouvel entrant s'il avait été désigné. Elle aurait donné à son titulaire une image d'opérateur à même de garantir une certaine sécurité d'approvisionnement vis-à-vis des clients puisque le gestionnaire du réseau estime lui même par ce choix que le fournisseur désigné présente les garanties suffisantes pour procéder à l'alimentation en continue du réseau de distribution. Or aucun de ces concurrents n'aura la possibilité de bénéficier d'un tel statut dans la mesure où la totalité des intercommunales mixtes a procédé au choix d'Electrabel.

50. Par ailleurs, il convient de noter que la région de Bruxelles-capitale représente 29 % des 21 % du marché qui ne sont pas encore ouverts à la concurrence et qui le seront en deux tranches d'ici au 01.01.2007. D'ici 3 ans, cette opération concerne donc 5,5 % de l'ensemble des clients éligibles et des clients appelés à le devenir. La législation bruxelloise ne prévoit ni le droit d'information de la clientèle devenant éligible, ni la possibilité de mettre fin à court terme à la relation avec le fournisseur par défaut. En l'état actuel, on peut donc raisonnablement escompter qu'une partie significative de ces 5,5 % de clients éligibles seraient automatiquement acquis par ECS, au sein d'Electrabel qui en détient plus de [70% - 80%] à l'heure actuelle.

51. Ce transfert s'accompagne de plus du maintien ou du renforcement des liens économiques entre Electrabel et les intercommunales. En effet, les accords entre ces parties organisent un partage des profits effectués sur l'activité de fourniture à la clientèle éligible, d'une part, et le maintien d'Electrabel comme sous-traitant d'une partie significative des tâches de gestion du réseau de distribution, d'autre part. Le maintien ou le renforcement de ces liens économiques peut inciter les intercommunales à favoriser le maintien de la clientèle devenant éligible auprès d'Electrabel et pourrait les inciter à un traitement discriminatoire au profit d'Electrabel (13). Par ailleurs, en opérant le réseau de distribution, Electrabel a accès à des informations privilégiées sur les clients éligibles ou appelés à le devenir et sur l'évolution des conditions d'accès au réseau de distribution. Il se crée ainsi une asymétrie d'information supplémentaire entre Electrabel et ses concurrents.

52. En conclusion, il existe une menace de voir cette concentration renforcer la position dominante d'Electrabel sur le marché de la fourniture d'électricité aux clients éligibles.

B. Gaz

53. Les éléments recueillis par la Commission au cours de son enquête confirment l'avis des Autorités belges. En effet, la conclusion de la Commission est identique à celle pour la partie électricité, à savoir un renforcement de la position dominante d'Electrabel sur le marché de la fourniture de gaz aux clients éligibles. De plus, les remèdes pris par Electrabel envers l'autorité belge de la concurrence n'ont pas éliminé sa position dominante.

Electrabel détient une position dominante sur le marché de la fourniture de gaz aux clients éligibles en Belgique

54. Electrabel détient par le biais de Distrigaz, l'opérateur de gaz historique, gère les importations de gaz, contrôle le réseau de transport et la logistique et exploite le réseau de distribution, même si ce dernier appartient aux intercommunales. Ainsi, le groupe Electrabel détient une position prédominante sur l'ensemble des marchés du gaz en Belgique.

55. Dans le contexte de l'ouverture du marché gazier, Electrabel a procédé en 2002 à une scission des activités de Distrigaz en deux entités juridiques distinctes: la société Fluxys qui gère et commercialise l'infrastructure de transport et Distrigaz qui achète et vend du gaz. Malgré cette scission, ECS/Electrabel, Distrigaz et Fluxys continuent d'avoir des actionnaires communs et sont représentés par les mêmes administrateurs dans les conseils d'administration des différentes sociétés. Ces liens étroits, ainsi que le fait qu'Electrabel détient des participations importantes dans le capital des intercommunales fait qu'Electrabel/Distrigaz est présent de façon prédominante à tous les échelons du secteur de gaz en Belgique.

56. Distrigaz détient une position quasi monopolistique sur le marché de la clientèle éligible. Sa part de marché (en combinant les ventes de Distrigaz et ECS) était [90% - 100%] en 1999, [90% - 100%] en 2000, [90% - 100%] en 2001, d'environ [90% - 100%] en 2002 et devrait être de plus de [80% - 90%] en 2003. Même si une tendance vers la baisse se manifeste à la suite de la deuxième vague d.ouverture légale à la concurrence, le groupe Electrabel détient toujours une position prééminente. Au niveau de la région Bruxelles-capitale, aucune mesure visant à déclarer l'éligibilité de clients n'a pour l'instant été prise.

