Cass. crim., 15 novembre 2005, n° 04-86.393
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cotte
Rapporteur :
M. Blondet
Avocat :
Me Spinosi
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par : - X Alain, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Bordeaux, chambre correctionnelle, en date du 28 septembre 2004, qui, pour tromperie et falsification de denrées alimentaires, l'a condamné à 15 000 euro d'amende et a ordonné une mesure de publication ; - Vu le mémoire produit ;- Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 213-1 et L. 213-3 du Code de la consommation, 388, 456, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué, infirmant le jugement, a déclaré Alain X coupable de falsification et de tromperie, l'a condamné à une amende de 15 000 euro et a ordonné la publication par extraits de la décision rendue ;
"aux motifs que, "le tribunal n'a pas tenu compte tant des observations techniques du laboratoire de la DGCCRF que de l'analyse scripturale figurant dans la procédure ; qu'en effet, par note, en date du 9 avril 2002, le directeur du laboratoire de la DGCCRF de Talence a, au regard du dossier d'expertise judiciaire, fourni les précisions suivantes ; que la cour d'appel reprend les tableaux et observations de cette note qui considère que : ces résultats ont été obtenus à partir des valeurs de références officielles de la banque de données européennes ; que les valeurs, calculées dans les deux tableaux précédents, ont été déterminées à partir de la moyenne de la zone homogène la plus proche, c'est-à-dire Loupiac-Sauternes dont les valeurs sont regroupées dans le tableau ci dessous ( ) ; que les valeurs d'enrichissement obtenues par notre calcul sont supérieures à celles données dans la conclusion de l'analyse réalisée par la DGCCRF en 1996-1997, ainsi que celles déterminées par le laboratoire de contre-expertise en l'occurrence Eurofins ; qu'il est également utile de noter que l'utilisation de la valeur seule du point Loupiac conduirait à des enrichissements bien supérieurs ; que la différence entre nos valeurs et celles que nous avions obtenues en 1996-1997 vient du fait qu'à l'époque l'analyse n'avait pris en compte qu'un enrichissement en sucre de betterave uniquement ; or, après re-calcul, on peut affirmer qu'il y a eu un enrichissement non seulement en ajout de sucre de betterave mais également par ajout de sucre de canne ; que les valeurs de chaptalisation calculées par les experts pour l'alcool acquis nous semble largement sous évaluées ; cela résulte, sans doute car nous ne disposons pas d'information précise sur les références employées, de l'utilisation de valeurs fixes pour le raisin ; que ce point est essentiel car les valeurs isotopiques obtenues pour les raisins fluctuent selon l'origine géographique et l'année de vendange ; que c'est pour cette raison que chaque année une nouvelle banque de donnée est réalisée par la DGDDI et la DGCCRF (règlement CE 2729 /2000) ; qu'en utilisant les références européennes, les enrichissements calculés sont très proches pour les experts et pour ceux déterminés au laboratoire de la DGCCRF de Bordeaux ; que nous concluons à la similitude des résultats obtenus par les experts et de nos propres analyses, c'est-à-dire une sur-chaptalisation du vin Château de Ricaud 1994, à Loupiac, mais avec des valeurs bien supérieures à celles données par les experts ;
Que le directeur départemental de la Concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a adressé le 3 mars 2003 une note au procureur de la République dans laquelle il indique que : - le tribunal n'a pas pris en compte la note complète et précise du directeur du laboratoire de la DGCCRF, qui a repris les chiffres des analyses effectuées par les experts et apporté des explications rationnelles sur les différences qui semblent a priori exister entre les conclusions du laboratoire DCCRF et les conclusions des experts, différences qui, en réalité ne sont qu'apparentes ; - que les analyses initiales donnaient des valeurs d'enrichissement de 3,3 - 3,3 - 3,5 et 3,5 % vol. et le rapport d'expertise concluait à une valeur de 2,5 % vol., - or, les chiffres analytiques relevés dans les rapports d'analyse et dans le rapport d'expertise sont concordants pour les 4 échantillons examinés ; que le directeur du laboratoire de Bordeaux a calculé l'enrichissement en appliquant les valeurs de références officielles de la banque de données européenne aux déterminations analytiques des experts, valeurs qui sont rappelées dans la note ;
