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Décisions

CA Angers, ch. corr., 3 mai 2005, n° 04-00730

ANGERS

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Vermorelle

Conseillers :

MM. Midy, Turquet

Avocats :

Mes Billaud, Elghozi, Rolland

TGI Saint-Brieuc, ch. corr., du 20 févr.…

20 février 2003

Rappel procédural

Francis W est prévenu d'avoir dans le département des Côtes d'Armor, en tout cas sur le territoire national, de novembre 1993 à mars 1994, en tout cas depuis temps non prescrit:

- par quelque moyen que ce soit, même par l'intermédiaire d'un tiers, étant partie ou non au contrat, trompé ou tenté de tromper le consommateur contractant sur la nature, l'origine et les qualités substantielles de marchandises, en l'espèce en vendant des oeufs sous le label "oeufs de poule élevées en plein air" et comme étant de production fermière, sachant que les oeufs étaient de production industrielle et étrangère,

- effectué une publicité comportant, sous quelque forme que ce soit, des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur portant sur la nature, l'origine, les qualités substantielles et le mode de fabrication de biens ou de services, en l'espèce en faisant passer des oeufs de production industrielle et étrangère pour des oeufs plein air et de production Y.

René X est prévenu d'avoir dans le département des Côtes d'Armor, en tout cas sur le territoire national, de novembre 1993 à mars 1994 et de décembre 1994 à avril 1995, en tout cas depuis temps non prescrit:

- par quelque moyen que ce soit, même par l'intermédiaire d'un tiers, étant partie ou non au contrat, trompé ou tenté de tromper le consommateur contractant sur la nature, l'origine et les qualités substantielles de marchandises, en l'espèce en vendant des oeufs sous le label "oeufs de poule élevées en plein air" et comme étant de production fermière, sachant que les oeufs étaient de production industrielle et étrangère,

- effectué une publicité comportant, sous quelque forme que ce soit, des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur portant sur la nature, l'origine, les qualités substantielles et le mode de fabrication de biens ou de services, en l'espèce en faisant passer des oeufs de production industrielle et étrangère pour des oeufs "plein air et de production" Y.

Gilbert A est prévenu d'avoir dans le département des Côtes d'Armor, en tout cas sur le territoire national, de novembre 1993 à mars 1994 et de décembre 1994 à avril 1995, en tout cas depuis temps non prescrit:

- par quelque moyen que ce soit, même par l'intermédiaire d'un tiers, étant partie ou non au contrat, trompé ou tenté de tromper le consommateur contractant sur la nature, l'origine et les qualités substantielles de marchandises, en l'espèce en vendant des oeufs sous le label "oeufs de poule élevées en plein air" et comme étant de production fermière, sachant que les oeufs étaient de production industrielle et étrangère,

- effectué une publicité comportant, sous quelque forme que ce soit, des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur portant sur la nature, l'origine, les qualités substantielles et le mode de fabrication de biens ou de services, en l'espèce en faisant passer des oeufs de production industrielle et étrangère pour des oeufs "plein air et de production" Y.

Les faits reprochés consistaient dans la vente d'oeufs, sous le label "oeufs de poules élevées en plein air" comme étant de production fermière française, alors qu'il s'agissait d'oeufs d'origine industrielle et étrangère. Il s'agissait de la tromperie. Quant à la publicité mensongère, elle recouvrait les mêmes éléments : oeufs Y, comme étant de gallinacés français élevés en plein air, alors que ce n'était pas le cas.

Deux procédures sont en cause initialement compte tenu de la date des faits.

Par jugement du 20 février 2003, le Tribunal correctionnel de Saint-Brieuc a :

- ordonné la jonction des procédures 97001265 et 95008432,

- relaxé Gilbert A, René X et Francis W pour les faits de tromperie commis de novembre 1993 à décembre 1994,

- relaxé Gilbert A et René X pour les faits de tromperie commis de décembre 1994 à avril 1995,

- relaxé Gilbert A pour publicité mensongère commise de novembre 1993 à mars 1994,

- déclaré Gilbert A, René X et Francis W coupables pour le surplus,

- déclaré Yves D coupable des faits reprochés,

- condamne:

* René X à quatre mois d'emprisonnement avec sursis et 7 600 euro d'amende,

* Gilbert A à deux mois d'emprisonnement avec sursis et 800 euro d'amende,

* Francis W à deux mois d'emprisonnement avec sursis et 3 800 euro d'amende,

* Yves D à un mois d'emprisonnement avec sursis et 1 500 euro d'amende.