57. Les engagements ne changent rien au fait qu'Electrabel détient toujours une position dominante.

Plusieurs barrières à l'entrée concourent au maintien des positions d' Electrabel.

58. L'activité de fourniture de gaz à la clientèle éligible consiste à importer et acheter en gros du gaz pour le revendre au détail. Pour entrer sur ce marché, il est essentiel de pouvoir sécuriser des sources d'approvisionnement à court et moyen terme et d'avoir un accès transparent et non-discriminatoire aux moyens de stockage, transport et de distribution. De façon générale, les obstacles à l'entrée du marché de gaz sont encore plus élevés que ceux pour l'électricité. Même si l'accès non-discriminatoire dans le marché d'électricité belge reste imparfait, un premier pas vers la libéralisation a été fait. Ceci n'est pas encore le cas pour le marché du gaz. L'apparition de concurrents sur les marchés du gaz est encore plus entravée que sur le marché d'électricité par les barrières à l'Entrée.

59. Les concurrents d'Electrabel indiquent qu'il est difficile de s'approvisionner à des coûts compétitifs en comparaison d'Electrabel, et que, de surcroît, les avantages d'Electrabel en terme d'approvisionnement peuvent réduire les coûts de production d'électricité d'ECS.

60. Le marché du gaz L semble être monopolisé par Electrabel. Effectivement, contrairement au gaz H, pour lequel il y a des hubs accessibles en Belgique et un marché de gros relativement liquide existe (Zeebrugge), il n'existe aucune liquidité pour le marché gaz L. Les concurrents d'Electrabel n'ont pas d'accès à la conversion et au stockage. (14) Cette situation monopolistique pour le gaz L s'ajoute au fait que Distrigaz est le seul acteur sur le marché belge qui peut assurer suffisamment de flexibilité pour le gaz H. Même s'il existe une place de marché spot (à Zeebrugge) pour les approvisionnements de gaz H à court terme, il est à noter que Distrigaz détient la société à la tête de ce marché de négoce (15). Il n'y a pas d'alternative à l'interconnecteur de Zeebrugge pour approvisionner le marché belge. Cet interconnecteur connaît des dysfonctionnements importants et l'absence d'alternative fait qu'il est difficile aux nouveaux entrants de se couvrir et leur fait donc porter un risque élevé de ne pouvoir livrer et donc de devoir payer des pénalités importantes.

61. Les concurrents actuels et potentiels font face à des difficultés significatives pour obtenir l'accès aux capacités de stockage en Belgique. Premièrement, les capacités de stockage sont réduites et seulement disponibles pour le gaz H. Deuxièmement, ces capacités sont entre les mains de Fluxys, la société chargée du transport de gaz qui a les mêmes actionnaires que Distrigaz. Enfin, tandis que l'accès aux capacités de stockage a récemment été réglementé (ainsi, les capacités de stockage font l'objet d'une tarification publique), l'accès est accordé sur une base " premier arrivé- premier servi ", ce qui en soi donne à Distrigaz la possibilité de refuser un accès nondiscriminatoire et transparent aux concurrents. De même pour le transport, où le système d'équilibrage et de nomination sur base horaire est très pénalisant pour les nouveaux entrants.

62. En ce qui concerne l'accès à la distribution, qui est contrôlée par les intercommunales, le marché du gaz belge ne semble pas avoir évolué d'un accès négocié vers un accès de tiers réglementé jusqu'à présent. Les concurrents potentiels et actuels de Distrigaz expliquent tous qu'il y a peu de transparence. En effet, Il n'existe pas de tarif de distribution publié, malgré l'ouverture partielle du marché. Il est donc presque impossible de remettre des offres commerciales alors qu'ECS a accès à ces informations car partenaire des intercommunales. Egalement, il n'existerait pas de réelles négociations possibles des contrats d'accès (durée insuffisante), les prix seraient trop élevés et les conditions d'équilibrage du réseau, effectué sur une base horaire et non pas sur une base quotidienne, seraient très défavorables et constitueraient des obstacles importants. Même dans un contexte de parfaite neutralité du gestionnaire de réseau, la situation apparaît en tout état de cause plus favorable à Electrabel.