Que l'on constate que les taux d'enrichissement sont concordants ;
Qu'ainsi, le rapport d'expertise, même s'il est imparfait, confirme toutefois les résultats d'analyses dès lors que les valeurs de référence officielles sont utilisées ; que la limite légale de 2% est donc dépassée ; que, quel que soit l'écart par rapport à ladite limite légale, la non-conformité du vin analysé à la réglementation sur l'enrichissement par sucrage est établie, étant observé que, concernant le taux d'incertitude dont se prévaut la défense, le directeur départemental de la Concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a précisé que, comme toute méthode d'analyse, l'analyse RMN présente un taux d'incertitude (0,5 % vol.) qui est naturellement pris en compte dans la démarche du laboratoire et des experts et dans les résultats communiqués ; qu'en toute hypothèse, cette incertitude n'apporte aucun élément au débat dans la mesure où les taux d'enrichissement constatés sont très supérieurs à la limite légale de 2% ; que de plus, il ressort de leur procès-verbal du 26 mai 1997 que les agents de la DGCCRF ont constaté à l'occasion du contrôle des registres d'enrichissement tenus dans les chais du Château Ricaud : - d'une part, que les écritures du registre d'enrichissement avaient été surchargées quant au niveau des titres alcoolométriques et des quantités de sucres utilisés selon les cuves et les appellations ; - d'autre part, que le titre naturel des vins qui avaient été déclarés enrichis ne correspondait pas à celui mesuré par le laboratoire oenologique de Cadillac avec lequel Alain X avait contracté pour notamment connaître l'évolution des moûts de raisin avant, pendant et après la fermentation ; qu'en effet, les agents de la DGCCRF ont procédé à l'analyse scripturale des documents précités dont il résulte que : - pour le bordeaux blanc sec : le titre naturel minoré de 1,4 % volume a permis de récupérer 1825,20 kg de sucre non employé ; - pour le Premières Cotes de Bordeaux rouge : le titre naturel des 650,0 hl minimum a été majoré de 1,1 % volume, ce qui a permis de minorer la quantité de sucre réellement ajoutée à la vendange, sucre provenant des disponibilités précitées ; - pour le Bordeaux rosé : le titre alcoométrique prévisionnel obtenu après enrichissement a été majoré de 0,8 % volume minimum, minorant ainsi l'enrichissement réellement effectué à l'aide du sucre des disponibilités dégagées sur les deux premiers vins et permettant un surenrichissement non déclaré de 0,6 % volume minimum ; que l'analyse scripturale effectuée par lesdits agents dans leur procès-verbal démontre ainsi que les titres alcoométriques et les enrichissements des vins Bordeaux blanc, Bordeaux rosé, Bordeaux supérieur rouge, Première Cotes de Bordeaux ont été selon le cas minorés ou majorés par un jeu d'écriture dans le registre permettant ainsi de dissimuler une quantité de sucre pouvant être affectée au vin de Loupiac sans que cette opération n'ait à faire l'objet d'une déclaration, manœuvres ayant permis de reporter la quantité de sucre nécessaire au surenrichissement du Loupiac en cause, soit 618,80 kg de sucre, et ainsi de masquer les enrichissements réellement effectués ; qu'au regard de l'ensemble de ces éléments, la preuve de la surchaptalisation du vin Château de Ricaud 1994, à Loupiac, avec des valeurs bien supérieures à la limite maximum réglementaire fixée à 2% est rapportée ; que les dispositions de l'article 3 du décret n° 72-309 du 21 avril 1972 modifié prévoient que l'inobservation des manipulations et pratiques édictées aux règlements des communautés européennes est réputée frauduleuse dès lors qu'elles transgressent les dispositions stipulées auxdits règlements ; que les dispositions de cet article prévoient