- ordonné aux frais des condamnés la publication par extraits du présent jugement dans les journaux Ouest-France et Le Télégramme aux frais des quatre condamnés, ceux-ci étant limités à 762 euro par publication.

Sur appel des prévenus et du Ministère public, la Cour d'appel de Rennes, par arrêt du 18 mars 2004, a relaxé l'ensemble des prévenus de tous les faits reprochés.

Sur pourvoi du Ministère public, la Chambre criminelle de la Cour de cassation, par arrêt du 19 octobre 2004, a cassé l'arrêt de la Cour d'appel de Rennes mais en ses seules dispositions ayant relaxé René X, Gilbert A et Francis W du chef de tromperie et publicité mensongère dans la procédure 95008432.

L'exposé de la Cour de cassation est le suivant:

Attendu que, pour renvoyer les prévenus des fins de la poursuite, l'arrêt retient que le fait que la société Y n'ait pas procédé à la vérification de l'origine des oeufs, ce que semblait lui imposer les dispositions des règlements communautaires en vigueur concernant les normes de commercialisation applicables et se soit contentée des mentions portées sur les documents commerciaux fournis par l'intermédiaire chargé de ses achats ne suffit pas à caractériser l'élément intentionnel du délit de tromperie : que les juges ajoutent que la matérialité de la fraude n'était pas vérifiable après la livraison des oeufs qui étaient achetés au prix d'oeufs fermiers ;

Que, s'agissant du délit de publicité de nature à induire en erreur, l'arrêt énonce que la commercialisation d'oeufs d'origine étrangère sous la marque régulièrement déposée Y ne peut constituer l'élément matériel de cette infraction et que les prévenus ont été induits en erreur sur l'origine industrielle des oeufs;

Mais attendu qu'en se déterminant de la sorte, alors qu'il résultait de ses propres constatations, d'une part, que les dispositions alors applicables des règlements n° 1907-90-CEE du Conseil du 26 juin 1990 et n° 1274-91-CEE de la Commission du 15 mai 1991 concernant notamment l'emploi de mentions relatives au mode d'élevage et à l'origine des oeufs avaient été méconnues, d'autre part, que la conformité des oeufs n'avait pas été vérifiée et, qu'enfin, la marque et dénomination sociale Y était utilisée pour la commercialisation d'oeufs d'origine étrangère, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

Contexte et éléments d'enquête

René X était depuis l'achat réalisé en 1988, le président directeur général de la société Y, filiale de la société Z, société qui vendait des oeufs sous l'appellation Y.

(Il avait créé, concomitamment à cet achat, B, société de production dont le rôle était de faire signer aux éleveurs des contrats d'intégration).

Gilbert A a été engagé en qualité de directeur général adjoint de Z à partir de février 1994.

Francis W a été quant à lui le directeur commercial de cette société Y, de la date de son rachat à celle de son licenciement intervenu en juin 1994.

Son fils, Stéphane W était lui le président directeur général de la société "C" dont le siège social est à Saint-Bieuc et dont l'activité était la production et la commercialisation, par le biais de contrat d'intégration, d'oeufs de poules élevées en plein air et d'oeufs biologiques.

Yves D qui en était le directeur commercial s'est reconnu gérant de fait [du groupement] E qui assurait le ramassage et le conditionnement des oeufs pour le compte de cette société, son épouse en étant gérante de droit. Il disposait d'une délégation de pouvoirs en vertu de laquelle il lui appartenait de respecter les normes communautaires notamment sur le ramassage, le calibrage et le mirage des oeufs.

La qualification des poulaillers et le contrôle des différents élevages étaient assurés par F dont le président directeur général était Francis W.

Dans le cadre d'une enquête intracommunautaire suite à la livraison en Belgique de palettes d'oeufs non classés provenant d'un centre agréé d'Arras et portant la mention du mode d'élevage (poules pondeuses en libre parcours) et à l'utilisation de faux certificats et de faux documents, la Direction Générale de la Consommation, de la Concurrence et de la Répression des Fraudes porte plainte "contre x" le 26 septembre 1995.

Une information était ouverte par réquisitoire du 5 mars 1996.

Selon celle-ci, il résultait que Francis W qui était alors le directeur, avait eu recours, entre novembre 1993 et mars 1994 d'une part et entre décembre 1994 et avril 1995 d'autre part, en raison de l'insuffisance de la production de ses producteurs, à l'achat à l'étranger (la Belgique) de palettes d'oeufs pour la plupart calibrés qu'elle conditionnait elle-même et revendait à l'étranger (Allemagne) et sur le marché français sous le label "produits par Y".

Les bordereaux d'achat et les factures acquittées auprès du fournisseur belge mentionnaient "oeufs libre parcours" ou "plein air".

Les oeufs à destination de l'Allemagne étaient conditionnés dans des emballages revêtus d'images couleur représentant des poules dans un pré et les indications à l'intérieur des emballages mentionnaient que les poules étaient des poules de "libre parcours" et que les élevages étaient contrôlés par les autorités sanitaires françaises.

Ceux commercialisés en France l'étaient sous l'appellation "oeufs fermiers, produits en Bretagne" ; ils étaient conditionnés, comme ceux prévus à l'exportation pour la plupart au centre de Bapaulme et mélangés à la production locale sans aucun contrôle de qualité.

René X et Francis W ont admis la matérialité de ces faits, le premier en en reportant la responsabilité pénale sur Gilbert A, puisqu'il assurait à partir de février 1994 les fonctions de directeur général adjoint, le second indiquant qu'il n'avait reçu aucune opposition de sa hiérarchie bien qu'il se soit douté d'une " possible tromperie " à compter de novembre 1993.

Gilbert A a indiqué quant à lui que son rôle était limité à la gestion et à l'administration de l'entreprise et qu'il n'avait jamais eu la moindre responsabilité sur la partie commerciale; il contestait donc toute responsabilité pénale.

Demandes devant la cour de renvoi

René X

Le relaxer pour l'intégralité des faits, objets de la poursuite. Préciser que les éléments matériels et intentionnels du délit de publicité mensongère ne sont pas constitués en ce qui concerne l'emploi du mot "Argoat".

Gilbert A

Confirmer le jugement en ce qu'il l'a relaxé pour les faits antérieurs à sa prise de fonction. Le relaxer pour le surplus.

Francis W

Confirmer le jugement l'ayant relaxé pour tromperie. Le relaxer du chef de publicité trompeuse.

Ministère public

Condamner:

* René X à six mois d'emprisonnement avec sursis et 15 000 euro d'amende,

* Gilbert A et Francis W à deux mois d'emprisonnement avec sursis et 3 000 euro d'amende.

Motifs

Attendu que du fait de la cassation partielle intervenue, la Cour d'appel d'Angers est saisie uniquement des poursuites contre les trois prévenus restant en cause, pour tromperie et publicité mensongère, dans le dossier 95008432, faits commis de novembre 1993 à mars 1994 et de décembre 1994 à avril 1995 pour René X et Gilbert A et de novembre 1993 à mars 1994, uniquement, pour Francis W.

Sur les faits de tromperie

Attendu que pour la première période en cause (novembre 1993 à mars 1994, ou plus précisément jusqu'au 31 janvier 1994), René X était le président directeur général de la société X, et, en outre, président de directoire de SA Z dont Y était une filiale.

Attendu que Francis W était, pour sa part, directeur d'exploitation de la société Y, et ce jusqu'en juin 1994.

Attendu que son contrat précisait qu'il devait agir conformément aux directives générales pouvant lui être données, spécialement par son président ; que, parmi ses attributions, figuraient notamment la surveillance du suivi de la production et de la qualité des produits, ainsi que des relations entre les éleveurs et la société.

Attendu que, selon le dossier, Francis W avait autorité et compétence et participait efficacement aux activités de la société ; que c'était d'ailleurs lui-même qui s'était mis en relation avec le courtier BAPST.

Attendu que les faits étaient donc parfaitement connus tant de René X que de Francis W et que l'imputabilité des faits en cause à ces deux prévenus, pour la période considérée n'est pas sérieusement discutable.

Attendu que la matérialité des faits est établie ; qu'en effet, les prévenus en cause ont mis sur le marché des "oeufs de poules élevées en plein air", comme étant de production fermière et qui, plus est, censés avoir été pondus en Bretagne, alors qu'il s'agissait d'un mélange avec des oeufs de batterie en provenance de Belgique.

Attendu que, de toute évidence, ils n'ont pas vérifié, ou plus précisément ont sciemment ignoré les conditions de production exigées par l'article 18 du règlement CEE du 15 mai 1991 concernant notamment les conditions minimales de densité applicables aux élevages.

Attendu que ces faits ne doivent rien au hasard ni aux aléas de la conjoncture commerciale mais relèvent d'un choix délibéré des intéressés pour faire face à une demande, qu'autrement, ils n'auraient pu satisfaire.

Attendu que contrairement à ce qu'a estimé le Tribunal de Saint-Brieuc, l'élément intentionnel est patent et il appartenait à ces professionnels de s'assurer par tout moyen, de la sincérité du produit vendu, sans qu'ils puissent se retrancher derrière la pseudo-ignorance de la qualité des oeufs achetés.

Attendu qu'ils ont donc délibérément trompé leur co-contractant, que le délit est constant et que le jugement sera réformé en ce sens.

Attendu que pour cette période, antérieure à l'embauche de Gilbert A, soit jusqu'au 31 janvier 1994, pour ce qui le concerne, la relaxe s'impose.

Attendu que pour la période postérieure les mêmes éléments peuvent être repris, à ceci près que la responsabilité de Gilbert A, directeur général adjoint, est parfaitement engagée, dans la mesure où de par ses fonctions il participait directement et nécessairement aux pratiques litigieuses.

Attendu enfin que René X qui a participé directement aux fait litigieux, ne saurait se réfugier derrière une délégation de pouvoir au profit de Gilbert A, alors qu'il résulte clairement du dossier qu'il avait conservé un pouvoir d'intervention dans les approvisionnements et la politique commerciale en même temps qu'un rôle essentiel dans la politique générale du groupe en raisons de ses prérogatives statutaires.

Sur la publicité mensongère

Attendu que les prévenus, ainsi que l'indique le tribunal, ont commercialisé des milliers de boîtes d'oeufs, sous la dénomination "Y - oeufs de poules élevées en plein air" agrémentées d'un volatile blanc à crête rouge, dans une herbe d'un vert tendre, induisant manifestement le consommateur en erreur, dans la mesure où il imaginait acquérir des oeufs bretons, pondus par une poule au bonheur sans mélange, picorant dans un pré verdoyant, alors que la réalité était beaucoup moins poétique, s'agissant d'un mélange, dans le meilleur des cas, avec des oeufs de batterie, pondus par des poules n'ayant jamais vu, ni soleil, ni ciel, ni herbe.

Attendu que le délit de publicité mensongère est donc parfaitement constitué.

Attendu que les trois prévenus n'ignoraient rien des faits et en étaient à l'origine, chacun à son niveau, ainsi que cela a été exposé pour la tromperie, les préoccupations commerciales et de rentabilité ayant pris le pas sur la sincérité des transactions.

Attendu simplement que Gilbert A sera relaxé de ce chef pour la période antérieure au 1er février 1994, date de sa prise de fonction.

Sur les peines

Attendu qu'en fonction de la gravité des faits, mais aussi de leur ancienneté, ainsi que de la personnalité des prévenus qui ont agi par esprit de lucre, la cour prononcera les peines suivantes :

- René X quatre mois d'emprisonnement avec sursis et 10 000 euro d'amende,

- Gilbert A : deux mois d'emprisonnement avec sursis et 5 000 euro d'amende,

- Francis W deux mois d'emprisonnement avec sursis et 3 000 euro d'amende.

Attendu qu'en raison des peines prononcées, il y aura lieu à application de la loi d'amnistie du 3 août 1995, une fois le présent arrêt définitif.

Attendu que la publication de la décision sera confirmée.

Par ces motifs : Statuant publiquement et contradictoirement, Vu l'arrêt de la Chambre criminelle du 19 octobre 2004, Statuant dans les limites de la cassation, Réformant le jugement déféré, Relaxe Gilbert A pour les faits antérieurs au 1er février 1994, Déclare les prévenus coupables pour le surplus, Condamne : - René X à quatre mois d'emprisonnement et 10 000 euro d'amende, - Gilbert A à deux mois d'emprisonnement et 5 000 euro d'amende, - Francis W à deux mois d'emprisonnement et 3 000 euro d'amende, Dit qu'il sera sursis à l'exécution des peines d'emprisonnement pendant cinq ans conformément aux dispositions des articles 132-30 et 132-31 du Code pénal, Constate que l'avertissement prescrit par l'article 132-29 du Code précité n'a pas été donné aux intéressés, absents, Ordonne aux frais des condamnés la publication par extraits du présent arrêt dans les journaux Ouest-France et Le Télégramme, ceux-ci étant limités à 762 euro par publication. Dit qu'il y aura lieu à application de la loi d'amnistie du 3 août 1995 une fois le présent arrêt définitif. La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 120 euro dont est redevable chaque condamné, conformément aux dispositions de l'article 1018-A du Code général des impôts. Ainsi jugé et prononcé par application des articles L. 213-1, L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al. 1 du Code de la consommation.