Relations verticale et conglomérale

63. Il reste à examiner la relation verticale entre l'approvisionnement en gaz comme énergie primaire pour la génération d'électricité qui représente déjà un tiers des installations de génération d'Electrabel. Etant donnée la réduction annoncée de la dépendance de la Belgique envers l'énergie nucléaire, cette relation devrait encore se renforcer à l'avenir. Electrabel pourrait obtenir des prix d'achat de gaz plus bas par l'intermédiaire de Distrigaz. Ceci pourrait permettre à ECS/Electrabel de produire de l'électricité moins cher et de contrôler les coûts pour la production d'électricité de ses concurrents principaux. D'autre part, Distrigaz pourrait bénéficier de conditions plus favorables dans le secteur du gaz, comme les volumes ainsi augmentés pourraient faire baisser les tarifs d'accès et les contraintes d'équilibrage. En conséquence, les concurrents potentiels, naturellement désavantagés par la faiblesse de leur volume, apparaissent aussi handicapés par les barrières érigées à l'entrée de ce marché.

64. De plus, comme le montre l'examen de la Commission, les fournisseurs de gaz qui sont également capables de fournir de l'électricité ont un avantage concurrentiel significatif. Electrabel étant en position dominante sur ces deux marchés, elle est bien évidemment avantagée par rapport à ses concurrents pour les clients éligibles requérant des offres combinant gaz et électricité.

Les effets de la concentration

65. Comme a été analysé pour le marché de l'approvisionnement d'électricité, la concentration renforcera la position dominante d'Electrabel sur le marché d'approvisionnement de gaz aux clients éligibles. Suite aux opérations, Electrabel sera en mesure d'augmenter son portefeuille de clientèle du fait des qualités attachées à l'opérateur sélectionné par défaut, supposé garantir une meilleure sécurité d'approvisionnement. La concentration constituera une entrave au développement des autres fournisseurs potentiels dans la mesure où l'obligation légale d'un fournisseur par défaut, à la charge des intercommunales, aurait pu leur profiter et leur donner cette image de sécurité. Au contraire, elle renforce l'image d'Electrabel qui se présente ainsi comme le seul opérateur fiable.

66. La relation verticale entre le gaz et l'électricité et la possibilité pour ECS de faire des offres combinées pour l'électricité et le gaz fait que l'effet de l'opération pourrait se trouver aggravé par le renforcement d'Electrabel/Distrigaz à la fois sur les marchés du gaz et sur les marchés de l'électricité.

67. Sur la base des considérations ci-dessus développées, la Commission partage l'analyse des Autorités belges et estime que l'opération en question, menace de renforcer une position dominante ayant comme conséquence qu'une concurrence effective serait entravée d'une manière significative sur le marché de la fourniture d'électricité et de gaz aux clients éligibles en Belgique ou en région Bruxelles-capitale.

VI. CONCLUSION

68. La demande des Autorités belges identifie la dimension du marché affecté comme étant locale ou nationale. Ces marchés présentent les caractéristiques de marchés distincts.

69. Les éléments recueillis par la Commission confirment qu'à la suite des engagements soumis pour les précédentes affaires, Electrabel/Distrigaz dispose toujours de positions dominantes sur ces marchés et établissent qu'il existe une menace que ces positions dominantes seront renforcées par l'Effet de l'opération.

70. De plus, la demande est motivée par le souci " d'éviter que des décisions contradictoires ou difficilement conciliables ne soient prises par les diverses Autorités qui en seraient saisies ". La partie notifiante partage ce souci et a indiqué par courrier qu'un éventuel renvoi aux Autorités belges paraît de nature à favoriser le traitement des différents cas de manière cohérente.

71. Certains tiers se sont néanmoins déclarés opposés à un tel renvoi à l'autorité belge de la concurrence arguant du fait qu'un tel renvoi aboutirait immanquablement à une approbation de cette opération moyennant des engagements inadaptés aux problèmes de concurrence identifiés. En effet, les décisions concernant les cas précédents auraient été jusqu'à présent reproduites systématiquement et elles seraient inaptes à contrebalancer le renforcement de la position dominante d'Electrabel. Si le principe des enchères VPP est reconnu en principe comme une bonne solution, les quantités seraient insuffisantes au vu du manque de liquidité actuel et le système de gestion ne garantirait pas une indépendance suffisante. L'engagement de résilier les accords entre Electrabel et SPE n'apporterait pas de liquidité accrue à cause de la participation d'EDF au capital de SPE. Par ailleurs, les engagements de ne pas acquérir de capacités supplémentaires de l'interconnecteur franco-belge et de création d'une bourse seraient également sans effet dans le contexte actuel. Enfin, il n'y aurait eu aucun engagement concret pour le gaz et les engagements purement comportementaux de préserver la confidentialité des informations tirées des activités sur les réseaux ne seraient assortis d'aucune sanction. Ces tiers estiment également que de telles décisions vont à l'Encontre des propositions législatives de la Commission visant à assurer le bon fonctionnement concurrentiel des marchés de l'énergie. Enfin ils se réfèrent à des coupures de presse qui feraient état d'un désaccord survenu entre les membres du Conseil belge de la concurrence dans l'appréciation des concentrations antérieures entre Electrabel et les intercommunales qui aurait contribué à la démission récente de sa Présidente de démissionner.

72. Il faut tout d'abord noter que ces tiers ne contestent pas que les conditions prévues par l'article 9 du Règlement concentration pour procéder à un renvoi sont remplies.

73. Il convient par ailleurs d'observer qu'en application du principe de bonne administration, il serait souhaitable de procéder au renvoi de cette opération: suite à l'instruction des précédentes opérations, les autorités belges de la concurrence disposent d'une expérience importante de ces marchés ; elles sont également en charge du contrôle de la mise en œuvre des engagements alors adoptés.

74. Dans son arrêt Philips (concernant la décision de renvoi prise par la Commission dans l'affaire COMP/M.2621 -SEB/Moulinex), le Tribunal de Première Instance (CE) a reconnu que la Commission dispose d'un large pouvoir d'appréciation quant à la décision de renvoyer ou non une opération de concentration, dès lors que les conditions de l'article 9(2) du Règlement concentration sont remplies. Le TPI a cependant estimé qu'en accédant à la demande de renvoi des autorités françaises, " la Commission a pu raisonnablement considérer que les autorités françaises adopteraient des mesures permettant de préserver ou rétablir une concurrence effective "(16).

75. Force est de constater qu'il n'est pas possible de déduire de la demande de l'autorité belge les intentions qui lui sont prêtées par ces tiers. Ainsi, la demande de renvoi indique : " Bien que les décisions du Conseil de la concurrence aient permis de répondre aux problèmes de concurrence rencontrés en la circonstance, il n'est pas établi que la nouvelle structure concurrentielle qui en résulte ne soit pas à nouveau menacée ". Cette affirmation est justifiée par le fait que ces engagements visaient à éliminer les effets des concentrations et non à modifier la position concurrentielle initialement détenue par Electrabel. Par conséquent les reproches à l'encontre des engagements précédents sont sans pertinence dans le cas présent, mais sont éventuellement à soutenir devant les instances belges compétentes. Il ressort d'ailleurs de la présente décision qu'Electrabel détient toujours des positions dominantes sur les marchés en cause.

76. Par ailleurs, ces tiers n'apportent pas de preuve que les engagements précédemment adoptés sont manifestement inadaptés aux problèmes de concurrence rencontrés, c'est-à-dire le renforcement de la position dominante d'Electrabel. La séparation de SPE d'Electrabel donne naissance à un nouveau concurrent et les enchères VPP apportent une certaine liquidité sur le marché. Il n'est donc pas évident de prime abord qu'une éventuelle extension de ces engagements (notamment à la lumière du rapport Deloitte précité) ne pourrait pas répondre aux problèmes de concurrence identifiés.

77. Enfin, la Commission ne dispose pas d'information lui permettant de conclure que le Conseil de concurrence belge ne serait pas en mesure d'adopter une décision indépendante d'Electrabel. En tout état de cause, les coupures de presse mentionnées ne sauraient être lues en ce sens.

78. La Commission estime donc que les arguments mis en avant par ces tiers ne sauraient prouver qu'un renvoi comporterait des risques significatifs de voir cette opération ne pas bénéficier de mesures permettant de préserver ou rétablir une concurrence effective.

79. La Commission considère donc que la demande des Autorités belges est fondée et conforme aux dispositions de l'article 9 paragraphe 2 du règlement sur le contrôle des concentrations et estime qu'il est opportun d'agréer à la demande des autorités belges de part leur expérience dans le traitement d'affaires similaires dans la période récente.