en effet que sont considérées comme frauduleuses les manipulations et pratiques effectuées en infraction aux prescriptions des articles 18 à 24 (paragraphe 1) ( ) du règlement n° 816/70) ; que bien que ce dernier règlement ait été abrogé, il n'en demeure pas moins que les dispositions des articles précités restent en vigueur en raison de ce qu'à l'article 86 point 2 du règlement (CEE) n° 822/87 ci-dessus cité, il est précisé que les références au règlement (CEE) n° 816/70 doivent s'entendre comme faite au présent règlement ; qu'ainsi le fait pour Alain X d'avoir sur-enrichi illégalement 235,0 hl de Loupiac de la récolte 1994 constitue une infraction à l'article L. 213-3, 1 , du Code de la consommation qui incrimine la falsification des denrées servant à l'alimentation de l'homme ( ) des boissons et des produits agricoles ou naturels destinés à être vendus ; que l'article 73 paragraphe 1 second tiret du règlement (CEE) n° 822/87 précité édicte que les produits notamment définis en son annexe I ne peuvent être offerts ou livrés à la consommation humaine directe, au même titre que ceux ayant fait l'objet de pratiques oenologiques non admises par la réglementation communautaire, ou à défaut, par les réglementations nationales ; qu'en conséquence, le vin étant un produit qui figure au point 10 de l'annexe I dudit règlement communautaire, dès lors qu'une mal-pratique le concerne, le produit en résultant tombe dans le champ d'application de l'article précité ;
Qu'en l'espèce, la falsification des 235 hl de vin a fait perdre à cette boisson la possibilité d'être offerte à la consommation humaine directe puisque la falsification lui a fait perdre le droit à la dénomination de vin ; qu'a fortiori, cette boisson a perdu le droit à l'appellation d'origine contrôlée "Loupiac" indue constitue une tromperie sur l'origine et les qualités substantielles, incriminées par l'article L. 213-1 du Code de la consommation ; que l'élément intentionnel des délits de falsification de boissons et de tromperie susvisés est établi par la surcharge et l'inexactitude des écritures relatives aux titres alcoométriques naturels, aux titres alcoométriques prévus après enrichissement, ainsi qu'aux quantités de sucre employées portées sur le registre de chaptalisation ;
Qu'Alain X, qui ne pouvait ignorer ces irrégularités alors qu'il était dirigeant de droit de la société Alain X, s'est donc bien rendu coupable des faits qui lui sont reprochés" ; "1 ) alors que, d'une part, en vertu de l'article 388 du Code de procédure pénale, les juges du fond sont saisis des faits visés dans l'acte de prévention et ne peuvent ajouter à ces faits ; qu'en l'espèce, la citation délivrée à Alain X visait des faits de falsification commis en octobre 1997 ; qu'a privé sa décision de toute base légale la cour d'appel qui s'appuie sur des résultats de prélèvements effectués en juillet et en décembre 1996, faute de préciser quels éléments lui permettent de retenir une infraction commise en 1997 ; "2 ) alors que, d'autre part, qu'il appartient aux juges du fond, conformément à l'article L. 213-1 du Code de la consommation, de caractériser l'existence d'un contrat ou d'une tentative de contracter en usant de tromperie ; qu'en l'espèce, n'a pu caractériser l'ensemble des éléments constitutifs de l'infraction, la cour d'appel qui a uniquement constaté la sur-chaptalisation du vin du Château de Ricaud, sans justifier de la relation contractuelle qui avait été l'occasion d'une tromperie ; "3 ) alors qu'en outre, si la valeur probatoire d'une expertise peut être remise en cause devant les juges du fond, il n'appartient pas à ceux-ci de reprendre une partie des résultats d'une telle expertise pour en tirer des conclusions autres que celles qui avaient été présentées par les experts, sauf à dénaturer un tel document ; que la cour d'appel, qui prend en compte dans sa décision l'expertise dont les résultats ont été remaniés par la DGCCRF, a nécessairement dénaturé cette pièce et, ce faisant, s'est prononcée par des motifs contradictoires ; "4 ) alors qu'au surplus, la cour d'appel a constaté que l'analyse d'un sur-enrichissement de vin