CA Aix-en-Provence, 1re ch. C, 16 décembre 2003, n° 99-16124
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Campagnoli
Défendeur :
Pavani
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bruzy
Conseillers :
Mmes Vidal, Fenot
Avoués :
SCP Liberas-Buvat-Michotey, SCP Blanc-Amsellem-Mimran
Avocats :
Mes Cuarbit, Bonnepart
Faits, procédure et prétentions des parties
M. Pavani a obtenu une ordonnance d'injonction de payer du Tribunal d'instance de Cagnes sur Mer condamnant M. Campagnoli à lui payer la somme de principale de 49 134 F. Il fondait sa demande sur un protocole d'accord signé entre les parties le 9 septembre 1994 auquel il donnait la valeur d'une transaction et donc bénéficiant des dispositions des articles 2044, 2052 et 2053 du Code civil.
M. Campagnoli formait opposition à cette injonction de payer en indiquant avoir été victime d'un dol et présentait une demande reconventionnelle en paiement d'une somme de 14 234,14 F, faisant valoir qu'il aurait à l'égard de M. Pavani une créance de 34 782 F qui n'a pas été prise en compte dans le protocole de septembre 1994.
Le dossier était transmis au Tribunal de grande instance de Grasse qui, par jugement en date du 24 juin 1999 : condamnait M. Campagnoli à payer à M. Pavani la somme principale de 49 134 F assortie des intérêts conventionnels au taux de 10 % l'an à compter du 1er janvier 1995, et ce avec le bénéfice de l'exécution provisoire, et celle de 3 000 F sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejetait le surplus des demandes.
Le 27 juillet 1999, M. Campagnoli a interjeté appel de ce jugement.
M. Campagnoli, en l'état de ses dernières écritures déposées et notifiées le 29 juillet 2003, conclut à la réformation du jugement déféré.
Il demande à la Cour de prononcer la nullité de la transaction en date du 9 septembre 1994 pour dol, en application des dispositions de l'article 2053 du Code civil, et de rejeter en conséquence les demandes de M. Pavani. Il indique à cet égard que M. Pavani aurait fait preuve de violence morale et de dol à son encontre, sachant qu'il est un grand malade sur le plan psychiatrique et fait valoir qu'il présente des troubles interprétatifs du comportement, qu'il a dû être hospitalisé à plusieurs reprises et qu'une carte d'invalidité à 80 % lui a été délivrée par la Préfecture des Alpes Maritimes.
Subsidiairement, il présente une demande reconventionnelle en condamnation de M. Pavani à lui payer une somme de 4 997,58 euro (32 782 F) et demande à la Cour de constater la compensation entre les créances, sur le fondement des articles 1289 et 1290 du Code civil. Il affirme avoir versé une somme de 12 000 F en mai 1991 ainsi que le dépôt de garantie de 22 000 F en juillet 1991 et que ces deux sommes n'ont pas été prises en compte dans le protocole de septembre 1994, de même qu'un trop versé de 782 F sur le frais d'enregistrement de l'acte de vente conclu le 22 juillet 1991. Il conteste les sommes réclamées par M. Pavani au titre des loyers et charges et propose un nouveau décompte au terme duquel il ne serait redevable que d'une somme de 8 547,86 F, outre le prêt de 10 000 F accordé par M. Pavani.
Il réclame en tout état de cause la condamnation de M. Pavani à lui verser une somme de 1 500 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
M. Pavani, en l'état de ses dernières écritures déposées et notifiées le 26 septembre 2003, sollicite la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions et la condamnation de M. Campagnoli à payer une amende civile et à lui verser une somme de 2 000 euro à titre de dommages et intérêts ainsi qu'une indemnité de 2 000 F sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Il expose :
- que le protocole du 9 septembre 1994 constitue de manière expresse une transaction au sens des articles 2044 et suivants du Code civil et qu'il met fin de manière définitive à la relation contractuelle instaurée entre les parties ; qu'en application de l'article 2052 du Code civil cette transaction a l'autorité de chose jugée et ne peut être attaquée pour cause d'erreur de droit ou de lésion;
- que certes, une transaction peut être rescindée pour cause de dol ou de violence, mais qu'il appartient à M. Campagnoli qui se prévaut d'un dol d'en apporter la preuve; que le tribunal ajustement écarté l'argument présenté par M. Campagnoli selon lequel il aurait été trompé par le fait qu'il comprenait mal le français, en considérant que M. Campagnoli et M. Pavani étaient en relations d'affaires depuis plusieurs années et parlaient tous les deux de nationalité italienne, donc se comprenaient très bien ; que l'argument présenté devant la Cour selon lequel M. Campagnoli présente des troubles psychiatriques n'est pas plus opérant, son état étant sans aucune relation avec sa capacité de souscrire des obligations juridiques ; qu'en tout état de cause, il n'est rapporté la preuve d'aucune manœuvre ou d'aucune fait de violence commis à son encontre par M. Pavani;
- que la demande reconventionnelle de M. Campagnoli est sans fondement puisque les parties ont, à l'issue d'un décompte de toutes les sommes dues de part et d'autre en relation avec le contrat de bail et la promesse de vente, constaté, lors de la signature du protocole du 9 septembre 1994 que M. Campagnoli restait redevable d'une somme résiduelle de 39 134 F, et que cette constatation a force de loi entre les parties.
La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 20 octobre 2003.
Motifs de la décision
Attendu que, suivant acte en date du 22 juillet 1991, M. Pavani a consenti à M. Campagnoli un bail d'habitation de longue durée sur un appartement d'une pièce sis à Cagnes sur Mer moyennant le versement d'un loyer mensuel de 4 400 F, outre le droit au bail et les charges;
Que le même jour, les parties concluaient un contrat synallagmatique dénommé "location avec promesse de vente - location avec option d'achat" de l'appartement en question au prix de 390 000 F payable en 180 mensualités constantes de 4 400 F, le bien restant pendant toute la durée du paiement la propriété du bailleur et le locataire bénéficiant d'une option d'achat lui permettant de devenir acquéreur du bien en cours de contrat, sous condition du paiement d'une indemnité de rachat;
Attendu que M. Pavani et M. Campagnoli ont conclu le 9 septembre 1994 un protocole d'accord aux termes duquel il était indiqué :
que M. Campagnoli avait unilatéralement résilié le contrat de location avec option d'achat suivant courrier en date du 7 février 1994;
que M. Campagnoli était redevable d'un solde de charges et loyers impayés au 31 juillet 1994 d'un montant de 39 134 F, "montant accepté par M. Campagnoli",
que M. Pavani prêtait à M. Campagnoli une somme de 10.000 E,
que le tout, soit 49 134 F était remboursable en mensualités constantes de 3 000 F avec intérêts au taux annuel de 10 % à compter du 1er janvier 1995;
Qu'il était stipulé que le protocole constituait "une transaction au sens des articles 2044 et suivants du Code civil mettant définitivement fin à la relation contractuelle qui s'était instaurée entre les parties qui renoncent par conséquent à toute éventuelle action l'une envers l'autre pour quelque cause que ce soit."
Attendu que M. Campagnoli conteste devoir les sommes mentionnées et, pour s'opposer aux mentions du protocole sus-visé, soutient qu'il devrait être annulé pour cause de dol ; qu'il invoque à cet égard les dispositions de l'article 2053 du Code civil aux termes desquelles la transaction peut être rescindée dans tous les cas où il y a dol ou violence; qu'il lui appartient dès lors de faire la preuve du dol invoqué et donc des manœuvres ou pour le moins de la réticence dolosive de son co-contractant l'ayant amené à donner son accord à la transaction;
Qu'il produit à cet égard diverses pièces médicales dont il ressort qu'il lui a été reconnu une invalidité de 80 % pour troubles mentaux et que son état de santé a justifié par le passé de multiples hospitalisations dans sa jeunesse ainsi qu'en 1998 à l'Hôpital Pasteur à Nice ; que le diagnostic posé par les médecins est celui d'une schizophrénie paranoïde et de troubles du comportement l'amenant à avoir des périodes d'instabilité de l'humeur (agitation - prostration);
Qu'il apparaît par ailleurs, à l'examen des décomptes établis par M. Pavani à la fin de l'année 1992 et à la date du 6 avril 1994 et qui ont précédé la signature de la transaction, que M. Campagnoli a été induit en erreur par son co-contractant sur les sommes dont il lui était redevable et que ce dernier a manifestement profité de l'état d'affaiblissement mental dans lequel il se trouvait pour lui réclamer des frais et charges qui ne lui étaient pas imputables, tels que les taxes foncières et l'intégralité des frais de copropriété, y compris ceux incombant au seul propriétaire tels que les honoraires du syndic, alors qu'il avait parfaitement connaissance, du fait de sa qualité d'agent immobilier, de ce que des frais lui incombaient en sa qualité de propriétaire de l'appartement pendant la durée de la location-vente;
Qu'il résulte de ces éléments que M. Pavani a fait preuve d'une attitude déloyale à l'égard de M. Campagnoli en profitant de son état de santé pour lui réclamer, de mauvaise foi, des sommes qu'il savait ne pas lui être dues, ce qui constitue une manœuvre dolosive justifiant la demande de l'appelant en nullité de la transaction, sur le fondement des dispositions de l'article 2053 du Code civil;
Qu'il y a lieu en conséquence d'infirmer le jugement;
Attendu que les pièces produites au dossier permettent à la Cour de faire les comptes suivants entre les parties
En ce qui concerne les charges :
- charges locatives année 1991 : 1 868,96 F
- charges locatives année 1992 : 3 113,79 F
- charges locatives année 1993 : 3 398,32 F
soit un total de : 8 381,07 F
sous déduction des acomptes sur charges versés :
- provisions sur charges 1991 : 1 575 F
- acompte sur charges 5/10/91 : 1 682,68 F (Reconnu par M. Pavani dans son décompte du 31.12.92)
- provisions sur charges 1992 : 2 700 F
- provisions sur charges 1993 : 2 700F
Soit : 8 657,68 F
ce qui fait ressortir un solde en faveur de M. Campagnoli d'un montant de 276,61 F sur les charges, étant précisé qu'il lui a été réclamé une provision sur charges de 225 F par mois pour les quatre premiers mois de 1994 et qu'aucun décompte des charges dues pour cette période n'ayant été fourni, ces provisions peuvent être considérées comme suffisantes ;
En ce qui concerne les loyers :
loyer mars 1994 (y compris prov. sur charges) : 4 735 F
loyer avril 1994 : 4 735 F
soit : 9 470 F
sous déduction de l'acompte de mars 1994 : - 2 100 F
soit une créance de loyers pour M. Pavani de : 7 370 F
Que toutes les autres sommes réclamées par M. Pavani dans ses divers décomptes doivent être rejetées, le locataire n'ayant à supporter, ni les honoraires du syndic, ni les taxes foncières ; qu'en outre, c'est à tort que M. Pavani réclame, dans son décompte du 31 décembre 1992, le paiement de la somme de 750 F au titre des frais d'enregistrement de l'acte de location-vente, alors qu'il résulte du reçu signé par lui le 13 août 1991 que la somme de 718 F lui a été remise à cet effet par M. Campagnoli en temps utile;
Qu'ainsi, il ressort une créance de loyers et charges au profit de M. Pavani d'un montant de : 7 370 F (créance de loyers) - 276,61 F (trop perçu sur charges) = 7 093,39 F ;
Qu'il est constant que M. Pavani, ayant prêté à M. Campagnoli une somme de 10 000 F en septembre 1994, était donc créancier à son égard d'une somme de 17 093,39 F soit 2 605,87 euro;
Attendu que c'est à juste titre que M. Campagnoli sollicite, sur le fondement de l'article 1290 du Code civil, que soit opérée une compensation entre cette somme due à M. Pavani et celle qu'il lui a versée au moment de la conclusion du contrat de location-vente à titre de dépôt de garantie et dont il n'a pas été tenu compte dans les décomptes de location, c'est à dire la somme de 22 000 F (3 353,88 euro);
Que sa demande sera par contre rejetée pour ce qui concerne la somme de 1 500 F versée le 13 août 1991, le reçu indiquant que la somme de 718 F était affectée au paiement des frais d'enregistrement de l'acte de location-vente et que le solde avait été restitué en espèces à M. Campagnoli;
Qu'elle sera également rejetée pour la somme de 12 000 F versée en mai 1991, soit avant la conclusion du contrat de location, la Cour ignorant quelle était la cause de ce paiement;
Qu'ainsi, après compensation, il ressort une créance au profit de M. Campagnoli d'un montant de 22 000 F - 17 093,39 F = 4 906,61 F soit 748,01 euro;
Attendu que l'équité commande de condamner M. Pavani à payer à M. Campagnoli une somme de 1 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Vu l'article 696 du nouveau Code de procédure civile,
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort, Reçoit en la forme l'appel interjeté par M. Campagnoli; Infirme le jugement du Tribunal de grande instance de Grasse déféré; Constate la nullité de la transaction conclue par les parties le 9 septembre 1994 pour dol; Constate que M. Pavani dispose à l'égard de M. Campagnoli d'une créance d'un montant de 17 093,39 F soit 2 605,87 euro au titre des loyers et charges et du prêt consenti; Constate que M. Campagnoli dispose à l'égard de M. Pavani d'une créance au titre du dépôt de garantie d'un montant de 22 000 F, soit 3 353,88 euro; Dit qu'il doit être procédé à la compensation entre ces sommes conformément aux dispositions des articles 1289 et suivants et condamne en conséquence M. Pavani à payer à M. Campagnoli une somme de 748,01 euro; Condamne M. Pavani à verser à M. Campagnoli la somme de 1 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Le condamne aux entiers dépens de l'instance qui seront recouvrés par le Trésor Public selon les règles de l'aide juridictionnelle.