A arrête la présente décision :

Article 1

La concentration notifiée consistant dans le projet d'acquisition de clientèle éligible pour la fourniture d'électricité et de gaz de l'intercommunale Sibelga par ECS est, par la présente décision et sur la base de l'article 9, paragraphe 3 du Règlement du Conseil (CEE) n° 4064-89 du 21 décembre 1989 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, renvoyée aux autorités compétentes de la Belgique en vue de l'application de la législation nationale.

Article 2

La Belgique est destinataire de la présente décision

Notes :

1 Le clientèle dite éligible est, en fonction des seuils de consommation, libre de choisir son fournisseur.

2 Ce sont les communes et non pas Electrabel qui contrôlent l'intercommunale mixte Sibelga.

3 Ordonnance du 19 juillet 2001 relative à l'organisation du marché de l'électricité en Région de Bruxelles-Capitale. En ce qui concerne l'organisation du marché du gaz, l'ordonnance relative à l'ouverture du marché de gaz n'a pas encore été adoptée.

4 Electrabel s'acquittera de 50 MEUR pour l'activité de fourniture de gaz et 90 MEUR pour l'activité de fourniture d'électricité.

5 Chiffre d'affaires calculé conformément à l'article 5(1) du règlement relatif au contrôle des opérations de concentrations et à la communication de la Commission sur le calcul du chiffre d'affaire (JO C 66, du 2.3.1999, p. 25).

6 Production signifie aussi bien la production que la vente en gros d'électricité et aucune distinction n.est faite dans la suite de la décision, car, dans le cas présent, la distinction des deux activités ne menerait à aucun changement en matière d. analyse concurrentielle

7 Cf. inter alia COMP/M.1557 (EDF/Louis Dreyfus) du 28/09/1999, COMP/M.1803 (Electrabel/Epon) du 07/02/2000 et COMP/M.1853 (EDF/EnBW) du 07/02/2001 ainsi que les précédentes affaires ECS/Intercommunales

8 Cf. inter alia COMP/M.1573 - Nork Hydro/Saga et IV/M.1200 .ARCO/Union Texas

9 Production signifie aussi bien la production que la vente en gros de gaz et aucune distinction n'est faite dans la suite de la décision, car, dans le cas présent, la distinction des deux activités ne mènerait à aucun changement en matière d. analyse concurrentielle

10 Dans sa décision affaire IV/M.1383 Exxon/Mobil, la Commission avait conclu qu'en Allemagne un réseau de gaz H pourrait se substituer rapidement au réseau de gaz L en cas d'augmentation des prix.

11 Décision 2002-C/C-61 du 30.08.2002 ECS/Interlux ; Décision 2002-C/C-62 du 30.08.2002 ECS/IDEG ; Décision n°2003-C/C-71 du 04.07.2003 ECS/Simogel ; Décision n°2003-C/C-72 du 04.07.2003 ECS/Sedilec ; Décision n°2003-C/C-73 du 04.07.2003 ECS/Intermosane 2 ; Décision n°2003-C/C-74 du 04.07.2003 du 11.09.2003 ECS/Imea; Décision n°2003-C/C-80 du 13.10.2003 ECS/Sibelgaz

12 Report to the .service public federal economie. . The liquidity of the electricity market in Belgium and capacities to be offered in virtual power plants (VPP) auctions. Londres, 16/05/2003

13 Il y a lieu de relever à ce propos qu'en 1997, Electrabel et les intercommunales s'étaient engagées, dans le cadre d'un settlement avec la Commission (IP/97/351), à renoncer à leur contrat d'approvisionnement exclusif à compter de 2011 et d'affranchir 25 % de la demande des intercommunales à partir de 2006. Dans cette dernière hypothèse Electrabel s'engageait à continuer, en tout état de cause, à fournir l'électricité " de pointe ", accordant à ses concurrents la possibilité de ne fournir que de l'électricité " de base ". Or, en rachetant l'activité de fourniture des intercommunales, Electrabel préempte directement la possibilité pour d'éventuels concurrents d'Electrabel de fournir les intercommunales à compter de 2006.

14 Fluxys contrôle l'accès aux équipements de conversion gaz L en gaz H, et est responsable pour les services annexes (expédition du gaz).

15 De plus, Distrigaz a une participation de 10% dans la société Interconnector Ltd, établie pour réaliser et exploiter la connexion entre le réseau de gaz Britannique (Bacton) et le réseau continental (Zeebrugge) ainsi que de commercialiser la capacité de transport de cette connexion.

16 Considérants 345 à 348 de l'arrêt T-119-02 du 3 avril 2003