impliquait que le vin de référence soit comparable à celui qui est analysé ; que si l'arrêt se réfère à la note du laboratoire d'analyse placé sous le contrôle de la DGCCRF pour conclure à un sur-enrichissement du vin en cause, elle ne précise nullement (pas plus que la note de 2002 à laquelle l'arrêt fait référence) si les vins qui avaient été utilisés lors de l'analyse étaient bien millésimés de 1994, comme le vin en cause ; que dans ses conclusions le prévenu soutenait que, d'une part, l'analyse du laboratoire n'était pas probante dès lors que le millésime des vins de référence était 1995 et que le Loupiac du Château Ricaud est issu de vendanges tardives, ce qui augmentait la quantité de sucre naturellement présente dans ce vin et qui excluait toute comparabilité des vins et, d'autre part, que l'expertise, quant à elle, ne précisait pas les vins de référence, ce qui interdisait toute comparabilité des vins ; que la cour d'appel qui n'a pas répondu à ce chef péremptoire des conclusions a privé son arrêt de base légale et, en tout état de cause, n'a pas mis la chambre criminelle en mesure de s'assurer que l'analyse a bien été effectuée dans des conditions permettant d'établir le taux d'alcool dû à la chaptalisation du vin ; "5 ) alors qu'enfin, en retenant, par une simple analyse scripturale que d'autres vins de la propriété avaient été plus faiblement enrichis en sucre que ce qui apparaissait sur le registre de chaptalisation de la propriété, ce qui avait permis de récupérer du sucre pour le Loupiac produit à la propriété, lorsque les autres vins n'avaient pas fait l'objet d'analyse comparable à celle du Loupiac, comme cela était relevé dans les conclusions déposées par le prévenu, la cour d'appel a une nouvelle fois privé sa décision de base légale" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure qu'à la suite de contrôles effectués aux mois de juillet et de décembre 1996 et au mois de mai 1997 par des agents de la direction générale de la Concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes dans les chais du Château de Ricaud, exploité à Loupiac (Gironde) par la société qui porte son nom et qu'il préside, Alain X a été poursuivi pour avoir "courant octobre 1997 et depuis temps non couvert par la prescription, falsifié des boissons, en l'espèce du vin, par l'enrichissement de 3,3 % de volume d'alcool" et "courant 1996 et 1997, trompé sur l'origine et sur les qualités substantielles, en l'espèce en utilisant l'appellation d'origine contrôlée Loupiac" ;
Attendu que, pour caractériser l'élément matériel de ces infractions, l'arrêt retient, d'une part, que les analyses effectuées par le laboratoire interrégional de la répression des fraudes sur les échantillons prélevés en 1996 dans des bouteilles de vin d'appellation d'origine contrôlée Loupiac récolté en 1994 ont établi que la quantité de sucre ajoutée en vue d'augmenter le titre alcoométrique volumique naturel de ce vin était très supérieure à la limite fixée pour la zone viticole à laquelle il appartient, d'autre part, que l'analyse scripturale du registre de chaptalisation, tenu dans les chais du château, concernant d'autres vins produits sur diverses parcelles de la propriété a révélé que des manœuvres tendant à fausser la comptabilisation de leur enrichissement avaient permis la dissimulation du sucre affecté à la surchaptalisation de la boisson incriminée ;
Que les juges ajoutent que, la falsification constatée ayant fait perdre à la boisson concernée sa qualité de vin d'appellation d'origine contrôlée, les ventes réalisées sous l'étiquetage qui faisaient état de cette qualité substantielle réalisent les éléments de la tromperie prévue par l'article L. 213-1 du Code de la consommation ;
Attendu qu'en statuant ainsi, par des motifs procédant de son appréciation souveraine de la valeur des preuves contradictoirement débattues, la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'entrer dans les détails de l'argumentation du prévenu, a justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen, nouveau et mélangé de fait en sa deuxième branche, ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi.